Précédemment : Meri a mis la main sur des fichiers faisant mention du quartier général de Revendication, situé dans la ceinture d'astéroïdes Jessaranti. Pidge et Ryner sont donc allés inspecter les environs avec Green. Hunk et Shay, après être tombés sur ce qui ressemble fortement à un terrain de chasse de vkullor, sont partis à la recherche d'informations sur la nouvelle arme de l'Empire. Lance et Akira, sur la planète mère, ont réussi à s'emparer d'appareils de soin appelés likurs et ont rallié la résistance locale, mais ne sont pas encore parvenus à quitter la planète. Suite au désastre de la mission de sauvetage, le problème de l'espion est redevenu central pour les paladins restants, devant absolument découvrir l'identité du traître avant qu'il ne cause davantage de morts.


Chapitre 40

Suspicion croissante

Pidge tenait les contrôles du lion vert d'une poigne ferme.

La ceinture d'astéroïdes Jessaranti était droit devant, un assortiment de rochers brisés à peine visibles sur le fond étoilé à cette distance, l'attirant dans un mélange agonisant d'espoir et de peur.

Revendication.

Son père.

Iel ne savait pas ce qu'iel allait trouver, n'osait même pas espérer que la base d'opérations censée se trouver ici était encore active, mais iel avait quand même l'impression d'être plus près que jamais de la réponse qu'iel cherchait désespérément depuis plus de deux ans, d'abord sur Terre, puis dans l'espace.

Il est là.

L'esprit de Ryner s'éveilla à cette pensée inexprimée, mais elle garda son opinion pour elle. Pidge ne savait pas si c'était du scepticisme ou de l'espoir qu'elle dissimulait, mais quoi qu'il en soit, iel ne put s'empêcher d'y rétorquer par une vague d'optimisme. Il était là. C'était obligé.

— Camouflage activé, dit Ryner d'un ton pourtant neutre, mais son esprit lui donnait un certain tranchant, comme si elle avait l'impression de devoir lui rappeler que ce n'était qu'une mission de reconnaissance.

Comme si Pidge avait oublié. Comme s'iel n'était pas déjà anéanti·e de savoir qu'iel n'allait pas voir son père tout de suite, même s'il était bien là.

C'était trop risqué. Ils ne pouvaient pas entamer une mission d'extraction sans connaître les défenses de la zone, pas sans prendre le risque de tuer son père au lieu de le sauver.

Mais Pidge ne dit rien de tout ça, raffermissant sa prise sur les contrôles et se penchant en avant, son cœur cherchant à les devancer sur le chemin des petits points brillants au loin.

J'arrive, Papa, promit-iel au ciel étoilé. Je vais te ramener à la maison.


Tout s'écroulait au château-vaisseau.

Shiro faisait de son mieux pour garder la tête haute, pour ne rien montrer des doutes qui l'assaillaient dès qu'il parlait aux membres de la Garde, à Layeni, la petite voix au fond de son esprit lui soufflant qu'il ne pouvait pas leur faire confiance.

Shiro avait compté et recompté le nombre de personnes qui auraient pu les trahir et la liste était terriblement courte : lui-même, Allura, Val, Nyma, Matt et Layeni, qui s'étaient trouvés dans la salle de conférence sécurisée pour discuter du plan. Coran, qui avait été trop occupé à discuter avec Hunk et Shay de la scène de dévastation trouvée sur un ancien chemin migratoire balméran pour participer à la réunion, mais qui avait été informé de la première partie du plan juste avant le départ pour ouvrir un trou de ver à la Garde.

Mais même lui n'était pas au courant du rôle que devaient jouer Shiro, Allura et Matt. Allura avait ouvert le trou de ver elle-même et ils avaient tous convenu d'en parler au moins de personnes que possible.

Coran et les paladins ne comptaient pas vraiment comme des suspects. Layeni n'était pas d'accord, mais Shiro connaissait les membres de son équipe mieux qu'il ne se connaissait lui-même. Il avait lu dans leurs pensées plusieurs fois et Coran avait été leur premier allié, le plus fidèle. Il avait tout perdu dans cette guerre, tout sauf Allura et la famille qu'il s'était reconstruite, et il continuait à en sacrifier un peu plus chaque jour.

Mais ça ne laissait que Layeni et tous ceux à qui elle aurait pu parler du plan. Elle avait bien sûr insisté sur le fait qu'elle n'avait rien dit à personne. Cela avait beau solidifier les doutes autour d'elle, elle n'en démordait pas. Elle n'avait dit à personne que le lion noir arriverait plus tard. Elle avait parlé à ses officiers du rôle de la Garde dans la bataille en leur donnant seulement les détails essentiels et seulement après sa conférence avec les paladins, soit dix-huit minutes avant le départ. C'était peut-être suffisant pour mettre en œuvre une embuscade, mais avec très peu de marge.

Ils avaient quand même collecté les noms des officiers auxquels elle avait parlé, pour être sûrs de ne rien manquer, et Layeni, peinant visiblement à conserver un ton civil, avait demandé la permission de conduire sa propre enquête.

Enfin, plutôt que de demander, elle en avait plutôt informé Shiro et lui avait dit qu'elle le tiendrait au courant de ses conclusions.

Shiro craignait qu'une erreur dans son enquête (intentionnelle ou accidentelle) romprait l'équilibre de la Garde, mais il n'avait pas l'autorité nécessaire pour empêcher Layeni de faire ce qu'elle voulait de son équipe. À part Akira, seul Coran avait le pouvoir d'outrepasser ses décisions, mais il opta pour simplement la surveiller pour le moment.

— Nous ne sommes pas certains qu'elle soit coupable, arguait-il.

Lui, Karen, Shiro et Allura étaient actuellement dans la salle de conférence pour discuter du problème et remonter la bande de vidéo-surveillance de leurs nouveaux suspects, soit Layeni et ses trois officiers les plus gradés, Relix, Trusalo et Lojiri. Akira, Keith, Lance et Thace étaient toujours coincés sur la planète mère, maintenant plus que jamais puisque le blocus en orbite avait reçu des renforts. Shiro commençait à penser qu'il allait devoir rappeler les trois autres lions pour forcer le passage, ce qu'il rechignait à faire parce que Pidge était sur la piste de Sam et que les Jaunes cherchaient des preuves qui pourraient contrer la théorie de Coran quant à la destruction du Balméra.

Même Val et Nyma avaient passé les deux derniers jours à enchaîner des missions pendant que Shiro et Allura s'occupaient du problème d'espion. La guerre suivait toujours son cours, après tout, et Zarkon ne lâchait rien. Les paladins ne pouvaient pas se permettre de rester sans rien faire, quand bien même ils voulaient tous récupérer Keith et les autres.

Shiro et Allura avaient confirmé que Keith tenait le coup. Akira et Lance avaient récupéré un appareil médical inconnu qui avait suffisamment apaisé les craintes de Lance pour rassurer Shiro, au moins pour quelques jours.

— Je sais que nous n'avons pas de preuves, dit Shiro à Coran en se passant les doigts dans les cheveux tout en revisionnant les bandes-vidéo de deux jours plus tôt. Et je sais que toi et Akira, vous faites confiance à Layeni. Normalement, ça m'aurait suffi. Je suis toujours disposé à croire qu'elle ne nous a pas trahis intentionnellement. Elle aurait très bien pu laisser échapper quelque chose par mégarde. Mais la fuite provient forcément d'elle. Je ne vois pas d'autre solution.

— Elle est peut-être sur écoute, suggéra Karen.

Allura secoua la tête.

— Il y a des détecteurs anti-technologies dans la pièce.

— Je ne parle pas d'appareils technologiques.

Karen posa la tablette sur laquelle elle établissait une chronologie des failles de sécurité possibles pour que les autres puissent réduire leur champ de recherche. Ils espéraient pouvoir dégager une sorte de tendance dans le comportement de Layeni ou de ses officiers qui pourrait indiquer qu'ils n'avaient pas que de bonnes intentions. Comme ils n'avaient rien trouvé le jour de l'embuscade, ils n'avaient pas d'autres choix que de remonter plus loin.

Sous le feu de l'attention des autres, Karen sembla vaciller.

— J'aurais dû y penser plus tôt, dit-elle. Avec du recul, ça me paraît évident que c'est une faille potentielle de notre système de sécurité. Je parle de technologie olkari.

Elle regarda Coran.

— Ryner m'a parlé d'une de ses inventions pour espionner Keena. C'est une sorte de spore qui fonctionne comme n'importe quel mouchard, mais Ryner semblait certaine que Keena ne le remarquerait jamais.

Coran se lissa la moustache.

— Je… suppose que c'est possible, en théorie, que nos détecteurs ne relèvent pas les inventions olkaris. La plupart de leurs créations, je veux dire celles suffisamment avancées pour poser un risque de sécurité, ont suffisamment de composants électroniques pour être détectées, mais…

— Mais ils se servent aussi de plantes, compléta Allura. Pour façonner des machines organiques.

Shiro laissa tomber sa tête entre ses mains, ravalant une vague de désespoir.

— Alors nous sommes de retour à la case départ ?

— Pas complètement, dit Karen. Même si j'ai raison, ça nous indique que l'espion est soit olkari soit a des connexions chez eux.

Cela avait beau être vrai, ce n'était pas très utile. Ils savaient déjà que l'espion était à bord du château-vaisseau quand ils avaient libéré Olkarion et que quiconque aurait pu entrer en contact avec un ingénieur de la planète. Ils pouvaient certes recouper la liste des officiers (et celle des suspects qu'Akira leur avait confiée quelques semaines plus tôt) avec les données de vol de tous ceux qui s'étaient rendus à Olkarion après la bataille, ainsi que faire des recherches sur les colis reçus d'Olkarion.

Mais où est-ce que ça les mènerait ?

Honnêtement, Shiro commençait à se dire qu'ils n'obtiendraient jamais de réponses, du moins pas avant que leur chasse à l'homme ne réduise à néant la confiance qui commençait à unir la Garde. Dès qu'ils se mettraient à chercher un traître parmi leurs camarades, il serait très facile pour eux de laisser la fureur l'emporter.

Mais il fallait bien qu'ils essayent. Les paladins ne pouvaient pas remporter la guerre sans aide. Shiro ne savait pas s'ils pourraient même traverser le blocus de la planète mère sans la Garde, surtout sans le lion rouge (et donc sans Voltron).

— Concentrons-nous sur les suspects que nous avons pour l'instant, dit Shiro en se redressant. Innocentons-les ou trouvons des preuves de leur culpabilité. Nous pourrons ensuite nous inquiéter de ceux qui auraient pu acheter un hypothétique mouchard indétectable aux Olkaris.

Personne ne protesta cette décision et Shiro ravala sa frustration pour se plonger à nouveau dans les bandes de surveillance.

La réponse s'y trouvait forcément quelque part : il fallait simplement la trouver.


Lance était allongé sur la tête du lion rouge, regardant les incartades dans les rues par sa lunette de visée. Mirek avait rassemblé ce qu'il restait de ses troupes pour repousser la PI là où elle apparaissait en nombre : aux manifestations, dans les parcs, les centres commerciaux et autres espaces publics, aux bastions suspectés de la résistance. Thace et Akira étaient parmi eux et Lance soutenait l'équipe de ce dernier à distance.

Ce qui les gardait vraiment à flot, c'était le soutien de la population. La résistance manquait de bras, et surtout de combattants. Les civils n'étaient pas des soldats, mais, encouragés par la vue d'une milice disparate repoussant la PI et par le lion rouge qui surplombait le secteur industriel, le peuple se ralliait au mouvement de révolte. Certains ramenaient des bâtons, des battes et d'autres armes improvisées. Il y en avait même une poignée dotée de pistolets ou d'épées.

Ils n'avaient pas le moindre entraînement, mais leur nombre et leur engouement suffisaient à faire hésiter la PI.

Lance suivait l'évolution de la situation, la gorge serrée. Il passait sa lunette de visée de cible en cible, abattant des sentinelles et des soldats avant qu'ils ne puissent tirer sur des civils. Ils avaient atteint leur objectif : rassembler le 301 sous leur bannière, obtenir leur soutien pour continuer le combat. Il avait su ce que cela impliquait, mais il n'était pas prêt à en voir le résultat.

Ce n'était que des civils. Ils ne devraient pas risquer leur vie de cette manière. Mais s'ils ne le faisaient pas, Vit les écraserait tous sous le poids de l'armée impériale.

Akira luttait avec encore plus de vigueur que les soldats de Mirek, se rendant cible des attaques et rétorquant avec férocité. Grâce à lui et à la résistance, les pertes étaient réduites, même s'il était impossible de sauver tout le monde.

— Des renforts arrivent, lui indiqua une voix douce à son oreille, bien différente de celle d'Arel ou de Mirek, de qui il recevait habituellement les ordres.

Mais Mirek était actuellement sur le terrain, menant l'assaut avec Thace à l'autre bout de la ville. C'était donc une autre cheffe régionale qui se chargeait de coordonner les opérations depuis une base que Lance n'avait pas l'autorisation de connaître.

Elle lui transmit les coordonnées d'une intersection à près d'un kilomètre de sa position et Lance baissa son fusil, comptant sur la fonction zoom de son casque de paladin pour mieux voir les silhouettes lointaines des troupes de Vit. La PI était déjà débordée et les altercations continues sur plusieurs jours avaient réduit leurs effectifs. Lance n'irait pas jusqu'à dire qu'elle avait changé de camp, mais ce n'était qu'un assortiment de milices étrangères : elle n'avait aucune loyauté envers les membres du 301, mais n'avait pas non plus la discipline de s'engager dans une bataille sans merci.

— Je m'en occupe, dit Lance, faisant disparaître son bayard pour se relever. Akira, je te laisse te débrouiller un petit moment.

— Bien reçu. Essaie de ne pas trop t'amuser sans moi.

Lance sentit un petit sourire lui tirer le coin des lèvres. C'était devenu une sorte de tradition entre eux après deux jours d'action quasiment ininterrompue. Ni l'un ni l'autre ne trouvait d'humour dans la situation, mais Akira continuait de faire des plaisanteries de plus en plus vaseuses et Lance continuait d'y sourire.

Ça les empêchait de devenirs fous.

Lance fonça jusqu'au bout du museau de Red et bondit, activant son jet-pack. Il n'y avait personne dans les rues d'en dessous pour le voir : la bataille était bien trop proche pour que quiconque se risque à aller faire les courses, mais peut-être que des yeux le suivaient depuis le couvert des vitres tintées. La ville semblait peut-être abandonnée, mais Lance n'arrivait pas à se convaincre qu'elle l'était vraiment. Des gens vivaient ici, y travaillaient. Certains étaient peut-être partis quand les émeutes avaient commencé, mais davantage avaient dû rester. Quand nulle part en ville n'était sûr, il valait mieux parfois faire profil bas et attendre que les choses se tassent.

Lance atterrit sur le toit d'un entrepôt et continua d'avancer sans perdre de temps, tirant du réconfort dans le poids de son bayard désactivé. Il se creusa la cervelle, cherchant à se rappeler ce qu'il y avait dans la zone. Il n'y avait pas beaucoup de maisons, ce qui était pour le mieux. Conscients que le combat allait causer des dégâts collatéraux, ils avaient cherché à se concentrer sur les districts industriels et gouvernementaux, ce qui s'était avéré assez simple, finalement, puisque c'était dans ces coins-là que la plupart des manifestations avaient lieu.

Ça ne voulait pas dire qu'il pouvait faire ce qu'il voulait. Il avait fait suffisamment de dégâts avec ses grenades pour la semaine.

Sautant par-dessus plusieurs autres allées, Lance avisa un endroit où la route devenait plus étroite. Le bâtiment derrière était une énorme usine, certainement automatisée, et son ombre planait sur la rue par laquelle les soldats arrivaient. Lance ne pouvait rien espérer de mieux : un lieu suffisamment restreint pour que ses tirs soient sûrs de toucher, bordé par au moins un bâtiment peu susceptible d'abriter des innocents.

Lance se mit à plat ventre derrière le muret qui encerclait le toit et activa son bayard. Il s'était servi de son lance-grenades quelques fois depuis l'affrontement au Kral Mestna, mais ses mains tremblaient encore tandis qu'il posait le canon sur le muret et visait la rue en contrebas. Il y vit les premiers renforts qui s'approchaient : quatre transports de troupes au sol et un vaisseau dans le ciel.

Jurant tout bas, Lance changea d'approche. Il n'y avait pas beaucoup d'endroits où dissimuler des bombes, mais il fit ce qu'il put, tirant une grenade visqueuse derrière une poubelle, puis derrière quelques panneaux et lampadaires. Il avait découvert une nouvelle fonction lors de la bataille de la veille : la capacité de relier plusieurs grenades à un seul détonateur plutôt que de les tirer avec un retardateur individuel. Il se risqua à placer trois autres explosifs au centre de la rue : leur lueur était moins prononcée quand ils étaient reliés les uns aux autres et il y avait suffisamment de néons dans la nuit pour qu'ils passent inaperçus.

Puis Lance alla se réfugier dans l'ombre de l'escalier de secours pour éviter que les pilotes du vaisseau ne le repèrent immédiatement. Le vaisseau semblait suivre de près les troupes au sol, ce qui lui facilitait les choses. Si Lance lançait l'assaut d'un côté, l'autre serait tout de suite à l'affût d'une autre attaque. Il devait donc les frapper au même moment et avait besoin que le vaisseau reste à proximité s'il voulait accrocher une grenade à sa coque.

Il patienta, comptant ses respirations, les mains tremblantes, jusqu'à ce que les moteurs du vaisseau se rapprochent assez pour lui faire vibrer les dents. Il vérifia les paramètres de son bayard, montés au max pour être certain d'abattre le vaisseau avant de se faire repérer.

Dix secondes plus tard, le bel ensemble était juste au niveau des grenades placées dans la rue. Prenant une grande inspiration, Lance sortit de sa cachette, visa le vaisseau et tira deux fois. Chaque grenade trouva sa cible, se collant à la coque dans un bruit mou.

Lance activa le détonateur en plongeant derrière la cage de l'escalier de secours, seul endroit où se mettre à couvert. L'explosion recouvrit le monde d'un voile de blancheur, sa force lui comprimant le torse malgré le mur dans son dos. Son casque assourdit le plus gros de la détonation, mais ses oreilles sifflaient quand même quand il s'approcha du bord du toit, bayard braqué devant lui.

Le vaisseau s'effondrait en douces vrilles, de la fumée s'échappant d'un énorme trou dans son flanc. Lance observa la scène à ses pieds en restant sur ses gardes. Deux des transports avaient été avalés par l'explosion et un troisième s'était retourné, quoi qu'en bon état : des soldats s'en déversaient et s'éparpillaient pour éviter l'épave fumante du vaisseau qui leur tombait dessus. La quatrième et dernière navette changeait de direction pour emprunter un chemin plus sûr.

— Un transport arrive, dit Lance à Akira. Je m'occupe du reste des troupes et je reviens t'aider.

— Génial. Je commençais à m'ennuyer, commenta Akira d'une voix essoufflée et tendue.


Il lança un avertissement au reste de son équipe avant de couper son micro et Lance se concentra sur son propre combat. Plus vite il en finirait, mieux ce serait.

Nyma était perchée au coin d'une table d'une salle vide, les jambes croisées, un pied battant la mesure. Elle tambourinait des doigts sur la table et comptait les carreaux décolorés du mur du fond.

Elle ne savait pas à quoi servait cette pièce, nichée au sommet de la tour verte, sans aucun signe d'activité aux alentours malgré la réactivation du système de nettoyage du château. La Garde avait investi la tour bleu, les réfugiés la jaune, mais plus de la moitié des deux autres tours étaient toujours vides. Nyma était passée devant un bon nombre de laboratoires et de serres sur le chemin, ainsi qu'une sorte de salle d'archive.

Mais celle-ci ? Elle donnait l'impression d'une salle à manger. Elle ne devait pas servir qu'à ça, mais Nyma avait beau se creuser la tête, elle ne voyait rien d'autre.

Elle s'y trouvait depuis cinq minutes à peine et avait déjà envie de prendre sa radio pour demander à Val comment elle s'en sortait. Ce qui ruinerait l'expérience. (C'était du moins ce que Val avait dit. Nyma ne pensait pas que parler à la radio l'aiderait à la localiser, mais bon, ce n'était pas elle l'experte. Ce n'était pas elle qui avait passé près de six mois à étudier la quintessence.)

Avec un soupir, Nyma s'allongea sur la table, levant une jambe pour reposer son pied sur le bord. Val avait voulu profiter de la journée pour conduire des tests. Tant que Shiro et Allura s'évertuaient à arranger les choses du côté de la Garde et que les Jaunes étaient en pleine chasse au vkullor, elles pouvaient au moins essayer de se montrer productives entre deux missions. Pidge pensait que la piste fournie par Meri était bonne, mais ça faisait déjà deux jours qu'iel était parti·e, n'envoyant que de brefs messages au château chaque soir pour indiquer qu'iel cherchait encore.

Nyma n'était pas vraiment inquiète, contrairement à Matt et Val. Meri n'avait pu fournir qu'un nom : la ceinture d'astéroïdes Jessaranti. De ce que Nyma avait compris, elle s'étendait sur une large portion de l'espace et la fouiller prendrait du temps. Pidge et Ryner ne savaient pas si ce qu'ils cherchaient apparaîtrait sur leurs radars (de fait, rien n'était apparu lors de leur premier tour des lieux) et ne voulaient pas risquer de se faire repérer, ce qui les forçait à aller recharger leur camouflage toutes les quelques heures derrière un astéroïde abandonné.

J'espère qu'ils vont trouver quelque chose, avait dit Val à Nyma.Je l'espère vraiment, mais il se pourrait que les lieux aient été abandonnés depuis longtemps.

Et la bilocation de Val était leur seule autre option, surtout maintenant qu'ils savaient que c'était possible de s'en servir à travers de vastes distances. C'était pour cette raison que Nyma était plantée dans une pièce inconnue où il faisait juste un peu trop froid pour que ce soit confortable. Au moins, elle avait eu le droit de rester dans la salle commune avant ça, le temps que Val détermine sa portée. Renforcée par la quintessence de Blue, Val pouvait retourner au château depuis la surface de la planète autour de laquelle elles orbitaient, mais c'était à peu près tout.

Elle avait donc ordonné à Nyma d'aller s'installer une heure ou deux dans un endroit assez éloigné et, au possible, plutôt méconnu et excentré, Val voulant éviter de s'accrocher accidentellement à d'autres personnes familières.

Nyma n'était vraiment pas assez payée pour ce genre de tâche, mais en aidant Val, elle n'avait pas à aider Shiro et Allura. Pas qu'elle ne voulait pas déterrer l'espion et lui mettre une bonne raclée, mais les autres cherchaient à rester subtils.

Et la subtilité ne faisait pas partie de son arsenal pour le moment.

Ainsi en était-elle donc rendue. S'ennuyant à mourir. Val n'avait pas réussi à retourner sur la planète mère depuis le Cœur, mais elle pensait que ce serait plus facile en se trouvant à seulement une planète de distance plutôt qu'à plusieurs galaxies. Et si elle pouvait le faire à cette distance, elle pourrait peut-être comprendre comment faire pour aller plus loin.

En somme, elles faisaient tout à l'envers, mais vu la teneur des informations de Meri, Nyma trouvait toujours que c'était sa meilleure chance de revoir Rolo.

Elle aurait dû amener du vernis ou autre pour se distraire en attendant des nouvelles de Val. Elle n'avait rien à faire et, à en juger les événements de la planète mère, elle n'aurait aucun moyen de savoir si Val avait réussi ou pas.

Est-ce que ça la bloquerait si Nyma décidait de faire une petite sieste ?

Avant qu'elle ne puisse trancher, son appareil de communication crépita. Nyma ouvrit l'œil, puis décrocha.

— Ouais ?

Val n'attendit même pas qu'elle finisse :

— Ça a marché ! Je n'ai pas réussi à te retrouver de la façon habituelle, mais je suis retournée au phare et ça m'a amené direct à toi !

Nyma se redressa, la gorge serrée.

— C'est vrai ? Alors c'est la distance qui joue ? Et c'est grâce à l'adrénaline ou un truc du genre qu'on a pu aller jusque sur la planète mère ?

— Peut-être. J'ai fait quelques tests pendant que j'y étais. Toujours pas réussi à atteindre Lance ou Meri. Mais j'ai trouvé Coran quasiment tout de suite. Pas Tev, par contre.

— Qui ça ?

— Tev ? répéta Val. Tu sais, le grand Galra qui travaille sur la passerelle de temps en temps ? Je ne le connais pas très bien, mais il n'était pas avec Coran, alors j'ai facilement pu le tester. Le concept de familiarité doit entrer en jeu, mais je ne sais pas comment ça marche.

Nyma posa les pieds par terre, parcourue d'une soudaine tension.

— Ok, donc… c'est quoi, la prochaine étape ?

Val ne répondit pas tout de suite, puis il y eut un bruit sourd, comme si elle avait tapé la console de Blue.

— Ça te dérangerait pas d'aller voir si Coran est libre ? J'ai envie d'essayer d'autres choses.

L'explication était plus qu'incomplète, mais Val avait ce ton de voix qui signalait qu'elle était plongée dans ses pensées et Nyma ne voulait pas la déconcentrer. Mettant fin à l'appel, elle prit la porte. Si Coran était la clé pour démêler tout ça, elle l'amènerait à Val, même si elle devait l'attacher et le traîner par les pieds.


Il n'y avait rien.

Shiro visionnait les bandes de télésurveillance depuis des heures avec Allura en se servant de la chronologie fournie par Karen pour cerner les moments les plus sensibles. Presque toutes les fuites suspectées étaient limitées dans leur contenu : quand et où les paladins ou la Garde frapperaient, parfois quelques détails sur leur cible qui n'auraient pas dû être évidents à deviner pour l'ennemi. Ils pouvaient toujours être pris de court par un changement de plan ou une improvisation de dernière minute.

L'ensemble suggérait que le problème venait de fuites discrètes et spécifiques : il n'y avait pas de canal de communication ouvert laissant l'Empire tout savoir de ce qui se passait au château-vaisseau, ni de taupe qui ne pouvait transmettre que des observations générales sur l'organisation et les formations de la Garde.

Chaque fuite avait également une fenêtre de temps très étroite durant laquelle l'information avait de la valeur. Il y avait eu tant d'appels de détresse cette année qu'ils ne s'étaient jamais appesanti sur une mission plus d'une semaine, généralement beaucoup moins que ça. À part les paladins, Akira, Coran et son équipe, personne n'en entendait parler avant la fin de la mission précédente. Et l'équipe de Coran n'entendait jamais parler des plans de bataille, si jamais l'un d'entre eux avait voulu les transférer à l'Empire.

Coran était remonté à la passerelle quelques heures plus tôt, laissant à Karen le soin de vérifier toutes les transmissions sortantes du château-vaisseau pendant les fenêtres vulnérables pendant que Shiro et Allura s'occupaient des vidéos de surveillance. Ici et là, peut-être repéraient-ils une occasion durant laquelle Layeni ou un de ses officiers auraient pu relayer des informations depuis un appareil de communication externe, mais les officiers descendaient rarement à la surface des planètes en dehors de l'exercice de leur mission. Layeni ne semblait jamais passer d'appels privés, de ce qu'avait rapporté Karen. Plein d'appels à d'autres membres de la Garde, mais aucun à un numéro extérieur au château et sans indication (que ce soit dans les registres d'appels ou sur les caméras) qu'elle s'était servie d'une autre ligne.

— Qu'est-ce que ça nous laisse ? demanda Shiro, faisant tourner son siège pour faire face à Karen, qui avait arrêté d'inspecter le contenu des transmissions des officiers pour plutôt s'intéresser aux tendances qui se dégageaient dans les heures d'appel et les destinataires.

Elle pensait peut-être y trouver un code, sans succès pour l'instant.

Allura dégagea quelques boucles de devant ses yeux et soupira :

— Je ne sais pas. Ce serait précipité de les innocenter si vite, mais…

— Mais continuer de concentrer tous nos efforts là-dessus ne nous aidera pas non plus, compléta Karen.

Ça ne les aidait pas à déterminer la prochaine marche à suivre. Avant que Shiro ne puisse faire un commentaire, la porte de la salle sécurisée bipa, annonçant une arrivée. Shiro jeta un œil à l'heure et grimaça en voyant tout le temps qui s'était écoulé. Coran venait peut-être leur rappeler d'aller dîner.

Ce fut Matt qui pénétra dans la pièce, nerveux.

— Il faut que vous veniez voir la Garde, dit-il sans préambule.

Shiro se leva d'un bond.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Poussant un long soupir, Matt se passa une main dans les cheveux. À bien le regarder, ce n'était pas la première fois qu'il le faisait.

— Je ne sais pas exactement. J'allais pour leur demander des nouvelles d'Akira et j'ai eu l'impression qu'ils étaient sur le pied de guerre. Quelqu'un m'a dit qu'il y avait un espion parmi eux. Je pensais qu'on gardait ça pour nous pour le moment.

— C'était ce qui était prévu, oui, dit Shiro, déjà sur le chemin de la sortie.

Il se retint de tirer des conclusions hâtives. Le désastre de la planète mère suivait de près celui de la chaîne Zhek : quelqu'un avait très bien pu deviner qu'il y avait une taupe dans leurs rangs. Cependant, une petite voix dans son esprit lui murmurait que quelqu'un avait laissé l'information fuiter exprès pour semer le chaos.

Karen resta en arrière pour commencer à chercher des pistes sur une potentielle connexion olkari. Shiro n'était pas convaincu que c'était la clé, mais c'était mieux que de ne rien faire, surtout si la Garde commençait à s'entre-déchirer. L'espion devait être retrouvé au plus vite.

L'atmosphère dans la tour bleue était encore plus tendue que Shiro ne s'y attendait. Un silence accueillit leur arrivée, lourd et prêt à éclater à la moindre provocation. Ils croisèrent plusieurs membres de la Garde dans leurs quartiers, pièces communes et salles d'entraînement et chacun d'entre eux les regarda avec méfiance. Shiro avisa Lealle qui cherchait à raisonner un de ces groupes, jetant aux paladins un regard peiné quand elle remarqua leur présence.

— Ça ne va pas, murmura Allura. De la simple suspicion ne les empêchera pas de travailler normalement, mais si ça tourne à l'hostilité…

— Je sais, dit Shiro. Est-ce qu'on sait où trouver Layeni ?

— Sûrement au QG, dit Matt. On m'a dit qu'elle conduisait un interrogatoire. Je ne sais pas si c'est censé se savoir, mais tout le monde est au courant.

Shiro jura et accéléra l'allure. Il échangea un regard avec Allura tandis qu'ils attendaient que l'ascenseur les fasse descendre au troisième étage et sut qu'elle se posait les mêmes questions que lui. Devaient-ils considérer Layeni comme une ennemie et exiger qu'elle leur explique pourquoi elle n'avait pas empêché la suspicion de se répandre autant ? Ou devaient-ils croire en ses bonnes intentions et collaborer avec elle ? Ils n'avaient aucune preuve de sa trahison, et pourtant…

— Nous devons collaborer, dit Allura, brisant le silence.

Shiro et Matt la regardèrent et elle leur fit face, ses traits figés dans ce masque impassible réservé habituellement aux rencontres politiques.

— Si c'est une alliée, nous ne pouvons pas nous permettre de nous la mettre à dos.

— Et si c'est elle l'espionne ? demanda Matt.

Shiro savait déjà ce qu'en pensait Allura :

— Dans ce cas, c'est encore plus important de la garder près de nous. Nous ferons de notre mieux pour résoudre la situation en surveillant qu'elle ne cherche pas à empirer les choses. Quand nous aurons plus d'informations, nous pourrons décider quoi faire. Pour l'instant… il faut sauver les meubles.


Keith était réveillé à leur retour à la base.

Le cœur de Lance eut un raté en le voyant, toujours vêtu du pyjama gris un peu trop grand fourni par Mirek, au seuil de la pièce qui leur servait de chambre. Il vacillait sur place, ses griffes enfoncées dans le chambranle de la porte, la lueur ambrée de son regard pas aussi vive que d'habitude.

Mais il était réveillé et debout, et l'expression soulagée qui s'afficha sur ses traits en voyant Lance déversa un essaim de papillons dans l'estomac de ce dernier.

— Lance.

Impossible d'entendre sa voix à travers le foisonnement d'activité qui les entourait, mais c'était à ne pas s'y tromper ce qu'il avait dit. Il se redressa, quittant la porte d'un pas malhabile.

Akira fut à ses côtés en un instant, le rattrapant d'un bras autour des épaules avant qu'il ne bascule en avant. Keith leva un regard surpris dans sa direction, les lèvres entrouvertes et les sourcils froncés, mais aucune question ne traversa la brume qui embourbait encore son esprit. Un éclat argenté sous son bras confirma que le likur était toujours bien accroché et, de ce que Lance avait compris à son sujet, il avait un drôle d'effet sur les patients. Ce n'était pas pour rien que certaines formes concentrées de quintessence servaient de drogues récréatives.

Thace avait déjà pris Grelk à part. C'était le responsable de cette planque particulière, où ils avaient déplacé Keith pour ne pas le laisser seul pendant leurs missions. Thace voulait savoir comment personne n'avait pu remarquer que leur protégé était non seulement réveillé, mais en plus en train de se traîner partout comme un chaton nouveau-né. (Thace ne le présenta pas exactement de cette manière, mais Lance trouvait la comparaison appropriée.)

Il laissa Thace à son sermon et alla rejoindre Akira pour soutenir Keith, qui aurait peut-être réussi à se dégager s'il avait été en mesure de se tenir sur ses deux jambes sans trébucher.

— Allez, samouraï, dit Lance, attirant son attention d'une main sur sa mâchoire.

Keith pivota aussitôt, le dévisageant d'un air si intense que Lance sentit ses joues le chauffer. Akira ravala un rire et Lance se racla la gorge.

— Allons nous asseoir, qu'on te tienne au jus de tout ce qui s'est passé.

— Mais…

Keith s'interrompit, les oreilles plaquées en arrière. Il chercha les bons mots pour protester, mais laissa finalement Lance et Akira le guider dans la chambre. Elle était petite et simple : un lit pour Keith, un des seuls de la planque, et une couchette à côté pour Lance. Elle était désormais en désordre, comme si Keith avait trébuché dessus en se dirigeant vers la sortie. Lance se demanda s'il les avait entendus arriver et si c'était pour ça qu'il s'était levé.

En plus du lit et de la couchette, il n'y avait qu'une petite table de nuit et quelques appliques sur les murs, luisant faiblement. Keith avait alterné entre la conscience et l'inconscience ces derniers jours pendant que le likur œuvrait sur son corps. Thace avait diminué la dose d'antidouleurs depuis qu'ils avaient obtenu l'appareil, mais il avait quand même besoin d'une petite dose de temps en temps. Combiné à la désorientation créée par le likur, Keith avait été généralement incohérent durant ses périodes d'éveil et n'avait jamais essayé de se lever avant.

Une fois sur le lit, Keith voulut s'allonger, mais Lance l'arrêta.

— Tu as un truc dans le dos, dit-il, ne trouvant pas comment lui expliquer le likur en quelques mots. Si tu veux t'allonger, fais-le sur le ventre.

Keith le dévisagea, les lèvres légèrement tirées vers le bas, et Lance ne savait pas s'il ne l'avait pas compris ou s'il ne voulait pas s'allonger, finalement. Secouant la tête, il s'appuya contre le mur et tira sur le bras de Keith jusqu'à ce qu'il se blottisse contre lui dans un soupir satisfait. L'angle d'une patte du likur s'enfonçait dans les côtes de Lance, mais Keith semblait bien installé.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Keith.

Il avait calé sa tête sous le menton de Lance sans la moindre once d'incertitude qui précédait habituellement chaque câlin. Son oreille se tourna vers Akira.

— Et qu'est-ce qu'Akira fait là ?

— Tu étais en danger, dit Akira. Red m'a envoyé à la rescousse.

Keith grogna, apparemment satisfait de sa réponse. Lance se disait qu'avec Red comme lion, il fallait s'habituer à une certaine dose de candeur. Peu importait dans quel danger Keith s'était trouvé ou comment Akira l'avait trouvé. Red l'avait envoyé. C'était apparemment tout ce qui comptait.

Lance se demanda s'il devait demander à Keith ce dont il se souvenait… et comment aborder tout ce qu'Arel avait fait pour répandre la rumeur de leur présence en ville. Keith était devenu une sorte de célébrité locale, les hommes de Mirek ayant fait de son sacrifice héroïque la base de leur propagande, ce qui mettait Lance très mal à l'aise. Arel avait détourné la caméra des paladins juste après que Keith ait été blessé, se concentrant plutôt sur l'apparition du lion rouge (une excellente diversion, de l'avis de Lance). Cependant, quelqu'un en ville avait fait une copie de la vidéo, qui continuait donc de surgir sans qu'Arel n'y soit pour rien.

Mieux valait laisser cette explication à plus tard, quand Keith serait plus lucide.

Ce dernier semblait parfaitement satisfait ainsi. Lance était là, la présence d'Akira était logique, il n'avait donc plus la moindre inquiétude et rien de mieux à faire que de fondre contre Lance, se calant plus confortablement contre son cou avec un léger ronronnement. Lance l'attira encore plus près, trop submergé par le fait que Keith était éveillé et conscient pour être embarrassé par le sourire niais qui s'affichait sans doute sur son visage.

Akira, au moins, avait cessé de se moquer de lui, même si la tendresse de son regard était presque aussi gênante.

Enfin bon. Après plusieurs jours d'incertitude et de combat quasi-constant, ça faisait du bien d'avoir un moment pour simplement profiter de la présence de Keith.

Thace apparut à la porte quelques instants plus tard, se raclant la gorge. Keith se crispa légèrement et le dévisagea d'un air mauvais. Fronçant les sourcils, Lance lui frotta le bras pour tenter de le calmer.

— Keith ? fit Thace, ignorant avec tact son regard noir. Comment te sens-tu ?

Keith grogna et ce fut au tour d'Akira de froncer les sourcils.

Thace garda une expression impénétrable.

— Est-ce que je peux regarder ton dos ? Je pense que nous allons pouvoir retirer le likur. Tu seras plus à l'aise sans.

Une fois encore, Keith se contenta d'un grondement, mais il leva les yeux quand Lance lui serra l'épaule. Ils se regardèrent en silence un long moment, Keith aussi têtu que jamais. Puis il finit par baisser les yeux en soufflant.

— Bon, d'accord.

Lance ravala son amusement tandis qu'il aidait Keith à s'allonger sur le ventre, les bras croisés sous son menton.

— On dirait Mateo quand il était petit et que Meri essayait de l'acheter pour qu'il aille se coucher.

Keith battit d'une oreille pour sa peine.

Akira rigola, mais l'humeur générale s'assombrit quand Lance aida Keith à soulever son haut. Le likur recouvrait une bonne portion de son dos, luisant toujours faiblement, bien que l'ampoule de quintessence se soit suffisamment vidée pour qu'on n'aperçoive plus sa lumière à travers le tissu. Les brûlures avaient meilleure mine, mais l'appareil ne faisait pas de miracles comme une capsule cryogénique. Il restait des cicatrices, formant des plaques lisses de couleur lavande qui s'étendaient entre des touffes de nouvelle fourrure dans le bas de son dos, là où son armure ne l'avait pas protégé complètement du souffle ardent de l'explosion. Elles ne disparaîtraient jamais totalement, même après un passage en capsule, mais ce n'était pas aussi préoccupant que les dégâts internes que Keith avait subis.

Lance n'en connaissait pas l'ampleur. Thace avait consulté un médecin de la résistance qui était venu les aider à déplacer Keith. Il était ressorti de cet entretien avec une expression lugubre, mais pas plus inquiète qu'avant. Keith était blessé, certes, mais ils le savaient déjà. Et grâce au likur qui accélérait son rétablissement, sa vie n'était plus en danger.

Thace retira le likur et Lance vit Keith grimacer quand les griffes se rétractèrent. Lance n'avait pas compris comment elles étaient attachées : elles ne semblaient pas collantes et ne laissaient aucune trace sur la peau, rien que de la fourrure aplatie. Il prit quand même la main de Keith dans la sienne et Keith la serra doucement.

Le likur retiré, Thace se pencha pour inspecter ses cicatrices, puis passa une radio avec un scanner portatif. Après un examen prolongé des résultats, il acquiesça et mit le likur de côté.

— Tout va bien. Il va falloir que tu te reposes encore quelques jours, mais le pire est passé.

Keith plissa le nez et se redressa, secouant la tête comme s'il essayait d'éclaircir les derniers effets de la quintessence.

— Me reposer ? Je ne peux pas–

Il serra les paupières, ses oreilles parcourues de frissons.

— Le 301, la résistance… je ne peux pas les abandonner.

— Tu n'abandonnes personne, dit Lance, levant les mains dans un geste apaisant. Le combat n'est pas encore fini, tu sais ? Vit a la peau dure, mais on progresse.

— C'est vrai, dit Thace d'un ton un peu plus vif. Ce qui veut dire que tu n'as pas à t'inquiéter. Concentre-toi sur ton rétablissement et laisse-nous nous préoccuper de l'Empire.

Ce n'était pas la bonne chose à dire à Keith. Lance se disait que Thace aurait dû le savoir depuis le temps : ils travaillaient quand même ensemble depuis huit mois.

— Comment je suis censé ne pas me préoccuper de l'Empire ? voulut savoir Keith. Il a envahi tout l'univers.

— Et il t'a presque tué la semaine dernière, Keith.

Normalement, Thace baissait la voix quand il était en colère, si bien que sa hausse de ton soudaine coupa net Keith dans sa réplique. Il dévisagea son oncle d'un air surpris, puis se ratatina et fusilla le mur du regard.

Thace soupira, se massant le front d'une main.

— Je ne te demande pas d'arrêter de te battre, même si j'aimerais que tu n'aies pas à te mêler de cette guerre. Je te demande simplement de ne pas reprendre le combat avant que ton corps ne soit prêt à l'effort. Fais-le au moins pour ceux qui tiennent à toi.

Thace laissa planer un long silence, Keith essayant en vain de trouver une réponse. Thace secoua la tête, reprit le likur au pied du lit et s'en alla.

— Il s'inquiète pour toi, tu sais, dit Lance en reprenant sa place contre le mur, tendant la main à Keith. On a cru que tu allais mourir. On ne pouvait pas rentrer au château-vaisseau et, d'après les informations que Thace a réussi à collecter, les autres n'ont pas réussi à passer le blocus en orbite pour venir nous chercher.

Keith regarda sa main tendue un bon moment, toujours un peu embrumé par la quintessence, puis l'accepta dans un soupir, s'appuyant contre lui. Il n'était pas aussi détendu qu'avant, les genoux serrés contre son torse.

— Je sais qu'il s'inquiète, mais…

— Mais… ? relança Lance.

— Mais rien. Je ne sais pas.

Keith souffla, dissimulant son visage dans le creux du cou de Lance.

— Je ne sais rien.

— Tu dis de drôles de choses, fit remarquer Lance.

Avec un grondement irrité, Keith continua dans un marmonnement légèrement pâteux, peut-être toujours dû à la quintessence, ou à sa posture :

— J'ai cru que ma mère lui avait demandé de m'accompagner pour m'espionner, mais je crois qu'il ne l'apprécie pas tant que ça. Je ne sais pas. Raconte-moi plutôt ce que j'ai manqué.

Lance échangea un regard mal à l'aise avec Akira, n'aimant pas l'idée que Keith se pense espionné par sa famille, mais Keith n'était pas en pleine possession de ses moyens et Lance se sentirait mal d'en profiter pour lui tirer les vers du nez. Ils en parleraient plus tard.

Il s'installa donc plus confortablement, un Keith somnolent blotti contre lui, et entreprit de lui raconter tout ce qui s'était passé ces derniers jours.


La Coalition avait trouvé des réfugiés balmérans.

La nouvelle prit Shay par surprise et elle nota les coordonnées de leur vaisseau de résidence sans penser à demander d'où ils venaient. Étaient-ce des évadés de prison qui avaient fui leur Balméra captif ? Des gens qui, comme Rax, avaient été capturés, puis sauvés par les alliés de Voltron ?

Ou des survivants d'un cataclysme similaire à celui qu'ils avaient trouvé sur les chemins migratoires ?

Shay sentit sa langue se changer en pierre et chanta sa détresse à Hunk, qui s'empressa de prendre le relais, demandant plus de renseignements au préposé qui les avait contactés. Il en savait très peu : la flotte némienne avait accueilli un petit nombre de contrebandiers et de vagabonds parmi ses rangs quelques mois plus tôt, dont quelques Balmérans qui n'avaient jamais parlé de leur passé si ce n'était pour dire qu'ils n'avaient plus nulle part où rentrer.

— Capitaine Coran nous a contactés, dit le préposé. Il nous a dit que vous cherchiez des Balmérans. Vous pouvez venir leur parler. Ils se confieront peut-être aux paladins de Voltron.

Ils se rendirent donc sur place. Il y avait tant à faire ailleurs, encore et toujours, mais Hunk et Yellow étaient d'accord avec Shay sur ce point : cette rencontre leur permettrait d'en apprendre beaucoup. Et si elle révélait une autre attaque de vkullor, ils ne pouvaient pas la remettre à plus tard.

Le cœur de Shay battait à tout rompre quand elle ouvrit un trou de ver aux coordonnées fournies par le préposé.

La flotte qu'ils découvrirent de l'autre côté n'était pas du tout comme Shay l'avait imaginée : ce n'était pas un essaim de petits chasseurs entourant un vaisseau de commandes central, comme le Château des Lions et sa Garde, ni un ensemble formidable (si ce n'est un peu dépareillé) de vaisseaux militaires comme les rebelles du secteur Kera.

Cette flotte était des plus éclectiques. Il était probable que ses membres possédaient déjà leurs propres vaisseaux quand ils l'avaient rejointe ou avaient autrement volé ou récupéré ce qu'ils avaient sous la main. Contrairement aux forces d'Anamuri, très peu semblaient parés au combat. Certains étaient dotés d'un ou deux canons et presque tous avaient un générateur de barrière greffé à leur coque comme de petits insectes des cavernes accrochés à des cristaux exposés. On aurait dit des navires marchands, voire peut-être des embarcations privées, peu propices à accueillir un équipage de façon permanente. Mais dans l'ombre de l'Empire, il fallait bien faire avec les moyens du bord.

Hunk contacta le chef de la flotte pendant que Shay cherchait à apaiser les battements de son cœur, qui semblait déterminé à s'échapper de sa cage thoracique. Les paladins étaient visiblement attendus. Le général (si tant est que le terme était bon, puisqu'il n'avait rien d'un militaire) ne semblait pas très content de leur venue, mais il les dirigea vers le vaisseau des Balmérans sans protester.

Ils s'y rendirent en navette, le vaisseau étant si petit qu'il aurait presque pu tenir dans le cargo de Yellow. Shay ne reconnut pas l'espèce de l'individu qui les accueillit : iel était minuscule et poilu·e avec des rayures jaune vif à la verticale sur son cou.

— Paladins, dit-iel sans ambages. Nous sommes Lullellan, techniciens du Sulessa.

— Ravi de faire votre connaissance, Lullellan. Je suis Hunk, et voici Shay.

Lullellan posèrent leur main pourvue de deux doigts sur leur torse.

— Bienvenue. Nous allons vous mener jusqu'à nos compagnons balmérans, mais nous vous demandons de faire attention à ce que vous leur demandez. Ce qu'ils ont vu ne leur apporte aucune joie et nous ne voulons pas causer leur détresse.

— Nous non plus, leur assura Shay. Je sais que ce n'est pas un sujet facile et je les remercie de bien vouloir nous accorder cette entrevue. Je ne peux promettre que nos questions seront sans douleur, mais nous ne nous attarderons pas plus que nécessaire.

Lullellan acquiescèrent, puis pivotèrent et indiquèrent aux paladins de les suivre dans les couloirs étroits du Sulessa. Ils croisèrent deux autres membres de leur espèce et Shay finit par se rendre compte que ce n'était pas par simple habitude qu'ils parvenaient à circuler sans se gêner. Son peuple fonctionnait de manière bien trop similaire pour qu'elle ne reconnaisse pas les gestes de personnes partageant une connexion profonde. Au cas présent, peut-être était-ce un lien encore plus direct que le chant du Balméra. Une conscience collective ? En tout cas, quelque chose qui s'en approchait.

— Ici, dit Lullellan, indiquant une porte tout à fait comme les autres.

Elle s'ouvrit en silence sous leurs doigts et ils entrèrent dans les petits quartiers des membres de l'équipage, où trois Balmérans étaient assis côte à côte sur une des deux couchettes du bas. Lullellan s'approchèrent pour échanger avec eux quelques mots à voix basse, avant d'acquiescer et de se redresser.

— Nous allons vous laisser. N'hésitez pas à nous appeler en cas de problème.

— Ce ne sera pas nécessaire, Lu, dit un des Balmérans. Pax.

Elle parlait sur une note que Shay reconnut presque. Sans Balméra dans les alentours, elle ne pouvait entendre que des petits bouts de son chant, mais celui-ci avait quelque chose de familier.

C'était une mélodie de deuil et de douleur indescriptible.

— Je suis désolé, dit Hunk aussitôt que Lullellan eurent fermé la porte.

Shay se demanda s'il avait aussi perçu le chagrin passé sous silence et s'il avait compris sa provenance.

— Ce ne doit pas être facile d'en parler.

— Non, en effet, dit la Balmérane qui avait pris la parole en premier. Mais nous avons déjà donné notre accord.

Shay acquiesça.

— Et nous vous en sommes reconnaissants. Je suis Shay, et voici Hunk, mon camarade de cœur. Nous sommes les paladins jaunes de Voltron.

La Balmérane écarquilla les yeux, mais ne fit pas de commentaire sur leur union.

— Mex, dit-elle, portant une main à sa poitrine. Voici mon frère, Cli, et son camarade de cœur, Phen.

Hunk les salua dans un murmure et Shay par une note triste.

— Je suis ravie de vous rencontrer, dit-elle, bien que j'aurais préféré que les circonstances soient différentes.

— Moi de même, dit Mex. Mais vous vouliez nous parler. De la destruction de notre foyer ?

Shay sentit son cœur sombrer.

— Il a donc été détruit. J'avais espéré…

Elle s'interrompit, secouant la tête.

— Mes plus sincères condoléances. Quand est-ce arrivé ?

— Le semestre dernier, dit Mex, si j'ai bien retenu comment me servir du calendrier impérial. Les Galras ne nous ont pas donné de moyen de suivre le temps qui passe sur notre Balméra. Nous avions notre propre système, mais sans le cycle cristallin…

Hunk s'assit au bord du second lit en face des Balmérans.

— Les Galras ? releva-t-il. Vous étiez donc bien prisonniers.

— Bien sûr, dit Cli, son ton strident indiquant qu'il était plus jeune que Shay ne l'avait cru. Vous pensiez que nous travaillions pour eux de notre plein gré ?

Hunk leva les mains dans un geste apaisant tandis que Shay prenait place à côté de lui.

— Non, non. Nous pensions que vous veniez d'un Balméra libre.

— Un Balméra libre ? (Mex poussa un rire.) Ce n'est qu'un mythe.

— Non, nous pensons qu'ils existent, dit Shay en se penchant en avant, déversant sa ferveur dans son chant. Nous avons cherché à remonter les anciens chemins migratoires et nous avons trouvé les traces d'une… d'une attaque. Peut-être le même genre d'attaque qui vous a pris votre Balméra, je n'en sais rien. C'est pour ça que nous sommes là.

Un silence horrifié saisit les trois autres Balmérans, interrompant même leur chant. Phen prit la main de Cli sans rien dire et Cli la serra contre son torse.

— Notre Balméra était mourante, dit Mex, s'efforçant visiblement à rester calme. Les Galras ont grandement abusé d'elle. Ils nous faisaient travailler de plus en plus dur, jusqu'à ce qu'un jour… ils s'en allèrent. Quand nous nous sommes levés un matin, ils n'étaient plus là : ni les sentinelles qui nous surveillaient, ni les contremaîtres dans leurs cabines près des ascenseurs, ni même ceux qui vivaient à la surface. Ils étaient partis en laissant leurs affaires, même quelques-uns de leurs vaisseaux.

— Ma sœur a compris qu'il se passait quelque chose, dit Cli. Elle a essayé d'en parler aux Doyens. Elle leur a dit qu'on devait partir avant qu'une calamité nous frappe.

Il marqua une pause, se tournant vers sa sœur :

— Ils n'ont pas écouté. Seuls Phen et moi sommes allés aux hangars avec elle.

Mex ferma les yeux.

— Je n'avais jamais piloté avant, mais j'ai réussi à décoller. Il y avait une flotte en orbite, mais elle n'a pas essayé de nous arrêter. Tous les vaisseaux s'étaient reculés, craignant, je crois, d'être entraînés dans ce qui allait survenir.

— Et… de quoi s'agissait-il ? demanda Hunk.

— D'un monstre.

Mex regarda Shay droit dans les yeux, son chant si vif et douloureux qu'il se logea dans le cœur de Shay et l'élança.

— Une bête sauvage comme je n'en avais jamais vue. Si elle l'avait voulu, elle aurait pu s'enrouler autour de notre Balméra et sa queue aurait touché son museau. Elle est passée à l'attaque. Nous l'avons regardé mettre notre foyer en miettes et, son œuvre accomplie, les Galras l'ont prise et sont partis. Nous avons ratissé les décombres, mais nous n'avons trouvé aucun survivant. Nous seuls en avons réchappé.

— Nous avons surpris une transmission pendant que le monstre s'activait, dit Cli, se repliant sur lui-même. Ils ont dit… Ils ont dit que le test était concluant et que quelqu'un devait contacter Haggar pour lui annoncer que son animal de compagnie était prêt à être déployé.


— Vous voulez m'emmener ? s'exclama Coran.

Val s'affala sur le siège du pilote et sourit à pleines dents.

— Au Cœur. Je suis persuadée que tu peux t'y rendre. Tu as aussi un lien avec Blue.

Peut-être, mais Coran se sentait quand même rejeter la notion qu'il pouvait, lui, visiter le Cœur du lion bleu. C'était un endroit spécial, presque sacré, réservé aux paladins. C'était du moins ce qu'Alfor avait dit et Coran était disposé à le croire.

Cependant, il ne pouvait nier l'attrait de cette idée. Il s'était souvent demandé ce à quoi il ressemblait. Et l'excitation que Val tentait vaillamment de contenir ne l'aidait pas à se dissuader.

— J'imagine que cela ne coûte rien d'essayer… dit-il, détachant ses mots tout en sondant le lien.

L'enthousiasme de Val et la confusion de Nyma étaient faciles à décrypter, comme l'étaient (plus diffus) la tension de Meri et le soulagement de Lance. (Keith devait s'être réveillé. Coran ne voyait pas ce qu'il y avait d'autre qui aurait pu causer l'énorme vague d'émotions qui l'avait presque fait tomber par terre quelques heures plus tôt.) L'esprit de Blue lui échappait davantage. En fait, il lui avait fallu plusieurs semaines pour se rendre compte qu'il pouvait aussi la percevoir. Ses émotions avaient tendance à être douces et profondes, les rendant difficiles à différencier des élans d'humeur plus nombreux et vifs de ses pilotes.

Il pensait néanmoins percevoir son optimisme. Ce qui était encourageant.

Le sourire de Val s'accentua et elle fit signe à Coran de s'asseoir à côté d'elle. Selon son bon souvenir, il s'agissait du siège de Meri. Nyma prit celui de Val un peu plus en retrait, puisque Val avait pris la place de Lance pour les éloigner un peu du château et que Nyma n'allait pas s'isoler à son poste au-dessus du cockpit. Coran s'assit donc, un peu gêné, derrière les contrôles de l'artillerie, des barrières et d'autres éléments qu'il ne reconnaissait pas.

— Ok, euh… Blue ? On va sûrement avoir besoin d'un peu d'aide, dit Val.

Elle pencha la tête de côté tandis que Blue ronronnait en réponse, puis sourit à Coran.

— Ne t'inquiète pas, elle va nous aider. Concentre-toi simplement sur le lien. Ou… sur nous, j'imagine ? J'en sais rien. Nyma, tu décrirais ça comment ?

— Super bizarre et un peu flippant, ironisa Nyma.

Elle eut un sourire narquois quand Val pivota pour la fusiller du regard.

— Bah quoi, moi non plus j'en sais rien. C'est toi que je suis pour trouver le Cœur. Ou sinon, Blue m'attrape par les tripes et me tire jusqu'à elle.

Blue poussa un nouveau grondement, les pensées de Coran s'imprégnant d'amusement. Cela aurait pu être le sien, mais il pensait probable qu'il s'agisse de celui du lion, qui observait ses paladins se chamailler avec affection. Il ferma les yeux, se laissant gagner par les émotions qu'il ressentait. Ce n'était pas de la vraie plénitude, pas tout à fait. Pas quand Meri risquait sa vie et que Lance était trop pris par la guerre pour baisser entièrement sa garde. Mais là, dans ce cockpit, rien qu'un instant, la guerre ne semblait qu'un souvenir distant et il se laissa dériver sur les courants d'amour et d'espoir.

Il crut au début qu'il s'endormait, mais quand il chercha à ouvrir les yeux, quelque chose lui comprima le torse : pas de façon menaçante, mais plutôt comme une étreinte. Il se rendit compte que Val et Nyma s'étaient tues. Sa conscience d'elles s'était estompée un instant, bien qu'il percevait Meri et Lance toujours aussi clairement. Ça lui arrivait souvent, ces derniers temps, sans qu'il ne prenne le temps de se demander ce que cela voulait dire. Sa perception passait souvent au second plan, ne se réveillant que quand de fortes émotions se soulevaient.

L'instant d'après, quelque chose bougea. Il n'eut pas d'autres mots pour le décrire que le vent soulevé par le passage de Val, bien que ça ne ressemblait pas vraiment à un courant d'air. Nyma la suivit peu après et, avant que Coran n'essaie même de comprendre comment les imiter, il était déjà en mouvement à son tour. C'était, comme Nyma l'avait décrit, comme une sorte de tiraillement au fond de lui qui le tirait vers des chemins sombres et déroutants.

Il cligna des paupières et découvrit qu'il se tenait au bord d'une falaise donnant sur une magnifique étendue d'eau bleue. L'odeur du sel dans l'air lui rappela ses voyages de jeunesse, les mondes étranges qu'il avait visités et les peuples colorés qu'il avait rencontrés, chaque jour apportant son lot d'aventure. Il pivota, s'attendant à trouver Val et Nyma à ses côtés, mais il était seul. Derrière lui, une pente escarpée menait au sommet d'une montagne. À ses pieds, des vagues s'écrasaient sur une plage de sable noir. Il semblait être arrivé sur une sorte de chemin et, quand il le suivit sur la gauche, son regard tomba sur une grande tour effilée qui déversait sa lumière sur la mer.

Fronçant les sourcils, Coran chercha Val et Nyma dans le lien, ce qui ne fit que le rendre encore plus confus. Elles semblaient proches, bien trop proches. Pas seulement elles : Lance et Meri auraient tout aussi bien pu être perchés sur son épaule. Coran ne les avait jamais sentis aussi clairement, ni avec tant de nuances. La tension de Meri était plus distincte, concentrée sur des personnes spécifiques. Sur Haggar, certes, mais aussi sur d'autres personnes que Coran ne connaissait pas, même s'il pouvait distinguer leur forme dans les émotions de Meri. Lance, également, restait inquiet malgré le soulagement qu'il éprouvait à voir Keith de nouveau sur pied.

Il sentit le moment où Val trouva Nyma, attirant à nouveau son esprit sur elles, et il essaya de faire le tri de ce qu'il percevait. De l'exaspération venant de Nyma, allégé par l'amusement, mais en dessous de ça, un soulagement rembruni par de la culpabilité et de la peur. Et Val était dans tous ses états, presque paniquée. Coran voulait la réconforter.

Il se rendit compte que cette inquiétude lui était destinée quand elles apparurent ensemble à côté de lui. La panique de Val éclata comme une bulle en le voyant et elle se jeta à son cou.

— Je suis désolée ! J'ai complètement oublié qu'on arrivait tous à des endroits différents. J'aurais dû te prévenir.

— Ce n'est pas grave, dit Coran en lui frottant le dos. Vous n'avez pas eu le temps de me manquer. Cet endroit est…

Nyma se mit à rire et Val se détacha de Coran pour la regarder de travers. Nyma haussa un sourcil et fit un geste en direction du phare.

— Regarde où il a atterri. Blue l'a emmené exactement au bon endroit. Pourquoi elle ne fait pas la même chose pour nous ?

Elle haussa la voix sur la fin en regardant bien le ciel et Coran sentit une pincée d'exaspération lui venir de Blue. Elle ne répondit pas.

— On s'en fiche, dit Val, secouant les mains et se tournant vers le phare. On y est, c'est là l'essentiel.

— Mouais, dit Nyma. Et maintenant ?

— Maintenant, on fait des tests, dit Val en souriant à pleines dents.

Elle courut jusqu'au phare, faisant signe aux autres de la suivre.

— Nyma est presque au courant de tout, mais j'ai tenté plusieurs choses. Depuis qu'on s'est projetées sur la planète mère, j'ai cherché à comprendre comment répéter l'expérience et ce phare semble me faciliter la tâche.

— Est-ce qu'on sait pourquoi ? s'enquit Nyma.

Val leva la tête pour regarder le haut du phare.

— Je n'en suis pas certaine, mais… J'ai comme l'impression que cet endroit est… peut-être pas le vrai cœur du lion bleu, parce que je ne sais pas ce que l'île représente dans ce cas, mais je pense que Blue a un lien plus fort avec ce phare qu'avec la rivière dans laquelle je tombe à chaque fois.

— C'est curieux, dit Coran. Vous arrivez tous les quatre à des endroits différents ?

Nyma acquiesça.

— Val dans une rivière, Lance au milieu de l'océan… Je ne sais pas pour Meri, mais moi, je n'arrivais nulle part avant que Val ne vienne me chercher la première fois.

— C'est vrai qu'on n'y voit rien là où t'arrives, dit Val. C'est comme si t'étais sur une rive super brumeuse, mais en tout cas, c'est bien quelque part.

Coran poussa un petit son intrigué, mais s'il y avait un sens à tout ceci, ce n'était pas lui qui allait le trouver. De toute manière, ce n'était pas la raison de sa présence ici.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Val alla tapoter le mur du phare.

— Bref, quand je suis là, j'arrive à me bilocaliser plus loin que d'habitude. De ce que j'ai compris, c'est toujours impossible pour moi d'apparaître physiquement plus loin que l'orbite d'une planète, mais je peux atteindre un point plus éloigné en me projetant… astralement. Ou autre. Bref.

— As-tu réussi à retourner sur la planète mère ? demanda Coran.

— Pas encore, répondit Val avec une moue. Ce n'est pas encore à ma portée. C'est peut-être l'adrénaline qui m'a permis d'y arriver la dernière fois. Blue paniquait et, dès que Lance s'est retrouvé en sécurité avec Red, c'est devenu difficile de maintenir la projection. Je ne sais pas pour Nyma, mais j'étais encore pas mal tendue. Mais Blue semblait plus calme quand on l'a retrouvée.

La théorie semblait raisonnable. L'adrénaline, pour les Altéens comme pour d'autres espèces que Coran avait connues, permettait des exploits simplement impossibles en temps normal. Le cas s'appliquait peut-être ici aussi.

— Eh bien, procédons par étapes, dit-il en rejoignant Val près du mur. Ce n'est visiblement pas pour une question d'adrénaline que tu as demandé ma présence, alors que veux-tu tester ?

— La familiarité.

Val plissa les lèvres, regardant toujours le mur du phare comme si elle cherchait à y trouver le chemin qui la mènerait à Lance.

— C'est un sujet qui revient souvent dans les livres que j'ai eus à Oriande. Que ce soit la bilocation, la téléportation ou la télépathie, tout demande une certaine « familiarité » avec la cible. Je ne sais pas encore ce que ça représente, exactement, mais ça semble être un facteur essentiel. Avant aujourd'hui, je n'ai réussi à me bilocaliser qu'auprès des autres paladins bleus ou de Blue, sinon c'était à un endroit qui m'était familier.

Croisant les bras, Nyma se pencha en avant de façon à rencontrer le regard de Val.

— Comment ça, avant aujourd'hui ?

Val sourit.

— J'ai eu une idée et je l'ai testée pendant que tu allais chercher Coran. Je m'en suis tenue aux gens à bord du château-vaisseau, puisque je sais que c'est à ma portée. J'ai trouvé Nyma sans problème. Toi aussi, Coran. Mais quand j'ai essayé de rejoindre des gens que je ne connais pas vraiment, comme Tev et quelques pilotes de la Garde avec lesquels je suis déjà allée en mission, je n'ai pas réussi. Shiro, Matt et Allura ? Aucun problème. Mme H et Eli ? J'ai dû m'y reprendre plusieurs fois, mais j'ai fini par y arriver. Par contre, impossible de rejoindre les mères de Hunk.

Nyma secoua la tête, basculant son poids d'un pied sur l'autre.

— Et donc ? Il faut que tu connaisses la personne à laquelle tu veux te projeter. Ce n'est pas nouveau.

— Mais maintenant on sait qu'on peut partir de Blue pour atteindre quelqu'un qui n'est pas un paladin bleu, ni même un paladin tout court !

Val se mordilla la lèvre et se mit sur la pointe des pieds.

— Ça veut aussi dire que, pour l'instant, je ne peux pas rejoindre Rolo ou le commandant Holt. Je peux chercher à améliorer ma portée ou trouver un moyen de contourner la question de l'adrénaline, si c'est bien ce qui s'est passé. Mais on doit trouver comment me familiariser avec des personnes que je n'ai rencontré que brièvement ou pas du tout.

Coran se lissa la moustache pour y réfléchir. Val avait déjà proposé plusieurs solutions à ce problème, mais s'ils étaient dans le Cœur et pas dans la salle d'entraînement avec l'appareil de fusion de l'esprit, alors les possibilités étaient réduites :

— Tu veux tenter une projection en tandem ?

— Je crois bien ? (Val écarta les bras dans un geste démuni.) J'y vais un peu à l'aveugle, là. Tout ce que je sais, c'est que ce sera plus facile de me servir de la familiarité de quelqu'un d'autre pour m'orienter plutôt que d'avoir à explorer des souvenirs privés dans l'espoir d'éveiller quelque chose. On pourra toujours essayer cette option plus tard. Et puis, je pense que je n'y arriverai qu'avec quelqu'un qui est aussi lié à Blue.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas essayer avec Nyma ? demanda Coran. À moins que ce ne soit déjà fait… ?

Coran eut la réponse à leurs expressions : elles n'avaient pas essayé, mais n'en voyaient pas l'intérêt.

— Je t'en prie, Coran, dit Nyma. Je ne suis pas du genre à me faire des amis un peu partout. Les seules personnes que je connais bien sont les mêmes que Val ou à des galaxies de là.

Un élan mélancolique se souleva au même moment, plus profond qu'une simple culpabilité à ne pas pouvoir se montrer utile. Coran fronça les sourcils, mais Val avait déjà enchaîné, posant la main de Coran contre le phare et la couvrant avec la sienne.

— Il faut qu'on commence quelque part. Concentre-toi sur…

Val hésita, puis jura.

— Pidge déteint sur moi. Concentre-toi d'abord sur Allura. Histoire d'être sûrs que les projections en tandem sont possibles.

Coran obéit, se concentrant sur Allura de concert avec Val. Le trouble de Nyma le titillait cependant et Val disparut deux fois sans l'emmener avec elle. Elle mettait un petit moment à revenir à chaque fois, plongeant Coran et Nyma dans un silence gêné.

Val n'abandonnait pas pour autant, persuadée qu'elle avait senti quelque chose et qu'elle devait juste bien s'accrocher à Coran. Ce dernier fit de son mieux pour se concentrer, mais quand elle disparut sans lui une troisième fois, il céda à la petite voix dans son esprit et se tourna vers Nyma.

— Est-ce que tout va bien ?

Nyma leva brusquement la tête, visiblement sur ses gardes. Coran se demanda si elle avait conscience d'avoir fait un pas en arrière.

— Oui, dit-elle. Pourquoi ?

Coran ne répondit pas immédiatement, pesant ses paroles. De tous les paladins bleus, Nyma était celle qu'il connaissait le moins, mais il savait qu'elle donnait une grande importance à sa vie privée et n'aimait pas qu'on se mêle de ses affaires. Il leva les mains et lui offrit un sourire apaisant.

— Je suis ton adjuvant, rappelle-toi. Et le lien semble plus fort ici. Tu n'es pas obligée d'en parler si tu n'as pas envie, mais–

— As-tu déjà entendu parler de Ryloss ?

La question fut posée si subitement que Coran dut marquer une pause pour bien la comprendre.

— Ryloss ?

Nyma rougit, se détournant de Coran.

Vrekt. Non, c'est débile. Oublie ça.

Une honte qui n'était pas la sienne lui picota la peau, accompagnée de douleur, de peur et…

Du mal du pays.

— Ah.

Coran fit un pas en avant et posa doucement la main sur son épaule.

— C'est ta planète natale ?

Nyma tressaillit, mais elle avait beaucoup changé depuis que Blue l'avait choisie. Elle était réticente à en parler, mais elle ne le rejetait pas non plus. Pas pour l'instant.

— On a reçu un appel de détresse il y a environ une semaine. Je savais que ça n'allait pas tarder. J'ai payé deux de tes techniciens pour m'informer directement d'un éventuel message venant de là-bas.

Coran sentit l'indignation monter à l'idée que son personnel ait été soudoyé. De l'indignation, ainsi qu'un malaise plus profond. Il avait beaucoup réfléchi à l'espion ces derniers temps et, bien qu'ils se soient tous accordés à dire que les techniciens n'avaient pas pu accéder aux données confidentielles, il n'aimait pas penser que l'un d'entre eux puisse se faire acheter si facilement. Peut-être était-ce parce que la demande venait de Nyma : en tant que paladin, elle aurait aisément pu en donner l'ordre et se faire obéir, l'argent proposé empoché par simple cupidité. Avec un peu de chance, ça n'allait pas plus loin.

Ça demandait quand même une enquête de sa part.

— Tu n'as pas transféré l'appel de détresse aux paladins, déduisit-il. Tu l'as confié à la Garde ?

Nyma acquiesça.

— Je ne voulais pas en parler. Surtout à Val. La famille, c'est tout pour elle, alors que moi… Je n'ai pas vu ma famille depuis dix ans. Je veux les savoir en sécurité, mais ce n'est pas… Ce ne serait pas–

Elle poussa un grognement frustré et s'arrêta là, mais ses émotions décrivaient assez clairement son ressenti. Une bonne dose de douleur, de colère et de culpabilité entouraient l'idée de son foyer. Ce n'était pas facile à exprimer, mais Coran comprenait.

— Je ne me souviens pas d'avoir eu des nouvelles sur le sujet, dit-il. Mais je peux me pencher dessus tout à l'heure, si tu veux.

Nyma resta plantée à fusiller du regard le bord de la falaise pour éviter de rencontrer le regard de Coran, mais elle hocha la tête.

— Je veux bien.

Souriant, Coran lui tapota le dos et, quand Val réapparut, il put accorder toute son attention au nouvel essai de projection en tandem.


Meri se sentit malade dès son réveil. C'était un nouveau jour de leçons privées à se retenir de vomir pendant qu'Haggar déchirait l'esprit d'un prisonnier, à faire taire la partie d'elle qui rechignait à l'imiter pour monter dans les rangs rapidement. Elle n'avait pas le choix. Elle devait être prête à couvrir ses traces. Elle ne pouvait pas risquer qu'Haggar s'aperçoive de quelque chose et ait l'occasion de la contrer.

Et surtout, elle ne pouvait rien montrer de son trouble, ni sur son visage, ni dans ses pensées qui virevoltaient dans l'air comme de la poussière d'étoile.

La magie de l'esprit était très curieuse. Reza était capable d'en apprécier les subtilités d'une manière que Meri ne pourrait jamais. Reza pouvait analyser la complexité d'un sort, l'équilibre délicat qui devait être maintenu entre l'attaque et la défense. Plonger dans l'esprit de quelqu'un signifiait forcément de s'exposer au même moment. Rien qu'en étant dans la pièce avec Haggar pendant qu'elle s'affairait, Meri sentait ses pensées remonter à la surface et s'envoler comme de petits papillons agités n'attendant que d'être attrapés.

Haggar était trop occupée pour lire dans l'esprit de Reza, bien sûr, mais ça mettait Meri mal à l'aise d'être si vulnérable. Elle se plongeait donc plus profondément dans son rôle, laissant Reza prendre les devants.

Et Reza, pour sa part, était avide d'en apprendre plus. Elle se penchait sur le prisonnier tandis qu'Haggar ouvrait le contenu de son esprit et elle progressait avec une hâte de connaître elle-même l'effet que cela faisait. (Il fallait qu'elle apprenne. Il fallait qu'elle soit prête.)

Elle voulait faire ses preuves.

— Tu as bien travaillé, Reza, dit Haggar tandis qu'on escortait le prisonnier jusqu'à sa cellule pour récupérer, si toutefois il le pouvait.

Ceux qui n'étaient pas brisés par ces interrogatoires revenaient plus forts, leurs esprits érigeant des défenses naturelles contre les envahisseurs. Ce serait un bon entraînement quand Reza aurait plus d'expérience. (Elle imaginait que l'esprit d'Haggar était plus fort que tous les autres, après toutes ces années de pratique.)

— Tu connais les bases et tu excelles dans chaque domaine.

La fierté lui réchauffa le cœur et elle s'inclina pour dissimuler à Haggar le conflit dans son regard. Ce n'était pas que Reza qui avait apprécié cet éloge : une partie de Meri désirait ardemment être approuvée. (Parce qu'ainsi, elle était sûre d'être dans une position stable, se disait-elle. Elle ne voulait pas de l'approbation d'Haggar, seulement sa complaisance.)

— Merci, Dame Haggar, dit-elle quand elle fut à peu près sûre que sa voix ne trahirait rien. Je fais de mon mieux.

Les griffes d'Haggar lui prirent le menton, la forçant à rencontrer son regard.

— Il y a de la soif en toi. Je l'ai vu tout de suite. De la soif de pouvoir. De la soif de gloire. Deux qualités précieuses pour un serviteur de l'Empire, mais seulement si tu as les capacités derrière.

— Je les ai, dit Meri, sa voix se brisant de ferveur, de peur. Laissez-moi faire mes preuves, Dame Haggar. Je ne vous décevrai pas.

Haggar sourit, sa prise sur le menton de Meri se resserrant presque au point de lui faire mal.

— Tant d'enthousiasme… Très bien.

Elle fit un geste vif de sa main libre et la porte s'ouvrit, laissant entrer un garde qui tirait un prisonnier derrière lui.

— Voyons ce dont tu es capable.

Meri trembla, se retirant plus profondément, faisant taire sa culpabilité et sa honte et se laissant être Reza. Seulement Reza. Elle ferait ce qu'Haggar lui demandait. Elle en ferait même plus encore. Elle ferait ses preuves en tant que la meilleure druide ayant jamais foulé les couloirs de ce vaisseau…

Puis elle les ferait tous payer.