J'aurais pu appeler ce chapitre "men are trash"... sauf Théo, bien entendu :)
Bonne année à tout le monde, qu'elle vous apporte bonheur, sérénité, bonne santé, et que tous vos souhaits se réalisent!
Hermione
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Hermione se retrouva nez à nez avec la personne avec qui elle pensait le moins passer sa dernière soirée du mois de Janvier.
Anthony Goldstein.
Il se tenait là, face à elle, et ils se scrutaient mutuellement sans rien dire, obnubilés par l'autre, attendant que le premier se mette à parler, sans le faire.
Hermione le détailla de haut en bas, de ses cheveux cuivrés à ses yeux bleus foncés jusqu'à sa mâchoire carrée. D'habitude, son visage était étiré dans un sourire, mais ce soir-là, il semblait être en pleine réflexion.
Sauf que le garçon en face d'Hermione n'était pas Anthony Goldstein.
Pas vraiment.
"Alors ?" demanda la voix de Théo. "J'ai l'air de quoi ?"
"D'Anthony Goldstein." répondit Hermione.
Il lui lança un regard blasé qui ressemblait tellement aux expressions faciales de Théo qu'elle le reconnut à travers des traits qui ne lui appartenaient pas.
"Tu es sûre ?" demanda-t-il en inspectant le gilet de Serdaigle qu'il venait d'enfiler.
"Tiens toi un peu plus droit." avisa Hermione. "Et souris. Anthony sourit tout le temps."
Théo, Anthony, arqua un sourcil mais obéit. Il avait l'air d'éprouver une certaine difficulté à sourire sans raison, mais il était beaucoup plus reconnaissable comme ça. Hermione hocha la tête de satisfaction et les deux prirent la route vers la Salle sur Demande pour la réunion de l'A.D prévue dans quelques minutes.
"Alors ?" chuchota Théo. "D'autres choses à me dire sur Anthony Goldstein avant que je ne l'incarne pendant une heure ?"
"Et bien… Il est à Serdaigle, c'est un préfet. Il est ami avec Terry Boots et Michael Corner, le petit ami de Ginny… Il a grandi dans le Yorkshire et son père est un Moldu, donc c'est un Sang-Mêlé… Ah, et il est très sociable et extraverti."
Théo grimaça en entendant ça :
"Extraverti ? Je ne pense pas être capable d'être extraverti, Hermione."
"Mais si, tu seras très bien !" contesta-t-elle. "De toute manière, Michael passe ses séances avec Ginny, et Terry Boots est le garçon le moins bavard que je connaisse."
"Et où est notre cher et vrai Anthony Goldstein ce soir ?" demanda Théo en trottinant à côté d'Hermione le long du couloir du septième étage.
"Au fond de son lit après une intoxication alimentaire." dit Hermione. "Padma m'a dit qu'il avait mangé trop de confiseries d'Honeydukes. On ne risque rien."
Théo, Anthony, hocha la tête pensivement.
"En tout cas, il n'est pas bien grand." dit-il en baissant la tête vers elle. "Ça me fait trop bizarre de te voir d'aussi près."
Hermione leva les yeux au ciel :
"C'est parce que vous, les Serpentards, êtes beaucoup trop grands." murmura-t-elle.
"Si tu veux parler de Blaise, sache que c'est une exception." contredit-il. "Je suis à moitié persuadé qu'il prend quelques gouttes de potion de Croissance tous les jours depuis qu'il est né."
Hermione eut un petit rire, et garda bien pour elle qu'elle n'avait pas pensé à Blaise en disant cette phrase. Elle avait pensé à Drago, qui la dominait d'au moins une tête, ce qui lui permettait de voir sa pomme d'Adam remonter quand il était mal à l'aise et qu'elle était obligée de pencher la tête en arrière quand il l'embrassait.
Elle avait encore la tête pleine d'images mentales de Drago quand la porte de la Salle sur Demande apparut devant ses yeux. Théo, Anthony, consulta sa montre :
"Plus que cinquante trois minutes de Polynectar." l'informa-t-il. "Prête ?"
"Prête."
Il poussa la porte. La Salle était disposée comme d'habitude, avec des coussins d'un côté, des mannequins de l'autre, des petites bibliothèques remplies de livres de défense en tous genres et une immense cheminée au centre de la pièce. Quelques personnes étaient déjà réunies auprès d'Harry. Hermione s'approcha de lui et se mit à sa gauche par réflexe, Ron à sa droite.
"Bonsoir à tous !" lança Harry en analysant la foule autour de lui. "Ça sera une séance de révisions aujourd'hui, parce que nous avons pas mal d'absents. L'équipe de Quidditch de Serdaigle n'a pas pu décaler son entraînement de ce soir, donc il y a une grande majorité de la Maison qui n'est pas là…"
Hermione et Anthony échangèrent un petit regard complice.
"... Et Fred et George Weasley n'ont pas pu venir pour cause de retenue avec Ombrage."
"Pour quelle raison, cette fois ?" demanda Dean.
"Ils lui ont envoyé une carte de la St Valentin qui lui a explosé au visage pendant le dîner." expliqua Ron.
Tout le monde éclata de rire, y compris Hermione et Théo.
"Bien." reprit Harry. "À vous de choisir, quelle technique de défense voulez-vous revoir ce soir ?"
"Pourquoi pas les Patronus ?" proposa la voix flottante de Luna, qui était au centre de la pièce et regardait Harry avec un petit sourire sur ses lèvres.
Sa proposition fut approuvée par l'ensemble des élèves et ils se mirent rapidement en place. Hermione se mit stratégiquement du côté d'Anthony, sans être trop proche non plus, et Ron se mit à côté d'elle sans commenter son choix de placement.
"Pensez à un souvenir heureux." rappela Harry qui passait dans les rangs d'élèves. "Le plus beau souvenir de votre vie. Laissez le monter en vous, vous habiter complètement, jusqu'à ce qu'il n'existe plus rien d'autre que ce souvenir. Il doit être puissant, vous devez le sentir jusque dans la paume de vos mains, et une fois que vous êtes prêts, vous lancez fort, clairement, Spero Patronum !"
Quelques élèves firent plusieurs tentatives, mais aucun Patronus n'apparut. Hermione ferma les yeux pour se concentrer et essaya de trouver un souvenir suffisamment intense. La fois dernière, elle s'était surtout focalisée sur des souvenirs de son enfance. Elle réessaya plusieurs fois de lancer un Patronus en pensant à ses parents, à Danny, à McGonagall qui lui avait annoncé qu'elle était une sorcière, mais elle devait se rendre à l'évidence : ces moments étaient bien trop flous dans sa tête. Elle ne ressentait pas cette énergie qu'Harry avait décrit.
Hermione se demanda quand avait-elle été le plus heureuse pour la dernière fois, et la réponse l'assaillit comme si son cerveau n'attendait que de lui montrer. Elle vit Drago sur le banc en train de rire, les cheveux constellés de flocons de neige, elle vit Drago dans la Bibliothèque avec son sourire en coin, elle sentit les mains de Drago contre ses joues, ses lèvres sur les siennes, elle entendit sa voix murmurer à son oreille, la menthe et la pomme verte sur sa langue, et les souvenirs combinés firent vibrer sa baguette dans sa main. Elle n'eut même pas besoin d'en choisir un en particulier, elle se laissa emporter par le tourbillon d'émotions et prononça :
"Spero Patronum !"
À peine Hermione eut terminé son incantation que son cœur sauta dans sa poitrine, si fort qu'elle faillit en lâcher sa baguette. Elle pouvait sentir les veines de son poignet droit frémir lorsque la magie s'échappa du bout de sa baguette, sous forme de filaments argentés informes. Au début, ils flottèrent dans l'air, mais très vite, ils s'entrelacèrent et créerent une forme ronde, pas plus grosse qu'un nourrisson.
"Hermione !" s'écria Ron en regardant son Patronus prendre forme. "Merlin, tu as réussi !"
Son cri attira le regard de ceux autour d'eux, dont Anthony qui contempla le sort avec admiration. Mais Hermione ne le vit pas, parce que son regard était entièrement pris par le Patronus en face d'elle. Elle avait l'impression de voir sa propre magie sous ses yeux pour la première fois, cette sorte de chaleur frémissante qu'elle connaissait depuis toujours. Depuis Poudlard, elle l'avait vue jaillir sous plein de formes différentes, mais elle n'avait jamais été aussi belle que ce soir-là.
Quand tous les filaments furent mêlés les uns aux autres, ils devinrent opaques et Hermione reconnut, ébahie, les loutres qu'elle allait voir au Regent Park Zoo avec ses parents quand elle était enfant. Elle porta une main à sa bouche, les yeux rivés sur l'animal qui flottait doucement jusqu'à elle, les pattes recroquevillées contre son ventre et la tête légèrement inclinée sur le côté. Elles se contemplèrent l'une et l'autre pendant de longues secondes.
"Bonjour toi." murmura-t-elle à l'adresse du Patronus.
La loutre dodelina de la tête comme pour la saluer à son tour. Elle scintillait tellement fort qu'Hermione devait plisser les yeux pour pouvoir la regarder plus longtemps. On aurait dit qu'elle nageait à la surface de l'eau sur le dos, et qu'elle ébauchait un sourire.
Aussi vite qu'il était apparu, le Patronus s'évapora alors, et Hermione ressentit une étrange sensation de manque.
"Bravo Hermione !" félicita Harry.
Ron se mit à applaudir et tout le monde suivit. C'était la première personne à réussir à faire un Patronus corporel lors d'une séance de l'A.D, et Hermione sentit ses joues rougir de plaisir et de fierté. Neville et Ginny s'approchèrent d'elle pour la serrer dans leurs bras, Luna lui annonça que c'était le plus beau Patronus qu'elle ait vu de sa vie (bien qu'elle n'ait vu que celui d'Harry jusque-là), et Harry et Ron lui tapotèrent maladroitement l'épaule en guise de félicitations.
Et quand Anthony Goldstein s'approcha d'elle pour lui serrer la main, personne ne vit le subtil clin d'œil qu'il lui lança, vestige d'une compétition acharnée depuis des années.
À la fin de la séance, quelques personnes avaient réussi à produire des filaments argentés sans formes particulières. Harry répéta plusieurs fois à quel point c'était une magie difficile et qu'il fallait du temps avant de la maîtriser complètement, mais malgré ça, Hermione pouvait sentir le regard venimeux de Zacharias Smith de l'autre côté de la pièce. Quand il sortit de la Salle sur Demande, elle l'entendit même chuchoter à Terry et Anthony qu'elle avait sûrement triché en s'entraînant en cachette avec Harry.
Hermione prétexta devoir rendre un livre avant la fermeture de la Bibliothèque et rejoignit Théo dans les toilettes. Il était en train de remettre sa cape de Serpentard quand elle entra, son visage normal retrouvé.
"Rassure moi, je ne suis pas le seul à trouver ce Smith absolument détestable ?" demanda-t-il entre ses dents serrées à peine fut-elle entrée.
"Oh non, tu n'es pas le seul." dit Hermione avec un petit rire. "Harry, Ron, Fred, George et Ginny ne peuvent pas le voir en peinture. Je regrette de l'avoir invité, il se moque constamment d'Harry."
"Et de toi." pointa Théo avec colère. "Il vient de me dire que tu avais triché. Je mourrais d'envie de lui faire remarquer qu'il n'était techniquement pas possible de "tricher" en lançant un Patronus et qu'il était juste jaloux de toi. S'il te plaît, ne prends jamais un de ses cheveux pour moi."
"Noté." dit Hermione.
Théo rangea la fiole de Polynectar dans son sac et Hermione fit Disparaître le verre qu'il avait utilisé pour boire la potion.
"Bravo pour ton Patronus, au fait !" s'exclama Théo avec un grand sourire. "Je n'aurais jamais parié que le tien prendrait la forme d'une loutre."
"Ah oui ? Qu'est-ce que tu imaginais ?" demanda-t-elle, curieuse.
"Je sais pas trop, à vrai dire… Peut-être un animal majestueux, comme un tigre, ou très intelligent, comme l'éléphant, ou un Fléreur."
"Mon chat est à moitié Fléreur." réalisa Hermione, qui n'avait pas pensé à cette possibilité. Maintenant qu'il le disait, c'est vrai que ça paraissait plus logique. "Mais quand mes parents m'emmenaient au zoo quand j'étais enfant, j'allais toujours voir l'enclos des loutres. Je les trouvais fascinantes. J'imagine qu'il y a un peu d'affectif dans la forme des Patronus."
"Au zoo ?" répéta Théo avec un éclat d'intérêt dans ses yeux bleus. "J'ai lu quelque chose là-dessus, ce sont les grands parcs où on peut voir les animaux du monde entier ?"
"Oui, exactement." dit Hermione. "Mes parents m'emmenaient toujours à celui de Regent Park, à Londres."
"Les Moldus sont fascinants." dit Théo avec ferveur. "Tu imagines, un zoo sorcier ? Ce serait incroyable de pouvoir réunir toutes les créatures magiques à un seul endroit…"
Théo partit dans ses propres réflexions, et Hermione n'eut pas le cœur de lui dire que les zoos n'étaient pas aussi idylliques qu'il le pensait, avec les animaux enfermés dans des cages trop petites pour eux.
"Quel sera ton Patronus, tu penses ?" demanda-t-elle.
Théo afficha un air ennuyé :
"On s'était demandé quel Animagus on serait avec Blaise, Drago et Pansy, et j'avais répondu un loup. C'est solitaire mais ça vit en meute, comme moi."
Hermione eut un sourire en imaginant la réaction de Drago à cette idée.
"Mais les autres n'étaient pas d'accord." continua Théo d'un ton boudeur. "Ils ont dit que je serais un hibou."
Elle se retint de ne pas lui faire remarquer que c'était un excellent choix qui lui correspondait parfaitement.
"De toute façon, la question ne se pose pas pour le moment." renchérit-il. "Je ne serai jamais un Animagus, et je n'arrive pas à former le moindre Patronus."
"Tu as entendu Harry, c'est une magie très complexe." dit Hermione pour le rassurer. "Ça prend des heures d'entraînement avant de réussir."
"Facile à dire." dit Théo avec un ricanement railleur. "Tu es la seule qui a réussi à en faire un !"
Hermione ébaucha un petit sourire narquois. Théo mit son sac en bandoulière par-dessus son épaule, et Hermione espéra de tout cœur que ce garçon sensible et doux possède des souvenirs assez heureux pour en produire un.
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Quand elle retourna dans sa Salle Commune, Hermione vit tout de suite que l'atmosphère avait changé. Dans la Salle sur Demande, tout le monde avait été entraîné par la pratique, mais là, autour du feu à moitié éteint, les visages des Gryffondors étaient maussades. Fred et George étaient en train de tremper leurs mains dans de l'Essence de Murlap et Hermione pouvait voir les particules de sang flotter à la surface. Elle réprima un frisson et alla s'installer sur le canapé à côté d'Harry, qui était en train de frotter sa cicatrice sans prendre part à la conversation autour de lui.
"Bonne séance aujourd'hui." commenta-t-elle.
Harry lui répondit par un grognement et un haussement d'épaule.
"Tout le monde avait l'air content de continuer les Patronus." continua-t-elle pour faire la conversation. "Tu as vu celui de Luna ? Il a failli prendre forme sur la fin ! J'ai hâte de savoir ce que c'est."
Harry hocha distraitement la tête sans répondre. Hermione prit ses aiguilles à tricot qu'elle avait laissées sur la table et continua son petit chapeau marron qu'elle comptait dissimuler avant de dormir. Elle reprit quelques mailles en essayant d'écouter ce que Ginny disait avec Neville, mais son attention revenait sans cesse sur Harry qui continuait de toucher sa cicatrice comme si elle brûlait.
"Harry ?" appela-t-elle doucement. "Tout va bien ?"
Harry retira sa main de son front avec un soupir :
"Tout va bien, Hermione."
Il avait prononcé cette phrase tellement de fois depuis le début de l'année qu'elle paraissait insipide. Hermione était sûre qu'il avait mal mais qu'il ne voulait pas lui dire. Ron, qui était à sa droite, regardait son meilleur ami avec la même inquiétude.
La Salle se vida de plus en plus jusqu'à ce qu'il ne reste que les jumeaux et quelques élèves qui terminaient leurs devoirs un peu plus loin. Hermione avait presque terminé son tricot, et relevait fréquemment la tête vers Harry qui avait toujours la même expression sombre. Elle espérait que c'était à cause de l'absence de Cho à la réunion, mais au fond d'elle, elle savait qu'il était renfrogné pour quelque chose de bien plus grave.
Quand les jumeaux furent occupés à discuter tous les deux de leur prochaine vengeance contre Ombrage, Hermione se pencha subtilement vers son meilleur ami :
"Harry ? Tu es sûre que ça va ?"
"Très bien." répéta Harry sans la regarder.
"Arrête de mentir, mate." dit Ron, les sourcils froncés. "On voit bien que tu as mal. Tu as revu quelque chose, c'est ça ?"
"Non, je n'ai rien vu." marmonna Harry. "J'ai… senti quelque chose."
"Quoi donc ?" demanda Hermione.
"J'ai ressenti ce qu'il ressentait." dit-il avec une grimace. "J'ai senti… qu'il était content pour quelque chose, mais je ne sais pas quoi."
"Un peu comme lorsqu'il a réussi à faire évader ses Mangemorts d'Azkaban ?" questionna Ron. "Tu as dit qu'il avait rarement été aussi heureux, ce soir-là."
Ron avait raconté à Hermione, le matin de la rentrée, qu'Harry était tombé par terre après un cauchemar particulièrement violent. Quand Ron avait réussi à le sortir de sa transe, il lui avait dit qu'il s'était passé quelque chose de très bien pour Voldemort, quelque chose qu'il espérait depuis très longtemps. Quelques minutes plus tard, ils avaient découvert la une du journal qui annonçait l'évasion de dix Mangemorts d'Azkaban.
"Non, ce n'est pas exactement pareil." dit Harry en se massant inconsciemment la cicatrice. Il ferma les yeux plusieurs secondes, comme pour essayer de capter de nouveau ce ressenti qu'il avait expérimenté un peu plus tôt. "C'est plutôt… du soulagement. Peut-être qu'il en a retrouvé un autre qui a accepté de s'allier à lui, j'en sais rien."
Harry arracha sa main de son front et la posa sur ses genoux :
"J'ai l'impression que cette Occlumancie ne fait qu'ouvrir encore plus ma tête pour que Voldemort puisse y entrer." lâcha-t-il, ignorant le sursaut de Ron en entendant le nom maudit. "Comme si j'étais une radio directement branchée à ses humeurs."
"C'est peut-être comme une sorte de maladie." dit Hermione. "Comme une fièvre. Il faut d'abord que ça empire avant d'aller mieux."
"L'Occlumancie aggrave les choses." dit Harry d'un ton tranchant. "J'en ai assez que ma cicatrice me fasse mal, et je commence à me lasser de marcher chaque nuit dans ce couloir ! J'aimerais bien que cette porte s'ouvre enfin, je ne peux plus supporter de rester devant à la contempler bêtement…"
"Dumbledore ne veut plus que tu fasses ce rêve de couloir sinon, il n'aurait pas demandé à Rogue de t'enseigner l'Occlumancie. Il faut simplement que tu travailles un peu plus tes leçons…"
"Je travaille !" protesta Harry avec colère. "Tu n'as qu'à essayer, toi, un de ces jours, te retrouver face à Rogue qui cherche à entrer dans ta tête, ce n'est pas une partie de plaisir, crois-moi !"
Il la fusilla du regard. Hermione repensa à Drago qui boitait après ses séances et se tut sur le champ.
"Peut-être que ce n'est pas la faute de Harry s'il n'arrive pas à fermer son esprit." déclara Ron, l'air grave.
"Qu'est-ce que tu veux dire ?" s'étonna Hermione.
"Eh bien, peut-être que Rogue n'essaye pas vraiment d'aider Harry…" Il baissa la voix et continua avec hésitation : "Peut-être qu'il essaye d'ouvrir un peu plus l'esprit de Harry… pour faciliter la tâche de Tu-Sais…"
Hermione le coupa :
"N'importe quoi, Ron. Combien de fois as-tu soupçonné Rogue sans avoir jamais eu raison de le faire ? Dumbledore a confiance en lui et il travaille pour l'Ordre, ça devrait te suffire."
"Il a été un Mangemort." insista Ron, têtu. "Et on n'a jamais eu la preuve qu'il avait véritablement changé de camp."
"Dumbledore lui fait confiance." répéta-t-elle. "Et si on ne peut pas faire confiance à Dumbledore, alors on ne peut faire confiance à personne."
"Comment lui faire confiance quand il ne me laisse même pas lui parler ?" gronda Harry. "Il m'évite depuis cet été, comme si j'avais une maladie contagieuse, il ne me regarde même plus dans les yeux ! Il ne fait que me balader d'un endroit à un autre sans me demander mon avis, il me donne des ordres sans même me les expliquer, il me laisse dans l'ombre en permanence !"
"Harry…" commença Hermione en approchant sa main pour la poser sur son bras, mais il se leva d'un bond :
"Non !" cria-t-il. "ARRÊTE de me demander si je vais bien, Hermione !"
La phrase d'Hermione mourut sur sa langue et elle observa son meilleur ami avec de grands yeux, clouée sur place.
"Arrête de me regarder avec cet air de pitié sans arrêt, c'est encore pire que l'ignorance de Dumbledore !" continua Harry d'une voix vibrante d'animosité. "Si tu me demandes encore une fois si je vais bien, je vais devenir fou ! NON, je ne vais pas bien, Hermione ! Rogue entre dans ma tête de force, Ombrage me provoque en me parlant de Cédric à chaque cours, Dumbledore m'ignore, et comme si ce n'était pas suffisant, Lord Voldemort en personne me parasite le crâne, et je n'ai même plus le droit de jouer au Quidditch pour penser à autre chose !" vociféra-t-il. "Alors, non, je ne vais pas bien, et ce n'est pas la peine de me dire d'aller voir Dumbledore et McGonagall pour aller me plaindre !"
"Harry !" cria Ron en se levant pour se mettre entre les deux. "Calme toi mon vieux, Hermione n'a rien fait de mal, on essaye simplement de t'aider…"
"Alors trouvez une autre manière de le faire, parce que ça ne marche pas du tout !" s'emporta Harry en reculant de trois pas.
"Hé, là !" s'écrièrent Fred et George d'une même voix. Ils se placèrent de part et d'autre de Ron, devant le canapé où Hermione était toujours assise. "On comprend que tu sois sur les nerfs Harry, mais ce n'est vraiment pas une raison pour parler à Hermione de cette manière !" dit Fred d'un ton ferme.
George croisa ses bras sur sa poitrine et pour la première fois de sa vie, Hermione les trouvèrent tous les deux menaçants. Harry fulminait. Il regarda successivement Fred, Ron, George, et Hermione derrière eux, puis se dirigea vers les dortoirs d'un pas brusque :
"Peu importe, je vais me coucher."
Il ne dit pas bonne nuit et disparut dans les escaliers. Quelque part au-dessus de leurs têtes, une porte claqua, et les épaules des trois garçons en face d'Hermione s'affaissèrent dans un soupir.
"Ça va, Mione ?" demanda gentiment George en la voyant toujours tétanisée.
"Oui, oui…" dit-elle d'une voix blanche, choquée par l'attitude d'Harry.
"Tu sais bien comment il est." dit Ron en se rasseyant à côté d'elle. "C'est Harry, il ne supporte pas quand quelqu'un veut le rassurer."
Il lui prit affectueusement la main pour la serrer contre la sienne avant de la relâcher. Hermione acquiesça, mais elle n'était pas d'accord. Harry était pudique, mais il avait toujours eu besoin d'être rassuré, et Hermione, Ron et Hagrid étaient les premières et seules personnes vers qui il se tournait pour l'être. Hermione ne pouvait pas compter le nombre de fois où elle lui avait répété que tout irait bien et qu'ils s'étaient endormis côte à côte pour qu'il soit rassuré par sa présence, ou que Ron lui avait fait changer les idées avec des entraînements de Quidditch et des virées à Pré-Au-Lard. Cet Harry-là, qui réagissait au quart de tour et qui prenait tout mal, elle ne le reconnaissait pas du tout. Comme si son âme pure avait été tâchée par les intrusions de Voldemort.
"Déguerpissez, y a rien à voir !" aboyèrent Fred et George à l'attention des deuxièmes années qui regardaient dans leur direction avec de grands yeux. "Et qu'aucun de vous ne raconte quoique ce soit à qui que ce soit, c'est clair ?"
Ils hochèrent la tête, intimidés, prirent leurs manuels et leurs plumes en vitesse et remontèrent dans leur dortoir en quelques secondes seulement.
"Je vais monter pour voir si tout va bien." décida Ron. "Ne te prends pas la tête avec ça, d'accord ?" ajouta-t-il à l'attention d'Hermione.
Hermione hocha la tête et lui souhaita une bonne nuit. Ron monta.
Il ne restait plus que les jumeaux dans la Salle Commune.
"Tu es sûre que tout va bien, Mione ?" demanda George précautionneusement.
"Ça va." mentit-elle.
"Il n'avait aucun droit de te parler comme ça." asséna Fred.
"Il est simplement épuisé." dit Hermione avec un haussement d'épaules. "Il vit des choses pas faciles, c'est normal d'exploser de temps en temps."
"Ce qui n'est pas normal, c'est de tout décharger sur toi." contredit George. "Sa souffrance ne lui donne aucun droit de te traiter de cette manière."
"Ça va, vraiment." insista Hermione. "Je suis habituée."
Les jumeaux ne paraissaient pas convaincus. Ils restèrent près d'elle et acceptèrent un thé, qu'ils burent en silence devant les braises. Hermione n'aurait pas pu transmettre à voix haute à quel point leur compagnie était réconfortante, même lorsqu'ils ne parlaient pas. Son cœur était déjà plus léger quand ils annoncèrent qu'ils allèrent se coucher.
Quand il ne resta plus qu'elle dans la Salle, Hermione saisit sa baguette de sa poche et la pointa sur sa poitrine :
"Peribit ex charta."
Elle sentit le sort s'enrouler dans les mailles de son pull et la main qui tenait sa baguette s'effaça quelques secondes. Hermione savait qu'elle ne devait pas quitter cette tour, qu'Harry était toujours beaucoup plus vulnérable quand il s'endormait en étant troublé. Elle savait que c'était dangereux de le laisser là, mais étrangement, elle avait du mal à saisir la gravité de la situation ce soir. Les mots qu'avait employés Harry résonnaient toujours dans sa tête et elle avait besoin d'une distraction, n'importe quoi, pour ne pas y repenser.
Et quelle meilleure distraction y avait-il que Drago Malefoy sur un banc ?
Hermione fut plutôt satisfaite de constater qu'elle était capable de réaliser un Sortilège de Désillusion assez convaincant. Il n'y avait personne dans les couloirs, le couvre-feu était passé et Hermione savait que Parkinson patrouillait ce soir, alors elle préférait couvrir ses traces. Elle descendit les escaliers jusqu'à atteindre le Hall plongé dans le noir, puis prit la porte qui menait à la cour de Poudlard et s'engouffra dans l'obscurité.
Elle ne retira le sort que quelques mètres avant d'arriver au banc. Elle crut apercevoir quelqu'un assis là, mais le brouillard d'hiver et le peu de lumières des fenêtres du Château l'empêchaient de voir correctement. Elle ne reconnut Drago qu'à la dernière minute, et se demanda, pour la centième fois depuis l'année précédente, s'il passait tout son temps libre ici ou s'il devinait qu'elle allait venir à chaque fois.
"Bonsoir, Granger." dit-il, clairement étonné de la voir.
"Hey." dit-elle en s'asseyant à sa gauche.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Hermione se tourna vers lui, ébahie :
"Comment peux-tu savoir qu'il s'est passé quelque chose ?"
Les cheveux de Drago étaient décoiffés par le vent, et des tout petits flocons de neige étaient accrochés à ses cils. Hermione se perdit dans la contemplation de son visage, analysant la manière dont ses sourcils s'arquèrent quand il lista sur ses doigts :
"Premièrement, tu n'as jamais dit "hey" une seule fois depuis qu'on se connaît. Deuxièmement, tu as l'air triste, et troisièmement, il est presque 22h et tu es ici."
Hermione se blottit contre le dossier du banc pour tenter de se réchauffer en essayant d'ignorer la sensation agréable que Drago la connaisse si bien pour deviner ce qu'elle traversait en une seconde.
"Je te ferai dire que je viens tout le temps ici, et bien après le couvre-feu." pointa-t-elle.
Drago eut un sourire :
"C'est vrai." Puis, il ajouta à voix basse : "Ma petite criminelle."
Hermione leva les yeux au ciel pour dissimuler le fait qu'elle rougissait.
"Sérieusement, Hermione, qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Elle se tourna vers lui et ses yeux, d'un bleu transperçant, la regardait avec la même lueur d'inquiétude que Ron avec Harry quelques minutes plus tôt. Elle soupira :
"C'est Harry." admit-elle.
Elle vit Drago se tendre à côté d'elle, mais fut surprise de ne pas entendre de commentaire acerbe de sa part. Il prit une grande inspiration et demanda après plusieurs secondes :
"Qu'est-ce que Potter a fait ?"
"Tu te souviens quand j'ai dit que Vol… Tu-Sais-Qui pouvait rentrer dans sa tête ?" demanda-t-elle, se rappelant à la dernière seconde à quel point il avait eu peur quand elle avait osé prononcer son nom.
"Difficile à oublier." maugréa Drago.
"J'ai cru comprendre que c'était arrivé aujourd'hui, parce qu'il avait l'air d'avoir mal. Je lui ai demandé si ça allait, mais il l'a… mal pris et m'a rembarrée."
"Comment ?" demanda Drago.
Hermione haussa les épaules sans le regarder pour éviter qu'il voit à quel point Harry l'avait blessée.
"Devant toute la Salle Commune." murmura-t-elle. "Ce n'était pas beau à voir."
Les secondes s'étirèrent et Drago ne dit rien. Il avait l'air de se retenir de toutes ses forces pour ne pas lâcher une méchanceté, ce qu'Hermione appréciait. Elle ne savait pas comment elle réagirait s'il se mettait à s'en prendre à lui.
"Et qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?" finit-il par demander.
"Ron s'est interposé entre nous deux." expliqua Hermione. "Et Fred et George. Harry est parti se coucher et Ron l'a suivi pour vérifier… pour voir si tout allait bien. Fred et George ont pris un thé avec moi, puis je suis venue ici."
Elle renifla et se frotta les paupières quand elle sentit des larmes involontaires monter. Elle écouta le bruit du vent contre les barrières magiques que Drago avait dressées autour du banc pour se distraire.
"Tu sais… et ne dis à personne que je t'ai dit ça, jamais." avertit Drago en se tournant vers elle, un doigt menaçant pointé sur elle. "Mais… Je crois que Potter et moi… nous nous ressemblons. Parfois. Souvent, même."
Hermione fut tellement choquée par cette confession qu'elle en oublia sa tristesse passagère. Elle le regarda avec de grands yeux et il s'empressa de continuer, probablement pour ne pas qu'elle puisse lui poser la centaine de questions qu'elle préparait déjà dans sa tête :
"Je pense qu'on a tous les deux du mal à admettre quand on a besoin d'aide. Il doit le considérer comme de la faiblesse, de la fragilité. Et quand tu lui demandes si ça va, il se braque, parce qu'il doit haïr le fait que tu puisses le lire aussi bien."
Drago regarda Hermione avec un demi-sourire aux lèvres :
"Tout comme moi."
"Pourtant, c'est normal." contredit Hermione. "C'est mon meilleur ami, je le connais par coeur."
"Il le sait." répondit Drago. "Il le sait que trop bien, c'est justement ça qui le gêne. Quand tu remarques qu'il ne va pas bien, ça veut dire que c'est visible, alors qu'il ne veut pas le montrer. Il veut garder cette vulnérabilité en lui pour que personne ne puisse comprendre son véritable ressenti."
"Mais je peux le voir." dit Hermione. "Tout comme avec toi."
Drago balaya l'une de ses mèches bouclées de ses cheveux qui était tombée devant ses yeux. "Oui. Et c'est probablement ce qui me rend le plus fou de toi."
Hermione sourit contre la paume froide de Drago contre sa joue.
"Je pensais que tu allais t'énerver en t'entendant ce qu'Harry a fait." confessa Hermione.
"Oh, crois-moi, j'ai envie de l'encastrer contre un mur pour t'avoir donné envie de pleurer." dit Drago d'un ton doux, en total contraste avec ses mots. "Mais je suppose que je ne peux pas vraiment m'énerver, étant donné que je t'ai donné bien plus de fois envie de pleurer que Potter."
Il grogna plus qu'il ne dit son nom et Hermione comprit qu'il était revenu à son état normal.
"Il est épuisé." dit-elle pour l'excuser. "Il est sous menace permanente, c'est normal qu'il réagisse ainsi de temps en temps."
"Tu es épuisée aussi, Hermione." asséna Drago en secouant la tête. "Je te l'ai déjà dit, Potter ne peut pas utiliser cette excuse bidon pour s'en prendre à toi, c'est égoïste. Tu es sous menace constante aussi, et pourtant, je ne t'entends jamais dire que tu as insulté Potter devant tout le monde dans la Salle Commune. Pas que ça m'embêterait, j'adorerais entendre ça, crois-moi. Peut-être même dans la Grande Salle, tant qu'on y est." ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
"Je ne ferais jamais ça." dit Hermione automatiquement.
"Exactement." dit Drago. "Tu vois ? C'est ça la différence entre Potter et toi, et entre nous deux : tu es trop empathique."
"On ne peut pas être trop empathique." corrigea-t-elle. "Vous ne l'êtes juste pas assez."
"Peut-être." dit Drago.
"Est-ce que tu t'énerves aussi, quand Pansy, Théo et Blaise te font remarquer que tu ne vas pas bien ?" questionna Hermione.
Drago soupira en posant sa nuque contre le dossier du banc, la tête inclinée vers le ciel.
"À chaque fois." souffla-t-il. "En général, je les envoie chier, mais ils sont tellement habitués qu'ils n'y font même plus attention. Ils savent que j'ai besoin d'un temps pour encaisser, ou pour faire disparaître ma mauvaise humeur, alors ils me laissent m'isoler. Par contre, ils sont toujours là quand j'ai besoin d'eux, après."
Hermione nota ce conseil dissimulé dans un coin de sa tête, parce qu'elle avait l'impression que c'était exactement ce dont Harry avait besoin : du temps pour s'isoler.
Ils restèrent silencieux quelques secondes, où Hermione put trier ses pensées. Soudain, Drago demanda :
"Quand tu dis que le Seigneur des Ténèbres entre dans sa tête… Est-ce que tu crois que c'est de l'Occlumancie ?"
Elle tourna la tête légèrement vers lui pour l'observer : il regardait toujours obstinément la façade du Château, le visage complètement fermé, comme si cette question ne le bouleversait pas, alors qu'Hermione savait à quel point il en était apeuré.
"Non." dit-elle sur le champ. "Non, ce n'est pas de l'Occlumancie. C'est à distance, alors que l'Occlumancie doit forcément passer par le contact visuel, et il ne peut rentrer dans sa tête que lorsqu'il est sur le point de s'endormir ou dans un profond sommeil."
Drago encaissa cette phrase sans répliquer. Hermione avait lu tellement de choses sur l'Occumancie pendant les vacances qu'elle en comprenait maintenant toutes les mécanismes magiques, bien qu'elle était toujours aussi incapable de méditer convenablement et de dompter son cerveau comme Drago l'avait fait. Elle avait écarté la possibilité que Voldemort puisse entrer dans la tête d'Harry par ce biais depuis des semaines.
"Et est-ce que tu penses que ça pourrait être…" commença Drago, hésitant, comme s'il avait peur qu'elle se moque d'elle en entendant sa théorie. "Je sais pas, de la Divination, ou quelque chose comme ça ?"
Hermione le scruta pour s'assurer qu'il n'était pas sérieux, mais ce n'était vraisemblablement pas une blague.
"Comment ça ?"
"Genre, un Troisième Oeil, ou… des visions. Tu sais, comme les Voyants." dit-il.
Hermione haussa les sourcils :
"Euh… non. Je ne pense pas, je ne crois pas en ces trucs-là."
Il n'y croyait pas non plus, si ? Il n'avait jamais défendu le sujet de la Divination de près ou de loin depuis tout ce temps passé ensemble, elle avait toujours cru qu'il était aussi sceptique qu'elle sur cette "science" douteuse.
"Pourquoi tu me demandes ça ?" interrogea Hermione sans pouvoir cacher complètement l'incrédulité dans sa question.
Il haussa vaguement les épaules :
"Juste… comme ça."
"C'est les trucs de Pansy qui t'ont monté à la tête ?" plaisanta Hermione.
Drago eut un petit sourire en coin :
"Oui, sûrement."
Comme à chaque fois qu'il y avait un silence entre les deux, Hermione voulut le combler par des questions, la première étant la raison de sa venue ici. Comment avait-il pu savoir qu'elle viendrait ? Était-il venu par hasard ? Ou venait-il souvent, seul, pour méditer peut-être ?
"Devine ce que j'ai réussi à faire aujourd'hui." dit-elle impulsivement, la première chose qui lui passa par la tête.
Drago se redressa pour la regarder, l'air moqueur :
"Sauver le monde des sorciers ? Tuer Ombrage en empoisonnant son thé trop sucré ?"
"C'est la même chose." répondit-elle avec un sourire.
"Pas faux." dit Drago avec un rire. "Alors, qu'est-ce que tu as réussi à faire aujourd'hui ?"
"J'ai fait mon premier Patronus."
Le rire de Drago s'évanouit brusquement et ses yeux bleus s'agrandirent considérablement :
"Quoi ?!"
"Mon premier vrai Patronus." dit-elle d'un ton triomphant.
"Mais, Granger, c'est, c'est… C'est l'une des magies les plus difficiles pour un sorcier !" s'exclama-t-il, choqué. "Qui t'a appris à le faire ?"
Hermione faillit répondre que c'était à l'A.D, avant de se souvenir qu'il n'était pas au courant de ses réunions hebdomadaires et rectifia à la dernière seconde :
"Harry."
Si c'était possible, Drago écarquilla les yeux encore plus fort, pratiquement penché sur elle de surprise :
"Pardon ? Potter est capable de produire un Patronus ?"
"Depuis la troisième année."
Hermione vit, indiscutablement, un éclair d'admiration passer sur le visage de Drago, mais il s'effaça aussitôt.
"Oh… wow. C'est… Un Patronus, vraiment ?"
"Vraiment." dit Hermione, qui se rendit compte que l'émerveillement de Drago était encore plus gratifiant qu'une salle entière d'applaudissements.
"Bravo, c'est… incroyable." dit-il, peinant manifestement à trouver ses mots. "Tu es définitivement trop douée, je ne pensais pas que tu pouvais encore m'impressionner."
"Je t'impressionne ?" demanda-t-elle.
Hermione mentirait si elle disait qu'elle détestait les compliments. En réalité, elle adorait ça, et particulièrement quand ils provenaient du garçon qui l'avait fait questionner ses aptitudes tant de fois par le passé. Elle se souvenait encore de ses mots d'une de ses lettres qui étaient gravés dans son esprit : "Tu irradies de magie."
"Tous les jours." admit-il. Il se passa une main dans les cheveux. "Putain, un Patronus… Et quelle forme prend-t-il ?"
"C'est une loutre." répondit-elle.
Drago eut un petit rire mais s'arrêta bien vite quand il comprit qu'elle ne mentait pas.
"Une… une loutre ?" répéta-t-il. "Les… les sortes de marmottes qui barbotent dans l'eau et se font des câlins ?"
"Oui, précisément." dit Hermione avec fermeté. "Et n'avise pas de te moquer de mon Patronus !"
"Non, non, je n'oserais pas…" dit-il, manifestement sur le point d'exploser de rire. "Hé, peut-être que celui de Londubat est une loutre aussi, comme ça vous pourrez vous tenir la main dans les marécages ?"
Il s'esclaffa et Hermione fronça les sourcils en entendant sa moquerie.
"Premièrement, les loutres sont des animaux d'eau douce, pas de marécages." corrigea-t-elle d'une voix austère, le genre que Drago appelait "la voix de McGonagall." "Et deuxièmement, à ta place, je ne rirais pas trop. Je te rappelle que ton Patronus peut prendre la forme d'une fouine terrifiée."
Drago ferma la bouche brusquement et la regarda d'un air ébahi.
"N'importe quoi." dit-il, pas tout à fait convaincu.
"Qu'est-ce que tu penses que ton Patronus sera, alors ?" demanda Hermione.
"Un dragon." répondit-il aussitôt, comme une évidence. Il roula presque des yeux en le disant.
Hermione imagina le Patronus de Drago, le genre de dragon qu'Harry avait affronté l'année précédente, les dragons menaçants aux écailles noires, brûlantes. Elle pouvait voir la symbolique, mais elle avait du mal à concilier cette image de créature féroce avec le garçon à côté d'elle, qui pouvait être la personne la plus douce qu'elle ait pu rencontrer, parfois. Il était fier, mais il était aussi méticuleux, intelligent, gentil…
"Et à quoi as-tu pensé ?" demanda Drago, perçant sa bulle de réflexions mentales.
"Hmm ?"
"Quand tu as produit ton Patronus." précisa-t-il.
Hermione sentit les rougeurs monter jusqu'à ses pommettes rien qu'en y repensant.
"Oh, euh… rien d'important."
"Ça m'étonnerait." dit Drago. "Il faut penser à son souvenir le plus cher pour produire ce genre de magie."
"J'ai pensé… à mes parents." inventa Hermione. "À la fête d'anniversaire de mes huit ans qu'ils ont organisé."
Les lèvres de Drago s'étirèrent dans un grand sourire et il s'approcha soudain d'elle, si près qu'elle pouvait sentir son souffle contre son cou. Aussitôt, elle eut la chair de poule et l'envie instinctive de faire disparaître l'espace entre leurs deux bouches.
"Tu n'as toujours pas appris à mentir, Granger." fit-il remarquer avec légèreté.
Hermione ne savait même plus de quoi ils parlaient : ses yeux étaient maintenant plongés dans ceux de Drago et elle ne sentait plus le bois du banc contre ses doigts.
"À quoi as-tu pensé ?" répéta-t-il.
Elle était transfixée par son sourire en coin.
"Tu le sais déjà." accusa-t-elle d'une toute petite voix.
"Oui." admit-il. "Mais je préfère t'entendre le dire."
Hermione essaya de lever les yeux au ciel, mais le résultat fut plutôt raté : elle rougissait bien trop pour prétexter être ennuyée par ses propos. La couleur de ses yeux était la même que la surface gelée du Lac Noir.
"Je pensais à toi." avoua-t-elle.
Elle eut à peine le temps de ressentir la honte qu'il se pencha vers elle pour l'embrasser, comme si elle avait débloqué un mot de passe en prononçant cette phrase. Elle répondit à son baiser avec un automatisme presque effrayant tant il était naturel : elle passa sa main contre sa nuque, à la racine de ses cheveux, et ouvrit la bouche pour l'accueillir. Drago sentait la menthe, sur ses vêtements, dans ses cheveux, sur sa peau et sur sa langue, et Hermione voulait mettre cette odeur en bouteille et la sentir à sa guise, parce qu'elle en était complètement accro.
Drago fit un petit bruit de satisfaction contre ses lèvres, comme un gémissement, et le son se répércuta sur chacune des cellules d'Hermione comme une traînée de poudre. Elle tira légèrement sur ses cheveux tandis qu'il passait sa main contre sa joue pour la tenir encore plus près de lui, son autre main perdue dans ses boucles. Parfois, il se détachait quelques secondes, et Hermione avait du mal à retenir le geignement qui s'échappait de ses lèvres en le sentant s'éloigner, mais il la stoppait toujours en l'embrassant de nouveau, encore plus fort, encore plus intensément. Dans le parc de Poudlard, le seul bruit aux alentours étaient le son de leurs lèvres qui s'entrechoquaient.
Hermione fut vite à court de souffle, mais elle n'arrêta pas le baiser, bien déterminée à profiter de chaque seconde, chaque contact. Elle savait qu'elle y repenserait, lors d'un cours ennuyant ou le soir avant de dormir, alors elle essaya de se souvenir avec précision des sons que Drago faisait, de la forme de ses lèvres, du goût mentholé sur sa langue, et quand il se détacha pour lui embrasser le cou, Hermione tenta de se rappeler des frissons qui lui parcouraient l'omoplate dès qu'il s'approchait, de la texture de ses cheveux quand sa main était plongée dedans, mais c'était impossible. Quand il l'embrassait, elle avait l'impression de subir un court-circuit à l'intérieur de sa tête, et pour la première fois de sa vie, elle n'arrivait plus à penser. Son corps remplaçait son cerveau et les sensations surpassaient ses pensées.
Il n'y avait plus qu'eux, sur ce banc, serrés l'un contre l'autre, au milieu de la neige.
Quand ils arrêtèrent de s'embrasser, après ce qu'il sembla des heures, les lèvres de Drago étaient gonflées et plus roses que d'habitude, et l'arrière de ses cheveux était décoiffé par les assauts des doigts d'Hermione. Non pas qu'elle pouvait critiquer son apparence : elle était pantelante, ses propres cheveux étaient dans un état catastrophique, et elle devait probablement être rouge pivoine.
"Montre-moi." souffla-t-il, les yeux brillants.
Elle comprit à quoi il faisait allusion et sortit sa baguette. Elle n'eut pas besoin de réfléchir longtemps pour trouver un souvenir heureux : elle repensa simplement à ce qu'il venait de se passer, et prononça le sort à voix basse. Sa baguette vibra contre sa paume et des filaments argentés sortirent, s'entrelacèrent, et formèrent en quelques secondes seulement une petite loutre, sur le dos, qui flottait dans l'air entre les deux.
Hermione préféra observer Drago. Il était subjugué par le sort, la bouche légèrement entrouverte. Hermione pouvait voir le reflet argenté du Patronus dans ses yeux bleus, comme un mirage, et elle était encore plus fascinée par cette vision que par sa magie.
"Wow." murmura-t-il. "C'est… Putain, c'est magnifique."
Sa loutre regardait successivement Drago et Hermione un par un de ses gros yeux noirs. Ses pattes étaient recroquevillées contre son estomac et ses moustaches frémissaient, comme Pattenrond lorsqu'il flairait l'herbe du Terrier.
Et Hermione comprit ce que Drago voulait dire. Parce que ce n'était pas simplement une loutre. C'était un sort qui avait tiré sa force dans ses souvenirs, c'était la magie de son amour pour lui, et c'était sûrement la plus belle magie qu'elle ait pu voir de toute sa vie.
.
.
"Je crois que j'ai trouvé quelque chose."
Hermione releva la tête de "Connexions magicales" et vit Théo s'approcher de la table de la Bibliothèque qu'elle occupait, et déposer un volume épais juste devant elle. Elle lut le titre, "Secrets du coeur", mais n'eut pas le temps de lui demander pourquoi diable Théo lui présentait une romance au beau milieu d'un jeudi soir avant qu'il ne débite :
"J'ai emprunté ce livre hier, et j'ai trouvé un paragraphe qui pourrait t'intéresser, c'est sur la fréquence cardiaque, je crois qu'à partir de ça, on peut trouver un moyen de lier ta baguette au cœur de Potter."
Il ouvrit le livre et feuilleta rapidement les pages jusqu'à la page 814, puis lui montra du doigt le paragraphe en question :
"En 1111, Cordélia Animus inventa le premier sortilège capable de déchiffrer la fréquence cardiaque d'un sorcier instantanément, Pulsatio Reprehendo. C'est également le premier sort de diagnostic médical, qui s'est révélé très utile et qui s'est perfectionné au fil des années : Les Médicomages en sont, toujours de nos jours, très reconnaissants."
Une photo mouvante d'une femme était encadrée en-dessous, d'une sorcière avec des cheveux courts et gris qui dépassaient de son chapeau violet, et qui souriait à la caméra. Elle lui faisait penser vaguement penser au Professeure Chourave. Hermione poussa une petite exclamation quand elle réalisa où elle avait déjà vu cette femme :
"Je la connais ! Il y a son portrait dans les escaliers de Ste Mangouste !"
"Probablement, c'est l'une des premières guérisseuses du monde des sorciers." approuva Théo. Il s'assit précipitamment sur la chaise la plus proche et tira le livre vers lui pour relire le passage. "Si on est capable de lancer ce sort, on pourrait le permuter sur ta baguette pour qu'elle le capte en permanence, avec une sorte de système pour que tu puisses le sentir au moindre changement."
"Comme un Peacemaker ?" demanda Hermione.
Théo fronça ses sourcils sous ses cheveux bouclés :
"Un quoi ?"
"C'est un appareil moldu qui remplace le cœur lorsqu'il ne fonctionne plus." expliqua-t-elle grossièrement.
"Merlin, ces Moldus sont ingénieux." souffla-t-il, impressionné. "Alors, oui, j'imagine que ça serait le même principe."
"Tu n'as qu'à essayer le sort sur moi." proposa Hermione. "Comme ça, si tu y arrives, on pourra essayer de le transférer sur ma baguette ?"
Théo fit les gros yeux et secoua automatiquement la tête :
"Non, hors de question."
"Quoi ?" s'étonna Hermione, surprise par la fermeté de sa réponse. "Pourquoi donc ?"
"Tu es une fille." expliqua-t-il, plus sérieux que jamais. "Et c'est extrêmement impoli de lancer un sort sur une fille, surtout un sort qu'on ne connaît pas."
Hermione arqua un sourcil. Elle repensa à Ron, qui avait lancé un sortilège de Chatouillis à sa sœur pas plus tard que le matin même parce qu'elle lui avait fait remarquer qu'il avait une moustache de chocolat au-dessus de la lèvre. Peut-être que c'était une règle appliquée qu'aux Serpentards, Drago lui avait dit que Blaise se comportait toujours comme un gentleman avec les filles.
"Tu n'as qu'à me le lancer, toi." dit Théo en faisant mine d'ouvrir sa cape pour lui laisser l'accès à son torse. "Arrêtons de prétendre que tu n'es pas plus douée que moi en Sortilèges."
"C'est faux, je te ferais dire que je suis toujours incapable de lancer le charme du Dôme et que tu arrivais déjà à le faire avant les réunions de l'A.D..."
"Oui, oui." coupa-t-il en levant les yeux au ciel. "Allez, diagnostique-moi."
Hermione faillit riposter de nouveau, mais en voyant l'air déterminé de Théo, elle comprit qu'elle ne pourrait pas le faire céder. Elle prit donc sa baguette et une grande inspiration. Elle visa la poitrine de Théo avec incertitude, de peur de ne pas réussir, ou pire, de lui faire mal en le faisant.
"Pulsatio Reprehendo." prononça-t-elle le plus clairement possible.
Elle s'attendait à voir un tableau de diagnostic comme ceux que Madame Pomfresh analysait souvent, mais rien n'apparut. Théo et Hermione échangèrent un regard déçu.
Et soudain, Hermione le sentit.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?" demanda Théo en voyant son choc.
"Ma baguette !" s'exclama-t-elle, oubliant un instant l'endroit où ils se trouvaient. "Elle… tressaute ! Je sens ton coeur contre ma paume !"
Théo se pencha tout de suite en avant pour prendre le bout de sa baguette entre ses doigts. Chaque seconde, elle pulsait doucement, comme si le cœur de Théo était à l'intérieur.
"Oh, Merlin." dit-il, les yeux rivés sur la baguette. "C'est un sort incroyable..."
Hermione approuva d'un signe de tête, trop subjuguée pour parler. Les pulsations s'estompèrent de plus en plus, puis s'arrêtèrent complètement. Théo ne lâcha pas sa baguette pour autant et la regarda droit dans les yeux, et Hermione pouvait presque voir ses idées défiler dans ses prunelles :
"Il faudrait trouver un moyen de le rendre permanent." annonça-t-il. "Et l'atténuer de sorte à ce que tu ne sentes que lorsque Potter a une fréquence cardiaque élevée."
"Mais ça n'existe pas." fit remarquer Hermione à voix basse. "J'ai épluché tous les livres de la Bibliothèque, et ce genre de sort n'existe pas, les sortilèges de diagnostic ne durent jamais, et ne fonctionnent qu'en proximité de la personne visée."
"Exactement." dit Théo, dont cette nouvelle ne semblait pas le décourager pour autant. "C'est pour ça qu'il faudrait le créer."
"Hermione ?"
La concernée sursauta. Ron se tenait à côté de la table, en tenue de Quidditch trempée, son sac de rechange sur l'épaule. Il l'avait appelée mais il ne la regardait pas : son regard était fixé sur Théo, en face d'elle, et Hermione fut déboussolée d'y voir autant de haine. Théo lâcha aussitôt la baguette d'Hermione et se rassit sur sa chaise : dans leur euphorie, ils n'avaient pas remarqué qu'ils s'étaient approchés l'un de l'autre, pratiquement à plat ventre sur la table.
"Ron ? Qu'est-ce que tu fais là ?" bredouilla-t-elle, prise au dépourvu.
Ron décala son regard mauvais de Théo à elle. Hermione ne l'avait jamais vu aussi furieux.
"À ton avis ?" maugréa-t-il. "Je suis venu te chercher."
Hermione se retint de lui faire remarquer qu'il n'était pas venu la chercher à la Bibliothèque depuis plus d'un an.
"Bonsoir Weasley." lança Théo, presque joyeusement.
Ron l'ignora.
"Allez, viens." grogna-t-il à l'attention d'Hermione. "On y va."
Son ton hérissa les poils des bras d'Hermione de colère. Pour qui se prenait-il ? Il ne lui parlait jamais de la sorte. Théo, imperturbable, se leva de sa chaise et tendit la main vers Ron :
"Je suis Théo." se présenta-t-il. "Désolé, c'est de ma faute si je l'ai retenue, Hermione est sûrement trop polie pour me dire de me taire."
Il eut un petit rire mais Ron ne le partagea pas. Il baissa les yeux vers la main tendue de Théo et sa bouche se tordit d'aigreur.
"Je sais qui tu es." cracha-t-il. "Et je ne veux certainement pas serrer la main d'un Mangemort. Viens Mione, on s'en va."
Hermione hoqueta de surprise. Théo accusa le coup.
"Du calme, Weasley." dit-il, sans perdre son ton cordial. "Je t'assure que je suis le Mangemort de personne."
"Ah ouais ?" Les yeux de Ron lançaient des éclairs quand il contempla Théo comme si c'était un vulgaire déchet sur sa route. "En tout cas, ton papa adoré en est un, et il a essayé de tuer mon meilleur ami en juin, alors permets-moi d'en douter."
"Ron !" cria Hermione.
Elle se leva d'un bond. La main de Théo retomba mollement contre son flanc. Tout le sang de son visage s'était drainé d'un coup, il était tout pâle, frappé d'horreur. Hermione, elle, sentait le rouge lui monter aux joues de protestation.
"Comment oses-tu ?" murmura-t-elle, stupéfaite d'entendre son meilleur ami, le garçon le plus doux et honnête qu'elle connaissait, s'exprimer de la sorte.
Ron tourna vers elle un air féroce qu'elle n'avait jamais vu sur ses traits.
"J'ai pas raison ? Harry nous a raconté la même chose, non ?"
"Je te l'ai déjà dit, Théo n'est pas comme son père." assura Hermione. "C'est mon ami."
Si c'était possible, le visage de Ron s'assombrit davantage. Il remit son sac sur son épaule et la jaugea de haut en bas :
"Je vois que tu as choisi ton camp."
"Il n'y a pas de camp !" s'écria-t-elle. Elle risqua un regard vers Théo qui n'avait pas bougé depuis la bombe de Ron. "Théo n'est pas son père, tu ne connais rien de lui !"
"J'en sais assez." dit Ron. "Maintenant, viens. On s'en va."
Hermione vit rouge en entendant sa requête. Elle croisa ses bras sur sa poitrine et sentit sa magie s'échauffer dans ses veines, prête à jaillir de fureur :
"Je ne vais nulle part avec toi, Ronald Weasley." déclara-t-elle sèchement.
Ron eut un rire jaune.
"Tu plaisantes ? Tu es sérieusement en train de me dire que tu vas rester avec ce… ce… ce mec ? Tu ne le connais même pas !"
"Mr. Weasley !" résonna la voix stridente de Madame Pince, qui était derrière son bureau. Elle fixait Ron par-dessus ses lunettes d'un air courroucé. "Je vous rappelle que vous êtes dans une Bibliothèque, et qu'il est interdit d'élever la voix ici !"
Ron ne lui accorda pas le moindre regard, trop concentré sur Hermione. Etait-ce son imagination, ou entrevoyait-elle du dégoût ? Avant qu'elle ne puisse l'analyser, il tourna les talons et quitta la Bibliothèque.
Théo avait perdu toutes ses couleurs et fixait l'endroit où Ron se tenait quelques secondes plus tôt. Elle s'approcha de lui pour lui effleurer affectueusement le bras, il tressaillit au contact mais ne l'arrêta pas.
"Théo, je suis… je suis tellement désolée." murmura-t-elle, parce qu'elle était incapable de trouver quelque chose à dire qui pourrait lui remonter le moral.
Il hocha distraitement la tête. Ses lèvres étaient blanches, et il paraissait avoir du mal à rester debout. Hermione était sûre que si sa baguette captait encore son rythme cardiaque, il aurait loupé un battement ou deux.
"Il… il ne sait pas ce qu'il dit. Il voulait me blesser et il t'a utilisé pour le faire, parce qu'il sait que nous sommes amis et il ne l'accepte pas. Je suis désolée qu'il ait utilisé ton… ta famille pour te dénigrer."
"J'imagine qu'il ne m'aime pas beaucoup." dit Théo doucement.
Sa tentative de plaisanterie aurait pu marcher si sa voix n'avait pas tremblée.
"Assieds-toi, Théo." dit Hermione en le guidant gentiment.
Il se laissa faire et retomba pratiquement sur sa chaise. Son regard était éteint, c'était très déconcertant.
"Ça va, ça va." chuchota-t-il avec un pâle sourire. "Juste un peu secoué."
"Je suis désolée." répéta Hermione. "Ron n'est pas méchant, du moins, jamais autant, il a juste… un manque crucial de tact, et d'empathie, et il doit être épuisé, ce qui est loin d'être une excuse, bien sûr, ce… ce n'était pas contre toi."
"Pourquoi ?" Il leva la tête pour la fixer. "Il a raison. Mon père est un Mangemort, c'est un fait."
Hermione eut un frisson le long du dos en entendant cette phrase. D'une certaine manière, l'entendre dire de la part de Théo en personne était encore plus glaçant.
"Oui, il l'est." dit-elle d'une petite voix. "Mais tu ne l'es pas. Je le sais, Théo, tu n'es pas comme ça, Dra… tu me l'a dit, et tu me l'a montré." se rattrapa-t-elle maladroitement. "Ron est juste trop aveuglé par la haine pour le voir. Il ne te connaît pas, il… il croit des préjugés sur les Serpentards qui sont faux."
Théo hocha de nouveau la tête, et même si Hermione continuait de lui frotter le bras pour essayer de le ressaisir, elle avait l'impression que le garçon en face d'elle était parti loin, très loin d'elle, dans des souvenirs douloureux qu'il aurait sûrement préféré oublier. Elle haïssait Ron à cet instant, pour avoir effacé le sourire de ce garçon qui ne le méritait pas.
Après plusieurs secondes, il sembla se souvenir de la présence d'Hermione à côté de lui. Il se redressa et toussota :
"Désolé, Hermione, je n'avais pas réalisé que ma présence ici était un problème…"
"Ta présence n'a jamais été un problème, c'est Ron qui est en tort." affirma-t-elle aussitôt. "Tu n'as rien fait de mal, et je ne vais certainement pas me priver de ton amitié pour lui faire plaisir à lui."
Théo parut à la fois surpris et soulagé de cette réponse. Madame Pince se leva pour fermer les fenêtres et éteindre les bougies sur les tables encore allumées.
"On se voit demain ?" demanda Hermione, sans même prendre la peine de cacher l'espoir dans sa voix.
Théo hocha tout de suite la tête :
"Oui, bien sûr, je serai là."
Hermione ramassa le livre que Théo avait apporté et le mit dans son sac, puis alla reposer les autres sur les différentes étagères de la Bibliothèque. Elle ressentait une sensation désagréable à l'estomac, qui s'accentua quand elle vit à quel point Théo avait l'air brisé. Ils sortirent ensemble de la Bibliothèque et marchèrent en silence jusqu'aux escaliers, que Théo devait descendre et Hermione monter.
"Je suis désolée." répéta-t-elle pour la troisième fois. "Il n'avait aucun droit de te blesser de la sorte..."
Théo agita une main dans les airs pour la couper :
"Ne sois pas trop dure avec lui. Il avait besoin de se déchaîner et je suppose que m'attaquer lui semblait le plus judicieux. Et… je crois qu'il n'a pas trop apprécié te voir en ma compagnie. Serpentard ou pas."
Hermione fut tentée de le corriger, mais il avait raison, alors elle ne dit rien et le regarda s'éloigner.
"À demain, Hermione." lança-t-il par dessus son épaule.
Plusieurs élèves qui passaient dans le Hall observèrent l'échange sans comprendre, mais Hermione les ignora, et monta les escaliers.
Elle chargea dans la Salle Commune plus qu'elle n'entra.
"Ronald Weasley !" hurla-t-elle.
Il était devant le feu en train de se réchauffer, la mine toujours aussi renfermée. Il portait encore ses affaires de Quidditch et paraissait un peu moins renfrogné qu'avant. Hermione, elle, sentait la colère bouillir en elle. Heureusement, ni Harry, ni Ginny ou les jumeaux n'étaient là pour assister à la scène qui était sur le point de se dérouler.
"De quel droit te permets-tu de lui parler comme ça ?" explosa-t-elle en s'approchant de lui en quelques enjambées. "Il ne t'a rien fait !"
"Lui non, mais son père si !" protesta-t-il, comme s'il avait attendu avec impatience le moment où elle allait revenir pour se remettre à crier. "Il était là, Hermione, dans le cimetière ! Il a acclamé Tu-Sais-Qui quand il est revenu, il a souri quand il a tué Cédric, il a ri avec les autres quand Harry se tordait de douleur !"
Hermione frissonna en entendant ça, mais au lieu de l'atténuer, sa colère redoubla encore :
"Je sais qui est son père !" hurla-t-elle. "Et je peux te dire que son fils est son opposé ! Il est gentil, et sensible, et bienveillant, et il n'a strictement rien fait pour mériter d'entendre une telle chose ! Comment peux-tu lui dire ça, alors que tu ne sais rien de lui ?"
Elle connaissait suffisamment Ron pour savoir qu'il n'avait plus d'argument. Il jetait des coups d'oeil à sa baguette qu'elle tenait dans sa main droite avec appréhension, sûrement effrayé qu'elle lui lance un sort et franchement, il n'était pas loin de la vérité : Hermione sentait presque sa magie la supplier de se libérer pour extérioriser la rage qu'elle ressentait à cet instant.
"C'est un Serpentard." souffla-t-il sans la regarder.
"Tu devrais être bien placé pour savoir qu'on ne peut pas juger quelqu'un en fonction de sa famille." dit Hermione. Les oreilles de Ron devinrent rouge vif. "Regarde Sirius. Ou Lupin. Tout porte à croire qu'ils sont des monstres, mais ce ne sont que des préjugés ! Et toi, tu tombes dedans, juste parce qu'il est dans la Maison opposée !"
"Justement, si elle est opposée, c'est pour une raison !" cria Ron. Plusieurs Gryffondors s'éloignèrent de la cheminée en l'entendant s'emporter. "Tu veux fraterniser avec tout le monde sans te rendre compte de ce qu'ils sont vraiment !"
"Mon Dieu, Ron, tu disais la même chose pour Viktor !" cria Hermione.
"Non, c'était différent !" répondit-il avec véhémence.
"En quoi ?!"
"TU SAIS POURQUOI !"
Ron baissa les yeux pour éviter de la regarder et Hermione ne sut quoi répondre à ça. Elle savait, oui, elle savait pertinemment pourquoi, mais elle n'était pas prête à l'entendre prononcer ces mots, parce que son cœur appartenait à quelqu'un d'autre et que si Ron l'apprenait, il ne lui parlerait plus jamais, et elle ne pouvait pas imaginer un tel scénario. Peut-être que c'était pour ça qu'elle était si révoltée par le traitement de Ron envers Théo. Parce que s'il était aussi haineux envers un garçon qui n'avait rien fait de mal, comment réagirait-il quand il saura qu'elle était tombée amoureuse de celui qui avait fait du mal partout sur son chemin ?
"Théo est mon ami." assura Hermione en baissant de quelques octaves. "C'est mon ami, et il restera mon ami aussi longtemps que je le souhaite, parce que je l'ai décidé. Je comprends que tu puisses avoir du mal à l'accepter, mais tu n'as pas ton mot à dire sur mes fréquentations, surtout quand tu ne leur a jamais adressé la parole. Et il a été parfaitement courtois avec toi ce soir, c'est toi qui a agi comme un rustre !"
Ron leva les yeux au ciel.
"C'est une ruse." dit-il. "Il te pourrit la tête, Mione."
Hermione aurait aimé décrire Théo dans son entièreté pour faire comprendre à Ron à quel point il était viscéralement bon, peut-être même trop bon pour ce monde sombre qui ne lui faisait pas de cadeaux, mais elle se contint pour ne pas lancer un sort par inadvertance tant la fureur continuait de brûler sous sa peau.
"Laisse-moi en juger par moi-même." lâcha-t-elle férocement. "Et arrête de lui cracher ce genre de bêtise à la figure. Prends deux secondes pour apprendre à le connaître, et tu verras qu'il n'a rien à voir avec le monstre qu'est son père."
"Qu'est-ce qu'il se passe, vous deux ?" demanda Ginny derrière eux.
Hermione ne l'avait pas vue entrer. Elle aussi portait son uniforme de Quidditch, mais elle avait dû se lancer un Sortilège de Séchage, parce qu'il était immaculé.
"Rien du tout." lâcha Ron avec mauvaise humeur. "Je vais me coucher."
Il monta les escaliers des dortoirs à pas lourds, et claqua la porte derrière lui.
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Plus tard, quand Hermione alla sur le banc, Drago était déjà assis là. Ses respirations hachées faisaient des petites vapeurs dans l'air glacé et son regard était d'un gris pétrifiant. Elle s'assit à côté de lui sans un mot, ses jambes déjà tremblantes de froid.
Ils contemplèrent la façade du Château dans un silence parfait.
"Tu sais que Théo m'a raconté ce qu'il s'est passé avec Weasley, et que je vais le tuer de mes propres mains, pas vrai ?" demanda-t-il d'une voix égale.
La centaine de soirées passées en sa compagnie l'aidait à percevoir la rage dans sa phrase, dans son regard, dans sa mâchoire contractée.
"Je sais." soupira-t-elle.
Il ne fut pas surpris qu'elle ne le contredise pas, ou qu'elle ne le supplie pas pour l'en empêcher. Il devait savoir qu'elle était autant en colère que lui.
"Weasley est un con." décréta-t-il sans détour. "Il s'attaque à la mauvaise personne."
"Je sais." dit Hermione d'une voix douce.
"Tu sais pourquoi il est énervé, non ?" demanda Drago. "C'est parce qu'il est jaloux. Il ne supporte pas l'idée que tu puisses être en compagnie d'un autre garçon, tu le sais. Il t'aime."
"Je sais." répéta Hermione tristement.
Drago ne fit pas de remarque et elle lui en fut reconnaissante. Quand elle tourna la tête vers la droite, il la regardait déjà. Elle pouvait presque voir le reflet de la lune dans ses prunelles.
"Alors, c'est vrai ?" demanda-t-il d'une toute petite voix étranglée. "Il était là, ce soir-là ? Le père de Théo ?"
Hermione était toujours autant déroutée par ses changements d'attitude si soudains. Une seconde il était le garçon menaçant et possessif, et l'autre, il était terrifié. Il se laissait être vulnérable de la sorte que très rarement, comme s'il ne voulait pas qu'elle puisse connaître sa faiblesse, alors qu'elle le trouvait simplement plus humain.
"Oui, c'est vrai." admit Hermione. "Harry me l'a dit."
Drago prit une inspiration qui parut douloureuse et se remit droit contre le banc.
"Putain." murmura-t-il. "Et… mon père ?"
Il attendit la réponse, bien qu'il la connaissait déjà : elle lui avait déjà dit dans ses lettres que son père avait été présent dans le cimetière.
Hermione s'arma de courage pour lui répondre le plus gentiment possible :
"Il était là aussi, oui."
Drago se passa une main dans les cheveux en regardant le ciel.
"Putain." répéta-t-il.
Pour une fois, elle ne le réprimanda pas sur son langage, et profita du silence du banc.
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Drago ne mit pas sa menace à exécution, Dieu merci. Il ne reparla pas de Ron pendant toute la semaine suivante, et Hermione se garda bien de faire le moindre commentaire sur lui au risque qu'il s'énerve de nouveau. Elle ne reparla pas non plus à Théo de ce qu'avait dit Ron ce soir-là, aussi bien pour ne pas l'embarrasser que parce qu'elle n'avait aucune idée de quoi lui dire. Si Drago était si furieux par le commentaire de Ron, ça voulait dire que Théo avait été blessé, et cette perspective lui donnait mal au cœur.
Elle passa donc toutes ses soirées à la Bibliothèque avec Drago, excepté le jeudi soir, où elle profita de son cours d'Occlumancie pour se rendre à une réunion de l'A.D. de dernière minute. Théo vint aussi, cette fois-ci dissimulé en Parvati. Hermione était de moins en moins stressée à l'idée de l'intégrer secrètement dans le groupe, et Théo aussi vraisemblablement, parce qu'il perfectionnait ses sortilèges de défense à vue d'œil.
Le samedi, Drago avait un entraînement de Quidditch, alors Hermione passa son après-midi en compagnie de Théo à essayer de créer un sort pour relier sa baguette au rythme cardiaque d'Harry. En théorie, le sort était facile : il s'agissait simplement de transférer les battements du cœur en continu sur un objet inanimé, et ils connaissaient tous les deux la formule grâce à leurs progressions dans le programme de Métamorphose et de Sortilèges.
En pratique, cependant, c'était bien plus compliqué d'inventer une formule magique que ce qu'ils avaient imaginé.
"Putain !" s'énerva Théo lorsque sa baguette lança une gerbe d'étincelles contre la table de la Bibliothèque au lieu du sort espéré.
Madame Pince, qui passait malheureusement par là, crispa son nez de colère, faisant remonter ses petites lunettes :
"Mr. Nott !" scanda-t-elle. Théo grimaça en entendant la voix criarde de la bibliothécaire prononcer son nom dans son dos. "Vingt points en moins pour Serpentard !"
"Désolé, Madame Pince." s'excusa Théo platement.
Elle s'éloigna et Théo reposa sa baguette sur la table avec un soupir.
"Pourquoi je n'y arrive pas ?" se lamenta-t-il. "J'ai pourtant tout respecté à la lettre !"
Hermione contempla le bâton qu'ils avaient récupéré dans le parc pour s'entraîner à transférer un rythme cardiaque dessus, qui, mis à part quelques impacts et brûlures, demeurait toujours aussi inerte.
"On le fait peut-être dans le mauvais sens." dit-elle en frottant ses paupières gonflées. "Il faut d'abord créer l'incantation, puis la lancer."
"Hmm." marmonna Théo, qui feuilletait "Créations de sortilèges en tous genres", possiblement le plus gros livre qu'Hermione ait pu voir de toute sa vie. "Ils disent ici que pour transférer l'essence d'un sort dans un objet, il faut d'abord découper son substrat et y joindre les formules de Métamorphose nécessaires pour modifier sa fonction."
"Ça veut dire quoi ?" demanda Hermione, qui sentait venir un mal de tête.
"Aucune idée." dit Théo.
Hermione soupira et posa ses coudes sur la table pour supporter sa tête trop lourde :
"Réfléchissons." proposa-t-elle. "Découper son substrat, c'est-à-dire découper les intentions du sortilège. Riddikulus, par exemple, est un mélange de Rictusempra et de Métamorphose concrète d'une forme abstraite à une autre, c'est ça ?"
"Oui, c'est ça." dit Théo avec un froncement de sourcil.
"Donc, si je découpe la formule du rythme cardiaque en y ajoutant les formules de Métamorphose nécessaires pour parvenir à le transférer à ma baguette, ça peut marcher, non ?"
Hermione sentit les frissons d'excitation familiers, ceux qui lui parcouraient les doigts quand elle était sur le point de trouver une solution. Théo écarquilla les yeux avec un sourire, et elle sut qu'il ressentait la même chose qu'elle.
"Oui !" s'exclama-t-il, surexcité. "Merlin, Hermione, tu as raison !"
"Mais… je ne sais pas comment faire ça." admit-elle.
Le sourire de Théo s'effondra brutalement.
"Moi non plus." dit-il. "Merde."
Il referma le livre et réfléchit en silence.
"Je peux peut-être demander à McGonagall."
"Tu penses ?" s'étonna Théo. "Elle ne se posera pas de questions sur ton usage d'un sort pareil ?"
"Non." répondit Hermione en secouant la tête. "Elle m'aime bien, elle me fait confiance."
"Demande lui lundi, après sa classe. Je resterai à traîner là pour entendre sa réponse." dit Théo, qui semblait déjà pressé de ce moment.
"Merci encore de m'aider, Théo." dit Hermione avec sincérité. "J'aurai été incapable de comprendre la moitié de ce livre si tu n'avais pas été là."
"Avec plaisir." répondit-il, tout souriant. "Ça fait du bien de s'éloigner un peu des révisions des BUSES et de faire quelque chose d'utile. J'ai l'impression d'utiliser enfin le savoir inutile que j'ai accumulé depuis toutes ces années."
"Comme le latin, par exemple ?" demanda Hermione en fixant la couverture de l'un des bouquins à côté de lui, "Formulae mathematicae faciendis magicae."
"Notamment, oui." dit-il. "Je n'aurais jamais pensé que mes cours de latin puissent me servir à quelque chose."
À cet instant, une silhouette apparut dans l'entrée de la Bibliothèque et Hermione n'eut pas besoin de tourner la tête pour comprendre qui c'était. Drago se tenait dans l'embrasure, fraîchement douché après son entraînement, son sac de cours dans les mains. Son regard s'arrêta sur Hermione, et sur Théo en face d'elle qui feuilletait le livre en latin, et ses yeux virèrent au gris en quelques secondes à peine. Il traversa la Bibliothèque d'un pas décidé et disparut derrière les grandes étagères.
Hermione reprit le manuel qu'elle lisait quelques secondes plus tôt sur les fréquences de sortilèges à découper, mais savoir que Drago était à quelques mètres d'elle, assis à leur table reculée, l'empêchait de se concentrer plus de trente secondes. Elle fut donc particulièrement soulagée quand Théo s'étira avec un bâillement :
"Je dois t'abandonner, Pansy prépare l'une de ses fêtes ce soir et je lui ai promis que je l'aiderai à organiser."
Il se leva et rassembla ses affaires.
"Amuse-toi bien." dit Hermione avec un sourire.
"Oh, je ne vais pas rester." assura Théo immédiatement, comme pour se justifier. "Je déteste ce genre de trucs."
"Oh, très bien." répondit-elle, décontenancée. "Alors… bonne préparation."
Il fourra tous ses cahiers dans son sac en bandoulière qu'il passa sur son épaule, puis marcha à reculons pour lui répondre :
"Merci ! Et n'oublie pas pour McGonagall ! Et si on ne se revoit pas d'ici là, bon dimanche !"
Il sortit de la Bibliothèque et Hermione s'empressa de déposer les livres là où elle les avait pris, de peur que si elle les emprunte, Madame Pince se pose des questions, prit ses affaires et sa tasse de thé froid et s'engouffra dans les étagères.
Drago avait déjà étalé ses affaires d'Histoire de la Magie et révisait. Il ne leva pas la tête quand elle s'approcha, pourtant, elle était sûre qu'il l'avait entendue.
"Bonsoir." dit-elle piteusement. "Désolée, j'étais avec…"
"Avec Théo." coupa-t-il, sèchement. "Ouais, j'ai vu ça."
"Tu es énervé ?" demanda-t-elle en prenant place face à lui.
Sa mâchoire était crispée, et ses yeux étaient un mélange parfait de gris et de bleu. Il posa son manuel, se pinça l'arête du nez et poussa un petit soupir.
"Non." dit-il finalement. Il la regarda et ébaucha même un sourire. "Non, je ne suis pas énervé. Tu as passé une bonne journée ?"
"Oui." glapit Hermione, déboussolée par son changement d'attitude brutal, comme d'habitude.
"Raconte-moi." demanda-t-il.
Elle réalisa qu'il avait besoin d'une distraction, alors Hermione lui fournit un résumé détaillé de sa matinée avec Neville, de son déjeuner avec Ginny où elles avaient passé une heure à analyser la manière dont Cho Chang avait tendance à la scruter lorsqu'elles mangeaient, puis son après-midi, vaguement, sans trop entrer dans les détails de sa séance de révisions avec Théo. Drago, plus calmé, lui raconta ensuite son entraînement de Quidditch, où il avait failli battre son record de vitesse de balai (Hermione en eut la nausée), et que Crabbe avait confondu le Vif d'Or avec un hibou qu'il avait pourchassé autour du Château avant de se faire retirer des points de Maison par Bibine.
Après cela, ils se mirent tous les deux à étudier en silence. Hermione avait une affection particulière pour ces moments-là, parce que réviser avec Drago était toujours différent de quand elle était seule. Premièrement, elle avait tout le loisir de lever la tête pour observer la manière dont sa mâchoire se tendait selon son degré de concentration, le seul élément de son visage qui s'animait quand il lisait. Elle avait l'impression de regarder les statues de marbre des musées où ses parents l'avaient emmenée petite. Deuxièmement, c'était la seule personne qui lui faisait accepter le silence. Elle l'accueillait même avec plaisir, dans cette bulle à la cannelle de concentration qu'ils avaient crée tous les deux.
"C'est quoi déjà, les dates de la guerre entre Ursule la Vaillante et Grimon le Grassouillet ?" demanda Drago après une longue demi-heure de travail, sans lever la tête de ses notes.
Hermione, qui était plongée dans ses fiches de révisions de Sortilèges, dû prendre plusieurs secondes pour se concentrer sur sa question.
"De 1411 à 1567." répondit-elle de tête.
"Aussi longtemps ?!" grommela-t-il. Il griffonna les dates sur un bout de parchemin. "Merlin, c'est pas humain de se faire la guerre aussi longtemps…"
"Précisément parce qu'ils ne sont pas humains." pointa-t-elle. "Ce sont des Géants."
"Je sais, Granger." répliqua Drago. "Je dis juste que ce n'est pas normal d'entretenir un conflit aussi longtemps. Et quand Merlin allons-nous changer de programme ? J'en peux plus des Guerres des Géants !"
"C'est vrai que c'est ennuyant." approuva Hermione.
Drago releva brusquement la tête :
"Quoi ?"
Hermione le regarda sans comprendre.
"Qu'est-ce que j'ai dit ?"
"C'est la première fois que je t'entends critiquer quelque chose du programme." dit-il. Il n'était pas railleur comme l'aurait pu être Ron, il était véritablement surpris. "Ça fait… bizarre."
Hermione roula des yeux :
"Je n'aime pas tout le programme. Il y a certaines choses que je trouve moins intéressantes que d'autres."
"Et qu'est-ce que tu voudrais étudier en Histoire de la Magie qui serait plus passionnant que les Guerres des Géants ?" demanda Drago avec l'ombre d'un sourire. "Laisse-moi deviner… les fées ?"
Hermione sentit ses joues picoter.
"Oui, pourquoi pas." répondit-elle distraitement, parce qu'elle ne pouvait pas vraiment lui dire que c'était exactement ce qu'elle espérait.
Drago retourna à ses révisions avec un sourire en coin amusé. Quelques minutes plus tard, il lui demanda :
"Et d'où vient cette Ursule, déjà ? De Roumanie, c'est ça ?"
"Estonie." corrigea Hermione. "Binns l'a dit au moins dix fois."
"Hmm. Et quel est le nom de la trève entre les deux ?"
Hermione observa le parchemin raturé de Drago et fronça les sourcils :
"Le traité de paix d'Ursumon. Et son alliée n'était pas Gertrude de la Gironde, mais Annabeth la Grande. Tu n'as pas pris de notes ou quoi ?"
Drago lui lança un regard irrité.
"Non." répondit-il. "Je… je me suis endormi."
Hermione dû se mordre la langue pour ne pas lui faire remarquer que c'était un comportement typique de Ron et sortit ses notes d'Histoire de la Magie à la place.
"N'importe quoi…" maugréa-t-elle en fouillant dans son sac. "S'endormir en cours… Pourquoi tu n'as pas demandé à Théo de te donner ses notes ?"
"Parce que c'est tellement plus agréable quand c'est toi." dit Drago avec un grand sourire sarcastique.
Hermione leva les yeux au ciel et ouvrit son cahier de notes. Elle fut aussitôt envahie par une montagne de parchemins numérotés.
"Voyons… Ursule la Vaillante… Ursule la Vaillante… 1411…" récita-t-elle à voix basse en essayant de trouver la bonne page.
Soudain, entre deux pages, un parchemin bien plus récent lui glissa entre les doigts. Elle tourna hâtivement les feuilles pour le cacher, en espérant de tout coeur que Drago n'ait pas remarqué.
"C'était quoi, ça ?" demanda-t-il.
Maudit soit Drago et sa capacité de lire à l'envers.
"Hm ? Rien." répondit Hermione, le plus désinvolte possible.
Mais c'était peine perdue. Elle pouvait déjà sentir la chaleur se propager dans son visage et sa jambe tressauter d'angoisse.
"Non, ce n'était pas rien." dit Drago d'un ton sec. "C'était quoi ?"
"Drago, c'était rien de…"
"Granger." appela-t-il, la stoppant net. "Pourquoi je viens de voir le nom "Viktor", écrit de ta main, sur une putain de lettre ?"
Le cœur d'Hermione sembla dégringoler violemment de sa poitrine et tomba jusqu'à son estomac.
"Ce… Ce n'est pas…"
"Ce n'est pas quoi ?" répéta-t-il, sa voix montant de plus en plus haut. "Ce n'est pas ce que je pense ? Ne me dis pas que tu as une correspondance avec lui ?"
Ses yeux étaient bleus comme de la glace.
Elle hocha la tête doucement et il prit une grande inspiration, les poings serrés.
"Depuis combien de temps ?"
"Depuis Juin." répondit-elle d'une toute petite voix.
La cage thoracique de Drago montait et descendait au rythme effréné de ses respirations. Il passa ses mains sur son visage et se frotta les yeux, comme dans l'espoir de se réveiller après un mauvais rêve. Hermione déglutit difficilement.
"Tu te fous de ma gueule ?" demanda-t-il, d'un ton aussi froid que ses pupilles. "Pourquoi tu ne me l'a jamais dit ?"
"Je ne sais pas, ce… Ce n'était pas important."
"Pas important ?" demanda Drago, dont la voix grondait presque dangereusement. "Tu parles avec un mec par lettres depuis Juin et tu n'as pas pensé me le dire ?"
Soudain, une réalisation le traversa et sa plume tomba sur son parchemin, projetant des centaines de petites gouttes d'encre noir sur le papier.
"Ne me dis pas que tu lui parlais par lettres quand on parlait par lettres cet été ?" questionna-t-il, à la fois apeuré et furieux.
"Ça n'a rien à voir, Drago…" dit Hermione, d'une voix qu'elle voulait assurée et rassurante, mais qui ressembla plutôt à un couinement désespéré. "Viktor est mon ami, et tu es…"
"Ton ami ?" coupa-t-il avec un rire mauvais. "Viktor Krum n'est pas ton ami, Granger ! C'est un joueur de Quidditch, connu dans le monde entier, qui a CINQ ANS de plus que toi et qui voulait simplement te BAISER…"
"Drago, arrête !" s'écria-t-elle avec horreur.
Elle prit sa baguette et lança un Sortilège de Silence autour d'eux : elle était sûre que toute la Bibliothèque venait d'entendre ses hurlements. Il était inarrêtable désormais, elle pouvait presque voir les veines pulser contre la peau de son cou. La colère montait en lui, et son visage concentré qu'elle avait observé pendant de longues minutes s'était transformé dans la grimace terrifiante qu'elle redoutait par-dessus tout.
"Comment tu peux faire ça ? Me faire ça ?!" cria-t-il, ses questions entrecoupées par de brèves inspirations qui ressemblaient presque à des sanglots.
"Drago, écoute-moi, ce n'est pas comparable, je ne lui ai jamais parlé comme je t'ai parlé à toi…" essaya Hermione, mais Drago était trop agité pour comprendre la moitié de ses paroles.
"Je m'en fous !" hurla-t-il. "Putain, Granger ! Je fais des efforts pour toi, pour nous, je mets toutes mes peurs de côté pour qu'on puisse être ensemble, et tu me fais ça ? Dans mon dos ?!"
"Je n'ai rien fait dans ton dos !"
"Bien sûr ! Et cette lettre, tu comptais me la montrer quand ?" cracha-t-il. "Cachée dans tes notes de cours ? Je suis sûr qu'il y en a toute une pile qui t'attend dans ta chambre !"
"Pas du tout !" répondit-elle.
Drago se leva tellement vite qu'il en fit tomber sa chaise en arrière, qui s'écroula par terre dans un bruit défenestrant.
"PUTAIN !" cria Drago pour couvrir ses mots. "Je n'ai rien dit pour ton connard de Danny, je ne dis rien pour Weasley, parce que c'est ton ami, et que je sais à quel point tu es proche de lui, et que je ne pourrais jamais te demander de couper les ponts avec lui, même s'il est CLAIREMENT amoureux de toi depuis des années et que tu fais l'aveugle depuis tout ce temps, mais Krum, ça non, putain !"
Hermione pleurait, maintenant, des larmes brûlantes qui ruisselaient sur ses joues.
"Arrête, Drago, calme-toi, s'il te plaît…"
"NON ! Je ne vais pas me calmer, putain ! Ne me dis pas de me calmer, pas maintenant !"
Il passa ses mains compulsivement dans ses cheveux et tira dessus. Il avait l'air de se retenir à grand peine de fondre en larmes.
"Viens, Drago, allons parler sur notre banc…" chuchota-t-elle, le plus calmement possible.
Elle se leva et approcha sa main précautionneusement vers lui, mais à l'instant où elle toucha son bras, il se dégagea brusquement, tout comme Harry quelques jours plus tôt. Le geste la cloua sur place. Quand il la regarda, son regard était d'un gris glacial, son visage complètement fermé. Il Occludait.
"Tu l'as embrassé ?" demanda-t-il.
Hermione sentit les rougeurs s'étendre sur sa peau jusqu'à la racine de ses cheveux. Pas maintenant, pas maintenant, pas maintenant…
"Drago…"
"Réponds à la question." ordonna-t-il.
"Ça n'a rien à voir, notre correspondance n'a aucune…"
"RÉPONDS À LA QUESTION, GRANGER."
Hermione se tut et le supplia du regard. Elle ne pouvait pas répondre, elle en était incapable. Il ne pouvait pas lui faire révéler ça à ce moment-là, quand il la regardait avec autant de rancœur.
"Drago…"
"Oui, ou non, Granger." siffla-t-il. "Est-ce que tu as embrassé Viktor Krum ?"
Incapable de formuler la réponse à voix haute, elle opta pour un hochement de tête, les yeux rivés sur le parquet pour ne pas se confronter à la colère qu'allait lui inspirer cette confession.
Un spasme violent parcourut le corps de Drago et il dut s'appuyer contre la table.
"Je ne peux pas… je ne peux pas rester là."
Il s'éloigna de quelques pas.
"Drago, attends !" implora-t-elle.
Tout son corps protestait son départ, elle voulait qu'il reste et regarder ses yeux perdre leur gris métallique, elle voulait lui expliquer à quel point Krum ne valait rien comparé à lui, mais elle était tétanisée.
"Non, je ne peux pas, Granger." répéta-t-il. Il avait fermé les yeux et se massait les tempes comme s'il se retenait de ne pas hurler de nouveau. "Si je reste, je vais te balancer un tas de conneries méchantes pour me venger et tu vas me haïr, encore. Laisse-moi partir, s'il te plaît, avant que je pète un plomb."
Hermione se mordit la lèvre pour empêcher les larmes de couler, sans succès.
"Drago…"
"Non, Granger." dit-il fermement. "C'est toi qui as tout foutu en l'air, pas moi."
Et il s'enfuit de la Bibliothèque sans un regard en arrière, laissant une Hermione sous le choc à côté de la table.
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Drago
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Quand il entra dans la Salle Commune des Serpentards, il fut assailli par l'odeur rance de l'alcool fort, de la musique tonitruante, et la vue de dizaines de danseurs collés les uns contre les autres.
Exactement ce dont il avait besoin à cet instant.
Il s'assit sur le canapé, à côté de Blaise. Ce dernier le jaugea, et Drago eut l'impression qu'il pouvait compter les battements trop rapides de son cœur.
"Mauvaise journée ?" demanda-t-il, en réussissant à se faire entendre malgré le volume de la musique.
"Ouais." répondit Drago.
C'était un putain d'euphémisme. Drago était traversé par tellement d'émotions qu'il n'arrivait même plus à les identifier. Il ressentait l'envie fulgurante de frapper dans la table en granit devant lui et sentir ses phalanges se briser sous l'impact. Il mourrait d'envie de prendre une douche chaude et de sentir le sang chaud de Krum entre ses doigts et d'Occluder pour ne plus y penser.
"Tu veux goûter mon nouvel hydromel ?" proposa Blaise en lui tendant une bouteille dorée. "Goût miel citronné. Je l'ai fait importer de Russie ce ma…"
"T'as pas plus fort ?" coupa Drago.
Il voulait boire pour oublier l'image de Krum en train d'embrasser Granger. Sa Granger.
Blaise ne fit pas de commentaire et lui servit un verre de Whisky-Pur-Feu. Ils trinquèrent, Drago tilta sa tête en arrière et but l'intégralité du shot. Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'il avait bu, il sentit la brûlure dans son œsophage. Blaise, lui, resta de marbre.
"Hé, au fait, t'en sais plus sur le crush secret de Pansy ?" demanda Blaise, qui observait Pansy danser au milieu de ses copines, hilare.
"Non." grogna Drago, qui avait du mal à penser à Pansy quand son esprit était envahi d'images de Krum, le corps pressé contre celui d'Hermione…
Il se resservit un verre et en renversa la moitié sur la table tant ses mains tremblaient.
"Je me demande bien qui c'est." dit Blaise, les sourcils froncés.
Drago la chercha des yeux et réalisa qu'il n'avait probablement pas reçu le mémo sur le thème vestimentaire de la soirée, parce que tout le monde était vêtu de son uniforme plus ou moins découpé pour révéler des décolletés et des longues jambes. Blaise, lui, avait laissé ouvert sa chemise, son torse à peine caché par la cravate qui pendait de ses épaules.
Ce dernier intercepta son regard et expliqua :
"Soirée de protestation contre les restrictions d'Ombrage sur l'uniforme. Invention de Pansy."
Drago voulut rire mais le son fut coincé quelque part dans sa gorge serrée. Blaise prit son verre d'hydromel et s'adossa contre le dossier de son fauteuil pour observer la foule autour de lui. La musique changea et Drago attendit une minute entière avant de retrouver une respiration à peu près convenable.
"Dis…" commença-t-il, pas certain de savoir comment formuler sa question. "On a des nouvelles de Krum ?"
En entendant son nom, les yeux caramels de Blaise s'illuminèrent.
"Krum ? Non, pas vraiment. Il a repris quelques matchs amicaux en Bulgarie mais rien de bien intéressant. Pourquoi ?"
"Il n'est pas… retourné en Angleterre, depuis le Tournoi ?"
S'il voulait demander des informations sur Krum, il était sûr que Blaise était le mieux placé pour le savoir. Il avait une dizaine d'abonnements à des magazines de Quidditch et suivait son actualité avec encore plus d'assiduité que Pansy avec Rita Skeeter.
"Non." répondit-il d'office. "Non, rien d'officiel du moins. Je crois qu'il a été assez traumatisé par la mort de Diggory, il ne va pas revenir de sitôt."
Drago hocha la tête et but une nouvelle gorgée de whisky. Blaise se leva, probablement pour aller danser, ou aller proposer de faire goûter le nouvel hydromel aux jolies filles de la Salle Commune.
"Hé, où est Théo ?" demanda Drago, qui ne remarqua qu'à cet instant que la table d'étude qu'il occupait généralement pendant les fêtes était vide.
"Il est parti dîner après avoir aidé à tout préparer avec Pansy. Il ne devrait pas tarder." dit Blaise.
Il s'éloigna dans la foule et Drago se lança le défi personnel de terminer la bouteille de whisky avant son retour. Bien plus efficace que la méditation.
Il enchaîna les verres en rythme avec la musique. Très vite, ses images mentales devinrent floues, au point qu'il n'arrivait pratiquement plus à différencier les deux silhouettes. Drago continua de boire en continu, parce que la sensation écrasante contre ses tempes était une délicieuse distraction. Quand il eut terminé la bouteille de whisky, il en ouvrit une autre, un alcool brun qui piquait le nez.
"Qu'est-ce qui t'arrive ?"
Drago eut l'impression de mettre un temps fou à tourner la tête. Une personne était assise à côté de lui dans le canapé, mais il n'arrivait pas à focaliser sa vision pour la reconnaître. La pièce tournait autour de lui.
"Hein ?" marmonna-t-il.
"J'ai dit : Qu'est-ce qui t'arrive ?" répéta la voix, et Drago reconnut alors le timbre de Pansy et ses cheveux couleur encre.
"Krum." répondit-il, en crachant exagérément son nom.
Ses traits étaient déformés par l'alcool mais il reconnut son haussement de sourcil typique.
"Krum ? T'as un an de retard, non ?" demanda Pansy sarcastiquement.
Drago lâcha un mi-rire mi-grognement.
"Pas vraiment, non." maugréa-t-il.
Pansy jaugea son verre entamé et il fut persuadé qu'elle allait lui reprocher son ivresse, mais à la place, elle déclara :
"Je t'accompagne !"
Elle se servit un grand verre de cet alcool que Drago ne connaissait pas.
"Pans'..." bafouilla Drago de sa voix traînante que Granger détestait. "Je ne crois pas que ça soit une bonne idée…"
"Oh, lâche-moi !" s'exclama-t-elle. Elle pencha la tête en arrière, but la moitié du verre d'une traite, se redressa et s'essuya la bouche avec la manche de son uniforme déchiré, et Drago se demanda comment réagirait son père s'il la voyait faire ça. "Tu n'es pas le seul à avoir le droit de t'amuser, je te signale."
Elle lui fit un clin d'œil et trinqua avec lui. Il n'eut pas d'autre choix que de boire de nouveau, malgré le goût immonde.
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"Drago, nous t'attendions."
Un long couloir sombre avec des torches éteintes en face de lui. Drago pouvait sentir la sueur froide couler le long de sa nuque, ses doigts trembler contre sa baguette. Il marcha lentement, comme si chaque pas lui provoquait une douleur insupportable aux jambes. Il eut l'impression de mettre une heure avant d'arriver au bout du couloir. Il se retrouva face à deux grandes portes noires fermées.
"Drago !"
La voix de son père le fit sursauter, il était là, juste à côté de son oreille. Par pur réflexe, il se braqua, détestant la sensation de peur que lui infligeait son propre père encore maintenant.
"Drago, viens, Il t'attend !"
"Qui ?" demanda-t-il, mais Lucius ne l'avait pas entendu, il était déjà parti.
De toute manière, il n'avait pas besoin de réponse. Il savait pertinemment qui l'attendait derrière cette porte. Il tourna la poignée et entra.
Le Seigneur des Ténèbres était au centre de la pièce sombre, les mains sagement repliées devant lui, le visage recouvert par une capuche noire qui cachait le haut de son visage. Sa bouche était étirée dans un petit sourire qui donna un spasme incontrôlable à Drago.
"Drago. Enfin, nous nous rencontrons." murmura le Seigneur des Ténèbres, comme un sifflement qui pénétra dans sa tête comme une aiguille d'Occlumancie.
"Maître." salua Drago.
"Tu ressembles à ton père."
Drago fit semblant de ne pas être écoeuré par cette constatation.
"Merci, Maître." répondit-il.
Le Seigneur des Ténèbres s'approcha de lui et Drago se retint de toutes ses forces de ne pas montrer sa répugnance à l'idée de le sentir si près de lui sur son visage. Il l'inspecta sans rien dire, puis dit doucement :
"Je vois dans ta tête, Drago Malefoy."
Drago écarquilla les yeux sans le vouloir. Il n'Occludait pas. Il ne remarqua qu'à cet instant qu'il ressentait une douleur à la tête atroce, comme si son crâne avait été fendu en deux. Il hurla lorsqu'il sentit les intrusions du Seigneur des Ténèbres dans son esprit. Les images de Granger défilaient devant ses yeux à toute vitesse, et il avait beau puiser dans ses forces pour le repousser, la protéger, il en était incapable. Les tentatives d'expulsion de Drago ne représentaient pas le moindre obstacle à l'Occlumancie du Seigneur des Ténèbres, il était bien plus fort que lui.
"Comment oses-tu ?" siffla le Seigneur des Ténèbres, sa question emplie de dégoût. "Comment va réagir ta famille quand ils apprendront ça ? Un Malefoy, amoureux d'une Sang-de-Bourbe ? Ta pauvre mère… Crucio !"
Drago tomba par terre dans un hurlement de douleur.
Il se réveilla dans le noir et mit cinq bonnes minutes à comprendre où il était : dans son lit à baldaquins, au milieu du dortoir. Il ne se souvenait même pas de comment il avait fait pour aller de la Salle Commune à son lit. Il porta une main à son crâne et apprécia la froideur de sa paume contre son front brûlant. Sa bouche était sèche, et son estomac protestait déjà tout le whisky qu'il avait ingurgité ce soir. Quand il se redressa, il eut l'impression de recevoir un coup de marteau contre ses tempes.
Pansy n'était pas à côté de lui, ce qui l'étonna. D'habitude, quand elle était ivre, elle dormait toujours à côté de lui. Il tâtonna sa table de nuit pour trouver sa baguette sans la trouver. Il fouilla sous sa couette, dans ses poches, par terre, mais elle était introuvable. Avec un juron, il sortit de son lit avec difficulté et retourna dans la Salle Commune pour la retrouver.
Il n'y avait plus personne, la soirée avait l'air d'être terminée depuis longtemps. Quelques gobelets étaient jonchés sur le sol en pierre et la cheminée était éteinte.
Drago eut un petit sursaut quand il vit quelqu'un sur le fauteuil, de dos. Il faillit faire demi-tour pour éviter une conversation embarrassante avec un Serpentard, jusqu'à ce qu'il reconnaisse Blaise. Des volutes de fumée de cigarette s'enroulaient dans l'air au-dessus de son fauteuil et il était parfaitement immobile.
"Blaise ?" croissa Drago.
Le concerné se retourna et le scruta par-dessus le dossier.
"T'es dans un sale état."
Drago hocha la tête et s'assit dans le canapé habituel, à côté de lui. Il régnait, dans la Salle, un froid glacial, qui lui donna tout de suite la chair de poule. Blaise lui tendit sa cigarette entamée et Drago refusa, en grande partie parce que l'odeur lui donnait la nausée. Il fouilla dans les coussins du canapé dans l'espoir d'y retrouver sa baguette.
"Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?" demanda soudain Blaise.
Drago fronça les sourcils.
"De quoi tu parles ?"
Où était sa putain de baguette ?
"De ce soir." précisa Blaise. "Je t'ai pas vu boire comme ça depuis longtemps."
"J'sais pas." répondit-il.
Blaise haussa les sourcils mais n'insista pas. Drago finit par trouver sa baguette qui avait roulé sous le canapé et à l'instant où elle fut dans sa main, il fut assailli par une sensation de sécurité.
"C'est toi qui m'a emmené dans le dortoir ?" demanda Drago en se rasseyant.
"Ouais. Tu t'étais évanoui dans le canapé."
"Ah. Merci."
Blaise prit une longue taffe sur sa cigarette, qu'il recracha élégamment en inclinant la tête vers le plafond. Plusieurs gobelets traînaient sur la table basse, mais Drago était incapable de se souvenir duquel était le sien, alors il en prit au hasard, le nettoya, puis lança un Aguamenti à l'intérieur. L'eau fraîche lui fit un bien fou.
"Quelle heure est-il ?" demanda Drago.
"Bientôt 5h30 du matin." répondit Blaise.
"Pourquoi tu ne dors pas ?"
Blaise haussa les épaules nonchalamment. Soudain, Drago fut saisi par la peur :
"Tu en as eu une autre, c'est ça ?"
Comment avait-il pu rater ça ? Est-ce que Théo avait réussi à gérer tout seul ? Comment avait-il pu ne pas penser aux visions de Blaise en buvant comme un fou ?
"Non." répondit Blaise, et Drago relâcha un soupir de soulagement. "Pas… exactement."
"C'est-à-dire ?"
Blaise termina sa cigarette et l'écrasa contre le cendrier de Pansy, qui était couvert de morceaux de mégots brûlés.
"Je sens que les effets des potions s'affaiblissent." expliqua-t-il à voix basse. "Je pense que ma mère a raison, je m'habitue trop. Je sens qu'elles vont revenir."
Il eut un frisson et Drago fit semblant de ne pas le remarquer. C'était lui qui avait préparé les dernières doses de Blaise, et il était sûr de les avoir faites à la perfection. Il savait que l'usage de potions de sommeil pouvait créer une accoutumance, mais il aurait aimé que ça prenne plus de temps.
Il remarqua alors un thé fumant sur une petite table basse à côté de Blaise. Il était intact. Lavande, comme sa mère lui avait conseillé.
"Comment je peux faire ça ?" demanda Blaise dans un murmure, le regard perdu vers la cheminée. "Comment je peux m'endormir en sachant que je vais me faire brûler vif ?"
Drago aurait aimé lui fournir une parole rassurante, comme l'aurait fait Granger dans la seconde, à base de "je serai toujours là pour te sauver", ou de long discours larmoyant sur les liens de l'amitié qui surpassent toute la souffrance, mais il avait l'empathie d'une théière et il était bourré comme pas possible, alors il se tut.
Blaise reprit une cigarette et Drago était persuadé qu'il fumait pour ne pas avoir à boire le thé à côté de lui, et il ne pouvait pas le blâmer. Il savait que ce serait comme céder à sa mère, à ce pouvoir étrange et indéfinissable qui le terrifiait intérieurement.
"Et toi, pourquoi tu ne dors pas ?"
Drago mit plusieurs secondes à répondre. Pour n'importe qui, il aurait inventé quelque chose, mais pour Blaise, il opta pour la vérité :
"J'ai fait un cauchemar."
Blaise ne rêvetit aucune expression faciale qui aurait pu indiquer qu'il était inquiet, au grand soulagement de Drago qui n'aurait pas supporté un air de pitié de sa part.
"De quoi ?" demanda Blaise.
"De Lui."
Rien que de prononcer le pronom lui donna un nouveau spasme. Il évitait le regard de Blaise, qui continuait de fumer tranquillement, comme s'ils parlaient du temps hivernal et pas du plus grand mage noir de tous les temps.
"On est bousillés, pas vrai ?" demanda Blaise rhétoriquement, après plusieurs secondes de silence.
Drago ne put qu'approuver. Bousillés, abîmés, cassés, détruits.
"Ne sois pas trop dur avec toi-même." conseilla son meilleur ami. "Ne te mets pas la barre trop haute. Profite de ce qui te fait plaisir, tant que tu le peux."
Il pensa à la seule chose qui lui faisait vraiment plaisir dans sa vie, Granger, et fut aussitôt pris d'assaut par l'image de Krum qui l'embrasse dans sa robe bleue du Bal de Noël.
"Et si ça me fait autant plaisir que de mal ?" questionna-t-il à voix haute.
Blaise fronça légèrement les sourcils en considérant sa question.
"C'est qu'elle en vaut la peine." répondit-il à demi-mots.
C'était une conversation bien trop profonde et philosophique pour que Drago puisse la comprendre dans son intégralité. Il avait toujours mal à la tête et l'odeur d'alcool qui embaumait la salle lui donnait envie de vomir. Blaise termina sa cigarette, et avant qu'il ne puisse en reprendre une autre du paquet de Pansy posé là, Drago lui demanda :
"Je peux te prendre un thé ?"
Blaise regarda la tasse à sa gauche comme s'il venait seulement de se rappeler qu'elle était là.
"Pourquoi ?" interrogea-t-il suspicieusement.
"Bah, si ta mère dit vrai, ce truc est censé calmer les visions." dit Drago. "Peut-être que ça peut faire disparaître mes cauchemars aussi."
Blaise l'observa quelques secondes, comme pour essayer de deviner ses intentions, et prépara une seconde tasse silencieusement. Quand il lui donna, l'odeur de la lavande réussit à calmer les nausées de Drago instantanément, mais au lieu de la porter à sa bouche, il tendit sa tasse vers Blaise pour trinquer, comme leurs whiskys quelques heures plus tôt. Blaise le fit avec réticence, et fut contraint d'imiter Drago lorsqu'il but une gorgée.
"Dégueulasse." commenta-t-il en plissant le nez.
"Ouais." dit Drago, bien qu'il trouvait que c'était un des meilleurs thés qu'il ait bu de sa vie.
Drago le termina jusqu'à la dernière goutte, et fut surpris de retrouver la même sérénité qu'après avoir médité. Blaise fixait le fond de la tasse comme si ça pouvait lui donner des réponses sur ses visions étranges, et peut-être que c'était le cas, si on écoutait les bêtises que prononçait cette fraude de Trelawney à longueur de journée.
"Regarde-nous." dit Blaise avec un petit rire. "Deux connards, à cinq heures du mat', en train de boire un thé à la lavande."
Drago rit avec lui. Il était pourtant sûr de voir de la reconnaissance dans les yeux caramel de Blaise.
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Hermione
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Hermione était en train de contempler la neige tomber délicatement sur l'herbe du parc depuis la fenêtre de la Bibliothèque, ses notes de cours abandonnées sur la table. Si elle penchait suffisamment la tête en arrière, elle pouvait apercevoir le banc, leur banc, et aussitôt, la voix de Drago tonnait dans un coin de sa tête : "C'est toi qui as tout foutu en l'air, pas moi."
Hermione avait connu beaucoup de déceptions concernant Drago Malefoy. Elle avait été déçue, en première année, lorsqu'elle s'était rendu compte que l'une des premières personnes à avoir été amicale avec elle pensait que son sang était inférieur au sien. Elle avait été déçue quand il l'avait appelée une Sang-de-Bourbe, autant la première fois que les dix fois d'après. Elle avait été déçue quand il avait condamné le pauvre Buck à une mort certaine, déçue quand il lui avait déformé les dents, et déçue quand il l'avait rejetée après avoir reçu une lettre de son père.
Elle avait été terriblement déçue quand elle avait compris que le garçon avec qui elle se liait d'amitié de plus en plus n'était pas capable de la garder dans sa vie. Qu'il pouvait être cruel, envers elle comme les personnes qu'elle aimait.
Hermione connaissait la déception, c'était un sentiment désagréable, amer. Mais pour la première fois depuis qu'elle passait du temps avec Drago, elle l'avait vue dans son regard à lui, et elle était en train de se demander, à la table au centre de la Bibliothèque entourée de cinquièmes années qui révisaient leurs BUSES, si ce n'était pas pire.
Hermione savait que Drago n'avait pas été déçu par sa correspondance avec Viktor, mais plutôt parce qu'elle lui avait caché, et elle détestait l'admettre, mais elle le comprenait un peu. C'était ça, qui était douloureux. Savoir qu'on avait blessé l'autre délibérément et regarder les dommages causés sur son visage lorsqu'il avait compris. C'était donc ça qu'il vivait à chaque fois qu'ils se disputaient ? Est-ce qu'il ressentait cette culpabilité qui lui pesait dans l'estomac ? Est-ce qu'il avait ses traits affaissés par la douleur imprimés contre ses paupières, lui aussi ?
"Hey."
Elle cligna des yeux plusieurs fois et tourna la tête. Théo se tenait à côté de la table, un petit sourire timide aux lèvres. Il tenait des livres contre sa poitrine.
"Tout va bien ?" demanda-t-il, et Hermione fut surprise de trouver de l'inquiétude dans sa question.
"Pourquoi tu me demandes ça ?"
"Tu regardes cette fenêtre depuis une heure." expliqua-t-il. "J'étais assis là-bas mais je n'osais pas te déranger."
"Oh." dit Hermione avec une grimace. "Désolée, j'étais… dans mes pensées."
Il baissa les yeux sur ses manuels serrés contre lui. Il paraissait extrêmement hésitant.
"Ecoute, Hermione… Je sais qu'on révise souvent ensemble et tout ça, et qu'on s'est aidés mutuellement sur plein de choses, mais…"
Hermione sentit soudain son cœur dégringoler à la perspective que Théo puisse s'éloigner d'elle, lui aussi. Elle ne savait pas si elle était capable de survivre à la perte des deux garçons qu'elle appréciait le plus en ce moment. Théo continua sa tirade :
"Je m'apprête à te demander quelque chose, et je sais qu'on a cette compétition entre nous, tu le sais, ne le nie pas, donc je prends vraiment sur moi pour te poser cette question, mais… est-cequetuveuxbienm'expliquerlecoursd'Arithmancies'ilteplaît ?"
Ses pommettes et son nez étaient roses et il évitait de la regarder. Hermione eut du mal à se retenir de sourire en entendant une telle demande, elle savait à quel point ça devait être dur d'oser admettre ses faiblesses, surtout venant de la part d'un Serpentard.
"Bien sûr." répondit-elle. "Si tu m'expliques les formules de Métamorphose."
Théo acquiesça, vraisemblablement soulagé, et s'assit en face d'elle. Il posa les manuels d'Arithmancie entre eux et les ouvrit à la page de la leçon de la semaine passée.
"Qu'est-ce que tu n'as pas compris ?" demanda Hermione.
"Tout." confessa Théo. "Je me suis perdu dans les diagrammes, j'ai prédit qu'il y aurait une canicule demain et qu'un pélican m'apporterait mon courrier."
Hermione jeta un regard vers la fenêtre qui donnait sur la poudreuse de vingt centimètres au sol et pinça les lèvres :
"Effectivement, ça me paraît peu probable."
Elle tira le manuel vers elle pour relire le diagramme en question. Elle pouvait sentir le regard de Théo toujours braqué sur elle lorsqu'elle lisait.
"Sérieusement Hermione, ça va ?" répéta Théo. "T'as vraiment l'air pas bien. Je peux repasser, si tu veux…"
"Non, non." dit Hermione avec un pâle sourire. "Au contraire, je suis preneuse de distractions."
Depuis que Théo s'était assis, la boule de culpabilité dans son estomac avait miraculeusement diminué.
"En tout cas, sache que tu peux m'en parler." lui dit Théo avec une sincérité touchante. "Si tu as besoin. Je ne répéterai rien, promis juré."
Hermione fut surprise de constater à quel point elle faisait confiance à ce garçon qu'elle connaissait depuis peu. Il n'y avait aucune trace de méchanceté dans ses yeux bleus, qui avaient les mêmes nuances que Drago quand il n'Occludait pas. Elle avait le sentiment de pouvoir tout lui confier sans ressentir la moindre crainte qu'il puisse la trahir en retour.
Hermione se redressa contre le dossier de sa chaise et se mordit la lèvre en réfléchissant à la manière dont elle pourrait lui expliquer ce qui la tracassait.
"J'ai… j'ai blessé quelqu'un à qui je tiens." avoua-t-elle tout doucement.
Contrairement à ce qu'Harry et Ron auraient immédiatement fait, il ne lui demanda pas de qui elle parlait. Théo analysa sa phrase avec cet air pragmatique qu'il portait souvent en cours d'Histoire de la Magie.
"Blessé comment ?" demanda-t-il.
"Je lui ai caché quelque chose."
"Quelque chose d'important ?" questionna Théo.
Hermione réfléchit à la question. Ce n'était pas très important pour elle, cette correspondance avec Viktor n'était qu'un détail dans sa vie chargée, purement amicale. Elle l'avait embrassé, mais elle n'avait pas ressenti un tiers des sensations que quand elle embrassait Drago.
Mais pour lui, c'était important. Le mensonge, la trahison, c'était son pire cauchemar, et c'était exactement ce qu'elle avait fait.
Elle hocha la tête et Théo ne lui lança pas le regard de reproche qu'elle aurait pensé recevoir en avouant un tel acte.
"Est-ce que tu t'es excusée ?" demanda-t-il.
"J'ai essayé, mais je n'ai pas eu le temps, il est… il est parti."
"Parti ?"
"Oui. Il m'a dit qu'il avait besoin de partir pour se calmer."
Théo resta pensif quelques secondes et Hermione préféra regarder la branche givrée à travers la fenêtre plutôt que lui. La boule de culpabilité était remontée dans sa gorge.
Oui, ou non, Granger. Est-ce que tu as embrassé Viktor Krum ?
"Je pense que tu dois le laisser se calmer, et qu'il reviendra vers toi quand il sera prêt à te pardonner." annonça Théo.
"Tu penses ?" demanda Hermione avec une pointe d'espoir dans sa voix.
Il hocha la tête, sûr de lui.
"Tu as fait une erreur." dit-il. "Et tu le sais. Laisse-lui un peu d'espace, et tu pourras lui présenter tes excuses une fois revenu. C'est une grande preuve d'amour de pardonner, mais c'en est une plus grande encore que de s'excuser. C'est la forme de vulnérabilité la plus pure. Si tu le fais, sincèrement, il n'y a aucune raison qu'il ne les accepte pas. Et s'il ne te pardonne pas, c'est que c'est un gros con."
Hermione sourit légèrement.
"Des paroles dignes de Dumbledore."
Le visage de Théo se tordit dans une grimace dégoûtée à la mention du directeur :
"Beurk ! Sans façon."
"Merci, Théo." dit Hermione, le cœur soudain plus léger. "Tu ne sais pas à quel point tes mots me rassurent."
Il ébaucha un petit sourire fier :
"Avec plaisir. Maintenant, aide-moi à déchiffrer ce putain de diagramme."
Hermione le fit et fut très vite happée par le travail. Elle fut étonnée de voir que Théo était plutôt à l'aise sur le sujet, et se demanda même plusieurs fois s'il n'avait pas prétexté ne pas comprendre pour lui changer les idées. Si c'était le cas, elle l'aimait encore plus.
Quand ils eurent terminé les exercices supplémentaires que la Professeure Vector leur avait suggéré de faire, Théo rangea ses manuels dans son sac en répétant qu'elle venait de lui économiser plusieurs soirées de révisions intenses d'Arithmancie.
"Je t'en prie." dit-elle.
Hermione prit une gorgée de thé à la cannelle et Théo fronça le nez en la regardant faire :
"Je t'ai toujours envié ça. Les thés. Comment Madame Pince peut-elle te laisser faire ça dans sa précieuse Bibliothèque ?"
"L'avantage d'être son élève préférée. Je pense qu'elle est plutôt inquiète pour ma santé, je passe tellement d'heures ici qu'elle doit se demander si je me nourris suffisamment. Tu en veux ?"
Elle lui tendit sa tasse et Théo observa le contenu avec un regard dubitatif.
"Je suis plutôt un adepte du lait chaud, sans vouloir t'offenser. C'est un thé à quoi ?"
"À la cannelle." répondit Hermione. "Mes préférés."
Quelque chose passa dans le regard de Théo alors, le temps d'une brève seconde, et la seconde d'après, il écarquilla les yeux et fit reculer brutalement sa chaise contre le parquet. Hermione sursauta, manquant de renverser son thé.
Théo la regardait avec horreur, comme si elle venait de proférer la plus grosse insulte qu'il ait pu entendre de sa vie.
"Oh. Mon Dieu." souffla-t-il.
"Théo ?" appela Hermione, choquée par son changement brusque de comportement.
"Oh. Mon. Dieu." répéta Théo. "Je dois… Hermione, je dois y aller."
Et avant même qu'elle puisse lui demander ce qu'il voulait dire, il était parti en courant de la Bibliothèque, sous les reproches de Madame Pince.
