Chapitre 28 : Nynaeve
Les éclats de voix de Nynaeve précédèrent son arrivée, résonnant dans l'air comme un orage inattendu. Elle émergea de l'obscurité du bois, son visage tendu par la colère et l'inquiétude. Sa tresse, habituelle marque de son autorité, balançait derrière elle à mesure qu'elle s'approchait du campement, ses yeux lançant des éclairs à chacun des jeunes qu'elle considérait presque comme ses propres enfants.
"Par la Lumière, qu'est-ce que vous pensez être en train de faire ici ?" lança-t-elle d'une voix tranchante, son regard fusillant Rand, Mat, Perrin, et Egwene les uns après les autres. "Avez-vous perdu la tête ? Vous avez une chance de rentrer au village et de vous mettre à l'abri, et vous choisissez quoi ? Continuer cette folie !"
Son ton n'admettait aucune discussion. Elle se tenait droite, les mains posées sur ses hanches, comme si elle était prête à attraper chacun d'eux par l'oreille et les traîner de force jusqu'à Deux-Rivières. Ses yeux s'arrêtèrent un instant sur Rand, s'attardant un peu plus longtemps qu'avec les autres, comme si elle le considérait responsable de cette situation.
Rand, mal à l'aise sous ce regard perçant, se redressa légèrement, mais il resta silencieux. Il savait que parler trop tôt ne ferait que la rendre encore plus furieuse.
Mat, toujours enclin à faire une blague dans les pires situations, s'apprêta à ouvrir la bouche, mais un simple regard de Nynaeve le réduisit au silence avant même qu'il ne puisse prononcer un mot.
"Vous devez rentrer à Deux-Rivières," continua-t-elle, sa voix se faisant plus impérieuse. "Vous n'avez aucune idée des dangers qui vous attendent sur ce chemin. Vous êtes trop jeunes pour vous lancer dans une telle aventure. Vous allez vous faire tuer avant même de comprendre à quel point vous êtes en danger. Rentrez. Maintenant."
Elle croisa les bras, adoptant une posture qui ne laissait place à aucune objection. C'était Nynaeve dans toute sa splendeur : une figure de pouvoir et de protection, prête à tout pour ramener ses jeunes au bercail. Elle voyait en eux des enfants, non des aventuriers. Leur présence hors du village représentait pour elle un échec à leur devoir de sécurité et une mise en danger qu'elle ne pouvait tolérer.
"Perrin, tu devrais savoir mieux que ça," ajouta-t-elle d'une voix plus douce mais néanmoins pleine de reproches. "Et toi, Egwene... je m'attendais à plus de bon sens de ta part. Vous avez assez vu de danger comme ça. Il est temps de rentrer."
Le silence tomba sur le campement alors que ses paroles se répercutaient dans l'air. Nynaeve attendait une réponse, ou mieux encore, un signe d'obéissance immédiat.
Le silence s'éternisait après l'explosion de colère de Nynaeve, et les jeunes sentaient le poids de sa présence autoritaire les enserrer comme une corde tendue. Chacun hésitait à parler, redoutant de déclencher une nouvelle salve de reproches. Finalement, c'est Rand qui prit une inspiration profonde et se redressa pour affronter la Sage Dame. Son visage était marqué par la fatigue du voyage, mais ses yeux reflétaient une détermination calme.
"Nynaeve," commença-t-il doucement, essayant d'adopter un ton respectueux malgré la tension palpable. "Nous savons que tu t'inquiètes pour nous. Nous le savons tous, et nous te remercions pour cela. Mais... nous ne pouvons pas rentrer à Deux-Rivières. Pas maintenant."
Nynaeve, bras croisés et sourcils froncés, fixait Rand comme si elle pesait chaque mot qu'il prononçait. Son silence était plus effrayant que ses éclats de voix.
"Il y a quelque chose de bien plus grand qui se joue ici," poursuivit Rand. "Nous avons vu des choses que nous n'avions jamais imaginées... et nous avons appris que le destin du monde est lié à cette quête. Nous devons continuer, même si cela nous met en danger."
Nynaeve le fixa sans broncher, mais il pouvait voir dans ses yeux qu'elle ne le lâcherait pas si facilement. Avant qu'elle ne puisse répondre, Mat intervint, incapable de contenir sa nervosité plus longtemps.
"Regarde, Nynaeve," dit-il en se fendant d'un sourire maladroit. "On est encore en vie, non ? On a déjà échappé à des Trollocs, un Myrddraal, et je ne sais combien d'autres trucs qui voulaient nous dévorer. Alors, franchement, c'est presque une victoire. On devrait peut-être même organiser une fête." Il ponctua sa phrase d'un petit rire nerveux.
Mais le regard noir que Nynaeve lui lança coupa court à son humour. Son sourire s'effaça rapidement, et il prit un pas en arrière, levant les mains en signe de reddition.
"Mat," gronda-t-elle, "ce n'est pas un jeu. Chaque instant que vous passez hors de Deux-Rivières vous rapproche de la mort. Et toi, tu oses plaisanter sur tout ça ?!"
Mat déglutit difficilement et croisa le regard de Perrin, espérant un soutien silencieux. Mais Perrin, fidèle à lui-même, resta stoïque, les bras croisés sur sa poitrine. Ses yeux dorés étaient plongés dans la contemplation du sol, sa mâchoire contractée par une tension invisible. On pouvait presque sentir les rouages de ses pensées en mouvement, mais il ne prononça pas un mot. Ce silence, lourd de sens, traduisait mieux que tout son dilemme intérieur. Il savait que Nynaeve avait raison de vouloir les protéger, mais quelque chose en lui – une force plus grande et plus ancienne – l'appelait à continuer ce voyage.
C'est finalement Egwene qui prit la parole, avec une voix douce mais empreinte de conviction.
"Nynaeve," dit-elle en s'avançant d'un pas, ses yeux cherchant ceux de la Sage Dame. "Nous avons tous peur. Et nous savons que ce chemin est dangereux. Mais nous avons vu des choses que même toi n'aurais pas crues si tu ne les avais pas vécues avec nous. Nous avons déjà affronté des dangers qui nous auraient tués si Moiraine et Lan n'avaient pas été là."
Le nom de Moiraine sembla intensifier la tension, Nynaeve fronçant les sourcils à l'évocation de l'Aes Sedai. Mais Egwene ne se laissa pas intimider et continua.
"Nous savons que tu veux nous protéger. Mais parfois, nous devons faire face à des choses que nous ne comprenons pas encore, des choses qui vont au-delà de ce que nous pensions être possible." Elle jeta un coup d'œil à Rand avant de poser son regard sur Nynaeve. "Nous devons découvrir notre rôle dans tout ça, et ce n'est pas en retournant à Deux-Rivières que nous y parviendrons."
Nynaeve, bien que son visage restât de marbre, laissa échapper un soupir. Elle détournait les yeux de l'un à l'autre, lisant la détermination dans leurs regards, une détermination qui, malgré leurs jeunes âges, semblait inébranlable.
"Vous ne comprenez pas..." murmura-t-elle, la tension dans sa voix se dissipant quelque peu. "Je vous ai tous vus grandir. C'est moi qui ai soigné vos plaies, qui vous ai réprimandés quand vous faisiez des bêtises, et voilà que vous me dites que vous voulez affronter des... des horreurs que même moi je n'ose imaginer." Sa voix se brisa légèrement. "Je ne peux pas vous perdre."
Un silence lourd tomba sur le groupe. Rand s'approcha lentement de Nynaeve, posant une main sur son bras, un geste aussi rassurant qu'un signe de respect.
"Nous comprenons, Nynaeve," dit-il doucement. "Et c'est parce que tu nous as appris à être forts que nous devons continuer. Nous ne faisons pas ça par bravoure ou par insouciance. Nous le faisons parce que nous avons vu ce qui se passe si nous n'agissons pas."
Nynaeve ne répondit pas immédiatement. Son regard se perdit un instant dans les flammes du campement. Les mots de Rand, Egwene, et même les tentatives d'humour maladroites de Mat l'atteignaient bien plus qu'elle ne voulait l'admettre. Elle voyait qu'ils avaient changé, qu'ils n'étaient plus les enfants naïfs qu'elle avait toujours protégés. Ce constat la remplissait d'une angoisse qu'elle ne savait pas comment exprimer.
Finalement, elle lâcha un long soupir et recula d'un pas, croisant les bras de manière plus défensive, mais résignée.
"Vous êtes aussi têtus que des mules," grogna-t-elle, fixant tour à tour chacun des jeunes. "Si je ne peux pas vous ramener à Deux-Rivières, alors je vais devoir vous suivre. Mais ne croyez pas une seconde que je vais rester silencieuse si je pense que vous êtes en danger. Je veillerai sur vous, et que la Lumière vous vienne en aide si vous faites une bêtise sous mes yeux."
Un murmure de soulagement parcourut le groupe. Malgré sa sévérité, ils savaient tous que Nynaeve les aimait profondément, et qu'elle ne pouvait pas simplement les abandonner. Sa décision de les accompagner renforçait encore leur volonté de continuer, mais aussi leur lien avec elle.
Mat, dans un dernier effort pour alléger l'atmosphère, leva les bras dans un geste dramatique. "Je savais que tu ne pouvais pas nous résister, Nynaeve. Qui pourrait résister à nos visages d'ange ?"
Cette fois, Nynaeve ne se contenta pas d'un regard noir. Elle avança d'un pas brusque, saisit Mat par l'oreille, et le tira vers elle avec un air faussement menaçant.
"Continue avec tes blagues, Matrim Cauthon, et je jure que je te ferai regretter d'être né."
Mat poussa un cri de surprise, tout en essayant de se libérer. "Aïe, d'accord, d'accord ! C'est bon, j'arrête !"
Les autres ne purent s'empêcher de sourire face à la scène. Malgré la gravité de la situation, l'ombre de l'angoisse semblait s'alléger, ne serait-ce qu'un peu, grâce à l'esprit indomptable de Nynaeve et à l'humour maladroit de Mat.
Arno, toujours prêt à briser la monotonie avec son humour décapant, s'installa confortablement sur un rocher, jetant un coup d'œil amusé vers Nynaeve, avant de tourner son attention vers un point invisible dans l'espace. Il s'adressa directement à un public imaginaire, comme s'il s'adonnait à une conversation informelle entre amis.
"Alors, les amis, laissez-moi vous présenter Nynaeve al'Meara. Et croyez-moi, elle mérite une introduction digne de ce nom." Il sourit malicieusement, jetant un coup d'œil à la Sage Dame, qui ne semblait même pas réaliser qu'elle était l'objet de son explication.
"Imaginez la force d'un ouragan combinée à la ténacité d'un vieux chat de gouttière. Vous savez, ces chats qui, peu importe combien de fois vous essayez de les chasser, reviennent toujours, mais cette fois avec un air encore plus déterminé. Eh bien, ça, c'est Nynaeve." Il ponctua sa phrase d'un clin d'œil complice.
"Sage Dame du village de Deux-Rivières, et guérisseuse en chef. On pourrait penser qu'elle est là pour bander les plaies et vous offrir une tasse de tisane réconfortante. Eh bien, détrompez-vous. Cette femme pourrait vous remettre d'aplomb à coups de tisanes amères, oui, mais pas avant de vous avoir fait sentir que c'était de votre faute si vous vous êtes blessé en premier lieu."
Il se tourna légèrement pour s'assurer que Nynaeve ne l'écoutait pas, puis reprit avec un sourire amusé.
"Elle a un caractère... disons, explosif. Si vous avez fait une bêtise, elle le saura. Et vous aurez droit à une réprimande si intense que vous vous demanderez si la souffrance physique ne serait pas plus agréable." Il fit une grimace exagérée avant de continuer. "Et ses sermons... oh, ne vous en faites pas, ils peuvent durer des heures. J'espère que vous avez pris un bon repas avant, parce qu'elle ne vous lâchera pas avant d'être sûre que vous avez bien compris que vous êtes un idiot."
"Mais voilà le truc avec Nynaeve," dit Arno en inclinant la tête, son ton se faisant plus sérieux, mais toujours ponctué d'un soupçon d'ironie. "Derrière cette façade de tempête, il y a une vraie tendresse. Elle aime ces gamins comme s'ils étaient ses propres enfants. Et pour être honnête, elle est probablement l'une des meilleures personnes à avoir dans votre coin quand ça tourne mal. Pas seulement à cause de ses compétences en guérison, mais parce qu'elle ne reculera devant rien pour vous protéger. Et ça, mes amis, c'est la marque des vrais héros, même si elle vous dira le contraire en vous tirant les oreilles."
Il laissa échapper un petit rire et ajouta avec un clin d'œil : "Mais si vous êtes du genre à aimer prendre des risques, essayez de plaisanter avec elle. Attention, je ne prends aucune responsabilité si elle vous assomme avec une de ses tisanes amères. J'ai déjà vu ce regard, et croyez-moi, c'est celui d'une femme qui peut abattre un Trolloc avec un seul regard sévère. Je dis ça, je dis rien."
Se tournant à nouveau vers Nynaeve, toujours dans sa posture impérieuse, Arno leva les mains avec un sourire désarmant.
"Et c'est ainsi, mes chers amis, que vous avez Nynaeve al'Meara. Une force de la nature avec un cœur aussi solide que ses sermons sont interminables. On est pas sortis du bois avec elle dans les parages, mais au moins, on sait qu'on survivra... ou qu'on se fera sermonner jusqu'à la fin des temps."
Moiraine, jusque-là silencieuse et en retrait, observait la scène avec une attention minutieuse. Ses yeux clairs suivaient chaque geste de Nynaeve, captant la moindre nuance dans sa voix et ses expressions. Elle était, pour une fois, fascinée non par les complexités d'une ancienne prophétie ou par les dangers invisibles qui pesaient sur leur mission, mais par cette jeune femme à la détermination aussi farouche que le vent du Nord.
Il y avait en Nynaeve une force brute, presque indomptée, qui échappait à tout contrôle. Une force que Moiraine reconnaissait et respectait, même si elle ne l'admettrait jamais ouvertement. Jusqu'à présent, elle avait vu Nynaeve comme une simple guérisseuse, une femme têtue certes, mais pas nécessairement une alliée stratégique. Mais en cet instant, alors que Nynaeve s'était battue verbalement pour protéger ceux qu'elle aimait, Moiraine comprit qu'elle avait devant elle une alliée précieuse, une force naturelle sur laquelle elle pourrait compter.
La petite confrontation avec les jeunes n'avait fait que renforcer cette idée. Moiraine savait combien il était difficile de contrôler le destin des autres, et encore plus de convaincre des jeunes esprits têtus de renoncer à leur quête. Nynaeve, pourtant, malgré son échec apparent à les faire rentrer, avait réussi à affirmer son autorité sans jamais vraiment la perdre. Cela, Moiraine ne pouvait que l'admirer.
"Il y a plus en elle qu'il n'y paraît," pensa Moiraine, ses doigts glissant pensivement sur son bâton. Nynaeve possédait la passion du feu et la ténacité de la pierre. Une combinaison rare, qui, bien utilisée, pourrait s'avérer être un atout inestimable dans la quête du Dragon Réincarné.
Lan, quant à lui, se tenait toujours en retrait, silencieux et impassible comme à son habitude. Mais ses yeux ne cessaient de jeter des coups d'œil vers Nynaeve. Ce n'était pas le premier échange entre eux deux, et chaque fois qu'ils se retrouvaient ensemble, quelque chose de non-dit passait entre eux. Un respect mutuel, une reconnaissance silencieuse de la force et du devoir.
Lan hocha légèrement la tête, un geste presque imperceptible, mais suffisant pour que Nynaeve le remarque. C'était comme si, à travers ce simple mouvement, il lui reconnaissait une forme de compétence ou d'autorité. Une reconnaissance tacite que leur mission commune, bien qu'empruntant des chemins différents, reposait sur des valeurs similaires : protéger les jeunes, veiller à leur sécurité, peu importe les sacrifices nécessaires.
Nynaeve croisa son regard pendant une fraction de seconde avant de détourner les yeux, ses joues légèrement rouges. Elle savait que Lan n'était pas du genre à parler de sentiments, mais ce petit geste de respect lui suffisait. Elle ne le dirait jamais à voix haute, mais elle respectait ce guerrier stoïque plus qu'elle ne l'admettrait.
Arno, voyant que la tension persistait malgré la décision de Nynaeve de rester avec le groupe, se redressa et lança un regard malicieux autour de lui. Son sourire en coin annonçait clairement qu'il n'avait pas l'intention de laisser l'atmosphère lourde s'éterniser.
"Bon, alors," commença-t-il en s'étirant les bras vers le ciel, "maintenant que tout le monde a fait ses belles promesses de protéger et de veiller sur les uns et les autres, je suppose que c'est le moment idéal pour me présenter officiellement."
Il se tourna directement vers Nynaeve, qui, les bras toujours croisés, le regardait avec la même irritation qu'une personne face à un moucheron insistant.
"Arno," dit-il en inclinant légèrement la tête d'un geste théâtral, comme s'il s'adressait à la royauté. "Sorceleur de l'École de l'Aigle, chasseur de monstres, et, bien sûr, homme au charme inégalé. J'ai déjà eu le plaisir de décapiter quelques Trollocs ici et là pour vous sauver la mise. C'est mon truc, voyez-vous."
Nynaeve ne broncha pas, mais son regard restait sévère. Si elle appréciait le talent au combat d'Arno, elle n'était clairement pas fan de son attitude décontractée.
"Et pour ceux qui se posent la question," poursuivit-il sans se laisser décourager par le manque de réaction, "non, je ne suis pas du coin. En fait, je suis plus du genre à me balader entre les mondes... enfin, surtout à être jeté entre eux contre ma volonté, mais vous connaissez les portails magiques, non ?" Il fit une pause, levant un sourcil exagérément. "Oh, vous ne connaissez pas ? Pas grave. De toute façon, c'est un sacré foutoir."
Moiraine, toujours attentive, observait avec intérêt cet homme étrange qui se moquait de ses propres mésaventures. Elle n'avait encore jamais rencontré un individu capable de parler aussi librement de ce genre de phénomènes surnaturels. Son visage restait impassible, mais elle sentait que ce sorceleur apportait avec lui des mystères qu'elle n'avait pas encore décodés.
"Bref," continua Arno en se tournant cette fois vers tout le groupe, comme s'il s'adressait à un auditoire captivé, "si vous voyez quelque chose de grand, de poilu, avec des griffes et qui essaie de vous croquer, c'est probablement mon boulot de le tuer. Je suis comme une version améliorée de votre guerrier moyen, sauf que moi, je peux aussi vous sortir des répliques hilarantes pendant que je me fais éventrer."
Il fit un geste dramatique vers Nynaeve. "Mais attention, j'ai compris. Toi, tu n'aimes pas trop l'humour. Pas de problème. Je vais essayer de garder mes blagues pour moi... ou au moins jusqu'à ce que la prochaine opportunité se présente. Après tout, je suis un homme plein de surprises."
Nynaeve soupira bruyamment, son agacement plus palpable que jamais. "Je n'ai pas besoin de tes blagues, Arno. Ce que j'ai besoin, c'est que tu prennes cette situation un peu plus au sérieux."
"Oh, mais je suis très sérieux," rétorqua Arno en posant une main sur sa poitrine, prenant un air faussement solennel. "Je suis tellement sérieux que mes blagues ne sont que des échappatoires face à la dure réalité de la vie." Il leva un doigt d'un air dramatique. "Car qui de mieux qu'un homme immortel pour comprendre l'absurdité de l'existence, hein ? Mais bon, je m'égare. Revenons à l'essentiel."
Il reprit un ton légèrement plus grave, bien qu'une lueur amusée continuait de briller dans ses yeux. "Ce que je veux dire, c'est que je suis là pour vous protéger. J'ai vu des choses, vécu des horreurs que vous n'imaginez même pas. Des monstres bien pires que ces Trollocs. Et j'ai survécu à tout ça. Alors, je pense que je peux me permettre de prendre un peu de recul et de rire de temps en temps, tu ne crois pas ?"
Il adressa un clin d'œil complice à Nynaeve, qui secoua la tête avec une exaspération visible. "Tu es impossible," grommela-t-elle. Mais derrière ses mots sévères, il y avait une reconnaissance tacite. Elle savait, tout comme les autres, qu'Arno n'était pas un simple farceur. Elle l'avait vu à l'œuvre contre les Trollocs. Malgré ses plaisanteries, il savait se battre, et ses compétences, bien que cachées derrière un humour incessant, étaient indéniables.
"Impressionnant," admit finalement Lan, son regard toujours stoïque mais avec une lueur d'approbation dans les yeux. "Mais il va falloir plus que des blagues pour survivre à ce qui nous attend."
Arno sourit en direction de Lan, hochant la tête avec un respect réciproque. "Oh, ne t'inquiète pas. J'ai encore quelques tours dans ma manche... enfin, pas littéralement. Je n'ai plus de manches, elles ont été déchirées lors du dernier combat. Mais tu comprends l'idée."
Le groupe, désormais au complet, commença à rassembler leurs affaires, prêts à repartir en direction du prochain objectif. Nynaeve, bien qu'encore irritée par l'attitude désinvolte d'Arno, savait au fond d'elle qu'il serait un atout précieux. Avec Moiraine, Lan, et désormais Nynaeve à leurs côtés, les jeunes étaient mieux protégés que jamais.
"Bon, c'est pas tout ça, mais il est temps de reprendre la route," dit Arno en lançant Paulette sur son épaule. "Avec un peu de chance, on trouvera quelques monstres à occire en chemin. Et qui sait, peut-être que Nynaeve finira par sourire un jour."
Nynaeve leva les yeux au ciel. "Ne rêve pas trop, Arno."
"Ah, je suis un homme d'espoir," répondit-il en plaisantant, alors que le groupe s'éloignait dans les bois, prêt à affronter les dangers qui les attendaient.
Le groupe se tenait maintenant au bord du campement, leurs affaires prêtes, l'atmosphère légèrement plus détendue, mais chargée de la gravité des défis à venir. Chacun prenait quelques instants pour rassembler ses pensées, ajuster son équipement ou simplement contempler le voyage qui les attendait.
Nynaeve, bien que toujours agacée par l'attitude décontractée d'Arno, se sentait maintenant plus en paix avec sa décision. Elle les avait retrouvés, et elle ne les quitterait plus. Ces jeunes, qui avaient été sous sa protection toute leur vie, avaient grandi bien plus vite qu'elle ne l'aurait imaginé. Ils étaient peut-être têtus, mais ils étaient aussi courageux. Leurs visages sérieux, leurs yeux déterminés... Nynaeve comprenait enfin qu'elle ne pouvait pas les protéger du monde en les enfermant dans leur enfance. La meilleure chose qu'elle pouvait faire désormais, c'était de les accompagner, de veiller sur eux, tout en leur laissant la liberté de forger leur propre destinée.
Elle fit un tour rapide du campement, ses yeux passant sur chacun des jeunes. Rand, avec cette gravité nouvelle sur son visage, Perrin, toujours introspectif mais déterminé, Egwene, dont la force intérieure transparaissait à travers chaque geste. Même Mat, malgré son sourire désinvolte, montrait une forme de maturité sous ses blagues. Ils avaient tous changé.
"Bon," dit-elle finalement, brisant le silence qui s'était installé, "si nous devons continuer, il va falloir être prêts à tout. Ne vous attendez pas à ce que les choses deviennent plus faciles."
Son ton était sévère, mais derrière ces mots, il y avait une tendresse dissimulée. Elle les regardait tous avec une protection féroce, prête à affronter chaque menace pour les garder en sécurité.
Moiraine, toujours attentive, hocha lentement la tête en signe d'approbation. "Nous savons que le chemin devant nous sera semé d'embûches. Mais avec Nynaeve à nos côtés, nous serons mieux équipés pour affronter ce qui nous attend."
Lan, comme à son habitude, restait silencieux, son épée posée sur son épaule, mais il échangea un regard avec Nynaeve, un simple signe de respect et de reconnaissance pour ce qu'elle apportait désormais au groupe. Elle n'était plus seulement la Sage Dame de Deux-Rivières ; elle était une guerrière à sa manière, une protectrice aussi résolue que n'importe lequel d'entre eux.
"Ah, et moi alors ? On m'oublie ?" intervint Arno, rompant soudainement la tension. "Vous avez tous cette belle dynamique de héros, et moi je suis là, tout seul avec mes blagues et mes monstres à tuer."
Nynaeve lui lança un regard exaspéré, mais il y avait une pointe d'amusement dans ses yeux. "Personne ne t'oublie, Arno. Comment pourrait-on, avec tout le bruit que tu fais ?"
Arno fit semblant de se sentir blessé, portant une main à son cœur. "Ah, Nynaeve, tu sais vraiment comment parler aux hommes. Un jour, tu briseras des cœurs avec ce genre de compliments."
Le groupe laissa échapper un soupir collectif, et même Moiraine, qui restait habituellement impassible, sembla presque sourire à la réplique d'Arno. C'était comme si, malgré la gravité de la situation, il apportait une légèreté bienvenue, une manière pour chacun de respirer un instant avant de se plonger à nouveau dans l'incertitude de leur quête.
"Bon," reprit Arno en s'étirant, "maintenant que nous sommes tous de bons amis et que personne n'a été étranglé par Nynaeve... Qu'est-ce qui nous attend ? Des monstres plus gros ? Des prophéties mystérieuses ? Une quête héroïque qui va certainement mal tourner ?"
Rand prit la parole, son visage sérieux. "Nous devons rejoindre la ville la plus proche avant que les Trollocs ne nous rattrapent. Moiraine dit qu'il y a des réponses qui nous attendent, des gens qui peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe réellement."
Arno hocha la tête, son sourire toujours présent, mais cette fois, il laissa paraître une touche de gravité. "Eh bien, dans ce cas, je suppose que je vais devoir rester dans le coin un peu plus longtemps. Vous avez clairement besoin de quelqu'un pour découper les monstres en morceaux et lancer des répliques savoureuses en même temps."
Nynaeve roula des yeux, mais il y avait quelque chose de plus léger dans son expression maintenant. "Juste... ne te mets pas en travers de mon chemin. Et ne fais pas de blagues pendant que je soigne quelqu'un."
Arno leva les mains en signe de paix. "Promis, pas de blagues pendant que tu soignes. Mais après... tout est permis."
Le groupe finit de rassembler ses affaires, chacun se préparant mentalement à reprendre la route. Le paysage, bien que calme pour l'instant, semblait cacher une menace à chaque coin. Les Trollocs n'étaient pas loin, et d'autres dangers encore inconnus les attendaient certainement. Mais malgré tout cela, il y avait maintenant une cohésion nouvelle dans le groupe. Une alliance renforcée par la présence de Nynaeve, et étrangement adoucie par l'humour d'Arno.
Alors qu'ils se mettaient en marche, Arno lança une dernière réplique par-dessus son épaule.
"Je sens que ce voyage va être un véritable plaisir... entre les monstres, les prophéties, et les regards assassins de Nynaeve, je suis sûr qu'on ne s'ennuiera pas une seconde !"
Moiraine ne put s'empêcher de laisser échapper un léger soupir amusé. Même Lan, impassible, secoua la tête avec un mince sourire.
"Espérons simplement que tu garderas cette bonne humeur," dit Moiraine calmement, "car les jours à venir ne seront pas aussi légers que tes blagues."
Arno haussa les épaules. "Oh, ne t'inquiète pas. J'ai une blague pour chaque occasion. Mais pour l'instant, concentrons-nous sur l'essentiel : sauver le monde et tout le reste."
Le groupe, maintenant renforcé et plus soudé, s'enfonça dans la forêt, prêt à affronter les dangers à venir. Leur chemin serait semé d'embûches, mais avec chacun d'entre eux acceptant son rôle, il y avait une lueur d'espoir, aussi mince soit-elle.
