Hey
Et voilà enfin posté le dernier chapitre de cette fanfic ! En vrai il reste un épilogue, mais c'est ici que l'histoire se conclut. Je vous laisse avec les deux chatons et je m'en vais relire le dernier bout de cette histoire, histoire de ne pas l'oublier pour le poster dans trois mois.
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
Où le soleil se lève enfin
Asra
.
Il y a des nuits qui donnent l'impression d'avoir duré des années. C'est d'un de ces sommeils qu'Asra sort, alors qu'iel ouvre les yeux et s'extirpe des draps. Près de lui, le souffle régulier d'Ilya sonne comme un chant de sirène. Un appel à rester au lit, blotti. Mais les premiers rayons de soleil qui caressent le rebord en bois de la fenêtre ont le dernier mot.
Son thé matinal préparé, Asra se pose sur son minuscule balcon. Iel profite du piaillement des oiseaux, qui lui apprend qu'iel s'est levé·e tôt. Plus tôt qu'Ilya. C'est un record. mais iel est tombé·e comme une masse, hier. Et iel a si bien dormi. Comme si, libéré d'un poids immense, son corps s'était enfin détendu.
Iel inspire l'air frais de la fenêtre entrouverte. L'odeur de l'hiver s'invite comme une bonne nouvelle.
— Tu veux attraper la crève ?
La voix d'Ilya survient bien après qu'Asra ait terminé son thé. Elle lea fait sourire. Le voir dressé sur son lit, l'air ensommeillé, avec ce sourire moqueur raté, c'est inespéré.
— Il ne fait pas si froid.
— En février ? ricane Julian. Si, amour.
Le mot lui échappe. C'est trop naturel, et il en est le premier étonné.
— Err, je veux dire…
— Laisse.
Asra pose un autre coussin de sol près du sien, avant de tapoter la place. L'invitation est claire. Un café plus tard, Ilya se pose près de lui, ses cheveux encore en pétard. Il sent le matin. Son corps est brûlant du sommeil et des draps. Asra a envie de s'asseoir entre ses jambes, le dos contre son torse. Mais ils ont une discussion à avoir – encore. Et iel sent que c'est le moment de l'amener.
— Merci, pour hier, commence-t-iel. D'avoir accepté de m'écouter.
— Merci de m'avoir appelé.
Un courant d'air passe, frais. Asra le savoure. Ilya frissonne. Il serre ses doigts autour de sa petite tasse. En contrebas, la ville marche au ralenti. Les gens prennent leur temps. Le soleil s'étale lentement le long des rues, illumine le pavé blanc et ravale l'ombre fraiche de l'aube. Asra aime ces moments figés. Iel pourrait passer sa vie sur ce balcon, ses doigts frôlant ceux de Julian. Ce serait parfait.
— Je suis désolé·e de ne pas t'avoir assez écouté, ajoute-t-iel.
Tout lui semble si clair, avec le recul. Sorti·e de sa douleur, Asra sent bien comme iel s'est enfermé·e, même avec ses partenaires. Ça lui a couté Yel. Et peut-être bien d'autres de ses partenaires, sans qu'iel ne le sache. Iel voulait croire qu'iel pouvait tenir comme ça, construire ce double capable de tout supporter sans rien partager de ses véritables émotions. Offrir ce reflet aux gens qui partageaient sa vie.
Mais l'amour ne marche pas comme ça. Iel ne peut pas développer de véritable intimité en refusant de se montrer. Ce ne sera jamais qu'un semblant d'amour, trop pensé, calculé. Rien de sincère ni de spontané. Une relation millimétrée inconfortable qui frustre les personnes qui l'aiment.
C'est dur, de se dire qu'iel a joué un rôle dans ses propres ruptures.
— J'ai aussi mes torts, soupire Ilya. Je ne voulais pas te mettre dans une position désagréable.
Leurs mains se trouvent.
— Tu le pensais vraiment, quand tu disais que tu ne pouvais pas me donner… err, ce que je voulais ?
— Non.
Asra veut de cette relation. Même si elle l'effraie. Que chaque mot lui coûte une sincérité qui lui donne l'impression de basculer dans le vide.
— Je veux être avec toi. Mais ça me fait peur.
Voilà. C'est dit. Iel ne peut plus revenir en arrière.
— J'ai toujours fait les choses à ma manière. En prenant sur moi autant que je pouvais, et en scindant toutes les parties de ma vie. C'est plus simple de gérer comme ça.
— Et ça marche ? demande Ilya.
— Pas vraiment.
Iel a saboté ses relations. Sans le vouloir, sans manquer d'amour, mais en imposant une limite qui ne lui permettait pas de vraiment l'exprimer. En se gardant précieusement cette porte de secours, qui lui donnait l'impression qu'iel pourrait se protéger s'iel en éprouvait le besoin. Une sécurité, pour ne plus jamais être blessé·e.
— Comment veux-tu que les gens se rapprochent de toi, si tu ne leur laisse aucune place dans ta vie ? reprend Ilya, perplexe.
— Je n'ai pas…
Fais exprès. Si, en un sens. Seulement, iel s'était trop renfermé·e pour le remarquer.
— C'est dur, de laisser de la place aux autres.
D'abandonner ce contrôle permanent de ses relations.
— Je sais, soupire Ilya.
Asra sent son pouce se perdre sur le dos de sa main. Faire de tout petits ronds. Une hésitation qui lui chatouille les doigts. Iel a envie de poser sa tête sur son épaule, mais iel ne sait pas s'iel en a le droit.
— J'ai toujours fait foirer toutes mes relations, reprend le rouquin. C'était plus fort que moi. Je sais que la plupart des gens se sentent bien quand leur relation fonctionne, mais moi… Plus ça va, et plus ça me fait peur.
Sa gorge roule alors qu'il parle. Son regard fuit. Asra reconnaît la honte sur ses traits, et iel se demande depuis combien de temps iel le connaît assez pour deviner ses émotions si justement.
— C'est comme si j'étais au bord d'un pont, en train de fixer le vide, sans aucune protection. J'ai l'impression que je pourrais tomber à tout moment. Quelque part…
Sa main se crispe.
— C'est plus simple de détruire soi-même un château de cartes, que d'attendre qu'il s'effondre, tu comprends ? Une fois que c'est fini, il n'y a plus rien à craindre.
Plus rien à espérer, non plus. Juste le vide. La fin. La douleur, familière et confortable. Plus d'inconnu ni d'incertitude. Asra comprend, oui. Même s'iel préfère ne pas prendre le risque de construire. Rester avec ses cartes en main sans oser les montrer.
— Mais avec toi, reprend Ilya, j'avais vraiment l'impression que je pouvais y arriver. Err, enfin… pas la première fois, j'ai vraiment tout foiré. Mais aujourd'hui…
Cette fois, l'expression d'Ilya affiche toute sa fragilité. Asra sent la difficulté que c'est d'oser se livrer, sans savoir quelle réaction il devra affronter. Il le fait, pourtant. Pour iel. Il trouve cette force d'aller au-delà de ses peurs, parce que s'il reste une chance minuscule de sauver leur relation…
Asra n'a pas été capable d'en faire autant.
— J'étais sincère, quand j'ai dit que tu étais la meilleure chose qui me soit arrivée.
Mais iel peut encore se rattraper.
— Je ne suis pas doué·e pour faire de la place aux autres dans ma vie, souffle-t-iel. Même aux gens que j'aime, apparemment.
Si même Muriel le confirme, iel ne peut décemment pas le nier.
— Mais si tu me laisses une chance de réessayer…
— Attends, attends.
Un poids lourd tombe dans l'estomac d'Asra. Est-ce qu'Ilya va refuser ? Après tout, il a accepté de l'écouter, par de revenir avec lui. Il a eu plusieurs semaines pour tourner la page, peut-être même qu'il a déjà retrouvé quelqu'un. Ilya a toujours été plus doué que lui pour rencontrer des gens.
— Tu veux dire… Tu parles bien de retenter le coup, hein ? De se remettre ensemble ?
Iel peut encore dire non. Se fermer maintenant pour ne pas affronter le refus de Julian. C'est une option si simple à saisir. Mais s'iel craque maintenant… Non. Pas encore.
— C'est ça.
Le sourire d'Ilya s'étire comme un soleil.
— Mon dieu. Pardon, je voulais juste être sûr… je déteste m'emballer pour rien.
Deux bras puissants le serrent soudain. Une partie du café d'Ilya a sans douté été renversée dans la manœuvre, et le plaid sur leurs jambes aura besoin d'un petit tour en machine. Mais l'information glisse en retrait dans l'esprit d'Asra. Ce n'est, soudain, pas si important.
Iel rend son étreinte à Ilya. C'est bon, alors. Iel a évité la catastrophe ? Son cœur s'affole comme s'il n'allait plus jamais cogner contre Julian. Doucement, iel réalise. Que peut-être, pour une fois, il y a une chance que cette relation marche. Même si ça n'aura rien de facile. Qu'iel n'en est qu'au début d'un chemin. Ilya n'est pas parti et ce matin, c'est tout ce qui compte.
— De quoi est-ce qu'on doit urgemment parler, maintenant qu'on est de nouveau ensemble ? demande le rouquin alors qu'ils se relâchent enfin.
— À toi de me dire.
— Err… j'imagine que tu ne comptes pas me présenter à tes parents tout de suite ?
Effectivement. Asra abaisse aussitôt les yeux. Cette question lui rappelle qu'ils ont encore beaucoup, beaucoup de choses à se dire. Qu'un matin ne suffira pas. Mais il faut bien commencer quelque part.
— Non, avoue-t-iel.
Bêtement, iel a peur qu'Ilya s'écarte aussitôt d'iel. Iel serre sa main pour le garder à ses côtés.
— Je ne suis pas proche d'eux, reprend-iel. Ils en savent très peu sur ma vie telle qu'elle est aujourd'hui. Et je ne veux pas que ça change pour l'instant.
Ses parents ne savent pas qu'iel a déjà eu des relations avec des hommes. En fait, à leurs yeux, sa vie amoureuse tient plus du mythe que du vrai. Même s'ils se doutent qu'Asra a déjà eu des aventures, c'est un sujet qui flotte. Une bulle que personne n'a encore osé percer.
— Je vois, soupire Ilya.
Il a l'air résigné plus que déçu.
— Ça ne veut pas dire que je ne leur en parlerai jamais. Ni que j'ai honte de toi.
— Je sais. C'est… entre vous, je suppose.
— C'est ça.
Est-ce qu'il lui en voudra, sur le long terme ? Asra ne veut pas que ce qui est aujourd'hui une brève conversation devienne un poids qu'ils traineront sans oser le pointer du doigt.
— Et… tu as retrouvé quelqu'un, depuis qu'on s'est disputé ? ose Ilya.
— Non.
Asra n'avait pas la tête à draguer. En fait, ça n'a jamais été son truc. Iel s'épanouit dans ses relations sans se demander ce qu'elles deviendront. Aujourd'hui, ça lui convient. Iel ne veut plus hiérarchiser ses amours en fonction de codes qui ne lui conviennent pas. Mais il faut aussi que cette situation soit confortable pour Ilya.
— Je suis proche de Muriel, précise-t-iel. Mais je n'ai pas avec lui le même genre de relation qu'avec toi.
— Et il y a d'autres personnes avec qui tu entretiens…Ce genre de relation ?
— Pas pour l'instant.
Ilya hoche la tête.
— Ça te dérange ? demande Asra.
— Que tu n'aies personne en ce moment ?
— Que je puisse vouloir partager ma vie avec quelqu'un d'autre, sur le long terme.
Ce n'est pas la première fois qu'ils ont cette conversation. Et Ilya n'avait peut-être pas pris la mesure de ce à quoi il s'engageait, quand il a accepté ce paramètre, il y a plusieurs mois. Asra a toujours détesté cette propension de certains de ses partenaires à accepter ses conditions sur le papier, pour ensuite chercher à l'isoler de ses autres amours. De Muriel, surtout. Comme si cette amitié menaçait l'affection qu'iel éprouvait pour les autres.
Mais iel ne veut pas non plus qu'Ilya dise oui pour lui faire plaisir.
— Err… Je n'ai rien contre l'idée que tu puisses voir quelqu'un d'autre. Mais que ça se fasse sans que je sois au courant…
Ilya se mord la lèvre. Entre ses mains, ses longs doigts se rétractent et se serrent. Asra les caresses pour l'inviter à poursuivre.
— J'ai l'impression que je ne pourrais jamais vraiment faire partie de ta vie si tu me caches quelque chose d'aussi important. Je comprends pourquoi tu ne veux pas en parler à tes parents, mais à moi ?
Ça tire. Asra n'aime pas qu'on cherche à décompartimenter les différentes parties de sa vie, savamment séparées. Mais Ilya ne peut pas être le seul à comprendre, ni à faire des efforts. Pour que leur relation marche, ils vont devoir s'y mettre à deux. Et ça, c'est un pas qu'Asra peut faire.
— Je ne te cacherais rien là-dessus, promet-iel. Tu seras au courant s'il se passe quoi que ce soit.
— Vraiment ?
— Vraiment.
Un soulagement perceptible délie les épaules de Julian. Asra n'avait pas réalisé que cette possibilité lui pesait tant. Est-ce qu'il avait à ce point peur qu'iel fréquente des gens dans son dos ? Iel communique si peu ?
Oui. Apparemment.
— Mais il peut se passer des années avant que quoi que ce soit n'arrive, lui rappelle Asra. Ce n'est pas parce qu'on est dans une relation ouverte que je vais forcément aller chercher ailleurs. Si je me sens bien avec les gens qui font partie de ma vie, peut-être que personne n'y entrera plus avant longtemps.
— J'imagine que tu ne passes pas tes soirées à faire les bars du coin.
— Je te laisse ce plaisir, se moque Asra.
Iel voit le rougissement soudain des joues d'Ilya. S'il croit qu'iel ne se doute pas de son penchant pour la boisson et les plans culs…
— Et j'organise ma vie comme n'importe qui. Si je sais que je n'ai pas assez de temps à accorder à quelqu'un, je ne chercherais pas à multiplier les relations. Toutes les personnes qui me plaisent et avec qui je veux passer du temps ne sont pas destinées à partager ma vie aussi longtemps que toi.
— Ça veut dire que je suis important ? Err, je veux dire, sur l'échelle de tes partenaires… Enfin, je sais que tu n'aimes pas faire de classification, mais…
— Tu es important, Ilya. Et tu passeras en premier sur beaucoup de plans.
Asra sait qu'iel ne sort pas tant que ça, et qu'iel n'a pas un temps infini à accorder aux autres. S'iel refuse de se lier à une seule personne, comme le font la plupart des gens, c'est avant tout parce qu'iel ne veut pas brider ses sentiments, ni cloitrer ses amitiés dans un cadre étroit qui ne colle pas avec ce qu'iel éprouve. Mais il y a dans sa vie, qu'iel le veuille ou non, des gens qui seront toujours plus importants que les autres.
— C'est mal, d'être soulagé ? demande Ilya, penaud.
— Non.
À nouveau, Asra vient se blottir contre lui. Serein·e, cette fois. Fini les non dits. Cette journée débute sous le signe du renouveau. Du renouveau et du repos. Il fait trop beau dehors pour travailler enfermé. Avec l'avance qu'Asra a pris ces derniers jours, iel peut s'autoriser un jour de vacances.
— On va rester là toute la matinée ? reprend enfin Ilya, sa tasse vide entre les mains.
— Tu n'aimes pas mon balcon ?
— Je crois surtout que mon patron n'aimerait pas que je reste sur ton balcon passé dix heures.
Oh. Effectivement.
— Tu es sûr de vouloir garder ton travail ? le taquine Asra.
— Et mon appartement. Et l'argent qui me permet de manger à midi, err… Je suppose que tu saisis l'idée.
— Malheureusement.
À contre-coeur, Asra se redresse. Iel ne va pas empêcher son petit ami - à nouveau - de gagner son indépendance au dur prix de son travail. Mais iel se redresse, une dernière fois, pour l'embrasser.
Sa bouche a le goût du matin. La faute au café.
— Je t'attends ce soir ?
Attendre. Asra avait oublié ce que c'était. En un mois, la tête plongée dans les commandes. Mais ce délicieux sentiment d'impatience lui revient. Iel guettera le bruit dans le couloir et la silhouette d'Ilya, dehors, sur le trottoir. Jusqu'à ce que ses cheveux en bataille surgissent enfin dans le paysage. Ce soir, Julian rentrera. Et ce ne sera que la première nuit d'une longue, longue liste.
Le soleil passe sur sa peau, et Asra sait que la nuit qui se termine promet un jour lumineux, comme iel n'en a pas connu depuis longtemps.
