Chapitre 43 : Shaia
La lumière du matin commençait à baigner le désert Aiel d'une teinte dorée, le silence pesant sur le sable balayé par le vent. Les Faucons des Dunes avancèrent prudemment, menés par Rhuarc Serein-Éclair, leurs pas presque inaudibles malgré l'environnement aride et rocailleux. Lorsqu'ils atteignirent le lieu du massacre, même ces guerriers endurcis, habitués à la violence et à la mort, s'arrêtèrent un instant, frappés par l'ampleur de la scène qui se présentait devant eux.
Les Scorpius gisaient au sol, leurs énormes carcasses mutilées par des coups précis. Leur carapace, aussi dure que de la pierre, avait été fendue par ce qui semblait être une arme exceptionnelle, probablement une lame en argent. Leurs pinces massives, responsables de tant de destructions, étaient brisées, et des éclats de poison éparpillés sur le sable révélaient l'intensité du combat. Il était clair qu'un seul homme avait accompli cet exploit.
Tarak, le plus rapide et agile du groupe, siffla entre ses dents, incrédule. « Trois Scorpius... Seul. Comment c'est possible ? » Ses yeux glissèrent d'un corps à l'autre, évaluant la scène avec une minutie typique de ses talents de traqueur. Son respect pour l'adversaire grandissait à chaque instant, malgré le sarcasme habituel qui lui tirait un sourire.
Daeva, le second de Rhuarc, hocha la tête, observant les coups portés aux créatures avec un regard concentré. « Il sait exactement où frapper. Pas de perte de temps, pas d'erreurs. » Il pointa un doigt vers une des créatures, encore à moitié enfoncée dans le sable. « Regarde ici. Coup précis sous la carapace, juste assez pour percer. »
Rhuarc, toujours silencieux, se contenta d'un hochement de tête grave. Son visage demeurait impassible, mais au fond de lui, il savait que cet homme, cet étranger qu'ils poursuivaient, était bien plus redoutable que tout ce qu'ils avaient imaginé. Il n'était pas seulement fort, il était un stratège, un guerrier avec une connaissance approfondie des créatures surnaturelles. Ce qui le rendait d'autant plus dangereux.
« Regardez ici, » fit Shael, la plus sensible du groupe, sa voix douce mais tendue. Elle s'accroupit, ses doigts touchant à peine le sable. Autour des traces des Scorpius, elle pointa du doigt des empreintes plus petites. « Ces traces... Un enfant. »
Le groupe se rapprocha, chacun analysant la scène avec une précision calculée. Tarak s'agenouilla près de Shael et fronça les sourcils. « Alors, non seulement il a tué trois monstres, mais il se trimballe un môme avec lui ? »
Rhuarc resta silencieux un instant, ses yeux fixés sur les empreintes de l'enfant. Quelque chose dans la scène le troublait profondément. Le guerrier, leur cible, n'était pas seul. Mais pourquoi emmènerait-il un enfant dans le désert ? Quelle était cette étrange connexion ? Le chef des Faucons se redressa, ses pensées déjà tournées vers la suite de la traque.
« Un enfant... » répéta-t-il avec un soupçon d'inquiétude dans la voix. Il serra la mâchoire, réfléchissant à la manière dont cela affectait leur mission. Cet enfant n'avait pas choisi d'être là. Quel que soit le lien entre lui et leur cible, il devait être sauvé, et vite.
« Nous devons accélérer, » dit-il d'une voix ferme. « Cet étranger est dangereux, mais nous ne pouvons pas laisser cet enfant avec lui. »
Shael se redressa lentement, ses mains toujours posées sur le sable. Elle hocha la tête, ses yeux cherchant ceux de Rhuarc. Elle partageait son inquiétude. L'enfant était innocent dans cette histoire, et il était de leur devoir de le protéger.
Rhuarc se tourna vers le reste du groupe, ses yeux passant sur Tarak, Daeva et Shael. « Nous n'avons plus beaucoup de temps. S'il se dirige vers l'oasis, nous devons l'y rejoindre avant qu'il ne disparaisse avec l'enfant. »
Un murmure de respect et de compréhension passa entre les membres des Faucons des Dunes. Chacun savait que la traque était devenue plus complexe. Ce n'était plus seulement une question de capturer un homme, mais de sauver une vie innocente.
Tarak, le plus prompt à briser le silence, lança le premier commentaire, sans quitter les traces du regard. « Un guerrier légendaire qui tue des monstres et s'occupe d'un gamin dans le désert ? » Il secoua la tête en souriant, amusé. « On dirait une mauvaise histoire de barde. »
Daeva, plus sérieux, fronça les sourcils. « Ce n'est pas une blague, Tarak. Cet homme est dangereux. Il n'a pas seulement tué des Scorpius, il l'a fait seul et avec une telle précision qu'il n'a presque pas perdu de temps. »
Tarak haussa les épaules. « Je le sais, Daeva. Mais avoue que c'est un peu tiré par les cheveux. Trois Scorpius et maintenant il joue à la nounou ? Qu'est-ce qui se passe dans sa tête ? »
Shael, marchant légèrement en retrait, interrompit leur échange avec une voix douce mais ferme. « L'enfant est innocent dans tout ça. Peu importe ce que cet homme est ou ce qu'il a fait, nous devons la sauver. » Ses yeux se fixèrent sur Rhuarc, cherchant un soutien dans ses paroles.
Rhuarc, silencieux depuis le début de leur marche, gardait un regard fixe sur l'horizon. Sa posture était tendue, mais son visage restait impassible. Finalement, il prit la parole, d'un ton grave. « Je suis d'accord avec Shael. Quelles que soient les capacités de cet homme, cet enfant n'a pas choisi d'être avec lui. Il est possible qu'il l'ait sauvée des Scorpius, mais cela ne signifie pas qu'elle est en sécurité avec lui. »
Les paroles du chef imposaient le respect. Tarak, bien qu'ayant toujours un sourire en coin, hocha la tête avec plus de sérieux. « Alors, on est d'accord. Sauver l'enfant est la priorité. Mais qu'est-ce qu'on fait de lui, une fois qu'on l'a trouvé ? »
Rhuarc ne répondit pas immédiatement. La question était légitime. Capturer un guerrier de cette trempe serait un défi, même pour eux. S'il était capable de tuer des Scorpius avec une telle efficacité, il ne serait pas facile à neutraliser. Mais leur devoir, en tant que Faucons des Dunes, n'était pas seulement de traquer des ennemis : ils devaient aussi protéger les innocents.
« Nous verrons une fois que nous l'aurons trouvé, » répondit finalement Rhuarc. « L'important est d'arriver à temps. »
Shael, toujours concentrée sur les traces, murmura plus pour elle-même que pour les autres, « Comment cet enfant a-t-elle pu survivre ? »
Rhuarc la regarda du coin de l'œil, captant l'angoisse dans sa voix. « Il l'a protégée. Peut-être que tout n'est pas aussi noir que nous l'imaginons. »
Daeva, cependant, n'était pas aussi sûr. « Cet homme a tué des créatures surnaturelles avec une précision chirurgicale. Il sait ce qu'il fait, et il est bien trop dangereux pour être laissé en liberté. » Ses yeux se plissèrent alors qu'il regardait les traces laissées par l'enfant et Arno. « Nous devons nous préparer au pire. »
Tarak, en tête du groupe, se retourna un instant pour les observer. « Tu veux dire qu'on va devoir l'affronter, c'est ça ? Parce que, d'après ce que j'ai vu, il pourrait nous donner du fil à retordre. »
Un silence lourd s'installa après cette remarque. Même Tarak, avec son humour habituel, sentait la gravité de la situation. La présence d'un enfant changeait la dynamique de cette traque.
Rhuarc accéléra le pas, incitant le groupe à le suivre. « Nous ne sommes plus très loin. Nous devons atteindre l'oasis avant lui. » Sa voix était empreinte d'une détermination inflexible.
Shael regarda son chef avec respect. Elle savait que Rhuarc avait souvent ce genre de pressentiments, et il avait rarement tort. « Penses-tu vraiment qu'il veut du mal à cet enfant ? » demanda-t-elle, plus pour comprendre l'avis de Rhuarc que pour contester sa décision.
Rhuarc inspira profondément. « Je ne sais pas. Mais je ne prendrais pas ce risque. Nous devons la mettre en sécurité. Et pour cela, il faut qu'on l'atteigne avant qu'ils n'entrent dans l'oasis. » Il regarda à nouveau l'horizon, son regard se perdant dans les dunes. « Nous devons être prêts à tout. »
Les Faucons des Dunes se mirent en marche, chacun dans ses pensées, mais tous unis par une même volonté : sauver l'enfant et comprendre qui était réellement cet étranger capable d'affronter des créatures monstrueuses et de survivre dans le désert Aiel comme s'il y avait grandi.
Arno et Shaia progressaient à un rythme lent à travers le désert, chaque pas plus difficile que le précédent pour la petite fille. Le soleil tapait impitoyablement sur eux, et même pour un sorceleur comme Arno, le désert Aiel n'était pas un terrain facile. Mais il n'avait pas à s'inquiéter pour lui-même. Il savait que son facteur autoguérisseur et son endurance hors du commun suffiraient à le garder en vie, même sans eau. Ce n'était pas le cas de Shaia.
La petite fille, déjà traumatisée par le massacre de son clan, peinait à garder le rythme. Sa respiration était saccadée, et elle jetait des coups d'œil anxieux vers Arno, cherchant du réconfort dans ses paroles, dans ses actions. Arno sentit sa détresse et décida de ralentir un peu plus.
« T'inquiète pas, petite. On va y arriver. C'est comme une randonnée, sauf qu'au lieu de prendre des selfies à chaque colline, on sue comme des porcs. » Il lui sourit, espérant que son ton léger dissiperait un peu de la tension qui l'habitait.
Shaia ne répondit pas tout de suite. Son visage était marqué par la fatigue, mais elle se força à lui sourire faiblement en retour. Elle n'avait pas encore trouvé les mots pour exprimer toute la terreur qu'elle ressentait, mais la présence d'Arno la rassurait d'une manière qu'elle ne comprenait pas encore.
Arno s'arrêta un instant et retira une gourde de son sac. Il l'avait remplie juste avant leur départ, mais il savait que dans ces conditions, l'eau s'épuisait vite. Il tendit la gourde à Shaia.
« Bois. T'en as plus besoin que moi. » Sa voix était douce, presque apaisante.
Shaia le regarda avec surprise. « Et toi ? » demanda-t-elle, l'inquiétude transparaissant dans ses yeux.
Arno haussa les épaules d'un air nonchalant. « Moi ? Oh, tu sais, je suis comme un cactus. Je me gorge de tout ce que je bois et je le garde pour les mauvais jours. » Il tapota son ventre en plaisantant, espérant la faire rire.
Elle prit une gorgée hésitante, puis une autre, ses mains tremblant légèrement. « Merci, » murmura-t-elle, sa voix presque inaudible.
« Ah, tu vois, ça fait du bien, non ? » Arno observa le désert autour de lui, ses yeux perçants scrutant l'horizon pour toute menace potentielle. Il ne pouvait pas se permettre de baisser la garde, même dans ces moments plus calmes.
« On va arriver à l'oasis bientôt, » continua-t-il en feignant une certitude qu'il n'avait pas entièrement. « Et une fois là-bas, on pourra se poser, boire, manger... Peut-être même que ta grand-mère aura des biscuits. Mais je préviens, je prends les meilleurs morceaux. »
Shaia esquissa un sourire malgré la fatigue. « Ma grand-mère fait des galettes au miel... Elles sont les meilleures. »
Arno fit semblant d'être émerveillé. « Des galettes au miel ? Alors là, je suis vendu. Je t'accompagne juste pour ça ! »
Le lien entre eux se renforçait à mesure qu'ils marchaient ensemble. Même si Shaia ne connaissait pas vraiment Arno, elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance. Son ton détendu, ses blagues constantes, et surtout le fait qu'il l'avait protégée sans hésiter lui donnaient une certaine sécurité.
Mais malgré son humour, Arno sentait la fatigue de la fillette. Elle trébuchait parfois, ses pas devenaient plus lents, et il voyait dans ses yeux qu'elle luttait pour rester éveillée et consciente. L'instinct protecteur du sorceleur prit le dessus. Il s'agenouilla devant elle et lui tendit une main.
« Allez, grimpe. Tu vas pas t'effondrer ici. On est trop proches pour abandonner maintenant. Je te porte. »
Shaia hésita, regardant son sac et ses épées. « Tu es déjà chargé, je... »
« Pfff, ça ? » Arno leva Paulette comme si elle ne pesait rien, faisant semblant de lutter sous son poids. « Ça, c'est comme une plume pour moi. Allez, monte. »
Après un instant d'hésitation, elle accepta son offre et grimpa sur son dos. Arno ajusta son sac, s'assurant qu'il ne gênerait pas la petite, puis se remit en route, ses pas plus lourds sous le poids supplémentaire, mais toujours déterminés.
« Tu sais, Shaia, » commença-t-il en marchant, « je ne suis pas le genre à avoir des enfants autour de moi, mais si j'étais père, je serais un sacré modèle. Je t'apprendrais à te battre, à manier Paulette... Oh, et à faire les meilleures blagues. Parce que, crois-moi, dans ce monde, savoir faire une bonne blague, c'est presque aussi utile qu'une épée en argent. »
Shaia laissa échapper un petit rire fatigué, ce qui fit sourire Arno. Il était content de voir qu'elle commençait à se détendre malgré la situation.
« Mais sérieusement, » poursuivit-il, « tu t'en sors comme une championne. Beaucoup d'adultes n'auraient pas tenu aussi bien que toi. »
Shaia murmura quelque chose contre son dos, mais il ne put l'entendre clairement. Elle s'endormait, épuisée par la chaleur et les événements des dernières heures. Arno ajusta sa prise pour la soutenir un peu plus fermement, son regard toujours fixé vers l'horizon.
Ils continuaient à avancer, lentement mais sûrement, en direction de l'oasis. Chaque pas rapprochait Shaia de la sécurité, et Arno, malgré son humour constant, sentait la responsabilité peser sur ses épaules. Il savait que le danger n'était jamais loin, mais tant qu'elle serait avec lui, il ferait tout pour la protéger.
« Allez, gamine, » murmura-t-il pour lui-même. « On va y arriver. Promis. »
Et avec cela, il continua de marcher, luttant contre la chaleur et la fatigue, mais toujours avec un sourire en coin, car après tout, il était Arno, et pour lui, aucun désert ne pouvait être plus impitoyable que les monstres qu'il affrontait au quotidien.
Arno marchait dans le silence oppressant du désert, le sable craquant sous ses pas, Shaia endormie sur son dos. Le soleil semblait vouloir l'écraser, mais il continuait à avancer, même si chaque souffle d'air brûlant lui rappelait combien ce monde était hostile. Son instinct lui disait que l'oasis n'était plus très loin, mais dans un désert, même un kilomètre pouvait sembler interminable.
Le poids de la fillette sur ses épaules était minime comparé à ce qu'il portait habituellement, mais il savait qu'elle souffrait beaucoup plus que lui. Son souffle, calme dans son sommeil, trahissait la fatigue extrême qui pesait sur elle. Elle tenait bon, mais pour combien de temps encore ?
Arno lança un regard vers l'horizon. Le ciel semblait s'étirer à l'infini, une vaste mer de bleu pâle sans nuages pour offrir la moindre ombre. Le sorceleur inspira profondément, ressentant la chaleur envahir ses poumons, mais il savait qu'il devait rester calme.
« Bon, Arno, t'as déjà survécu à pire. » Il parlait à voix basse, plus pour lui-même que pour la petite. « Une fois, t'as affronté un dragon. Bon, d'accord, c'était un gros lézard, mais ça compte, non ? » Il sourit à l'idée, mais son esprit revenait inévitablement à Shaia. Son corps frêle contre son dos, le poids de sa responsabilité. Elle ne tenait qu'à un fil, il le savait.
« Allez, gamine, on va s'en sortir. C'est pas un désert de pacotille qui va nous avoir. »
Shaia bougea légèrement, se réveillant doucement. Arno sentit ses petites mains s'accrocher à son dos avec un peu plus de force, comme si elle cherchait un point d'ancrage.
« Hé, bienvenue dans la réalité, » dit-il d'une voix douce. « Tu t'es endormie pendant le meilleur moment du voyage. Tu sais, on vient de croiser un troupeau de chameaux roses. Tu les as ratés. »
Shaia ouvrit un œil, luttant contre l'épuisement, mais sourit faiblement à ses mots. « Des chameaux roses ? »
« Ouais, avec des ailes. Je t'aurais bien montré, mais ils étaient trop pressés. Ils avaient un rendez-vous ou un truc du genre. »
Shaia sourit, cette fois plus sincèrement, mais Arno sentait qu'elle n'était plus qu'à moitié consciente. Ses mouvements étaient lents, chaque geste semblait un effort monumental. Elle ne tiendrait pas longtemps comme ça, et Arno le savait. Mais il ne pouvait pas la laisser perdre espoir. Pas maintenant.
« Dis, Shaia, ta grand-mère, elle est du genre à faire des siestes, tu crois ? » demanda-t-il, essayant de la maintenir éveillée par la conversation. « Parce que j'aimerais pas arriver et la réveiller en pleine sieste, ça pourrait mal commencer. »
Shaia secoua la tête doucement. « Elle ne dort presque jamais. Elle dit que... le désert lui a appris à toujours rester éveillée. »
Arno hocha la tête en souriant. « Ah, une vraie guerrière alors. Dans ce cas, elle va nous accueillir avec une boisson glacée et des galettes au miel. On a de la chance. »
Mais derrière son masque d'humour, Arno ne pouvait pas ignorer la gravité de la situation. Il sentait l'épuisement de la fillette comme un fardeau qui pesait sur ses propres épaules. Lui, il pouvait tenir sans eau encore quelques heures, peut-être plus. Mais Shaia... Il lui restait une petite gourde d'eau, presque vide. Il savait qu'il devait lui donner le peu qui restait, mais cela ne suffirait pas.
« Hé, petite, » dit-il en la sentant vaciller à nouveau. « On fait une pause, d'accord ? Juste pour reprendre notre souffle. »
Il s'agenouilla doucement, laissant Shaia glisser de son dos pour s'asseoir sur le sable chaud. Arno sortit la gourde de son sac et la tendit à la fillette. « Bois. Pas tout, juste assez pour te sentir mieux. »
Shaia hocha la tête faiblement et prit une petite gorgée, mais il voyait bien que ses forces s'amenuisaient. Le sorceleur s'assit à côté d'elle, réfléchissant à ce qu'il pouvait faire pour la garder en vie jusqu'à l'oasis.
« Tu sais, quand j'étais gamin, j'avais peur des monstres sous mon lit. C'est vrai. J'en voyais partout. Alors, mon maître m'a dit que le seul moyen de les battre, c'était de leur montrer qu'on n'avait pas peur d'eux. Tu sais ce que j'ai fait ? » Il la regarda avec un sourire malicieux.
Shaia secoua la tête, toujours trop faible pour répondre.
« J'ai planté une épée dans le sol à côté de mon lit. Et depuis, plus aucun monstre n'est venu me déranger. » Il rit légèrement. « Bon, c'est une grosse exagération, mais ça a marché. Les monstres, c'est comme le désert. Ils nous testent. Mais nous, on les bat toujours, parce qu'on est plus malins qu'eux. »
Shaia sourit doucement, même si ses yeux montraient une immense fatigue.
Arno se redressa. « Allez, on repart. On est proches, je le sens. » Il la prit à nouveau sur son dos, déterminé à la mener à bon port.
Ils continuèrent à avancer, et bien que le désert semble infini, Arno refusait d'abandonner. Chaque fois que Shaia semblait sombrer dans l'épuisement, il la stimulait avec une nouvelle histoire, une blague, une phrase qui rappelait qu'ils allaient s'en sortir.
« Tu sais ce qui nous attend à l'oasis ? Un énorme banquet. Ils vont dérouler un tapis rouge et nous servir des fruits frais, des boissons glacées, et peut-être même qu'ils auront un lit juste pour toi, » dit-il d'un ton joyeux, bien que ses pieds s'enfoncent lourdement dans le sable.
Shaia n'avait plus la force de répondre, mais Arno sentait qu'elle s'accrochait toujours, son esprit en lutte contre l'épuisement. Il la portait comme un trésor fragile, son seul objectif étant désormais de la mener à l'oasis avant qu'il ne soit trop tard.
Le désert continuait de s'étendre devant eux, sans fin apparente. Mais Arno ne lâchait rien. Sa détermination, bien qu'enrobée d'humour, était une force inébranlable.
« Tiens bon, gamine, » murmura-t-il pour lui-même. « On va y arriver, je te le promets. »
Et avec ces mots, il marcha encore, le soleil déclinant lentement derrière eux, mais toujours loin de l'oasis, qui restait leur seul espoir de survie.
Shaia, sur son dos, bougea légèrement. "Arno... on est bientôt arrivés ?" demanda-t-elle d'une voix faible. Elle n'avait presque pas parlé depuis qu'il l'avait prise sur son dos, mais son murmure semblait traverser les kilomètres de désert entre eux.
"Oui, petite, presque. Tu tiens le coup ? Je sais que tu es fatiguée, mais tu es plus résistante que moi dans ces sables mouvants." Il lui répondit avec douceur, son ton se faisant plus rassurant qu'à l'accoutumée. "Et moi qui croyais que mes aventures allaient me tuer... Voilà que c'est ma première randonnée avec une gamine dans le dos." Un léger sourire étira ses lèvres alors qu'il sentait le corps de Shaia se détendre un peu contre lui.
Elle ne répondit pas, mais sa respiration sembla plus calme. Arno se redressa légèrement, les yeux fixés sur l'horizon. L'oasis n'était plus qu'un mince filet d'ombre dans le désert, mais il pouvait presque sentir l'humidité dans l'air. Cela signifiait qu'ils y étaient presque, enfin.
Encore quelques kilomètres, pensa-t-il, serrant les dents. Son corps, bien qu'endurant grâce à son facteur autoguérisseur, commençait à sentir la fatigue. Il avait donné toute son eau à Shaia, conscient qu'il pouvait tenir sans, mais cela ne rendait pas la traversée plus facile.
Le ciel au-dessus d'eux se teintait de noir tandis que les étoiles commençaient à apparaître, scintillant dans l'immensité désertique. Arno accéléra encore, déterminé à ne pas s'arrêter avant d'avoir atteint cette oasis salvatrice.
Arno sentit une présence avant même de les voir. Le vent du désert portait avec lui plus que de simples grains de sable, et son instinct de sorceleur s'était réveillé. Ce n'était pas un danger immédiat, mais une menace calculée qui s'approchait. Alors que l'oasis se rapprochait, avec ses silhouettes de palmiers à peine visibles sous la lumière crépusculaire, Arno jeta un coup d'œil rapide par-dessus son épaule. Des formes sombres bougeaient à l'horizon, un groupe de silhouettes agiles et rapides.
« Voilà donc les invités-surprises, » murmura-t-il pour lui-même, tout en continuant d'avancer. Son instinct lui disait que ces gens ne venaient pas par hasard, et certainement pas pour échanger des politesses. Il jeta un coup d'œil à Shaia, encore accrochée à son dos, ses petits bras serrés autour de son cou. La petite fille était exténuée, ses paupières mi-closes. Elle ne méritait pas d'être mêlée à ce qui allait probablement se transformer en confrontation.
Alors que les Faucons des Dunes se rapprochaient, Arno ralentit sa marche. Il pouvait maintenant les voir clairement. Quatre guerriers Aiel, leurs visages couverts de tissus protecteurs contre le sable, leurs armes visibles mais non dégainées.
L'un d'eux, grand et imposant, marchait en tête, l'air concentré et grave. Il n'y avait aucune hésitation dans leur démarche, mais Arno pouvait sentir que ce n'était pas de simples guerriers en quête de sang. Ils étaient là pour une raison, et ils étaient bien entraînés.
Arno posa Shaia au sol avec précaution, la plaçant doucement contre une petite dune pour qu'elle soit protégée. Il se redressa, ajustant légèrement Claudette à sa ceinture.
Il ne voulait pas de combat, mais il n'hésiterait pas une seconde à se défendre si cela devenait nécessaire. Il lança un regard en direction des guerriers Aiel, un sourire narquois se dessinant sur ses lèvres.
« Bon, les amis, avant qu'on se tape dessus, est-ce qu'on pourrait parler comme des gens civilisés ? » dit-il, les bras légèrement écartés dans un geste presque pacifique. « J'ai une gamine à protéger, et je serais plutôt ennuyé de devoir botter des culs alors que je viens de la sauver d'une bande de scorpions géants. »
Les guerriers s'arrêtèrent à une dizaine de mètres de lui. Leur chef, Rhuarc, leva la main et ses hommes s'immobilisèrent. Leurs armes restaient visibles, mais aucun d'eux ne fit un geste pour attaquer. Le regard de Rhuarc se posa immédiatement sur Shaia, qui observait la scène avec des yeux fatigués mais attentifs. Il plissa les yeux, jaugeant la situation.
« Vous êtes un étranger sur des terres sacrées, » déclara Rhuarc d'une voix calme mais autoritaire. « Nous devrions vous tuer sur-le-champ pour avoir foulé le désert Aiel. Mais... » Il jeta un coup d'œil à Shaia, son regard se radoucissant légèrement. « Vous avez sauvé une enfant Aiel. Cela change les choses. »
Arno haussa un sourcil, son sourire s'élargissant. « Ah, donc c'est comme ça que ça marche ici ? Un sauvetage gratuit et on évite la décapitation ? J'aurais dû venir plus tôt. »
Rhuarc ne réagit pas à l'humour d'Arno, mais il leva un bras pour ordonner à ses hommes de baisser leurs armes. Un murmure traversa le groupe des Faucons des Dunes, mais aucun ne désobéit. Ils étaient disciplinés, respectueux de l'autorité de leur chef, mais l'atmosphère restait tendue. Même si les armes étaient abaissées, Arno pouvait sentir que chacun d'entre eux était prêt à frapper à la moindre alerte.
Rhuarc fit quelques pas en avant, se rapprochant de Shaia. « Cette enfant est sous ta protection ? » demanda-t-il à Arno, sa voix désormais plus posée.
« Je dirais même que je suis son nouveau garde du corps. Très sérieux, tu vois ? » Arno pointa son pouce vers sa poitrine. « Je l'ai trouvée après que ces créatures—les Scorpius, si je ne me trompe—ont décidé de massacrer tout le monde. Elle est la seule survivante, alors ouais, je la protège. » Il se pencha légèrement en avant, ses yeux se plissant légèrement. « Mais si tu touches à un seul cheveu de sa tête, je n'hésiterai pas à te botter le cul. Et crois-moi, je suis bon dans ce domaine. »
Un silence tomba sur le groupe, mais ce fut brisé par un soupir de Rhuarc. Il croisa les bras, réfléchissant un instant. « Nous n'avons pas l'intention de faire du mal à l'enfant. Notre priorité est de l'amener à l'abri. »
Shaia, qui observait la scène avec une inquiétude grandissante, fit quelques pas en avant. Elle s'adressa directement à Rhuarc, sa voix tremblante mais courageuse. « Ne faites pas de mal à Arno... il m'a sauvée. Il m'a donné toute son eau. »
Le regard de Rhuarc se posa de nouveau sur Arno, un éclat d'étonnement traversant ses yeux. « Nous allons discuter de cela à l'oasis. Nous te laissons une chance de t'expliquer. »
Arno acquiesça, relâchant légèrement la tension dans ses épaules. « Très bien, on va se détendre un peu. Après tout, j'adore les interrogatoires sous le soleil brûlant. »
Arno posa ses mains sur ses hanches, observant le groupe de guerriers qui, pour l'instant, semblait avoir écarté l'idée de lui trancher la gorge. Rhuarc, après un rapide coup d'œil vers Shaia, fit un signe de tête à ses hommes. La tension s'était légèrement apaisée, mais Arno savait qu'il marchait sur une corde raide. Le désert Aiel, bien que vaste et impitoyable, appartenait à ces guerriers, et il était toujours un intrus.
« Je m'appelle Arno, » déclara-t-il en les regardant tous, un sourire amusé aux lèvres. « Chasseur de monstres, protecteur d'enfants, et parfois consultant en répliques cinglantes. La jeune fille s'appelle Shaia.»
Rhuarc hocha la tête avec lenteur, étudiant chaque geste d'Arno, pesant ses mots. « Je suis Rhuarc Serein-Eclair, chef des Faucons des Dunes, et ces terres sont sacrées pour nous, les Aiels. »
Arno inclina la tête, jouant le jeu de la diplomatie. « J'adore les petits voyages diplomatiques, » dit-il d'un ton léger. « Toujours prêt à faire la conversation. »
Rhuarc fit un signe, et ses hommes se mirent en position, formant un petit périmètre autour d'Arno et Shaia. Le message était clair : ils allaient marcher ensemble jusqu'à l'oasis, mais Arno n'était pas libre de ses mouvements.
« Voici Daeva Cœur-de-Fer, mon second, » continua Rhuarc, en désignant un guerrier massif qui se tenait juste derrière lui. « Tarak Sables-Dansants, notre éclaireur le plus rapide, et Naeva Pluie-de-Pierres, notre Sagette. »
Chaque membre du groupe acquiesça brièvement à la présentation, mais il était clair qu'ils gardaient un œil attentif sur Arno. Ce dernier remarqua le regard de Naeva, une concentration intense, comme si elle sondait les moindres recoins de son esprit. Il se garda de faire un commentaire à ce sujet. S'il y avait bien une chose qu'il avait apprise en fréquentant des sorciers et des magiciens, c'était qu'il valait mieux éviter de trop piquer leur curiosité.
Tarak, en marchant à côté d'Arno, observa les deux épées attachées à ses flancs. « Deux épées, hein ? Pourquoi l'une d'elles est en argent ? T'es collectionneur ? »
Arno jeta un coup d'œil amusé vers lui. « Non, je préfère les collections plus exotiques. L'argent, c'est pour mon taff. Mon boulot, tu vois, c'est de tuer tout ce qui sort de l'ordinaire... les monstres, les fantômes, et parfois des types qui n'ont pas appris à fermer leur clapet. »
Tarak éclata de rire, tapotant Arno sur l'épaule. « J'aime ce gars, Rhuarc. On devrait le garder. »
« Tarak, » intervint Daeva d'un ton sec, les sourcils froncés. « On n'est pas là pour plaisanter. »
Tarak leva les mains en signe de reddition. « Relax, Daeva. Je fais juste un peu de conversation. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un gars avec deux épées et un sens de l'humour. »
Arno haussa les épaules, souriant à la remarque de Tarak. « Vous savez, c'est rare de trouver quelqu'un qui apprécie mon style. Mais ne t'inquiète pas, grand gaillard, » dit-il en lançant un clin d'œil à Daeva, « Je m'expliquerai à l'oasis. On pourra même partager une petite boisson, si vous en avez. »
Rhuarc observait cette interaction avec une certaine curiosité. Il ne pouvait nier que cet étranger, bien que provoquant, ne ressemblait pas aux menaces qu'ils avaient l'habitude de traquer dans le désert. Son comportement décontracté tranchait avec les enjeux, mais son regard trahissait une vigilance constante. « Nous devons rester concentrés, » finit par dire Rhuarc. « Notre priorité est de mettre Shaia en sécurité. »
Shaia, jusque-là silencieuse, leva les yeux vers Arno. « Tu ne vas pas avoir d'ennuis, hein ? »
Arno s'accroupit à son niveau. « Ne t'en fais pas, gamine. Je m'en sors toujours.. »
Tarak, fidèle à lui-même, tenta de relancer la conversation. « Alors, raconte-moi, chasseur de monstres, quelles autres créatures tu as terrassées à part des scorpions géants ? »
Arno jeta un coup d'œil à Rhuarc, qui ne semblait pas prêt à mettre fin à cet échange pour l'instant. « Oh, tu sais, quelques trucs par-ci par-là. Des goules, des spectres, une ou deux créatures qui ressemblent à des crocodiles géants, et... ah, oui, j'ai aussi combattu une wyverne une fois. »
Tarak siffla d'admiration. « Une Wyverne, hein ? »
« Oh, rien de bien impressionnant, » répondit Arno en souriant. « Juste un gros lézard avec un problème d'haleine. »
Daeva, qui était resté silencieux, finit par interrompre. « Quoi que tu sois, étranger, sache que notre hospitalité ne durera que le temps de ton explication. Ne pense pas que ton humour te sauvera de la sentence si tu as offensé notre peuple. »
Arno se tourna vers Daeva, toujours souriant mais cette fois avec un éclat plus sérieux dans les yeux. « Je ne m'attends pas à ce que mes blagues me sauvent la mise. Je compte sur mes actions pour ça. Et pour l'instant, tout ce que j'ai fait, c'est sauver cette gamine. Alors peut-être qu'on pourrait tous baisser d'un cran notre agressivité, non ? »
Le groupe poursuivit sa marche, la tension légèrement atténuée mais jamais complètement éteinte. Tandis qu'ils avançaient vers l'oasis, Arno se préparait mentalement à l'interrogatoire qui l'attendait.
Alors que le groupe progressait vers l'oasis, la tension entre les membres des Faucons des Dunes et Arno semblait s'être quelque peu apaisée, bien que l'atmosphère restait tendue. Arno, toujours vigilant, portait Shaia sur son dos, veillant à ce que chaque pas les rapproche un peu plus du refuge. Tarak, après avoir posé plusieurs questions sur les aventures passées d'Arno, finit par se taire, laissant le silence reprendre ses droits. C'est alors que Naeva, la Sagette du groupe, brisa le calme, ses yeux perçants fixés sur Arno.
« Tu portes un masque, » dit-elle d'une voix calme mais inquisitrice. « Pourquoi te cacher ? Et comment est-ce possible que tu te déplaces comme un Aiel ? Tu n'es pas des nôtres. Ton pas, ta manière de te mouvoir dans le désert... tout chez toi indique un entraînement que seuls les nôtres reçoivent. »
Arno jeta un coup d'œil à Naeva, pesant sa réponse. Il savait que répondre trop directement à ses questions maintenant pourrait compliquer la situation, mais il ne pouvait pas non plus rester totalement évasif.
« Le masque, hein ? » dit-il en haussant légèrement les épaules, tout en ajustant la position de Shaia sur son dos. « Disons qu'il sert à protéger le monde de ce qui se cache derrière. » Il marqua une pause, ses mots empreints d'un humour qui trahissait à peine la gravité de la réponse. « Ou peut-être à me protéger de la réaction des gens. Mon visage a vu des jours meilleurs, mais ça fait partie du métier. »
Naeva fronça les sourcils, visiblement insatisfaite de cette réponse. « Et ce n'est pas la seule chose étrange chez toi. J'ai l'impression que tu es comme un de nous, mais ce n'est pas possible. Personne ne se déplace dans le désert ainsi, à moins d'y avoir été formé. Qui t'a appris ? »
Arno, sentant le poids du regard inquisiteur de la Sagette, décida de ne pas trop en révéler. Pas encore. « J'ai passé une bonne partie de ma vie dans un désert, oui, » répondit-il, d'un ton plus sérieux cette fois. « Ce n'était pas ici, mais ça avait le même soleil brûlant, les mêmes dunes traîtresses, et la même règle : soit tu apprends à survivre, soit tu crèves. On peut dire que je suis un diplômé en survie désertique, avec mention. Mais pour les détails, on verra ça à l'oasis. »
Naeva le fixa un instant de plus, essayant peut-être de lire au-delà des mots. Mais en fin de compte, elle hocha simplement la tête. Arno savait qu'elle n'était pas convaincue, mais il n'avait pas l'intention de dévoiler toute son histoire si facilement.
« À l'oasis alors, » conclut-elle, avant de reporter son attention sur le désert autour d'eux, guettant d'éventuels dangers.
Arno respira doucement. Il avait navigué à travers une autre vague de questions, mais il sentait que la véritable épreuve viendrait une fois à l'oasis. Là, les Faucons des Dunes décideraient de son sort, et il lui faudrait être aussi agile avec ses mots qu'il l'était avec ses épées pour sortir indemne de cette situation.
