Episode 45 : ÇA (le médaillon chéri)

D'un solide coup de coude, Aramis avait fracassé la fenêtre d'un petit entrepôt qui faisait face à la Seine. Prenant peu garde de ne pas se couper, ou déchirer ses vêtements auprès des éclats de vitre, elle passa son bras dans le trou. Sa main alla farfouiller sur la porte qui se trouvait juste à côté, leva le loquet qui s'y trouvait et la déverrouilla ainsi. Elle se glissa à l'intérieur de la bâtisse et referma la porte rapidement.

Elle poussa un profond soupir. Elle était libre.

Elle n'aurait plus à mentir.

L'information se répandrait rapidement –oh, les seules personnes dont il importait qu'elles entendent la nouvelle était Athos, Porthos et d'Artagnan! - et elle en jubilait d'avance: elle était un traître, un agent double. Elle avait fait feinte de se ranger du côté de Manson et de Milady en acceptant le brevet de capitaine des mousquetaires, et elle les avait trahis. Elle était recherchée, on avait mis des gardes – et mêmes « ses » propres mousquetaires - à ses trousses; les hommes du Masque de Fer, ce félon derrière Manson, avait aussi envoyé ses sous-fifres.

Après s'être battue contre Manson, elle n'avait pas pu retourner chez elle. Elle le savait: on l'y attendait. Les demeures de d'Artagnan, de Porthos et d'Athos, même si ce dernier était au Châtelet, étaient constamment surveillées par un espion de l'un ou l'autre camp. Même Tréville, démissionnaire, avait été interrogé sur les allées et venues de ses anciens subalternes. Il ne restait plus qu'à se cacher comme un vulgaire paria. Cela n'avait pas été chose aisée d'éviter les foules en plein jour: son signalement était facilement reconnaissable. Mais maintenant que la nuit était tombée, c'était maintenant les sbires masqués qu'elle avait vus sillonner les rues.

Elle aurait aimé rejoindre Porthos et d'Artagnan, mais qui savait où ils se trouvaient en ce moment, étant donné qu'ils étaient aussi traqués qu'elle l'était. Qu'il aurait été réconfortant de se jeter dans les bras de Porthos et de brailler un bon coup!

A cette image, Aramis éclata subitement en sanglots. Ses amis lui manquaient tellement!...

Elle se recomposa rapidement. Calme-toi, pardieu! Une bataille avait été gagnée, mais la guerre n'était pas encore terminée.

Qui plus est, elle avait échoué à tuer Manson...

Reniflant un bon coup, essuyant son nez et ses larmes du revers de la manche, elle jugea de l'intérieur du bâtiment. De nombreux sacs de farines étaient empilés un peu partout. Sur la droite, une échelle menait à un étage ouvert: elle y monta. Si elle avait été suivie, elle pourrait plus facilement voir ses assaillants arriver, et à moins qu'ils ne mettent le feu à l'endroit, être en hauteur était toujours un avantage. Au milieu de la toiture, il y avait bien une petite lucarne d'où elle pourrait s'échapper si les choses se compliquaient.

Il y avait d'autres sacs de grain à cet endroit. Elle pourrait s'y étendre quelques instants, le temps de se refaire des forces. Depuis le jour fatidique où elle s'était retrouvée seule, elle n'avait pas eu l'occasion de bien dormir.

Son ventre gargouilla; Ni de manger d'ailleurs. De toutes manières, la nausée la prenait dès qu'elle approchait d'une auberge et qu'elle respirait les effluves, pourtant agréables, qui provenaient des cuisines.

Et puis, il lui restait encore une chose à faire. Juste avant de confronter Manson, alors qu'elle était encore cachée dans le passage secret du Louvre, elle avait entendu Milady dire qu'ils allaient précipiter l'exécution du roi au lendemain. Il lui fallait donc retrouver la clé du masque. Cette nuit ou demain matin.

Mais que diable Athos avait-il pensé en lui confiant cette impossible tâche? Voulait-il la tester? Comment s'y prendrait-elle pour subtiliser la clé au Masque de Fer lui-même? Complètement seule? Le masque du malfrat, à lui seul, était déjà bien effrayant à confronter, comment se sentirait-elle si elle devrait également affronter la pointe de son épée, alors qu'il était un redoutable bretteur?

Elle s'étendit sur le côté. Le sommeil lui porterait peut-être conseil...

Contre sa hanche, une bosse inconfortable la dérangea et elle porta la main à sa poche. Ses yeux s'écarquillèrent et brillèrent de joie lorsque ses doigts toucha la chose qui s'y trouvait: le médaillon de François!

Rapidement, elle le sortit et le déposa délicatement dans le creux de sa main, comme si elle était en possession d'une relique sacrée.

"Oh!" fit-elle simplement en effleurant le bout de son doigt sur le rubis.

Une chaleur bienfaisante et rassurante la submergea aussitôt, quelque chose qu'elle n'avait que très peu ressenti durant les dernières années.

Ce devait être un signe. Le médaillon n'avait pas pu se trouver sur la poitrine de ce salaud sans raison. François l'y avait peut-être conduit.

C'était étrange...lors du décès de son aimé, elle n'avait pas porté attention à l'absence ou à la présence du camée. Jamais en six ans elle n'y avait pensé. Puis, soudainement en pleine salle du trône, il était là, à ses pieds puis entre ses doigts.

Comme en transe, subjuguée par l'écarlate qui brillait sous un rayon de lune qui pénétrait par la fenêtre juste au-dessus d'elle, elle caressait doucement le pendentif.

François et elle avaient eu tellement de beaux moments ensemble. Ce n'avait été que des instants de bonheur. Aucune amertume, aucun nuage ne venait assombrir ses souvenirs. Un bonheur trop rapidement terminé, mis en terre brusquement, accompagné d'un terrible secret qui l'avait laissée pendant bien des jours avec une unique question: que faire?

Aramis réalisa alors qu'elle pleurait encore: c'était peut-être une bonne chose qu'elle soit seule. Si d'Artagnan et Porthos avaient été là, elle aurait eu plus de scrupules à montrer ses sentiments. On l'aurait sans doute questionnée; et peut-être qu'elle n'aurait pas eu la force, le courage, ou assez d'indécence pour leur mentir encore une fois. Les hommes, ça ne pleurait pas.

Mais ce soir, en compagnie du pendentif de son amoureux, elle n'avait pas envie d'être Aramis. Elle voulait être Renée. Son ongle parcouru les gravures dorées du bijou alors que son esprit se perdait à nouveau dans le dédale de sa mémoire.

"François, allons-nous nous promener à cheval, aujourd'hui? Laissons votre monture ici et prenons la mienne; je monterai en croupe..."

Elle aimait bien mieux chevaucher seule. Mais seule sur son étalon, elle ne pouvait pas se coller contre lui, poser sa joue contre dos...

"Vous voulez que je monte devant?"

Ou se blottir entre ses bras...

"Francois, allons-nous chasser aujourd'hui? Montrez-moi comment tenir le mousquet...comme cela?"

Elle sourit à ce souvenir. Elle savait très bien manier l'arme, son oncle l'ayant déjà éduquée à ce sujet. Elle avait menti pour qu'il pose ses mains sur les siennes. Combien de fois, entre ses bras, avait-elle baissé l'arme pour chasser la bouche de son amoureux avec ses lèvres?

"François, allons au lac aujourd'hui!"

Assis à l'ombre d'un grand chêne, ils s'adonnaient à de longues séances de baisers...et autres...caresses...

Aramis se coinça les cuisses l'une contre l'autre avant qu'un sentiment plus négatif lui fasse perdre le sourire niais qui s'était dessiné sur sa bouche.

Pourquoi tout avait pris fin?

Non! il ne fallait pas penser aux mauvaises choses. La femme se reconcentra donc sur les filigranes gravés pour se perdre à nouveaux dans les dorures hypnotisantes du collier.

Te souviens-tu, mon François, du jour où nous nous sommes promis en mariage? De la joie sans bornes de Tante Julie? De la fierté d'Oncle Renaud? Ton père était supposé venir nous rencontrer et nous bénir…

Pauvre Papa Montsorot! Qui l'aura averti de la mort de son unique fils? Aramis s'imagina le vieil homme débarquant à Noisy pour ne se faire que désigner une froide croix de pierre dans un cimetière…

La mousquetaire retourna rapidement à de soliloques plus joyeux en faisant miroiter le médaillon sous les rayons lunaires. Ce soir, il ne fallait penser qu'à des choses qui la rendrait heureuse :

Les promenades à cheval. Les baisers au bord du lac. La douce voix de François… Pendant de longues minutes, elle se laissa envoûter par les scintillements ensorcelant de la parure, jusqu'à ce qu'un sommeil réparateur la gagne enfin.

. . . .

Elle ne se réveilla qu'avec l'aube d'un soleil éclatant. Elle ouvrit sa main et ses doigts, engourdis pour avoir été crispés toute la nuit, accrochés au joyau salvateur, firent part de leur douleur. Pourtant, l'esprit de la jeune femme était revigoré, plein de courage et mû d'une nouvelle détermination.

Elle porta l'ornement contre ses lèvres puis le serra contre son cœur.

Merci pour tout, François.

Elle allait remettre l'objet dans sa poche mais une froideur et un sentiment de vide désagréable s'empara d'elle. Cela la fit tristement sourire.

Tu veux rester tout près de moi, François?

Aramis passa la chaîne à son cou et, dégrafant son pourpoint, elle ajusta la chose sous sa chemise. La breloque se posait tout juste entre ses seins, sur son cœur, l'enveloppant de son apaisante aura.

Coquin, va! blagua-t-elle à l'intention de l'item.

Avec François lové contre elle, elle ne craignait plus rien. Même pas la mort. Elle pourrait affronter un bataillon de Manson, elle ne craignait plus rien!

La mission d'Athos lui revint toutefois prestement à l'esprit et elle se dépêcha de sortir de l'entrepôt qui lui avait servi d'auberge pour la nuit.

Aramis ne sut comment elle retrouva aussi aisément la trace de d'Artagnan et Porthos. Son cheval, retrouvé sagement attaché chez elle – on n'avait pas surveillé sa maison? – l'avait guidé vers une tente qui flottait sur le bord du fleuve. Quelle joie de revoir leurs visages, souriants, sans rancune, et sans l'hésitation gênante qu'il y avait eu la veille, lorsqu'elle avait croisé le fer contre eux au Louvre!

Gonflée de hardiesse, d'énergie et de témérité – si Athos avait été là, il l'aurait grondée pour autant d'intrépidité! - elle éperonna sa monture. Elle savait exactement où trouver ce que son ancien mentor lui avait demandé.

….

Encore une fois, son coude alla percuter une fenêtre.

Deux gardes vêtus de noir furent mis hors d'état de nuire. D'où lui venait cette force?

Quelques instants plus tard, un brouhaha stressé lui confirma que sa ruse avait fonctionné. Le bruit de talons de bottes qui martelaient le sol s'approcha de l'endroit où elle était dissimulée et son porteur, vêtu d'une longue cape noire, passa tout près d'elle sans la voir.

Aramis suivi sans bruit le Masque de Fer jusqu'à une chambre à l'étage. Avant de pousser la porte, elle porta la main à sa poitrine et senti le relief que dessinait, sous ses vêtements, le médaillon chéri.

Elle prit une profonde inspiration, tourna la poignée et s'exprima sans peur aucune.

''Donnez-moi cette clé immédiatement'.

…..

(Episode 51)

Aramis jeta un regard au bas de la falaise contre lequel elle aurait dû se fracasser et ravala sa salive. Tout s'était passé si vite! Le duel contre Manson, le coup qu'il avait porté contre elle, les deux perdant l'équilibre et tombant dans le ravin… N'eut été de ses amis pour l'aider à remonter, elle aurait sans doute péri comme l'autre.

Manson avait bien pointé son épée sur elle, ou avait-elle imaginé la scène ? Cela importait peu maintenant que tout était terminé et qu'elle était, par miracle, toujours en vie!

Elle poussa donc un soupir de soulagement et porta la main contre son cœur qui, après avoir battu à tout rompre, se calmait.

Une bosse dure attira son attention et elle porta aussitôt la main sous sa chemise pour en extraire le médaillon adoré.

Il était là, brisé et légèrement déformé.

C'était donc ça. Le bijou l'avait menée vers l'assassin qu'elle avait traqué durant de longues années. Il avait mis à mal le coup d'état orchestré par le Masque de Fer et ses complices. Il avait finalement encaissé le coup de la lame ennemie et l'avait sauvé d'une mort certaine.

Est-ce que c'était François qui avait orchestré tous ces événements ? Même dans la mort, avait-il toujours été à ses côtés?

''Oh François!'' ne put-elle que souffler en retenant des larmes remplies à la fois de joie et de nostalgie.

Elle en avait la certitude : Il avait toujours été là.