La porte automatique ne tarda pas à s'ouvrir sur une blonde affaiblie. Fermement accrochée au bras de son compagnon, Candice avançait, fixant le sol dans un regard vidé d'envie et d'énergie. D'accord, Antoine avait raison et il fallait manger… Mais les biscuits secs de l'hôpital pouvaient bien suffire, non? Eh bien visiblement, pas à ses yeux… Elle sentit soudainement son chéri s'éloigner d'elle, marquant leur débarquement à la place de parking occupée par un Kadjar noir.
«Mais… La voiture… réalisa Candice en posant sa main sur la portière.
- Oui, c'est ton cousin qui me l'a prêté ce matin, expliqua-t-il en ouvrant la portière face à une blonde restée immobile.
Elle fixait la vitre devant elle, les yeux envahis de larmes.
Qu'est-ce qu'il y a? T'aimes pas le modèle? sourit-il tendrement en s'arrêtant dans son mouvement.
- Non je… Je me demandais juste… Pourquoi… Pourquoi t'es pas parti finalement ? osa-t-elle en posant ses yeux sur lui douloureusement.
Il haussa les épaules avant de l'observer par-dessus l'habitacle.
- Faut croire que j'avais pas envie de te laisser ici dans cet état…
Elle acquiesça sans en demander davantage, acceptant silencieusement cette promesse de soutien qu'elle n'espérait presque plus.
- Je t'emmène où alors? Y a un endroit où tu voudrais aller en particulier?
- À cette heure-là, la plupart des restos seront fermés… avisa-t-elle en regardant sa montre.
- Hum, grommela-t-il perplexe. Fast-food?
Candice grimaça discrètement, peu enjouée.
- Sinon c'est pas grave…
- Si! Je t'emmène manger, tu discutes pas.
- Ok… bouda-t-elle en s'immisçant dans la voiture.»
Bon, Candice n'avait clairement pas son mot à dire et vu les frasques du jour, mieux valait ne pas protester davantage. Et maintenant elle trônait là, dans un recoin de cette salle de restaurant miteuse du fast-food du coin. La carte ne l'avait clairement pas emballée mais, encore une fois, elle n'avait pas eu le choix que de se résigner face à son obstination. Lui se tenait debout, ticket en main, patientant sagement face au comptoir de réception des commandes. Et dieu sait que jamais elle n'aurait imaginé finir ici avec lui dans de telles circonstances, souriait-elle en le fixant d'un grand sourire. Soudain, le portable devant elle vibra sur la table, sortant Candice de cette rêverie amoureuse dans laquelle elle s'était plongée pour oublier… «Verner», lut-elle sur le portable de son compagnon avant d'hésiter à décrocher. Elle rejeta un œil à Antoine, toujours concentré sur la préparation de leur commande.
«Oui? craqua-t-elle en s'emparant du téléphone.
- Ouais, Dumas?
- Euh non… C'est Candice.
- Ah!
- Qu'est-ce qu'il y a?
- Je me suis renseigné auprès des collègues, ta mère a déclaré une chute accidentelle. Les deux versions corroborent donc…
- Ah bon? s'étonna-t-elle.
- Ouais! Antoine ne devrait donc pas être inquiété…
- Ok, acquiesça-t-elle perplexe.
- Hum… Soulagée?
- Ouais! sourit-elle en acquiesçant.
- Et toi sinon? Ça va mieux?
- Je suis fatiguée mais ça va… Il faut le temps de digérer tout ça…
- Ouais. La période est compliquée mais t'es bien entourée, c'est ce qui compte!
- Oui, confirma-t-elle alors qu'Antoine réceptionnait leurs plateaux. Par contre, y a quelque chose qui m'intrigue… Maman s'est déclarée célibataire à l'hôpital et n'a pas voulu prévenir Menaux…
- Candice, la coupa-t-il. Je t'ai dit repos! C'est plus ta priorité, tout ça! T'en as d'autres…
- Oui mais ça n'empêche que c'est bizarre…
- Je gère!
- Ok…
- Je vous laisse. Tu annonceras la nouvelle à Antoine.
- Merci Stanislas.»
Antoine déposa les plateaux sur la table en fronçant les yeux à l'entente du prénom du commandant. L'angoisse le submergea, lui rappelant les accusations mensongères que ces flics avaient postulé à son égard. Heureusement, le sourire de sa compagne le rassura. Il récupéra son portable et s'affala sur la chaise, pétri d'impatience.
«Il a sonné et j'ai vu que c'était Stanislas… Je me suis permise de répondre…
- Et alors? s'empressa-t-il d'angoisse.
- Tout va bien. Maman a dit que c'était un accident…
- Oufff! souffla-t-il en prenant une grande bouffée d'air. J'ai cru qu'on allait replonger dans un cauchemar là…
- Ouais…
- Bon bah ça va, respira-t-il en récupérant une frite dans son paquet.
- Mais quand elle parle d'accident, elle parle de quoi en fait ?
- Bah Stanislas a dû te dire… bégaya-t-il de gêne.
- Non! Personne m'a raconté ce qu'il s'était passé…
Gêné, Antoine détourna le regard.
- On discutait et elle est tombée c'est tout…
- D'accord, sauf que je comprends pas bien pourquoi tu t'es retrouvé chez elle…
Agacé, Antoine reposa son sandwich dans son carton et baissa les yeux sur la table.
- C'est ton oncle. Il est venu me trouver à la gare avec cet album là…
- De quel album tu parles?
- L'année 1988… que t'avais laissé dans la voiture…
- Ah, comprit-elle en ravalant sa salive.
- Alors avec ce que tu venais de m'annoncer le matin, j'ai pas réfléchi et je suis parti la confronter.
- Et qu'est-ce qu'elle t'a dit? demanda-t-elle angoissée.
- Pas grand-chose… C'est surtout moi qu'ai parlé en fait… Et dans l'action, elle a reculé et s'est pris les pieds dans la table.
- T'as pas dû y aller de mains mortes pour réussir à déstabiliser Magda Müller…, ironisa-t-elle.
- J'avoue, j'étais furieux…
- Et… qu'est-ce que tu lui as dit?
- Candice… soupira-t-il.
- Quoi? J'ai le droit de savoir, non?
- Mais rien! J'ai juste dit que… que c'était pas normal de pourrir la vie de sa fille depuis ses seize ans et… je lui ai dit que je voulais plus jamais qu'elle revienne s'immiscer dans nos vies, voilà…
Émue, Candice acquiesça avant de lever les yeux au ciel.
- Elle se rend même pas compte du mal qu'elle fait aux autres de toute façon…
- Mais y a «les autres» et y a «sa fille», Candice. C'est pas pareil quand même!
- Je sais, encaissa-t-elle. Mais on la changera pas, voilà… J'ai compris maintenant…
- N'empêche qu'elle aurait pu montrer son côté vicieux et me foutre dans la merde avec cette histoire d'accident… Mais elle l'a pas fait!
- Hum… Et c'est étrange…
- De?
- Baaaaah qu'elle lâche si facilement, comme ça! Ça lui ressemble pas… Puis c'est pareil, pourquoi elle est rentrée si rapidement de Belgique? Et sans Menaux, en plus ?
- J'en sais rien, soupira-t-il en récupérant son hamburger.
- Faudrait peut-être que je me renseigne et…
- Candice! s'agaça-t-il en haussant le ton. Mange! Ça va refroidir sinon!
- Oui… Mais c'est bizarre, c'est tout…, conclut-elle en croquant une frite.
- Quoi? s'étonna-t-il face à sa mine dégoûtée.
- Nan… Ça faisait longtemps que j'avais pas mangé ce truc… Avant c'était le rituel des enfants ça… mais j'avais oublié à quel point c'était pas bon…
- C'est pas une raison pour pas manger!
- Mais c'est pas ce que j'ai dit!
- Nan mais je te connais, donc délicieux ou pas, tu manges! J'ai pas envie de te ramener à l'hosto d'ici ce soir moi!»
Candice le singea discrètement avant de se lancer dans son repas à son tour. Déjà qu'elle n'avait pas trop faim, l'association de ces frites décongelées et de cet hamburger bien trop sec ne semblait pas plus la convaincre. Mais Antoine avait raison… Son corps réclamait quelques protéines et glucides qu'elle avait bien trop laissé de côté ces dernières heures. Et le silence se réinstalla, lourdement… Un silence du genre qui rappelait leur dispute du matin. Et certes Antoine n'était finalement pas parti mais, l'amertume ne s'était pas envolée pour autant…
«Tu vois que t'avais faim!
- Hum, haussa-t-elle ses épaules en jetant sa serviette en papier sur son plateau.
- Ah! s'étonna Antoine en sentant son portable vibrer sur la table.
- C'est qui?
- C'est Emma, releva-t-il en scrutant son écran. Elle doit être inquiète je lui avais dit que je la préviendrais, mais avec tout ça j'ai zappé…
- Bah réponds!
- Non, tiens! Ça lui fera plaisir…, répliqua-t-il en lui tendant son portable.
Candice réceptionna difficilement le boîtier noir qu'elle joignit à l'oreille sans aucun engouement.
- Allô?
- Maman?!
- Oui c'est moi, je suis avec Antoine.
- Oh! Mais j'étais super inquiète! Tout va bien?
- Mais oui, tout va bien! Antoine m'a rejointe dans le nord et… on était juste très occupés…
- Bah je vois ça! Tu me réponds pas depuis 2 jours!
- Excuse-moi ma chérie.
- Et mamie, ça va?
- Euh oui! Ça va…
- T'as pu lui parler alors?
- Pas vraiment, tu sais elle était en vacances avec son amoureux…
- Ah ok! Bon tant pis… Et vous rentrez quand du coup ? On a plein de trucs à voir pour le mariage…
- Je sais pas chérie.
- Ok, soupira-t-elle. Bah je vais t'envoyer les deux robes que j'ai trouvées alors. Je voulais ton avis parce que j'hésite vraiment et Sacha est incapable de m'aider.
- D'accord! Je te dirai… Mais je vais te laisser parce qu'on est en train de manger là, éluda-t-elle alors que leurs plateaux étaient vides.
- À cette heure?
- Oui, sourit-elle doucement.
- Ok! Et t'oublies pas de répondre aux garçons aussi, ils t'ont envoyé des propositions de chansons je crois.
- Je ferai ça ce soir, j'ai plus de batterie là.
- Je vais leur dire alors.
- Oui, merci! Bisous ma chérie!
- Bisous et je t'envoie les robes sur le portable d'Antoine. Réponds-moi vite!
- Oui! Bisous»
Candice raccrocha, la gorge nouée par ce rappel constant du mariage qu'elle venait de remettre en question. Et face à elle, Antoine n'avait pas perdu une miette de la conversation… Il récupéra son portable et avisa les deux photos de robes tout juste envoyées par sa belle-fille. Il rejeta la notification et verrouilla le portable avant de fixer l'horizon sans entrain.
«Et à eux… Tu comptes leur dire quand?
Gênée, Candice baissa la tête avant de fixer Antoine douloureusement.
- J'ai juste besoin de temps…
- C'est pas comme si c'était prévu pour dans quinze jours…
- Je sais, confirma-t-elle durement. Mais je te promets qu'on va en reparler. Mais pas ici…
- Parce qu'il y a un lieu pour parler de ça? la toisa-t-il durement.
- Non, trancha-t-elle en bégayant face à son silence. Et… tu... t'en as parlé à ta mère?
- Nan. La journée a déjà été difficile pour tout le monde. J'ai pas envie d'en rajouter…
- Ouais…»
Antoine se leva dans la foulée, clôturant cette discussion qu'il n'avait clairement pas envie d'aborder. Et peut-être que ça l'arrangeait un peu, finalement… Elle non plus ne voulait pas reparler de ses doutes et angoisses. Pas après ces montagnes russes… Silencieuse, Candice se leva à son tour et observa Antoine vider le plateau dans la poubelle. Les deux ne tardèrent pas à se diriger vers la porte que le commissaire tint afin de la laisser passer. Elle lui jeta un sourire sincère avant de le dépasser doucement.
« Tu m'aimes encore ? entendit-elle avec stupéfaction.
Candice fit volte-face, les yeux envahis par les larmes.
- Bah oui, bien sûr que oui voyons ! Pourquoi tu me demandes ça?
- À ton avis?
- Ça n'a rien à voir, je te promets, souffla-t-elle doucement en s'accrochant à son bras pour retourner à la voiture.
- Hum…
- Antoine?
- Ouais?
- Euh… J'ai pas envie de rentrer tout de suite en fait… Je voudrais t'emmener quelque part…
- Ok… Où?
- C'est pas loin. Faut juste marcher un peu jusqu'à la sortie de la ville…
- Et on va faire quoi?
- Euh… Je… Je voudrais te présenter quelqu'un! »
