Musiques : Nightmares, Crisis in the North (FMAB, OST 2), Jigoku Nagashi (Jigoku Shoujo, OST 1), Shadows, curse and death (Baldur's Gate III, OST), Let me hear (Opening de Kiseijû)
Note : Suite du chapitre 19, choix 1.
Choix 1 : (récupérer le journal à l'extérieur)
Après un court instant de réflexion, Roy se leva. Il se dirigea vers l'entrée d'un pas décidé.
Après tout, que serait la vie sans risques ? Un long fleuve tranquille, mais surtout bien morne. Alors, il allait tenter la chance et chercher le journal. Au pire, il serait repéré par un quelconque voisin, qui passerait sans doute son chemin. Si le karma avait décidé de lui faire une crasse, en lieu et place du « voisin » se trouverait un ex-collègue à la gâchette facile, mais honnêtement, en restant là, il allait surtout mourir d'ennui. Ça ou se prendre une balle, en fin de compte, c'était du pareil au même ; autant se bouger.
Face à la porte, néanmoins, toute la superbe du général s'envola. Le monde extérieur était tout de même dangereux. Outre sa vie à lui, n'était-ce pas celle du docteur aussi, qu'il mettait sur la sellette en se montrant si téméraire ? Était-ce raisonnable ?
Peut-être pas.
« … »
Roy déglutit, puis attrapa la poignée.
Depuis la guerre d'Ishbal où il avait « brillé » par ses actes et sa « bravoure » au combat, il avait passé pas mal de temps à son bureau à se tourner les pouces. Rares étaient les fois où il était retourné sur le terrain pour éprouver ses qualités de soldat. À croire qu'il en avait été réduit à ça, durant ses dernières années d'exercice : se cacher derrière une paperasse assommante dès que le danger se présentait à lui sous la forme d'un bras vengeur, et inspirer occasionnellement la peur à des gens stigmatisés et contraints de vivre dans l'ombre en attendant d'être rattrapés par la mort. Enfin, quand on ne lui refilait pas carrément des affaires de meurtres en série dont même un sergent aurait pu se charger.
À part ça, depuis son retour du front, il n'avait servi à rien et n'avait jamais pris d'initiative. Ne s'était jamais sali les mains ; seulement ses gants, de temps à autre. C'était toujours aux autres de tout faire à sa place.
Il était temps de changer.
Temps de sortir sans qu'on lui en donnât la permission.
Temps d'agir.
Roy vérifia avec soin par la fenêtre que la rue était déserte, puis ouvrit la porte. Il gonfla le torse pour se donner du baume au cœur, puis marcha d'un bon pas – à défaut de pouvoir courir – jusqu'au journal en se fondant parmi les ombres des végétaux alentour. Il ramassa le quotidien, puis fit le chemin inverse à toute vitesse. L'adrénaline du moment anesthésia son pied blessé, mais une fois de retour à l'intérieur, celui-ci eut tout le loisir de se rappeler à lui par des pics incessants qui remontaient tout le long de son épine dorsale.
Tch ! La prochaine fois, j'irai en sautillant sur une jambe.
Tout en s'appliquant à taire la douleur grâce à un laborieux processus d'autopersuasion, le soldat referma silencieusement la porte et considéra son trophée. À première vue, il ne s'agissait que d'un paquet de pages jaunies, froides et gondolées par l'humidité ambiante, mais à ses yeux, c'étaient surtout des nouvelles fraîches à se mettre sous la dent – qui ne lui avaient demandé que de sacrifier un pied. Quoi de mieux pour passer une soirée à se morfondre sur son impuissance ?
Sur ce réjouissant constat, Roy verrouilla de nouveau la porte et partit s'installer à la table de la cuisine. Heureusement, celle-ci était baignée par la lumière orangée des lampadaires de la rue. Il ne verrait pas comme en plein jour, mais ce serait mieux que rien. Plissant les yeux, il se concentra donc sur les caractères pour les dissocier des ombres, et commença sa lecture.
La une, à elle seule, suffit à la lui faire interrompre.
« Qu'est-ce que… », souffla-t-il d'une voix tremblante en parcourant les titres, effaré.
« LE "HÉROS" TRAÎTRE À SA CAUSE »
À côté de ce titre si évocateur s'étalait une photo de lui. À en juger par son âge, son regard éteint et son visage émacié, le cliché devait dater de peu après la guerre d'Ishbal. Roy ne se rappelait même pas avoir posé à son retour de celle-ci. Probablement l'avait-il fait par obligation pour une quelconque raison administrative. En tout cas, il n'en gardait aucun souvenir. Pour rajouter à l'horreur de ce portrait, la photographie en elle-même avait largement souffert du passage du temps. En dépit des efforts du maquettiste pour obtenir un rendu potable, tous les défauts de conservation du cliché avaient été mis en exergue par sa reproduction catastrophique : non content d'avoir été corné, il avait dû être exposé aux éléments pendant plusieurs mois – voire années. De quoi donner à son sujet des airs de repris de justice.
Mais le pire dans tout ça, c'était qu'on avait juxtaposé à ce portrait peu flatteur de lui une photo de Riza. Les cheveux courts et mal entretenus, la mine sombre, la jeune femme faisait peine à voir. Il ne s'agissait pas là non plus d'une photo d'elle qui datait de son admission au sein des rangs de l'armée, mais plutôt de son retour du front. En bref, des clichés bien sympathiques et fort désavantageux, certainement destinés à donner d'eux une image des plus avenantes à la population ; celles de parfaits psychopathes.
Sans s'attarder davantage sur cette mise en scène grossière, Roy préféra se concentrer sur le texte sordide qui s'étalait sur la première page :
« (…) C'est donc bien le général Roy Mustang qui s'est débarrassé des frères Elric, deux garçons innocents dont le seul tort a été de vouloir empêcher un ignoble coup d'État attenté contre la personne de notre bien-aimé Führer, King Bradley. L'aîné des deux frères, Edward Elric, plus connu sous le titre de "Fullmetal Alchemist", était un enfant brillant, mais également le plus jeune alchimiste d'État de l'Histoire de notre puissante armée, et la fierté de notre pays. Pour son malheur, il a été placé sous le commandement direct du général Mustang dès son investiture, avant d'être récemment promu secrétaire du Généralissime (plus d'informations sur ses faits d'armes en p. 5 : "Edward Elric, un héros parti trop tôt").
Malgré cela, Edward Elric a gardé contact avec le général Mustang, dont l'ambition a causé la perte du pauvre innocent – une perte immense pour notre nation. Persuadé d'avoir le talentueux garçon sous sa coupe, l'homme a tenté de convaincre le jeune prodige de rallier un groupe de rebelles dont il est à la tête afin de faire tomber notre gouvernement et ainsi prendre les commandes de notre pays. Malheureusement pour l'ancien "Héros d'Ishbal", le Fullmetal Alchemist était trop intègre pour être corrompu et a décliné cette infâme proposition, d'après les témoignages de son entourage. »
Les mains de Roy se crispèrent sur le papier. Il n'en revenait pas.
Mais bien sûr. J'imagine bien « l'entourage » en question. Une flopée d'inconnus à qui on aura filé trois billets pour témoigner de ce genre d'âneries à qui veut bien l'entendre ! grinça-t-il en son for intérieur.
Bien qu'écœuré, le fugitif poursuivit sa lecture :
« Le sort d'Edward et de son frère, lui aussi alchimiste, a été scellé dès ce désaccord : les deux garçons ont disparu sans laisser de traces lors de l'attentat de mars dernier, durant lequel ils auraient bien pu être tués, selon nos sources. Cet attentat, dont on ignorait jusque-là quels sont les auteurs, a été orchestré par le général Mustang, d'après les conclusions de l'enquête. Assisté par sa subordonnée, le lieutenant Riza Hawkeye, et par le (tristement) célèbre Ishbal qui a signé de nombreux crimes sous le pseudonyme de "Scar", il a provoqué la destruction de tout une partie du quartier général de l'armée de Central. L'effondrement a emporté du même coup les frères Elric, présents sur place, et notre très cher Führer, King Bradley, qui a lui heureusement survécu à cet acte innommable. »
Ils m'accusent carrément ?!
C'était à lui qu'on faisait porter le chapeau de la disparition des deux garçons ?! Et pourquoi d'Alphonse aussi, au juste ?! C'était le pompon !
Mais il y avait pire :
« Une chance inouïe qui a ébranlé le plan du général Mustang. Face à cet échec cuisant, ce dernier s'est fait passer pour l'une des victimes de l'incident qu'il a lui-même provoqué afin d'être mis hors de cause. Il a cependant été rapidement établi que le corps exhumé des décombres, puis enterré avec des honneurs que ce félon ne méritait pas, n'était pas le sien. La piste d'une victime supplémentaire est sérieusement envisagée et actuellement à l'étude. Elle pourrait se rajouter à la longue liste des meurtres désormais imputés au général Mustang.
L'enquête a également révélé que le vétéran d'Ishbal fomentait un second coup d'État, après l'échec du premier. Il comptait pour celui-ci sur l'appui d'un noyau de rebelles ishbals installé illégalement au cœur de notre belle capitale. Ces individus devaient être appréhendés et interrogés cet après-midi près des halles, mais ont refusé de coopérer. Ils ont été tués lors de l'assaut (plus d'informations en p. 7). Également concernée, le lieutenant Riza Hawkeye, récemment promue au même poste que le regretté Edward Elric. Bien que placée sous haute surveillance, "L'Œil de faucon" n'a pas hésité à attenter une fois de plus aux jours de notre vénérable Généralissime au sein même du Quartier Général dans la nuit de mardi à mercredi. Retrouvez plus de détails sur cette odieuse tentative de meurtre en p. 2, en exclusivité pour Central City News. »
Roy en tomba des nues.
Voilà qui expliquait la photo de Riza accolée à la sienne. Mais il n'y croyait pas un instant.
Une tentative de meurtre ?! À quel moment pourrait-elle rivaliser, seule, entre quatre murs, avec un King Bradley armé jusqu'aux dents ?! Et même s'il n'était pas armé, je suis persuadé qu'il pourrait venir à lui seul d'une bonne douzaine d'hommes !
En dépit de la confiance totale qu'il avait en sa subordonnée, le général le certifiait : elle aurait eu beau n'être postée qu'à dix mètres de là avec tout l'attirail et le temps qu'elle voulait pour tirer, elle n'aurait même pas pu effleurerle borgne ! Pas en duel et sans aide, du moins. Les réflexes de celui-ci étaient surhumains. C'était un monstre, Roy en savait quelque chose.
« Mais quel ramassis de conneries ! » rugit-il, hors de lui.
« Afin de se constituer un alibi, le lieutenant Hawkeye a quant à elle simulé son propre enlèvement. L'équipe chargée de l'enquête s'est rapidement rendu compte de la supercherie et a immédiatement émis un mandat d'arrêt à son encontre et à celle du général Roy Mustang. Ces deux criminels, ainsi que leur complice ishbal, sont actuellement en fuite et devront répondre de leurs actes devant la justice. (…) »
Des « criminels ». Des « traîtres ». Voici donc comment Riza et lui-même étaient à présent considérés. Leurs photos, assorties de celle Scar (floue, en plus) en contrebas, avaient pour but d'alerter les civils. Ceux-ci étaient d'ailleurs conviés à appeler un numéro d'urgence au moindre doute, ou dès qu'ils apercevraient l'un ou l'autre desdits individus – et ce, contre une somme rondelette.
Ce signalement signait tout bonnement leur arrêt de mort. Maintenant, toute la ville, et plus seulement l'armée, allait être à leurs trousses.
« C'est pas vrai ! » ragea Roy plus bas, les dents serrées.
Pourtant, il avait beau être atterré, il devait reconnaître que c'était bien joué. Parce que, le pire, dans l'histoire, c'est que le journal n'avait pas tout à fait tort quant à ses intentions. Il visait bien la tête de l'homme le plus haut gradé du pays. Hormis les meurtres dont on lui faisait porter le chapeau à tort, finalement, la seule erreur du quotidien était cette histoire saugrenue d'alliance avec Scar.
C'est du délire ! Il a failli avoir ma peau, à moi aussi, merde ! s'insurgea intérieurement Roy en agrippant avec tant de fureur la gazette que celle-ci trembla entre ses mains.
Sérieusement ? Cette feuille de chou partait-elle réellement du principe que personne n'avait souvenir que Scar avait manqué de peu de faire de lui une cocotte-minute ? Le général voulait croire que la chose paraîtrait stupide à tous, mais il était plus que bien placé pour savoir que le propre de l'opinion publique était d'être versatile ; pas logique.
Dire que les civils qui vont gober ces salades !
Des civils qu'il lui faudrait en plus guider une fois King Bradley destitué. Malheureusement, avec ce simple bout de papier, ces hommes et ces femmes étaient devenus, sans le savoir, les instruments d'une odieuse machination qui les dépassaient. Chaque personne serait deux yeux de plus à pouvoir renseigner l'ennemi.
Brusquement, la ville sembla à Roy bien plus menaçante qu'auparavant. Cela n'avait bien entendu rien à voir avec la nuit tombée, mais plutôt avec la certitude qu'au-dehors, d'un seul coup, une multitude d'yeux curieux s'était tournée vers lui et l'observait, guettant le moindre faux pas de sa part.
Roy balança le journal sur la table dans un geste d'humeur. Tout cela contrariait ses plans, ça, c'était sûr. Le généralissime venait de resserrer l'étau autour de lui. Mais pourquoi ce soudain revirement ? Un coup, on le déclarait mort, un autre, on faisait circuler un avis de recherche à son propos. Quelle vie mouvementée il pouvait avoir, malgré lui ! Cela dit, il était vrai qu'il avait fait preuve de négligence, de son côté : il était évident que, dans l'ombre, il n'était pas le seul à avancer ses pions. Des institutions bien plus rodées que son pauvre simulacre de résistance y étaient à l'œuvre depuis plus longtemps que lui.
Tiens ! En plus… « Mort ou vif », qu'ils disent. Merci bien. Je vois sans mal quelle option va être privilégiée. La facilité avant tout, j'imagine.
Le message était clair.
Il y avait un mort pas tout à fait mort – lui – et cela déplaisait à suffisamment de monde pour agir. Ce qui ne…
Tap tap tap
Roy se figea. Un silence pesant envahit la pièce plongée dans la pénombre.
L'espace d'un instant, son souffle devint inaudible ; seuls les battements lents et lourds de son cœur lui parvenaient.
Il tendit l'oreille.
Tap Tap Tap
Il tourna la tête vers la porte.
Des bruits de pas.
Juste derrière celle-ci.
Il pensait avoir rêvé et s'être mépris, mais force fut de constater que son pressentiment était le bon. Bien vite, à ces pas feutrés vinrent s'ajouter des murmures étouffés. Quelqu'un, et même probablement plusieurs personnes, se tenait derrière le mur qui lui faisait face… et quelque chose lui disait qu'il ne s'agissait pas du docteur. Roy penchait plutôt pour des invités inopportuns qui n'allaient pas attendre son autorisation pour pénétrer dans la maison.
Eh merde !
Le général attrapa le journal aussi rapidement et silencieusement que possible. Le cœur battant, il se hâta de regagner l'escalier. Combien de temps avait-il avant que ces visiteurs, qui ne devaient pas lui vouloir du bien, ne parvinssent à forcer la porte ? Une minute, tout au plus. Le domicile du docteur Knox avait beau être une planque idéale, ses portes n'étaient pas en béton armé, pas plus que leurs serrures. Pour un commando, il serait facile d'en venir à bout. Car, assurément, c'était un petit groupe armé qui rôdait, là, dehors. Le claquement des bottines sur les pavés qui menaient à la demeure ne laissait pas place au doute. Des « collègues » avaient retrouvé sa trace. Ou alors, il ne s'agissait que d'une descente hasardeuse.
« Hasardeuse », mais qui allait lui coûter la vie s'il ne trouvait pas vite une cachette.
Or, pour le plus grand bonheur du brun, dans une maison si petite, il n'y en avait évidemment pas beaucoup.
Roy pressa le pas. Avec un peu de chance, les soldats vérifieraient d'abord la cave ; la base, si l'endroit était censé abriter un fugitif. La cachette qu'il avait en tête ne serait guère mieux, mais peut-être suffisamment primaire pour leurrer ces professionnels.
Une fois arrivé à l'étage clopin-clopant, le général fila dans « sa » chambre. Il récupéra au cas où le revolver rangé dans la table de nuit, puis se glissa sous le lit. Il dut lutter pour se faufiler entre ce dernier et le parquet. Un adulte normalement constitué n'aurait pas pu réaliser cet exploit, mais pour lui, qui avait perdu plus d'une dizaine de kilos durant sa convalescence à force de ne se nourrir que de bouillons, de médicaments et éventuellement d'alcool – lorsqu'il avait réussi à mettre la main dessus –, c'était faisable. Certes, ce n'était pas la cachette du siècle, mais il aurait peut-être ainsi une chance d'en réchapper.
Étouffé contre les lattes du sommier desquelles s'exhalait une atroce odeur d'humidité, Roy songea un instant qu'il aurait aussi pu s'agripper à la fenêtre de la chambre ou s'évader carrément par celle-ci. Mais non. À la réflexion, un autre problème se serait posé : impossible de la refermer une fois sorti. Il se serait fait pincer encore plus rapidement. De plus, quand bien même il aurait réussi à se suspendre à la seule force de ses bras, qui lui garantissait qu'un second groupe ne montait pas la garde pour prévenir toute fuite ? Il était très probable qu'une telle précaution eût été prise.
Enfin, même si le lit sous lequel il s'était caché était défait, il pouvait toujours compter sur un atout : celui du désordre. Peut-être que ces hommes, aussi expérimentés fussent-ils, ne prêteraient pas attention à cette chambre d'amis, compte tenu du bordel monstre qui s'étalait dans toute la maison, et en particulier là où il couchait depuis deux mois.
Après tout, quel être humain aurait pu décemment vivre dans un tel foutoir ?
Une pensée plutôt désespérée, mais c'était la seule à laquelle le général, qui sentait ses chances de survivre s'amoindrir à mesure que les secondes défilaient, pouvait se raccrocher.
BAM !
La porte d'entrée, au rez-de-chaussée, s'ouvrit à la volée. Contrairement à ce que Roy avait cru, les intrus ne comptaient visiblement pas faire dans la dentelle. Ils ne s'étaient pas embarrassés à crocheter la serrure ; ils avaient défoncé la porte, tout simplement.
Des bruits de pas précipités et des voix hargneuses retentirent juste sous lui, dans le salon. Quelque chose se brisa. Un meuble qu'on déplaçait violemment couina. Roy plaqua son oreille au sol, le souffle court. Même si son cœur, emballé, lui vrillait celle-ci, il entendit distinctement partir un coup de feu, étouffé par un silencieux. Bien qu'il ne sût pourquoi l'un des hommes avait tiré, il pouvait au moins être sûr d'une chose : ils avaient la gâchette facile. Une constatation qui lui fit raffermir sa poigne sur son revolver. Il l'arma et le tint face à lui, prêt à se défendre. Ce serait certainement son unique chance de s'en sortir, quand le commando débarquerait dans la chambre.
Il ferma un instant les yeux pour se calmer.
Les bottes claquèrent sur les marches en bois de l'escalier. Rapides, précises, et rythmées par cette régularité sinistre propre aux hommes qui ont choisi de vouer leur vie à l'ordre et au parfum de la poudre. La porte de la chambre voisine grinça sous l'assaut qui lui était donné. Une lumière blanche, vive, fusa dans le couloir et se faufila sous la porte de la pièce dans laquelle le général s'était réfugié.
Des heurts retentirent contre les murs. Au sol. Des objets se fracassèrent. Un puissant choc, qui devait au moins être celui d'une armoire qu'on projetait par terre, se réverbéra dans tout l'étage, arrachant aux lattes une fine pellicule de poussière qui menaça de faire éternuer Roy. Il se retint in extremis. Malgré l'horreur de la situation, il se surprit à sourire ironiquement : ces hommes peu soigneux allaient achever d'annihiler le peu d'ordre de cette maison qui battait pourtant des records en la matière. Un comble.
Son sourire s'évanouit néanmoins une seconde plus tard, lorsque des ombres vinrent engloutir la lumière qui filtrait sous la porte toute proche.
Celle-ci jaillit subitement de ses gonds et vola contre le mur.
La puissante lumière de plusieurs lampes-torches éclata tout autour de lui et l'aveugla. Deux silhouettes firent irruption. Elles s'immobilisèrent. Roy vit leurs pieds, vissés au sol, pivoter d'un côté, puis de l'autre. Leurs propriétaires inspectaient les lieux pour les sécuriser. Trois autres hommes s'engouffrèrent d'un même mouvement dans la pièce, puis se mirent à fureter en tous sens. Roy se recroquevilla pour tenter d'échapper aux griffes révélatrices de la lampe. Il retint son souffle. Autour de lui, de part et d'autre de sa cache, les bottes filaient, claquaient, bondissaient. Des vêtements voltigeaient, des meubles basculaient, et des objets tombaient un à un dans son champ de vision tandis que, de toutes parts, la menace d'être découvert grondait.
Pourvu qu'ils ne se baissent pas…
« Négatif. Il n'y a personne, ici.
— Vérifiez la fenêtre ! »
Quelle bonne intuition il avait eue.
La fenêtre s'ouvrit dans un grincement sonore. Roy sentit l'air frais du soir lui lacérer les jambes, le dos et la nuque, sans pour autant qu'il n'apportât avec lui l'odeur de l'un des traqueurs. Ils étaient consciencieux. Pas d'eau de parfum ; pas de relent de tabac froid ; pas une goutte de sueur. Ils maîtrisaient jusqu'au moindre de leurs pores.
Un silence dérangeant s'ensuivit puis, de nouveau, une voix déclara :
« R.A.S.
— Le lit. Dessous. »
Je suis cuit.
Malgré la panique qui le gagnait, Roy expira lentement. Il serra son arme contre lui, prêt à faire feu à droite comme à gauche. Il doutait pourtant que cela lui fût d'une quelconque utilité : rien de ce qu'il ferait à présent ne changerait la donne. Tout juste pourrait-il tuer un homme. Peut-être deux.
Dans les faits, il était déjà mort.
Une main gantée épousa le sommier, tandis qu'une paire de genoux ployait sur sa droite. Roy braqua son revolver. Son doigt frôla la gâchette.
Soudain, un crépitement familier résonna dans la pièce ; celui d'un talkie-walkie.
Une voix hachée par des grésillements annonça :
« Équipe 3 ! Équipe 3 ! On nous signale la présence de Scar aux abords du Q.G. ! Mission annulée ! Je répète, mission annulée ! Rendez-vous de toute urgence sur les lieux ! »
Un homme répondit :
« Il nous reste deux maisons à fouiller. Nous ne…
— Ne discutez pas, c'est un ordre ! » hurla la voix dans le talkie-walkie. « Ils ont besoin de renforts, là-bas ! Il n'est pas seul ! Ses complices sont avec lui !
— Comment ?! »
Roy fronça les sourcils. Hein ? Ses « complices » ? Mais Scar n'en avait pas, aux dernières nouvelles… à part lui et son lieutenant, d'après les journaux. Alors, qu'est-ce que…
« Attendez, comment…
— Non mais magnez-vous, bordel de merde ! On vous paie à quoi, putain ? À bayer aux corneilles ? Grouillez-vous, nom de Dieu ! Y en a qui crèvent, là-bas, pendant que vous tortillez du cul pour chier droit ! »
L'homme qui avait commencé à s'accroupir se releva, et demanda :
« Chef, est-ce qu'on…
— On y va. Tant pis pour la mission, on a plus urgent. Allez ! Go ! Go ! Go ! »
Roy, estomaqué, suivit du regard les bottes courir les unes derrière les autres avec précipitation. Il entendit les soldats dévaler les escaliers puis, dans le lointain, le claquement de leurs chaussures s'évanouir comme un mauvais rêve.
Des sueurs froides, qu'il n'avait pas remarquées jusqu'alors, glissèrent lentement le long de son dos.
Il avait frôlé la mort.
Incertain et encore secoué par cette expérience pour le moins traumatisante, Roy attendit encore dix bonnes minutes avant de s'extirper de sa cache. Une fois sorti, il jeta un coup d'œil inquiet par la porte. Assuré d'être seul dans la petite bâtisse, il se rapprocha de la fenêtre pour regarder discrètement au-dehors.
Personne.
Les hommes étaient bel et bien partis, laissant derrière eux une demeure sens dessus dessous, mais également un mystère : qui étaient ces « complices » auxquels la voix du talkie-walkie avait fait allusion ? Et surtout, pourquoi ce timbre avait-il sonné si familier à ses oreilles ? Le général était certain de connaître celui à qui il appartenait, même si son nom ne lui revenait pas ; la qualité du son avait été trop mauvaise pour qu'il pût l'identifier.
En tout cas, il avait eu de la chance. Ce ne serait toutefois pas toujours le cas. Il ne pouvait plus se permettre de rester ici au prétexte que la maison avait déjà été fouillée. Rien ne lui garantissait qu'elle ne le serait pas une seconde fois. Il n'allait sûrement pas jouer sa vie à la roulette drachmienne. Il devait s'en aller. Et pour cela, cette attaque de Scar, qui entraînerait nécessairement un attroupement au Q.G., tombait à point nommé ; en ville, la voie était libre, et lui aussi.
Roy rassembla ses quelques affaires dans un sac en toute hâte, puis s'empara d'un stylo plume et d'une feuille, sur laquelle il griffonna un mot à l'attention du docteur. Dedans, il présenta ses excuses pour le dérangement occasionné et pour les dégâts engendrés par la descente. Il promettait également au médecin de payer la dette qu'il avait envers lui en temps venu ; une compensation financière ne serait pas de trop quand il pourrait se la permettre. Enfin, il écrivit :
« Encore merci pour ce que vous avez fait pour moi, surtout ces derniers jours. Bien que je ne puisse vous l'indiquer par mesure de prudence, soyez sans crainte, je sais déjà où aller. Je vous dis à bientôt. Tâchez de survivre jusque-là, il se peut que j'aie de nouveau besoin des services du meilleur légiste de Central. »
Satisfait, Roy hocha la tête. Il plaça le mot au milieu du lit du docteur, sous les draps, là où il était sûr qu'il le trouverait sans pour autant que ce fût trop visible – on ne savait jamais. Il s'habilla chaudement, attrapa son sac et l'une des casquettes de son hôte, la vissa sur son crâne, et le visage dissimulé par son ombre, quitta la maison. La nuit serait son alliée, tout comme Scar et son intervention inespérée.
Si le général avait réussi l'exploit d'échapper à un commando armé par pure chance, il pouvait de nouveau tenter celle-ci en traversant la ville jusqu'à sa nouvelle destination, même à vitesse réduite. Après tout, dans le chahut ambiant, qui ferait attention à un homme tel que lui, vêtu comme un pauvre hère, traînant une patte folle ? Tout simplement personne, parce qu'il n'y avait plus un seul citoyen pour se souvenir du héros d'Ishbal auréolé de gloire, aussi abîmé fût-il, et maintenant remplacé dans l'esprit de tous par une bête assoiffée de sang.
Or, cette gloire, Roy le savait, il la retrouverait. Il n'en doutait pas. L'ennemi avait certes plus d'un tour dans son sac, mais il avait commis une erreur.
Estimer Scar plus dangereux que lui.
À suivre…
Fiouh ! J'ai eu pas mal de mal avec ce chapitre. J'ai dû revenir de nombreuses fois dessus, surtout pour les passages des articles de journaux u.u' J'espère cependant que sa qualité n'en a pas pâti et que ça vous aura plu :3 Et pour ceux qui se demandaient pourquoi il était « spécial »… c'est fort simple !
Parce que c'était le choix le plus bâtard de toute l'histoire xD C'est du pur 50/50, y a quasiment aucun indice pour le résoudre (seulement le fait que compte tenu des données temporelles égrénées et du chapitre précédent, vous saviez qu'il vous fallait des infos rapidement)… bref, même moi je me suis dit, à un moment « T'abuse, là, non ? », mais hé ! C'est le jeu, mes pauvres Lucette :p
Sachez donc que vous avez passé le plus dur. Et pour ceux qui auraient eu bon du premier coup, déjà, « bravo ! » ; ensuite, pensez à jeter un œil à mon Insta (hélas, ne m'aura pas laissé poster ça ici), car une surprise de taille vous y attend ~ Faut bien compenser les coups de p… palmier, après tout ! ;) (Envy : C'est bas, ça. W.A. : Et tu vas faire quoi, hein ? Mon clavier, mes règles !)
Sur ces bonnes paroles, je vous dis à la semaine prochaine ! N'oubliez pas le p'tit review qui fait du bien :3
White Assassin
