Pourquoi Manson n'a pas dit à ses alliés ce qu'il avait découvert au sujet d'Aramis? C'était pourtant des informations qui auraient vraiment pu mettre à mal la réputation des mousquetaires (et de la France). Voici ma petite théorie là-dessus.

Et le titre, "Ça", fait bien sûr référence au roman de Stephen King, mais surtout à l'insignifiance de "la chose" (aux yeux de Manson)

Épisode 45 : ÇA (Le médaillon maudit)

Manson écrasa son poing dans le mur à plusieurs reprises et ne s'arrêta que lorsque ses jointures se mirent à saigner. La douleur lancinante dans son épaule droite, provoquée par une profonde entaille qui laissait encore sortir du sang, ne le dérangeait à peine. Sa colère était trop grande pour qu'il y prête attention.

Voici la preuve!

Au bout de l'épée d'Aramis, il avait regardé pendouiller le médaillon. Ça? Comment cette bagatelle quelconque pouvait-elle être la preuve du complot contre la monarchie? Après un rapide rappel d'événements qu'il avait quasiment oubliés, il s'était battu avec Aramis, avait été blessé, et le mousquetaire lui avait filé entre les doigts.

Il sentit ses intestins se nouer de peur et l'air lui manquer. Quelle erreur monumentale…. Si le Masque de Fer apprenait que, par sa faute, par la faute d'un objet aussi banal, son génial complot était sur le point de s'écrouler, il ne donnait pas cher de sa peau; la séance de torture dont il serait le seul participant serait sans limites.

Mais, en retour, il avait acquis des informations très compromettantes…autant contre ses alliés que contre ses ennemis

Aramis était une femme.

Aramis était liée à l'ancien propriétaire de cette broquille insignifiante.

Tiens tiens…ça me fera un beau souvenir de valeur!

C'était un joli bijou. Dès qu'il l'avait vu, il n'avait pas hésité à tendre la main pour s'en emparer. Comme Ève attirée par l'éclat écarlate de la pomme, Manson n'avait pu résister au brillant du rubis. Le salaire de son péché d'avarice, ce serait l'enfer aux mains d'un cruel partenaire.

Quelques jours après le meurtre des tuteurs du prince Philippe, il avait pourtant jeté la babiole avec les autres fruits de ses précédents larcins au fond d'une boite, déjà las de sa nouvelle trouvaille. Ce n'était que deux ou trois ans plus tard qu'il l'avait, par hasard, ressortie du coffre pour le passer à son cou. Son doigt avait glissé sur un mécanisme qu'il n'avait pas remarqué la première fois; la pierre précieuse s'était ouverte et avait dévoilé le portrait d'une jeune dame.

Qui était-elle? Il l'ignorait, et l'avait ignorée. Si elle avait été plus belle, peut-être aurait-elle capté son attention. Peut-être aurait-elle marqué sa mémoire. Peut-être l'aurait-il reconnue sous la casaque…Mais Manson ne se souvenait même plus où il avait dérobé cette breloque, ni à qui elle appartenait. Son oubli allait lui coûter très cher…

Baste! S'il s'en était souvenu, la première fois, il aurait peut-être questionné son complice pour ensuite l'accuser de laxisme… « Dis-moi, Masque de Fer…cet homme, que j'ai transpercé…avait-il une femme dans sa vie? Quelqu'une qui pourrait être au courant de notre machination? Quelqu'une à qui il aurait pu confier son secret? Notre secret? Aurais-tu omis quelques détails compromettants? »

Mais le criminel masqué n'avait jamais rien mentionné à ce sujet. Si Manson avait alors abordé le problème, ils auraient pu se mettre sur la trace de cette fille et la faire taire avant qu'il ne soit trop tard…

Le faux marchand rit faiblement. Ils auraient eu beau chercher une femme, ils ne l'auraient pas trouvée. La fille en question ne ressemblait qu'à peine à ce qu'elle avait été jadis; elle était devenue hideuse, s'était transformée en homme… et elle les attendait de pied ferme depuis le tout début…

En effet, Milady et lui avaient fait des recherches sur leur nouveau capitaine des mousquetaires. Aramis faisait partie de la compagnie depuis cinq ans seulement - Un peu plus d'un an après l'enlèvement de Philippe; Sur ce seul détails, ils n'auraient pas fait de lien.

Mais avant d'être acceptés dans la compagnie, les soldats étaient des apprentis…donc la garce-mousquetaire avait vraisemblablement atterri dans le bureau de Tréville à peine quelques temps après la mort de son fiancé.

Aramis n'avait de nom que ce pseudonyme étrange. Ils avaient mis le bureau de Tréville sans dessus-dessous, avaient scruté toutes les archives mais, contrairement aux autres mousquetaires, il n'y avait sur la travestie que son sobriquet et sa date d'enrôlement. Pas de vrai nom, pas d'âge, pas de nom d'un parent à contacter en cas de décès, pas de détails sur sa solde. Ils en avaient même plus appris sur les deux autres anonymes que sur elle! C'était comme si Tréville n'avait intentionnellement consigné aucune information au sujet de sa subalterne.

Manson sourit à nouveau. Le vieux mousquetaire semblait être au courant de la double identité de son ravissant soldat… Il avait effacé toutes les traces….non, il n'avait rien effacé du tout. De traces, il n'y en avait jamais eues. Ces deux-là étaient complices et avaient pris soin à ce que personne ne puisse jamais la retrouver. Surtout pas sa famille. Surtout pas eux.

Milady et lui avaient même discrètement questionné ce benêt de Jussac. Lui non plus ne savait rien sur Aramis, et s'était contenté de déblatérer les qualificatifs de bas-étage qu'il s'amusait à colporter sur le compte de cet insupportable éphèbe: pédé, boîte à bittes, suceur de queues…à ses yeux, l'androgyne soldat n'était qu'une mauviette qui couchait avec son supérieur – et même le roi - pour s'assurer de garder son prestigieux poste. Milady, qui avait côtoyé autant les mousquetaires que les Gardes Rouges, n'entretenait pas une opinion semblable, et était, avec raison, plutôt méfiante : des airs angéliques pouvaient facilement dissimuler les véritables intentions de son propriétaire. Et Aramis n'était pas réputée pour ses muscles, mais pour sa ruse. L'Anglaise avait testé le nouveau capitaine; la blonde avait joué le jeu et les avait bluffés.

Manson fronça les sourcils. Milady était pourtant femelle, elle aussi! Elle ne pouvait pas en reconnaitre une quand elle en avait sous les yeux?

Mais tous ces détails n'avaient maintenant que peu d'importance. Aramis les avait doublés, était au courant de tout et allait saccager le plan qu'ils avaient mis tant d'efforts à élaborer.

Devait-il tout avouer à ses acolytes? Avouer que, à cause de lui, parce qu'il avait volé la parure incriminée, leur ennemie savait qui il était réellement et ce qui s'était passé cette nuit-là?

Lors du rapt de Philippe, ils avaient fait passer le crime sous la marque de Chameau : fenêtres brisées d'une façon très précise, tiroirs vidés, et surtout ce grand C qu'il peinturait quelque fois sur le sol, du bout du pied, à l'aide de cire…ou du sang de sa victime. Le lendemain, la maréchaussée n'avait alors cru qu'à un autre cambriolage qui avait mal tourné et n'avait pas poussé l'enquête plus loin. D'ailleurs, le célèbre voleur bossu s'était subitement volatilisé et n'était plus réapparu. L'amulette de François avait été la dernière chose qu'il avait volée. Seule subsistait, dans l'imaginaire du peuple, la sombre image d'une bande de malfrats masqués ayant à leur tête un homme vilainement déformé par une blessure dorsale…

Est-ce qu'Aramis aurait su qu'il était le meurtrier de François sans ce foutu colifichet? Non, sans aucun doute...

Elle était déjà venue le voir chez lui, quelques jours plus tôt, en compagnie des autres…Elle avait même inspecté sa résidence. Si elle avait deviné quoi que ce soit à ce moment, elle aurait facilement pu le trucider sur le champ… Elle ne savait donc pas encore. Même chose lors de la réception du roi, du bannissement de Richelieu, de l'exil de la reine…Ce n'était que lorsqu'il avait été nommé Ministre des finances qu'il avait revêtu des habits plus somptueux et avait enroulé la choseautour de son cou.

Était-ce donc à ce moment qu'elle avait fait le lien entre Manson et Chameau? N'avait-elle pas dit qu'elle 'avait feint de se ranger de leur côté en acceptant le brevet de capitaine des mousquetaires?' Elle avait reconnu, de loin, l'éclat vermeil qui allait le dénoncer?…Ha! Les deux autres avaient bien joué la comédie, en l'envoyant paitre en pleine salle du trône! Et Athos s'était même laissé emprisonner pour que tout soit plausible!

Le bandit s'arrêta. Si elle n'avait fait le lien que devant le roi, elle n'aurait pas eu le temps d'en avertir les deux autres. C'était donc elle qui aurait joué la comédie? Mais si Athos et Porthos avaient feint leur colère, cela voulait dire qu'elle avait su avant…

Manson se massa les tempes et grognant: il n'arrivait pas à comprendre cette histoire qui lui donnait mal à la tête! Et il avait beau tenter de se distraire, sa poitrine continuait de se serrer inconfortablement de crainte. La même question revint le hanter et le stoppa dans ses spéculations : Devait-il tout dire à ses complices? Pouvait-il surtout faire retomber la faute sur un autre? Accuser le Masque de Fer d'avoir négligé la présence de la fiancée de François dans cette affaire? Il pourrait lui mettre sous le nez ce collier doré en inventant quelque fable…Manson porta la main à son cou; la chaîne n'y était plus. Il se souvint que la bougresse l'avait emportée avec elle. Pouvait-il blâmer Milady de n'avoir pu découvrir les véritables motifs d'Aramis? C'était pourtant elle qui avait proposé que ces trois mousquetaires remplacent Tréville! Si elle avait choisi une toute autre personne pour mettre à la tête de la compagnie, rien de tout cela ne serait arrivé!

Un détail saugrenu gambada subitement dans sa mémoire : Milady avait utilisé le pendentif pour hypnotiser leur faux roi…si Aramis n'était pas intervenu, le joyau ayant appartenu à François, le protecteur du prince Philippe, aurait joué un rôle fatal dans la mort du souverain et aurait à jamais entaché la vie et la conscience de Philippe. Quelle ironie!

Manson resombra dans ses élucubrations. S'il avouait tout, ses complices lui demanderaient sans doute où était maintenant l'objet. Il devrait avouer qu'Aramis, une femme, l'avait vaincu et s'en était emparé. Il voulu arracher le truc posé sur son sternum et le lancer contre le mur mais sa main, sur sa poitrine, n'attrapa encore que du vide. Il avait déjà pris l'habitude de le triturer pour se concentrer, pour calmer sa nervosité, ou juste pour avoir quelque chose à jouer entre les doigts... Il allait presque lui manquer…

Que pouvait-il inventer pour qu'on ne lui impute pas l'échec? D'Artagnan et Porthos étaient cachés dans la pièce où sa complice et lui s'étaient entretenus avec le prince Philippe…ils avaient sans doute tout entendu; ils auraient pu transmettre à Aramis ce qu'ils avaient appris.

Oui…c'est cela! Il leur dirait, à Milady et au Masque de Fer, qu'Aramis avait feint dès le début de se joindre à eux et avait menti en se mettant à dos Athos et Porthos.

Que Porthos et d'Artagnan avaient entendu leur entretien avec Philippe et lui avaient tout répété.

Qu'Aramis était venue au Louvre pour les tuer, lui et Milady, mais ne l'aurait que trouvé, lui, se serait battue contre lui, mais n'aurait réussi qu'à le blesser légèrement. Il dévierait alors la conversation vers l'Anglaise en lui reprochant d'avoir eu la mauvaise idée de mettre un des trois plus dévoués mousquetaires au poste de capitaine.

Il ne leur dirait pas qui était réellement Aramis tant que la réussite du complot était incertaine. Il le savait : une femme qui n'avait plus rien à perdre était une femme très dangereuse. S'il dévoilait l'identité d'Aramis maintenant, celle-ci pourrait contre-attaquer en révélant tout à ses ennemis et entrainer Manson dans sa mort. Personne, sauf Tréville, ne semblait être courant de son passé féminin : elle n'avait donc aucun moyen d'utiliser le camée comme preuve sans avouer sa véritable identité et s'envoyer elle-même sur l'échafaud!

S'ils perdaient, quoi qu'il fasse, ils y laisseraient tous leurs vies. S'ils gagnaient, Manson aurait milles occasions de faire tomber cette ridicule drôlesse et de précipiter la chute de tous les autres mousquetaires avec elle. Mais il fallait d'abord précipiter l'exécution du roi et ainsi réduire à néant tout effort, de la part d'Aramis ou de qui que ce soit d'autre.

Et ça, ce médaillon maudit… il suffisait de le faire oublier pour qu'il n'ait jamais existé.