En larmes… Candice était en larmes, recroquevillée dans cette pièce sombre du palier de la maison de sa mère. Jamais la détective n'aurait imaginé finir dans cet état en pénétrant cette demeure qui renfermait des mots douloureux. Ceux du genre qui se transformaient en maux et qui blessaient… inévitablement. Pourtant, Candice était parvenue à escalader sans difficultés ces barrières blanches rugueuses. Puis, bille en tête, elle s'était mise à la recherche de ce trousseau de clés censé être planqué dans un recoin autour de la propriété. Alors elle avait soulevé tous les pots de fleurs et objets décoratifs juste avant de tomber sur un arrosoir en argile. Une vulgaire décoration qui frôlait le potager visiblement peu entretenu. Elle jeta un œil à l'intérieur et ses yeux heurtèrent une boîte rouge. Le refuge de ce trousseau miraculeux.
Et enfin Candice avait pu ouvrir la porte. La maison était à l'image de sa mère, simple mais chic. La décoration était vieillissante mais épurée. Les murs blancs se revêtait de quelques cadres décoratifs sans prétention. Des bibelots d'un or plus ou moins massif trônaient sur les buffets en bois du salon et des plantes donnaient ce côté verdoyant à cet intérieur qu'elle jugeait impersonnel. Aucune photo, aucun objet personnel, même pas un post-it collé sur le frigo. Rien… Elle ouvrit chaque tiroir de chaque meuble, espérant tomber sur un indice concernant son amoureux mais à nouveau, seuls quelques objets bien futiles tombèrent dans ses mains…
Elle ôta rapidement son manteau qu'elle déposa sur le canapé avec son sac à main. Bah oui! Candice avait été à la tête de bien trop de perquisitions pour savoir que l'apparence simplette et désuète camouflait parfois de lourds secrets. D'abord, elle tomba sur l'ordinateur portable de sa mère posé sur la table de cuisine. Cet objet que Magda se plaignait sans cesse de ne pas savoir utiliser. Elle tira la chaise en bois et prit place devant l'écran qu'elle déverrouilla. Aïe, il lui fallait un code… «Réfléchit Candice, réfléchit!» s'ordonna-t-elle en se frottant le front de ses doigts refroidis par la tombée de la nuit. Sa date de naissance: erroné. Celle de son père: idem. Ah! Candice eut une révélation. La date de mariage de ses parents: bingo! L'écran d'accueil apparut, laissant s'afficher une photo de ses 4enfants. Elle sourit doucement avant d'aller sur internet. L'historique n'affichait rien de bien intéressant et l'application qui lui servait de communication avec ses proches ne semblait pas avoir été ouverte récemment. La blonde cliqua quand même, se refusant de lire les derniers échanges que sa mère avait eu avec son amant. Bref, encore une fois, les recherches étaient infructueuses.
Alors elle avait refermé cet ordinateur après avoir soufflé bruyamment. Chaque tiroir de la cuisine fut inspecté à son tour avant qu'elle ne se décide à quitter ce petit rez-de-chaussée. Elle grimpa les quelques escaliers et débarqua sur un long couloir agrémenté de 4 portes. Salle de bain, chambre, bureau et… débarras visiblement. Candice ne trouva aucun intérêt à fouiller la salle d'eau. La chambre, elle, n'avait laissé apparaître que quelques vêtements que son amant avait sûrement volontairement laissé ici pour de futurs rendez-vous organisés. Encore une fois, rien de bien intéressant à relever. Le bureau, lui, sentait le renfermé et semblait plutôt servir de dressing à y voir les grands portiques qui traînaient le long des murs. Sa mère n'avait pas changé, toujours admirative de la mode et des tendances à suivre. Elle contempla les quelques robes, les quelques sacs et bijoux avant de refermer la porte sans conviction. Il ne restait plus qu'une pièce qui paraissait être l'oubliée de cette maison... Celle du genre qu'on laissait fermée et qui accueillait des tas de poussières.
Elle alluma la lumière et constata l'inoccupation de ces 4 murs, un plancher vieilli par le temps, quelques vieux cartons et au fin fond, dissimulé sous de vieilles couvertures, un coffre en bois. Intriguée, la blonde s'en approcha et osa ouvrir le loquet avec angoisse. Dedans, de vieux albums trainaient, recouvrant une vieille boîte noire gravée du nom de Jean-Jacques. Le refuge de ses souvenirs, observa Candice en s'affalant sur le sol. Et ici, se dressait un choix de taille. Celui de replonger dedans ou de les refermer à tout jamais, pour oublier. Elle souffla en appuyant sa tête lourdement contre le mur derrière elle, les yeux envahis par des larmes menaçantes. La tentation était grande. Trop grande. Et la curiosité de Candice était trop forte. Elle s'empara d'un des albums et osa affronter les photos qui le décoraient. Des photos d'enfance où les sourires n'étaient pas hésitants mais bien présents. Elle s'observait enjouée sur les genoux de son père dans une voiture du garage. Les premiers pas de cette passion qu'elle n'avait cessé de cultiver… Des photos de sa sœur et elle sur les plages du nord, aussi. Ses premiers trajets en vélo, aidée par sa mère qui courait à ses côtés. Enfin, des clichés où la joie demeurait, finalement… C'était réconfortant de voir que le malheur n'avait été que ponctuel dans cette vie joyeuse qu'elle avait presque fini par oublier. Elle referma l'album et s'en saisit d'un autre qu'elle ouvrit et s'annonçait en son nom. À l'intérieur, les clichés de ses enfants que Magda avait probablement récupérés de Bélinda ou des envois de Candice. Elle avait donc pris soin de les faire développer. Signe inévitable qu'elle ne la détestait pas totalement et que ses petits-enfants comptaient, malgré l'éloignement. Le troisième album lui, retraçait les espoirs que sa mère avait fondés envers elle. Ses premiers pas sur les podiums de mode, ses essayages de robe et de tenue pour les concours, ses essais maquillages… Alors certes Candice n'était pas devenue celle qu'elle espérait mais, ces quelques clichés laissaient croire qu'elle avait tout de même rendu sa mère heureuse, en acceptant d'être sa poupée. Et ça, ça lui réchauffait le cœur…
La blonde tourna la page, débarquant sur l'année 1988. L'année charnière, celle qui avait tout fait basculer. Et les clichés ne pouvaient que le prouver. Candice sentit son cœur se refroidir, meurtri par les images accablantes qui s'offraient à elle. Une photo de son père entouré de ses deux filles, observa-t-elle en caressant l'image. Et à côté, elle voyait désormais sa figure barrée par une croix rouge et agressive. Les commentaires mielleux que sa mère avait laissé à côté laissaient place à des accusations de taille: «Coupable», «traître», «meurtrière» avait-elle griffonné sans scrupules. Et des pages comme ça, il y en avait des dizaines. Et toutes conduisaient vers le même constat: sa responsabilité dans le décès de son père. Pour elle qui pensait en avoir terminé avec cette problématique, tout était à revoir… Elle sentit alors son cœur se serrer. Se serrer si fort qu'elle en suffoquait presque. Il fallait refermer ce livre, c'en était vital! Un coup sec claqua les pages de gauche sur les pages de droite et l'album retomba dans sa demeure, noirci par la haine d'une mère en colère. Et les larmes de Candice coulaient chaudement, sans bruit. La blonde se trouvait désormais dans les bas-fonds de son existence où le mal était maître et dominant…
Elle quitta la maison en précipitation, claquant la porte et faisant résonner ses talons sur le carrelage du parvis de cette vieille maison campagnarde. Elle accourut près de l'arrosoir et redéposa la boîte sans encombre, se lavant de toute responsabilité dans cette intrusion qu'elle se maudissait d'avoir organisée. Bah oui! Après tout, c'était elle qui avait voulu à tout prix infiltrer le territoire de sa mère. Et à quel prix…? Candice n'avait finalement rien trouvé de probant pour leur enquête et son cœur était en miettes… Comme d'habitude, c'était un 0/10, songeait-elle dans un pessimisme démesuré.
Ses jambes ne tardèrent pas à enjamber les barrières avec agilité. Le désespoir la portait plus qu'elle ne l'aurait pensé, finalement… Elle déverrouilla la voiture et s'enferma dedans avant de laisser un flot de larmes se déverser sur ses joues. Candice ne contrôlait plus rien, plus aucune émotion, ni ressenti. C'était comme si une vague monumentale venait de la submerger. Un véritable tsunami qui avait tout rasé sur son passage, lavant son cœur de tout l'amour qu'elle s'était imaginée émaner de sa mère. Et ici, à Valenciennes, elle n'avait aucun refuge. Pas même les bras de son oncle qu'elle se refusait de voir dans cet état. Les choses étaient simples, elle resterait en voiture et attendrait, mais loin de cet endroit qui l'avait brisé sans délicatesse et qu'il fallait fuir.
Le moteur vrombit brusquement, laissant la voiture noire disparaître dans un nuage de vapeur d'eau qui évoluait dans une nuit froide et rugueuse. Elle quitta le petit hameau et stationna son véhicule à l'entrée de la ville, se jurant d'attendre la fin de cette crise de larmes pour reprendre le contrôle de ses mouvements. Soudain, son téléphone bipa la réception d'une dizaine de notifications. Étonnée, elle trouva la force de piocher dans son sac et sortit son portable. «Antoine – Appels manqués – 5» lut-elle avec stupeur avant de cliquer sur la conversation. Elle s'aperçut avec effroi de son message qui ne s'était jamais envoyé: «Envoi impossible» s'inscrivait à côté de sa bulle de conversation. Bah oui, le réseau devant cette maison était tellement pourri que son texto n'était même pas parti le rejoindre, pestait-elle en pleurant. Et en dessous, les six messages étaient sans appel:
«Réponds-moi, j'ai bientôt rendez-vous…»
«Candice? »
«Bon si t'as l'occasion, tu regarderas ce que la fleuriste me propose…»
«Tu préfères lesquelles?»
«Et pour ton bouquet, celui de droite ou de gauche?»
«Laisse-tomber, j'irais cueillir des pissenlits dans un champs, ce sera mieux je crois…..»
Et à nouveau, Candice fondit en larmes, se maudissant pour cette erreur de parcours. Décidément, c'était la reine pour tout foirer. Finalement, sa mère avait raison… Qu'est-ce qu'elle méritait, à part le malheur? Sûrement pas cet homme en tout cas…
«Et merde!» hurla-t-elle de rage en frappant son volant de sa main droite. Donc quoi? Elle avait tué son père, rendu malheureuse sa mère et maintenant, c'était à son mari d'en faire les frais? Enfin, mari… Le mariage ne pouvait pour l'instant même pas avoir lieu et de là où il était, Antoine ne devait clairement plus avoir envie d'épouser cette femme toxique et incompétente. Un vrai fardeau… Et pourtant, dieu sait qu'elle avait besoin de lui. C'était son pilier après tout, son phare dans la nuit, son soutien moral et son enveloppe protectrice. Mais là, Antoine se trouvait à plus de 800 kilomètres d'elle et bien loin d'enserrer ce corps qui respirait la tristesse. Pourtant, son nom apparut subitement sur l'écran du téléphone, comme un signe miraculeux que, de là où il était, Antoine avait entendu sa détresse. Elle hésita avant d'oser décrocher. De toute façon, vu son état, elle n'était plus à une engueulade près pour ce soir…
«Ah bah enfin ! T'avais mangé ton téléphone ou quoi?! Je t'ai laissé des tonnes de messages… Candice, sérieux! s'énerva-t-il sans réfléchir.
Blessée, la blonde se tut avant de ravaler ses larmes en reniflant.
Candice ? Oh ! Candice ! Ça va?
- Je te demande pardon, laissa-t-elle sortir entre deux sanglots.
- Hein? balbutia-t-il d'incompréhension alors qu'elle fondit en larmes bruyamment. Mais tu pleures…? Oh Candice…, souffla-t-il le cœur serré à son tour.
- Ça va…
- Bah non ça va pas non, contesta-t-il durement. Ça va pas du tout même! T'as vu l'état dans lequel tu es là?
- Ou… Oui… réussit-elle à sortir entre deux soubresauts.
- Eh… Qu'est-ce qu'il se passe mon cœur ? se radoucit-il tendrement.
- Je… Je suis désolée. Je… J'te mérite pas…
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Et t'es où là ?
- Tu comprends pas que je suis pas quelqu'un de bien…
- Mais n'importe quoi ! Candice… Je sais pas ce qu'il se passe là-bas mais tu peux pas rester comme ça. C'est ta mère c'est ça ?
- Nooooon, le contredit-elle en larmes. C'est tout le monde ! C'est la vérité… Je… Je suis désolée je peux pas…
- Tu veux que je vienne ?
- J'ai besoin d'être seule.
- Nan ! Candice, non attends !
- Pardon… »
Et elle avait raccroché, se volatilisant dans un état qu'Antoine jugeait chaotique. Et à ce moment précis, le policier se maudissait de l'avoir laissé partir là-bas toute seule. Candice à terre, il connaissait, mais là, elle était clairement plus bas que terre et son état était clairement inquiétant. Il tenta à nouveau de joindre sa future femme et tomba sur sa messagerie directe. Une invisibilisation qui n'annonçait rien de bon. Et désormais, il fallait agir.
