Chapitre 36 : La Grande Evasion

L'Amyrlin, assise dans ses appartements privés à la Tour Blanche, feuilletait des manuscrits anciens. L'éclat argenté des chandelles vacillait contre les murs de pierre, projetant des ombres dansantes. Les yeux fatigués de la chef des Aes Sedai parcouraient les lignes des parchemins, scrutant chaque mot avec la patience d'une érudite. Les mystères du monde étaient enfouis dans ces textes, et aujourd'hui, elle cherchait des réponses.

C'était une tâche solitaire. Même pour l'Amyrlin, la Tour Blanche regorgeait de mystères que peu osaient affronter. Mais récemment, les événements entourant Arno, cet étranger venu d'un autre monde, l'avaient poussée à s'interroger. Il y avait quelque chose de profondément troublant dans ce guerrier aux manières étranges, capable d'affronter des créatures terrifiantes, et dont l'humour caustique masquait à peine une douleur plus profonde. Il ne venait pas de ce monde, et l'Amyrlin sentait que cela représentait autant un danger qu'une opportunité.

Elle tourna une nouvelle page avec soin, et ses yeux s'immobilisèrent sur un nom : Rhuidean. Elle plissa les yeux, fouillant sa mémoire pour retrouver ce nom enfoui dans les légendes. Rhuidean, la cité mythique des Aiels, cachée au cœur du Désert. Peu savaient exactement ce qui s'y trouvait, et encore moins en étaient revenus pour en parler. L'Amyrlin fronça les sourcils et lut attentivement.

"Un lieu où les frontières entre les mondes sont fragiles."

Cette phrase lui fit l'effet d'un coup de tonnerre. Elle posa le parchemin avec précaution sur son bureau, ses pensées tourbillonnant. L'idée que Rhuidean puisse être une faille entre les réalités semblait presque trop parfaite. Et pourtant, si cette hypothèse était vraie, alors ce pourrait être la clé pour renvoyer Arno dans son propre monde.

L'Amyrlin se redressa, ses pensées convergeant vers Arno. Ce Sorceleur mutant, à l'humour déroutant, avait prouvé sa force et son courage, mais il était aussi une énigme. Il n'était pas de ce monde, et cela soulevait des questions que même la sagesse millénaire de la Tour Blanche peinait à répondre. Le garder ici, à la merci des Aes Sedai, était risqué. Cependant, le renvoyer chez lui en explorant des chemins aussi dangereux que ceux menant à Rhuidean comportait aussi des risques.

Elle se leva et commença à arpenter la pièce. Ses pensées étaient claires maintenant : Arno devait savoir. Mais avant cela, elle devait en discuter avec les Sœurs. Toutes ne seraient pas d'accord. Liandrin, par exemple, voyait en Arno une menace et prônait la prudence. Mais l'Amyrlin savait que des choix difficiles devaient être faits. Elle ferait ce qu'il fallait.

Lentement, elle sortit de ses appartements, un plan se formant dans son esprit. Traversant les couloirs sinueux de la Tour, l'Amyrlin se dirigeait vers la salle des Sœurs, là où les décisions les plus cruciales se prenaient. Dans ses mains, le parchemin qu'elle avait découvert, avec cette simple phrase qui pourrait bien tout changer : Rhuidean, la cité où les frontières se fléchissent.

Son cœur était lourd, non pas de peur, mais d'une certitude profonde que ce qu'elle venait de découvrir pourrait être la clé de nombreux mystères. Si les Aes Sedai parvenaient à exploiter ce passage entre les mondes, cela pourrait offrir des possibilités infinies pour la Tour Blanche. Mais pour l'instant, il s'agissait d'Arno. De ce guerrier perdu dans une réalité qui n'était pas la sienne, et peut-être de sa seule chance de rentrer chez lui.

Elle arriva devant les grandes portes en bois de la salle des Sœurs et inspira profondément. Il était temps d'agir.

L'Amyrlin entra dans la grande salle des Sœurs, une pièce imposante où résonnaient les murmures des Aes Sedai présentes. La lumière tamisée des chandeliers faisait briller les broderies des ajahs sur leurs robes. Les visages sérieux des femmes se tournèrent vers elle, sentant que quelque chose d'important allait être discuté.

Elle ne perdit pas de temps. "J'ai fait une découverte," annonça-t-elle d'une voix forte et calme, tenant le parchemin devant elle. "Un lieu où les frontières entre les mondes sont les plus fragiles : Rhuidean."

Le nom évoqua quelques murmures. Rhuidean, la ville légendaire des Aiels, était un lieu entouré de mystères et de dangers. Peu de Sœurs savaient vraiment ce qui s'y trouvait, et encore moins auraient osé y envoyer quelqu'un, surtout un homme comme Arno.

"L'idée serait d'y envoyer Arno," continua l'Amyrlin, le regard perçant. "S'il y a une chance pour lui de retourner dans son monde, c'est là-bas qu'il pourrait la trouver."

À peine eut-elle terminé sa phrase que Liandrin, assise à l'une des extrémités de la table, prit la parole. "C'est une idée intrigante," dit-elle doucement, une pointe de sarcasme dans la voix, "mais est-ce vraiment sage de le libérer aussi vite ?"

L'attention se tourna immédiatement vers elle. Liandrin, de l'Ajah Rouge, était connue pour ses opinions tranchées et sa méfiance extrême envers tout ce qui pouvait représenter une menace. Elle était habile dans l'art de manier les mots, et ce jour-là ne ferait pas exception.

"Je comprends votre désir d'aider ce... mutant," continua-t-elle, choisissant ses mots avec soin. "Mais n'oublions pas que nous savons encore si peu de choses sur lui. Sa transformation, ses pouvoirs... Ce sont des capacités que nous n'avons jamais vues auparavant. Il pourrait être dangereux. Et si nous le laissions partir, qu'adviendrait-il si ces capacités étaient utilisées contre nous ? Ou pire, si elles tombaient entre de mauvaises mains ?"

Quelques Sœurs hochèrent la tête en signe d'assentiment. L'argument frappait juste. Arno, malgré ses airs désinvoltes et son humour incessant, restait un inconnu aux pouvoirs inquiétants.

L'Amyrlin fronça légèrement les sourcils, mais ne dit rien pour l'instant. Liandrin continua, sentant qu'elle avait capté l'attention de la salle.

"Nous avons ici une occasion rare d'étudier un être doté de capacités uniques. Si nous pouvions comprendre comment il a acquis ses pouvoirs, peut-être même les reproduire d'une manière ou d'une autre, cela pourrait être bénéfique pour la Tour Blanche." Son regard glissa de l'Amyrlin aux autres Sœurs, chacune attentivement suspendue à ses lèvres. "Et puis, envoyer un homme comme lui à Rhuidean, une cité inconnue remplie de mystères et de dangers... Cela me semble risqué. Qui sait ce qu'il pourrait y découvrir et ramener ?"

L'Amyrlin, bien que convaincue du potentiel de Rhuidean, sentit le poids de la prudence peser sur ses épaules. Liandrin avait soulevé des points valables. Bien qu'elle veuille sincèrement aider Arno, la responsabilité envers la Tour Blanche primait. Elle devait penser à la sécurité des Aes Sedai avant tout.

"Vous proposez donc de le garder ici pour l'étudier davantage ?" demanda l'Amyrlin, son ton mesuré, mais l'ombre du doute planant.

Liandrin hocha la tête. "Oui, Amyrlin. Nous devrions continuer à l'observer. Comprendre ses pouvoirs. Nous ne pouvons pas nous permettre de le relâcher si vite. Le laisser partir à Rhuidean serait une erreur stratégique. S'il doit y aller un jour, ce sera quand nous aurons pleinement évalué les risques."

Un silence lourd tomba dans la pièce. L'Amyrlin fixa Liandrin longuement, pesant les conséquences de ses mots. Elle savait que Liandrin cherchait à maintenir un contrôle strict, mais elle ne pouvait ignorer la validité des préoccupations soulevées. Arno était un mystère, et peut-être une menace.

Finalement, l'Amyrlin inspira profondément. "Vous avez raison. Nous devons agir avec prudence. Arno restera ici, pour le moment. Nous prendrons le temps d'examiner ses capacités avant d'envisager quoi que ce soit d'autre."

Liandrin esquissa un léger sourire satisfait. La décision de l'Amyrlin venait de sceller le sort d'Arno, du moins pour l'instant.

L'Amyrlin se retourna vers les autres Aes Sedai, cherchant leur approbation. Les hochements de tête silencieux indiquèrent que la majorité était d'accord. Même celles qui exprimaient de la curiosité pour Arno savaient que la prudence était de mise. Ce n'était pas un simple homme, mais un être aux capacités hors du commun, et le laisser partir sans avoir toutes les informations serait un risque.

Dans son esprit, l'Amyrlin se promit de garder un œil attentif sur Arno, tout en espérant qu'un jour, il puisse peut-être atteindre Rhuidean et trouver un moyen de rentrer chez lui.

Arno était assis sur le lit étroit de sa cellule, ses pensées vagabondant comme à leur habitude, mais cette fois, il y avait un fil conducteur. Les murs de la Tour Blanche, bien que froids et impénétrables à première vue, avaient des oreilles, et Arno avait appris à écouter. C'était ainsi qu'il avait entendu parler de Rhuidean, cette ville mystérieuse dans le Désert Aiel, où les mondes semblaient s'entrelacer.

"Rhuidean," murmura-t-il pour lui-même, un sourire en coin se formant sur ses lèvres. "Un lieu où je pourrais enfin me barrer d'ici... Ça sonne comme une mauvaise blague, mais j'ai bien envie de la tester."

Il savait que c'était là-bas qu'il devait se rendre. C'était son ticket de sortie, sa chance de quitter ce monde étrange et de retourner dans le sien, où les monstres avaient au moins la décence d'être visibles. Mais il y avait un obstacle de taille : Liandrin. Cette sorcière en robe rouge avait tout fait pour le garder enfermé, jouant de sa subtilité pour convaincre l'Amyrlin et les autres Aes Sedai qu'il devait rester un cobaye.

« Liandrin, ma chère, t'es la version magique de ces types en costard qui te bloquent au guichet. 'Non, désolé monsieur, c'est fermé, revenez demain'. Sauf que là, je suis censé crever dans ton petit manège. »

L'idée de rester captif ici lui était insupportable. Il n'avait jamais été du genre à supporter l'enfermement, et ce n'était pas maintenant qu'il allait changer. Alors, il devait s'échapper. Surtout maintenant qu'il savait que sa liberté – et son retour – se trouvaient quelque part dans ce maudit désert.

Mais Arno savait que s'évader de la Tour Blanche ne serait pas une promenade de santé. Les Aes Sedai étaient des femmes puissantes et redoutables, et elles ne le laisseraient pas partir sans résistance. Cela dit, Arno n'était pas à court de ressources, ni d'imagination.

"Bon, faisons ça à la façon Arno : un plan foireux avec une pincée d'humour pour bien dérouter tout le monde."

Il avait remarqué que les gardes de la Tour, bien que disciplinées, avaient leurs failles. Chaque fois qu'il sortait de sa chambre pour des interrogatoires ou des examens, il prenait soin d'observer leur routine. Il plaisantait, lançait quelques remarques moqueuses pour les distraire, tout en notant les détails : combien de gardes étaient postées à chaque porte, qui portait les clés, et surtout, où étaient gardées ses affaires.

"Ah, Paulette et Claudette... je vous retrouverai bientôt, mes beautés. Elles ont sûrement pris la poussière ces derniers jours, mais vous allez reprendre du service."

Lors de l'un de ses récents "transferts", on l'avait conduit dans une pièce différente, celle où il avait entrevu un coffre. Ce n'était pas un simple coffre, c'était son coffre. Celui dans lequel ils avaient enfermé ses épées, son armure et quelques autres babioles qui lui étaient chères. Il n'avait pas encore eu l'occasion de vérifier s'il contenait tout, mais il parierait que c'était là que reposaient ses précieuses compagnes.

"Évidemment, ils vont tout garder bien caché. Pas question qu'un petit touriste interdimensionnel se balade avec des épées qui décapitent des monstres, hein ? Je comprends, c'est pas trop touristique comme souvenir."

Son plan commençait à prendre forme. Il devait d'abord récupérer ce coffre, mais pour cela, il fallait abaisser la vigilance des gardes. C'était là qu'entrait en jeu son arme secrète : son humour. Arno savait que les blagues, aussi désarmantes soient-elles, pouvaient faire baisser la garde de n'importe qui. Il l'avait déjà fait avant, dans d'autres mondes, face à des créatures bien plus dangereuses que des femmes en robes. Tout ce qu'il avait à faire, c'était continuer sur cette lancée.

Il avait remarqué que les gardes, bien que professionnelles, commençaient à s'habituer à son style. Au début, elles étaient méfiantes, prêtes à réagir à la moindre incartade. Mais plus il plaisantait, plus elles se relâchaient. L'une d'elles avait même souri – un sourire furtif, mais suffisant pour qu'il sache qu'il était sur la bonne voie.

"Faut bien dire que c'est pas facile de garder un air sérieux quand t'as un type qui fait des blagues sur la dureté des lits de prison à chaque passage," pensa-t-il en esquissant un sourire.

Arno prévoyait d'augmenter la dose. Il allait les distraire suffisamment pour repérer les moments où la vigilance baissait, où elles étaient le plus vulnérables. Ensuite, quand l'occasion se présenterait, il frapperait. Pas de violence inutile, juste une petite diversion bien placée, assez pour qu'il puisse récupérer ses affaires et s'éclipser.

Mais pour l'instant, il devait encore observer, comprendre les rythmes de la Tour, identifier les moments où les Aes Sedai étaient les plus occupées, comme lors des réunions importantes. Il savait que la réunion qui se préparait pourrait jouer en sa faveur. Une bonne partie des Sœurs seraient absentes, concentrées sur leurs discussions ésotériques. Moins de surveillance, plus d'opportunités pour lui.

"Patience, Arno, patience... Quand l'occasion se présentera, tu pourras te la jouer MacGyver version sorceleur. Sauf que toi, t'auras des épées et un sens de l'humour douteux."

Il se leva, s'étirant légèrement, puis se pencha vers la fenêtre minuscule de sa chambre. L'ouverture n'était pas assez large pour qu'il puisse s'y faufiler, mais il avait une idée derrière la tête. Une idée folle, certes, mais tout plan d'Arno l'était un peu.

"Allez, encore un peu de patience... et bientôt, je pourrai dire adieu à cette fichue Tour et bonjour au désert brûlant."

Pour l'heure, il devait continuer à jouer son rôle, celui du prisonnier décontracté, celui qui plaisante pour éviter qu'on ne remarque qu'il prépare quelque chose de bien plus grand.

Arno avait toujours aimé les défis. C'était son truc, en fait. Peu importe la dangerosité ou le caractère absurde de la situation, il parvenait toujours à trouver une solution. Et là, à la Tour Blanche, prisonnier de ces sorcières en robes, il savait qu'il allait devoir jouer serré.

Son plan était prêt. Ou plutôt, aussi prêt que pouvait l'être un plan d'Arno. Tout commençait par la première étape : récupérer ses affaires. C'était non négociable.

Le soir venu, alors que les couloirs de la Tour commençaient à se vider, Arno se posta à l'angle d'un mur, observant attentivement les allées et venues des gardes. Il avait repéré une jeune novice, pas très vigilante. Elle portait à sa ceinture un trousseau de clés, et Arno savait que l'une d'elles ouvrait le coffre contenant Paulette, Claudette et son armure.

« Bon, c'est le moment de briller », murmura-t-il en s'adressant mentalement à Paulette. « Je te récupère et on se tire d'ici. »

Il attendit patiemment, puis, dès que la novice s'approcha, il fit tomber volontairement une petite pièce de métal qu'il avait dérobée plus tôt dans la journée. Le bruit fit sursauter la garde.

« Oh mince, ça a l'air important, non ? » lança Arno avec un sourire narquois.

La novice se pencha pour ramasser la pièce, complètement inconsciente de la main rapide d'Arno qui, dans un mouvement fluide, déroba le trousseau de clés. C'était si facile qu'il se demandait presque s'il ne jouait pas dans une mauvaise comédie.

« Merci, miss. Dommage que ce ne soit pas une clé du paradis... mais ça pourrait le devenir. »

Il attendit qu'elle disparaisse avant de se glisser discrètement vers la salle où il avait aperçu le fameux coffre lors de son dernier transfert. Le cœur battant d'excitation, il inséra la clé dans la serrure, retenant son souffle. Un léger clic résonna, et le couvercle s'ouvrit.

« Bonjour, mes chéries », murmura-t-il en retrouvant ses deux épées. Il effleura le métal froid de Paulette et Claudette avec une tendresse presque palpable. Elles étaient toujours là, intactes. Et son armure, bien que poussiéreuse, restait en bon état. Parfait.

Il s'habilla rapidement, prenant soin de ne pas faire trop de bruit, et glissa les épées dans leur fourreau.

Mais il n'était pas sorti d'affaire pour autant. Il devait encore faire face à un autre problème : les Aes Sedai. Même avec ses affaires, il ne pouvait pas se permettre de foncer tête baissée. Heureusement pour lui, il avait repéré un créneau idéal : une réunion importante de l'Amyrlin avec une grande partie des Aes Sedai, laissant les couloirs étrangement vides.

Alors qu'il avançait furtivement, il tomba sur quatre Aes Sedai qui discutaient à voix basse près d'une porte. Arno soupira en silence. Pas question de se faire repérer maintenant.

« Bon, mesdames, je suis désolé, mais j'ai pas vraiment le temps de rester discuter », murmura-t-il pour lui-même en dégainant Paulette.

Il attendit le moment opportun, puis frappa avec précision. Il assomma la première d'un coup sec à la base du cou. Elle s'effondra dans un bruit étouffé. La seconde se retourna, mais Arno était déjà sur elle. En un instant, elle rejoignit sa compagne inconsciente sur le sol. La troisième tenta de réagir, mais son poing siffla dans l'air, frappant avec la même précision calculée.

« Trois... et le numéro quatre ? Ah, te voilà », dit-il en souriant à la dernière Aes Sedai, qui ouvrit la bouche pour crier. Mais Arno fut plus rapide, la frappant avec le pommeau de son épée avant qu'un seul son ne puisse s'échapper.

« Et hop ! Quatre à zéro pour Arno. Sérieusement, vous devriez m'envoyer une équipe un peu plus coriace la prochaine fois. » Il jeta un coup d'œil autour de lui. Personne d'autre en vue.

Le plus dur restait à faire. La fenêtre. Cette fichue fenêtre minuscule qu'il avait repérée des jours auparavant. Elle était bien trop étroite pour qu'un homme de sa carrure puisse s'y faufiler normalement. Mais Arno avait un plan. Un plan douloureux, certes, mais un plan quand même.

Il se dirigea vers la fenêtre, inspectant la petite ouverture. Cela allait nécessiter une sacrée dose de mutilation volontaire.

« Bon... c'est là que ça devient intéressant », murmura-t-il en adressant un clin d'œil invisible au lecteur dans sa tête.

Sans perdre une seconde, Arno attrapa son propre bras et, dans un craquement sinistre, le déboîta de son épaule. La douleur fut intense, mais il ne laissa échapper qu'un petit grognement.

« Aïe... c'est tout ? Allez, tu peux faire mieux que ça, vieux. »

Il continua de déboîter ses os, l'épaule, puis le coude, se donnant l'espace nécessaire pour glisser son corps dans la fenêtre. Le tout accompagné de quelques commentaires acerbes sur sa propre situation.

« Franchement, qui aurait cru qu'un jour, je devrais me casser en petits morceaux juste pour passer par une fenêtre... J'espère que personne ne regarde ça. »

Arno parvint à passer une partie de son corps à travers l'ouverture. Il sentit les os craquer sous la pression, mais il continua, en lâchant des blagues absurdes pour maintenir son esprit occupé.

« C'est presque comme de la chirurgie... mais sans anesthésie... ni chirurgien. Bref, vous voyez le délire. »

Après un ultime effort, il passa finalement tout son corps et tomba lourdement de l'autre côté, s'écrasant sur le sol de pierre en contrebas. La douleur irradiait dans tout son corps, mais il savait que cela n'était que temporaire.

« Ouf... Eh bien, j'ai connu des atterrissages plus doux », souffla-t-il en grimaçant.

Le facteur autoguérisseur se mit aussitôt en marche. Il sentit ses os se remettre en place, la douleur diminuant lentement. Il se leva, tant bien que mal, avant de se traîner vers le puits qu'il avait repéré plus tôt.

« Bon... petite pause bien méritée. Juste le temps que mon corps fasse le boulot... »

Arno se laissa glisser au fond du puits, se cachant à l'abri des regards. Là, il attendit que ses blessures se réparent complètement, tout en réfléchissant à la suite. Rhuidean l'attendait, mais avant cela, il devait encore se remettre sur pied.

« Ah... ça sent la liberté. Ou bien c'est juste le puits qui pue ? Allez, un peu de patience, mon gars, et bientôt, tu seras de nouveau sur la route. »

Et il attendit, caché, patient, mais prêt pour la suite.

Arno était étendu au fond du puits, son corps en pleine régénération. La douleur, bien qu'intense au début, avait déjà commencé à s'estomper grâce à son facteur autoguérisseur. Ses os craquaient doucement en reprenant leur place, et ses muscles se réparaient à une vitesse qui aurait terrifié n'importe quel être humain normal. Mais Arno n'était pas normal. Loin de là.

« Ah... le doux son de mes os qui se remettent en place. C'est presque... apaisant. » Il s'adressa directement à un lecteur invisible, comme à son habitude. « J'ai connu des spas moins efficaces. Et puis franchement, quoi de mieux qu'un puits bien moisi pour se ressourcer, hein ? »

Il jeta un coup d'œil autour de lui, s'assurant qu'aucun curieux n'était venu fouiner dans les environs. Le puits était profond, l'eau glaciale l'avait aidé à calmer l'inflammation de ses blessures, mais il savait qu'il ne pourrait pas rester là éternellement. Il devait bouger, et vite, avant que les Aes Sedai ne découvrent sa disparition.

« Bon, j'ai peut-être un peu abusé sur le côté spectaculaire de l'évasion... mais hé, qui n'aime pas un bon drame, hein ? »

Son corps était presque totalement régénéré à présent. Il pouvait sentir la force revenir dans ses membres, ses muscles se contractant avec une vigueur renouvelée. Il se leva lentement, s'étirant tout en grimaçant légèrement.

« Ah, c'est mieux... bon, voyons voir, qu'est-ce qu'on a au programme aujourd'hui ? » Il réfléchit un instant, posant son dos contre la paroi du puits pour se reposer. « Ah oui... Rhuidean. L'endroit où la frontière entre les mondes est la plus fragile. Mon billet de sortie, en somme. »

Ses pensées se concentrèrent sur cette ville mythique au cœur du Désert Aiel. L'Amyrlin pensait que c'était là que la barrière entre les mondes était la plus fine. Si tout se passait comme prévu – ce qui, avec lui, était rarement le cas – il pourrait peut-être enfin retrouver son monde.

« Mais avec ma chance, je vais probablement me retrouver face à une armée de guerriers Aiels avec des dagues plus grandes que mes jambes », plaisanta-t-il tout en se massant l'épaule, encore légèrement endolorie.

Cependant, derrière son masque d'humour, l'inquiétude montait. Rhuidean était un mystère pour tout le monde, même pour les Aes Sedai. Il ne savait pas à quoi s'attendre une fois là-bas, et encore moins comment cette frontière entre les mondes fonctionnait. Il pourrait très bien se retrouver piégé à nouveau, cette fois dans un endroit encore pire que celui-ci.

« Sérieusement, avec mon karma, je sens que je vais finir par traverser un portail et me retrouver dans un monde où les licornes chantent des chansons pop. »

Mais Arno savait que, malgré tous les obstacles, il n'avait pas le choix. Rhuidean était sa meilleure – et peut-être sa seule – chance de rentrer chez lui. Et il n'allait pas la laisser filer. Il commença à planifier ses prochains mouvements.

Il savait que les Aes Sedai allaient rapidement découvrir son évasion, et qu'il devrait se faire discret pendant un moment. S'il pouvait quitter la ville sans être vu, il aurait une longueur d'avance. Il se souvenait vaguement de la direction du Désert Aiel. Cela allait être un long voyage, et il allait probablement devoir s'adapter à des conditions extrêmement difficiles, mais ce n'était pas comme si cela l'effrayait.

« Rhuidean, j'arrive. J'espère que t'as des douches chaudes et un bon service à l'étage, parce que j'en ai marre des puits. »

Il regarda le ciel au-dessus de lui. La nuit était tombée, et les étoiles scintillaient faiblement dans l'obscurité. Le silence était total, à l'exception des bruissements légers du vent dans les arbres. C'était le moment idéal pour se faufiler hors de Fal Dara et prendre la route. Il devait juste attendre que son corps soit complètement prêt.

Pendant qu'il patientait, ses pensées vagabondèrent un instant vers ceux qu'il laissait derrière lui. Rand, Mat, Perrin... Ils avaient encore beaucoup à affronter, et il aurait aimé pouvoir les accompagner plus longtemps. Mais la perspective de rentrer chez lui dominait tout. Il leur avait dit au revoir, au cas où. Maintenant, il devait se concentrer sur sa propre mission.

« Hé, les gars, si vous m'entendez dans vos têtes, sachez que j'aurais bien aimé continuer à jouer les nounous. Mais bon, on a tous nos trucs à faire, hein ? »

Il esquissa un sourire, malgré l'inconfort de la situation. Il s'était attaché à ces gamins, et même à Moiraine, aussi froide et calculatrice soit-elle. Mais il savait que son propre monde l'attendait. Et il devait se donner toutes les chances de le retrouver.

Le bruit d'un oiseau nocturne le ramena à la réalité. Il leva les yeux et respira profondément.

« Allez, assez de sentimentalisme. Le grand Arno est de retour en pleine forme, et c'est pas un petit désert qui va me faire peur. »

Il se hissa lentement hors du puits, se régalant de la sensation de son corps totalement régénéré. Sa détermination était plus forte que jamais. Le Désert Aiel et Rhuidean l'attendaient.