EPISODE 42 : Après avoir démissionné de ses fonctions, Tréville reçoit un visiteur familier
Tréville était totalement épuisé.
La journée avait été horrible. Il n'avait jamais vraiment aimé Richelieu, mais son emprisonnement précipité l'avait laissé très perplexe. Le Ministre était comploteur, acerbe, antipathique, certes, mais y avait-il d'homme plus dévoué à la couronne que le cardinal? Richelieu? Détourner des fonds pour tenir une réception luxueuse? Cela lui ressemblait peu!
Puis, il y avait eu cette belette sournoise, cette Milady qui, depuis quelques temps, semblait tourner autour du roi comme un vautour survolant sa proie. Avec une humeur massacrante, il l'avait apostrophée durement ce matin, devant le souverain lui-même…Pourquoi Louis s'était-il soudainement amouraché de cette intrigante? La nomination de Manson comme ministre des Finances avait ajouté à l'insulte qu'il ressentait déjà à côtoyer l'aguichante Anglaise. Enfin, l'attitude cavalière du monarque à son endroit avait été la goutte qui avait fait déborder le vase. Il avait remis sa démission, et sans plus d'émoi, le roi l'avait acceptée. Il était renvoyé.
Tant d'années, dévoué corps et âme, au service de la France, pour finir par voir la royauté atteindre ce niveau de déchéance… et se faire envoyer paître au profit d'une assassine! Le roi était-il seulement au courant que Milady était responsable de la mort du duc de Buckingham? Sans doute s'en réjouissait-il… !
Un deuxième verre d'armagnac fut vidé après avoir été longuement siroté. Tréville regardait le fond de sa coupe avec absence en soupirant tandis qu'une pointe de regret s'insinuait en lui. Avait-il quitté trop rapidement? Qui veillerait sur le roi s'il n'était plus là? Qui le remplacerait à la tête des mousquetaires? Un homme de l'entourage de Milady et Manson, sans doute… Il secoua la tête. Bah, ce n'est plus mon problème… tenta-t-il de se convaincre. Il devrait peut-être songer à retourner sur ses terres en Gascogne, prendre une épouse et se retirer complètement des intrigues royales…
Il se resservait un troisième verre quand il entendit de faibles coups frappés à la porte de sa demeure. Qui pouvait bien oser le déranger à cette heure aussi tardive? Un coup d'œil à sa fenêtre lui rappela que le soleil était depuis longtemps couché. Avec prudence, il alla ouvrir; qui sait si on n'attenterait pas à ses jours, maintenant qu'il était en disgrâce…Dans la mince ouverture de la porte entrebâillée, il reconnu l'iris bleu d'Aramis.
« Aramis? » fit-il à voix basse. « Mais que faites-vous ici? »
« Je ne sais pas quoi faire, capitaine, » murmura-t-elle en évitant de le regarder dans les yeux.
Sans un mot, elle se faufila sous le bras de son supérieur et se glissa prestement à l'intérieur de la maison. Enveloppée d'une longue cape et d'un large chapeau sombres, il l'avait à peine reconnue.
« Je ne suis plus votre capitaine…vous ne devriez pas être ici. On pourrait vous accuser de complot, » fit-il, réaliste, et avec une certaine tristesse.
« Aidez-moi, je vous en prie…je ne sais pas quoi faire! » fit-elle, visiblement bouleversée.
Il soupira faiblement et la regarda avec affection. Il avait pris de gros risques en engageant une femme parmi ses soldats et n'avait jamais envisagé qu'elle puisse un jour être sous le commandement d'un autre que lui…Avait-elle aussi quitté les rangs des mousquetaires? Il lui fit signe de le suivre jusqu'au salon où il était affairé à boire quelques minutes plus tôt. Il la sentait très nerveuse…se faisait-elle du souci à propos du nouveau chef? Ce dernier devait-il être au courant de sa véritable identité? Qu'adviendrait-il si son successeur le découvrait par hasard?
Tréville l'invita à s'asseoir mais, contrairement à son habitude, Aramis, au lieu de se tenir bien droite sur sa chaise, avait l'échine courbée et regardait vers le sol.
« Que s'est-il passé? » demanda-t-il doucement en s'assoyant à son tour.
En se mordillant un doigt, elle réfléchit un moment avant de prendre la parole, mais gardant toujours ses yeux baissés. « Après votre départ, nous avons été convoqués au Louvre pour vous désigner un successeur, » débuta-t-elle.
Elle n'avait pas besoin d'extrapoler la notion du « Nous ».
Tout en remplissant une coupe pour son invitée, Tréville hocha la tête et émit un très léger, mais triste sourire. Comme il l'avait cru, -et avec beaucoup de fierté- son vétéran lui succéderait. « Athos sera un très bon capitaine. Vous n'avez pas à vous en faire. Je pourrais aller le voir et lui expliqu-»
Elle secoua la tête. « Non. Il a refusé. Il a démissionné.»
Il tendit le verre à sa protégée mais elle n'y toucha pas. « Ah. » Brave Athos! pensa-t-il encore plus fier. « Alors Porthos est dev- ».
Elle l'interrompit de nouveau en secouant la tête plus énergiquement cette fois. « Non. Il a refusé. Il a démissionné,» répéta-t-elle d'une voix encore plus enrouée.
Tréville était confus, bien qu'il se réjouissait secrètement de l'appui indéfectible de son meilleur trio à sa décision de quitter le service royal. Si Athos et Porthos avaient refusé, et que ces trois mousquetaires étaient toujours de connivence, la jeune femme avait sans doute fait la même chose… Qui donc était son remplaçant à la tête de la compagnie? Un regard vers la silhouette tremblante d'Aramis lui transmis la réponse.
« VOUS?! » s'écria-t-il en s'étranglant et en se levant d'un trait. Le verre qu'il avait en mains alla se briser sur le parquet.
Elle hocha lentement la tête tandis que le chagrin déformait lentement sa bouche et qu'une plainte gutturale s'échappait de sa gorge. L'homme n'en fut aucunement ému, et la suite de ses paroles ne fut qu'une énumération d'insultes qu'il se mit à hurler à son endroit.
« Avez-vous complètement perdu la tête? Écervelée! IMBÉCILE! Qu'est-ce qui vous a pris? Vous!... VOUS! Vous avez pensé aux conséquences si on découvrait qui vous êtes?! Non, bien sûr que non! Ça ne pense pas, des êtres comme vous! Ça ne veut qu'intriguer et comploter! HA! Deux vipères autour du roi! On aura tout vu! La France est tombée bien bas! » Il porta la main au pommeau de son épée. «Tiens, je devrais vous égorger sur-le-champ pour éviter un autre scandale! C'est scandaleux, vous m'entendez? SCANDALEUX! Par tous les saints du ciel, mais qu'est-ce qui m'a pris de vous faire confiance! Comment osez-vous venir me voir?! HONTE À VOUS! TRAITRE!»
A mesure que Tréville rugissait et l'incendiait d'injures , elle se courbait de plus belle et se couvrait la tête de ses bras. Au tout dernier mot, « traitre », elle éclata en sanglots.
« Je ne voulais pas, Capitaine! Je ne voulais pas!» Elle répétait ces mots sans cesse et pleurait de plus belle, son visage s'inondant abondamment de chaudes larmes. Puis, le cri de pure souffrance qu'elle laissa alors sortir freina brusquement l'élan que l'ex-commandant avait pris dans le but de la frapper, le laissant complètement paralysé.
Tréville n'avait que rarement vu Aramis pleurer : en ces exceptionnels moments de faiblesse, elle n'avait laissé couler qu'une unique larme silencieuse qu'elle avait hâtivement essuyée du revers de sa main. Il l'avait vu serrer les dents et les poings pour convertir sa peine en colère; Des mousquetaires ayant malencontreusement subit les foudres enragées de la triste furie d'Aramis, il en avait pansés! Mais ce soir, il n'y avait aucune rage; Strictement qu'une immensément profonde peine, un incommensurable abîme de sanglots. Et ces gémissements viscéraux, presqu'animaux, qu'elle semblait incapable de contrôler… c'étaient des cris tous droit sortis d'un cœur complètement brisé.
« A…A...Arrêtez de brailler! » s'écria-t-il, totalement déstabilisé.
« NON! » hurla-t-elle encore plus fort. Elle s'était laissée glisser au bas de sa chaise et était maintenant agenouillée, prostrée vers le plancher, le front plaqué contre le sol. Sa main gauche contre sa poitrine s'accrochait à son pourpoint presqu'à l'en déchirer, comme si elle voulait s'arracher son propre cœur. Son chapeau était tombé et les doigts tremblotants de sa main droite, quasiment crochus par l'amplitude de ses émotions, tiraient durement sur ses cheveux.
Avait-elle déjà ressenti pareille douleur? En comparaison, le souvenir de la balle de mousquet transperçant son épaule était bien doux! Il lui semblait que, même lorsque François avait rendu l'âme, elle n'avait pas autant pleuré! L'étau qui broyait maintenant son cœur n'était rien comparé à la peine qui l'avait envahie à la mort de son fiancé. Lors du décès de ce dernier, son chagrin avait été sans bornes, mais n'avait pas été accompagné de cet étouffant sentiment de culpabilité dans lequel elle se noyait aujourd'hui. La honte l'étranglait! La solitude la faisait suffoquer! Cette infamie la rongerait et la ferait pourrir de l'intérieur jusqu'au suicide!
Elle avait trahi Athos.
Elle avait trahi Porthos.
Ils l'avaient reniée.
Ils lui avaient tourné le dos et l'avait quittée.
Elle ne les reverrait que de loin, lorsque leur silhouettes viendraient hanter autant ses jours que ses nuits. Ils ne lui adresseraient la parole que pour la maudire et la renier encore. Dans ses rêves, François lui répétait son amour; Athos et Porthos, eux, n'auraient de cesse de lui rappeler à quel point ils la haïssaient. Ils lui vomiraient leur haine autant dans ses songes que dans la réalité.
C'était pire que de les voir morts. Ou plutôt, c'était comme si elle les avait elle-même assassinés et que les poignards, au lieu d'être logés dans leurs deux cœurs, s'étaient profondément plantés dans le sien.
« Mordioux, mais si ça vous afflige à ce point d'être Capitaine, vous n'aviez qu'à refuser aussi! » s'emporta encore Tréville, ignorant le supplice intérieur de sa protégée.
Ces mots la firent bouillir de colère et sa peine s'évapora momentanément. Son supérieur ne comprenait pas qu'elle n'avait absolument rien à foutre du prestige d'être à la tête de la compagnie et qu'elle aurait cent fois -mille fois! des millions de fois! - préféré remettre aussi sa démission en même temps que ses compagnons! C'avait même été sa propre idée, dès le début! Si le capitaine a démissionné, nous devrions faire comme lui! Ses poings se serrèrent et allèrent percuter le sol. Elle tenta de reprendre son souffle en prenant de profondes inspirations.
« Je ne pouvais pas! » écuma-t-elle entre ses dents serrées. « Il est là…Il était là, devant moi! …IL EST LÀ! Au Louvre! » Il n'avait fallu qu'un seul objet tombé hasardement à ses pieds : s'il était tombé un mètre plus loin, elle ne l'aurait même pas vu. S'il était resté accroché au cou de son 'propriétaire', elle ne l'aurait même pas remarqué.
« Mais qui, ça? » cria l'homme, ne comprenant rien à ce charabia.
« L'assassin que je cherche! C'est Manson!» rugit-t-elle en regardant son supérieur pour la première fois.
« Comment?! »
Il se mit au sol, devant elle, à sa hauteur, lui empoigna les épaules et la secoua. « Que me dites-vous là? »
« Manson est l'assassin de François! »
Pendant un court instant, Tréville se demanda qui était ce François. Mais les échos de sa toute première rencontre avec Aramis lui revinrent rapidement en mémoire. « En êtes-vous sûre? »
« Oui…et j'en ai la preuve!... » Elle s'arrêta, à bout de souffle, en réalisant un détail ultime qui lui avait échappé jusqu'à maintenant. « Et cela veux dire que le roi…n'est peut-être pas le roi!»
« Mais… si vous savez que c'est un assassin, pourquoi avoir rejoint son camp? C'est insensé! »
« Pour les attaquer de l'intérieur! Nous savons tous quel genre de femme est Milady…et si Manson trempe aussi dans les mêmes bassesses, il est évident qu'ils sont de connivence et qu'un complot se trame! »
Les attaquer de l'intérieur…Tréville tombait des nues. Bien sûr. C'était pourtant évident! Il aurait du y penser lui-même!
« Car en refusant d'être à leurs côtés, ils nous traqueront et nous feront emprisonner comme ils l'ont fait avec la reine et Richelieu…avant de nous faire exécuter….» poursuivit le capitaine avec lenteur.
Il reporta ses yeux vers la jeune femme. Tréville fut aise de voir que ce n'était plus de la tristesse qui emplissait les yeux de la mousquetaire, mais une fervente détermination. Son sentiment se volatilisa rapidement lorsqu'il jugea de l'ampleur de son propre échec : D'abord, il n'avait jamais pensé que les informations qu'Aramis lui avaient apportées lorsqu'il l'avait embauchée pouvaient être vraisemblables. Le roi pouvait-il vraiment avoir un frère jumeau secret sans que personne ne le sache? Cela ne lui était jamais revenu à l'esprit, même lorsqu'il se demandait pourquoi son souverain avait une attitude subitement divergente de celle d'autrefois! Ensuite, il s'était vu forcé – non sans trop de remords, il l'avouait! - de chasser D'Artagnan de ses rangs, alors que c'était lui qui, le premier, avait eu raison à propos de la duplicité frauduleuse de ce Manson! Quelle erreur…! Troisièmement, il aurait pu avoir la même idée qu'Aramis, et feindre d'être aux côtés de l'ennemi pour mieux saboter leur plan, s'adjoindre secrètement les talents de son trio et mettre fin à toute cette traitrise. Le militaire qu'il était aurait du savoir que les rivaux, il fallait les garder à l'œil, et non s'en éloigner! Et finalement, en démissionnant, il avait cédé sa place à un potentiel comploteur de l'entourage de ces forbans… Si Aramis ne l'avait pas acceptée, qui sait quel bandit serait maintenant assis derrière son bureau pour manipuler une petite armée d'élite!
Il s'était complètement fourvoyé... Était-il vraiment apte à occuper son poste de capitaine? Même Aramis – une femme, palsambleu! – le méritait plus que lui!
« Athos et Porthos sont au courant de tout cela? » demanda-t-il, sachant que ces trois soldats pourraient très bien, à eux seuls, mettre à mal les plans de leurs adversaires.
Elle reprit sur une autre salve de larmes en lieu de réponse.
« Donc…Ils vous en veulent à mort… » laissa tomber Tréville, en comprenant enfin la raison derrière les sanglots d'Aramis. Elle s'était mise à dos les deux personnes qui comptaient le plus dans sa vie. Il la laissa encore pleurer et crier son mal tandis qu'elle frappait le sol de son poing.
Ce brevet maudit…Elle l'avait accepté uniquement pour venger son bien-aimé…mais une fois que tout serait accompli, que ses ennemis seraient démasqués et tués, que lui resterait-il? François ne reviendrait pas pour autant…et maintenant, Athos et Porthos ne reviendraient pas, eux non plus. Elle avait refait sa vie avec ces deux hommes; elle les aimait tant! Mais il ne lui restait plus rien…. Comment avait-elle pu ne pas considérer qu'en acceptant le poste de capitaine, elle les blesserait? Comment avait-elle eu l'audace de faire abstraction de leurs sentiments? Quel égoïsme, d'avoir fait passer ses intérêts avant ses camarades, d'avoir sacrifié leur plus-que-précieuse amitié au profit de sa vengeance personnelle! Le temps d'un battement de cœur raté, elle maudit François pour lui avoir imposé cette épreuve.
Tréville fut saisi de pitié en voyant sa protégée si misérable. Il n'avait jamais pensé qu'Athos et Porthos pouvaient à ce point être le tendon d'Achille d'Aramis… Elle avait essuyé moult insultes et railleries, elle avait été blessée de nombreuses fois…on l'avait emprisonnée, il l'avait lui-même menacée de mort si d'aucun advenait à découvrir son secret. Elle n'avait jamais bronché, avait toujours gardé la tête haute. Tant qu'Athos et Porthos étaient à ses côtés, elle était invincible! Mais la perte de ses deux meilleurs amis, même si c'était pour servir la plus noble des causes, était son ultime point faible. Il se remémora combien elle avait surprotégé Athos après que ce dernier eut été victime d'une tentative d'assassinat… Comment elle s'assurait constamment que Porthos se modère dans ses élans gargantuesques pour ne pas qu'il souffre d'ingestion…Et, avait-il apprit, ne s'était-elle pas mise en plein dans la ligne de tir d'un sbire de Rochefort pour éviter la mort de d'Artagnan?
« Allons…buvez un peu… et assoyez-vous.» Il la força à se relever et à prendre place sur un large canapé tout en lui remplissant un nouveau verre d'armagnac, espérant que cela puisse enfin la calmer un peu. Elle prit le breuvage et le but d'une traite. Il lui en présenta un second, puis un troisième, qu'elle vida tout aussi rondement. Rapidement, l'alcool la tranquillisa effectivement et elle s'écroula mollement sur le divan en fermant les yeux, laissant ses jambes et un bras pendouiller vers le sol. Ses profonds sanglots étaient remplacés par de chétifs reniflements.
« Restez ici, pour cette nuit.. »
Elle ne bougea pas et se contenta de fermer les yeux.
« Vous voulez vraiment dormir là? »
« C'est incontestablement le tout dernier de mes soucis,» émit-t-elle avec une extrême lassitude.
L'homme alla s'évaser dans un fauteuil juste en face d'elle. Il lui posa encore quelques questions à propos du complot qui s'était monté à leur insu puis passa le reste de la nuit à tenter de le démanteler.
…...
« Aramis…Aramis, réveillez-vous. Vous devez partir avant que le jour ne se lève. Il ne faut pas qu'on vous voit ici. » Une main délicatement posée sur son épaule la secouait doucement.
Des yeux rougis s'ouvrirent tandis qu'elle se relevait péniblement, son corps l'injuriant d'avoir passé les dernières heures dans une position inconfortable. Elle n'avait que très peu dormi. « Non…je ne veux pas! » murmura-t-elle. « Et je ne sais pas quoi faire! »
« Que diable, faites n'importe quoi! Prouvez-leur, à ces traitres de Milady et Manson, que vous êtes de leur côté! Flouez-les comme ils nous ont floués! »
« …J'en suis incapable, » souffla-t-elle en secouant la tête.
Tréville sourit. « Vous savez ce qu'on raconte, dans les salons… ? Pardieu, je ne suis pas encore mort ou sénile qu'on me cherche déjà un remplaçant…! enfin…! On dit qu'à mon départ, on vous mettrait tous les trois, en même temps, au commandement. »
« C'est ce que Milady nous avait d'abord proposé… » maugréa la jeune femme en s'assombrissant. Fallait-il vraiment que Tréville mentionne ce chiffre perdu : 'TROIS' ?
« On dit qu'il serait impossible qu'Athos soit seul à la tête de la compagnie. 'Athos, c'est la sagacité et l'esprit rassembleur, mais il est trop modéré. Porthos, c'est la force brute et la vivacité, mais il manque de diplomatie. Aramis n'a rien d'un homme, mais c'est toute la fureur du capitaine, c'est le regard qui vous glace en un instant.' »
La femme le regarda, intriguée.
« Soyez ma fureur, Aramis. Glacez vos ennemis d'un seul regard. Foudroyez-les! Voilà ce que vous ferez! »
Elle baissa le regard, incertaine.
« Et Athos et Porthos? » demanda-t-elle timidement.
« Foudroyez-les tout autant! »
En serait-elle seulement capable?
« Le roi, Aramis! LE ROI! »
« Le roi….oui, le roi, » répéta-t-elle avec absence. A cet instant même, le sort du roi lui importait bien peu!
« Il faut protéger le roi! » reprit-il en la secouant à deux mains.
« … » Quelle importance tout cela avait si elle avait perdu ses plus proches amis?
Il lut dans ses pensées. « On s'occupera d'Athos et de Porthos dès que tout cela sera terminé! Je les rosserai, les engueulerai et les foudroierai moi-même s'ils vous en tiennent rigueur! S'il faut les convaincre autrement, on inventera quelque chose, vous et moi... On en est pas à un mensonge près!» Tréville se mit à rire avec force. Il jubilait! Tout n'était pas perdu!
De son côté, Aramis ne semblait pas convaincue.
« Souvenez-vous pourquoi vous êtes venue me voir, il y a six ans…Si vous ne le faites pas pour moi, ni pour le roi, faites-le au moins pour lui.»
La forme agonisante et torturée de douleur de François, puis l'éclat du médaillon or et rubis sur la poitrine de Manson, se dessinèrent dans son esprit. Toute sa hargne revint au galop et enveloppa les traits de son visage d'un opaque voile de fureur.
« Voilà. C'est ce regard-là. Partez, maintenant. Je vous fais entièrement confiance. »
Un fin sourire sur les lèvres, Tréville la regarda s'éloigner en se gonflant d'orgueil. Aramis…la fierté particulière de sa caserne... La preuve qu'il ne fallait que de la détermination et du talent pour réussir. Leurs ennemis, et spécialement Milady, ne se doutaient pas à quel fer ils allaient bientôt se frotter. Si une femme avait pu monter un pareil complot contre la monarchie, il leur enverrait une femme pour le démonter! Et pas n'importe quelle femme : Il leur envoyait sa Bellone, son dragon meurtrier, sa furieuse amazone, sa glaciale valkyrie…. son cheval de Troie!
…...
(Episode 47)
Tréville poussa un soupir soulagé.
Le roi était rétabli. Il était en sécurité. Le monarque l'avait réinstauré dans ses fonctions. Il avait même permis la réintégration de d'Artagnan au sein de ses mousquetaires. Même Richelieu s'était excusé.
Tout le monde sortait de la salle d'audience. Athos et Porthos félicitaient le retour de leur ami gascon. Aramis était silencieuse et se tenait légèrement en retrait. Tréville perçut et comprit sa gêne.
Il lui avait promis.
Ignorant les trois autres hommes, les bousculant presque hors de son chemin, il marcha rapidement droit vers elle et ses deux mains, tremblantes d'émotions, empoignèrent ses épaules. Un hoquet de surprise s'échappa des lèvres de la femme.
« Vous avez vraiment assuré…je suis si fier de vous! » Une larme de pure estime brillait dans ses yeux. « Il n'y a que vous pour avoir d'aussi bonnes idées! Vous prendre dans mes rangs a été la meilleure décision de toute ma vie!» Il avait intentionnellement parlé assez fort pour que tous entendent. Il voulait qu'ils sachent que sur ce coup, elle avait été la meilleure, qu'il le reconnaissait publiquement, et qu'il n'accepterait aucune médisance au sujet d'Aramis.
Deux bras fort l'enlevèrent hors des mains du commandant. C'était Porthos qui enlaçait la jeune femme à l'étouffer. « Je le sais, Capitaine! C'est de ma faute, je suis trop con… et Aramis est tellement plus rusé que nous! » La voix cassée de son colosse rassura le chef. Les bras d'Athos s'enroulèrent à leur tour autour des deux. « Pardonnez-nous d'avoir douté, Aramis! Porthos a raison, nous avons été de purs imbéciles!» Les bras de d'Artagnan s'enroulèrent à leur tour; le sourire manifeste du plus jeune témoignait de son bonheur de les savoir tous les quatre à nouveau réunis.
Tréville s'éloigna.
Par-dessus l'épaule de Porthos, il aperçu l'œil mouillé et rempli de gratitude de sa protégée.
