Précédemment : Akira a été blessé lors d'une bataille contre un robeast et s'est disputé avec Shiro à ce sujet. Ils ont fini par se réconcilier et Shiro s'est enfin confié à lui. Après l'Unité de Hunk et de Shay, les familles des paladins ont choisi de rester à bord du château-vaisseau plutôt que de retourner à New Altéa. Hunk et Shay ont libéré une autre Balméra nommée Atsiphos, après avoir tué une créature possiblement liée à l'œuf de Vkullor qu'Haggar a trouvé sur Terre. Keith et Lance sont retournés sur la planète mère et ont été séparé après un combat contre Vit, le frère d'Arel. Ils se sont retrouvés et se dirigent actuellement vers un deuxième point de contact de la résistance.
Chapitre 35
Radio Voltron
Akira laissa Layeni mener l'entraînement au corps-à-corps.
Pas qu'il ait jamais prévu de prendre les devants de toute manière. Il ne se faisait pas d'illusions : il avait affronté Takashi plusieurs fois depuis le désastre de la chaîne Zhek, suffisamment pour ne pas se ridiculiser, mais il n'était pas le meilleur de la classe. Loin de là.
Au centre d'un cercle de membres de la Garde, Layeni affrontait Chel, une Balmérane de la sixième génération. Chel n'était pas comme les autres Balmérans qu'Akira avait rencontrés : elle avait été élevée par des contrebandiers, luttant contre l'Empire qui avait arraché sa famille à son Balméra. Alors que la plupart des Balmérans étaient plutôt prudents et répugnaient à la violence, Chel était une des guerrières les plus expérimentées de la Garde et n'hésitait pas à se servir de sa taille à son avantage au combat.
Mais Layeni n'était pas en reste. Elle était avant tout une spécialiste du tir et préférait donc se battre à distance, mais Akira l'avait déjà vue percer les rangs ennemis à coups de machette et avait déjà réussi à coincer Chel lors d'un de leurs matchs.
Normalement, cette démonstration était censée donner aux membres de la Garde un aperçu de ce à quoi devait ressembler un combat rapproché entre deux personnes expérimentées. En réalité, c'était plus impressionnant qu'instructif. Pas seulement parce que Layeni était une femme attirante et qu'Akira avait un faible pour les femmes attirantes capables de lui botter les fesses, mais aussi parce que c'était difficile de suivre en détail tous leurs mouvements à la vitesse où elles allaient.
Layeni plongea sous la prise de Chel, tournoya pour lui faucher les jambes, puis recula d'un bond alors que son adversaire coupait sa chute d'une roulade, se retournait et se jetait sur elle.
Ils avaient investi la plus grande salle d'entraînement de la tour bleue ce jour-là et Layeni avait recruté deux douzaines de membres de la Garde avec un peu d'expérience en combat au corps-à-corps pour entraîner les autres. D'autres groupes s'étaient établis un peu partout dans la pièce, certains faisant des exercices, d'autres s'affrontant, d'autres encore observant les démonstrations des instructeurs.
Layeni fit un mauvais calcul lors de sa prochaine esquive, permettant à Chel de la plaquer au sol et de lui coincer les bras avant qu'elle ne puisse s'échapper.
— Mes excuses, Lieutenant-colonel, dit Chel avec un sourire, l'aidant à se relever. On décide à trois victoires sur cinq ?
Layeni grimaça, s'étirant le dos.
— Je sais reconnaître ma défaite.
Elle refusa la poche d'eau que lui tendait un des membres de l'escadron de Chel et se tourna vers les spectateurs : Akira et le reste de la classe intermédiaire. Plus de la moitié de la Garde en faisait partie. Une cinquantaine de pilotes, dont Jeya, était dans la classe des débutants pour apprendre les bases, comme la majorité d'entre eux avaient appris à voler par eux-mêmes et avaient évité tout combat rapproché. Soixante-dix autres (la classe avancée) provenaient de rébellions, de milices locales ou d'autres groupes de résistance indépendants et avaient appris à se défendre par nécessité. Certains manquaient de raffinement, d'autres seulement d'entraînement, mais ils savaient tous se débrouiller.
Akira était en milieu de peloton, là pour apprendre des choses autrement plus complexes que la manière de se tenir et de donner un coup de poing sans se briser les doigts, sans pour autant être prêt à se battre sérieusement.
— Aujourd'hui, nous allons travailler sur les prises, dit Layeni, si ce n'était pas évident. Les prises, et comment s'en échapper. Nous allons vous guider étape par étape maintenant que vous avez vu à quoi ça ressemble en pratique. Mettez-vous par paires.
Akira se laissa entraîner par Rizavi, une des nouvelles transférées de la Garnison, et ils exécutèrent les mouvements ensemble en suivant les instructions de Layeni et Chel. Akira était assez souple pour réussir à se libérer sans trop de problème (même s'il ne doutait pas que ce serait plus difficile avec quelqu'un qui savait ce qu'il faisait), mais attraper Rizavi était déjà plus compliqué. Elle était du genre exubérante et fonce dans le tas, mais sa vantardise n'était pas tout à fait déplacée. Il aurait été agacé par ses provocations si elle n'était pas si charismatique.
Après une demi-heure, Layeni décréta une pause et Akira se dirigea vers les trappes au mur qui distribuaient des poches d'eau. Il s'arrêta alors qu'il se détachait tout juste de son groupe. Sur le balcon qui surplombait la salle d'entraînement se trouvaient Zuza et Wyn. Wyn était en équilibre sur la rambarde, une jambe pendant dans le vide, et Zuza s'appuyait sur la balustrade à côté de lui. Elle prit un air radieux quand elle remarqua qu'Akira les regardait et agita la main.
Akira prit sa poche d'eau et les escaliers qui menaient au balcon. Il ne pouvait qu'imaginer que la zone servait autrefois d'accueil aux événements sportifs, avant la chute d'Altéa : non seulement elle lui évoquait un gymnase, mais les sièges formaient aussi des rangées de sorte de permettre à tout le monde de voir ce qui se passait en bas. Sans parler de l'appareil accroché au plafond qui devait projeter des images sous de meilleurs angles.
— Hé, Akira ! l'appela Zuza quand il émergea de la cage d'escalier entre deux sections de sièges.
Wyn lui offrit un petit sourire avant de reporter son attention sur l'étage du dessous. Les deux autres classes travaillaient encore, même si, à la surprise d'Akira, Wyn n'observait pas les matchs de la classe avancée, contrairement à un petit nombre de membres de la Garde. Il se concentrait sur la classe débutante, où Griffin (un ancien de la Garnison) guidait ses élèves dans une série de parades et de pas de côté.
— Salut.
Akira s'adossa à la barrière près de Zuza et de Wyn, puis planta sa paille dans sa poche d'eau pour prendre une longue gorgée. C'était étrangement fatigant d'esquiver et d'éviter de se faire attraper. Il observa les deux autres un moment avant de demander, aussi désinvolte que possible :
— Qu'est-ce qui vous amène ?
Wyn haussa les épaules.
— Je venais voir sur quoi vous vous entraîniez, marmonna-t-il. Au cas où je pourrais apprendre un truc.
Akira fut étonné. Il avait entendu dire que Wyn avait commencé à suivre les leçons d'Allura avec Edi. Il était encore jeune, mais semblait déterminé à apprendre au moins les bases de self-défense et, la guerre étant ce qu'elle était (le passé de Wyn étant ce qu'il était), personne n'avait été disposé à le lui refuser.
En fait, Akira était un peu surpris que Wyn ne participe pas à l'entraînement de la Garde. Il ne connaissait pas très bien le petit Altéen, mais il avait l'énergie qui se prêtait à se lancer dans quelque chose sans penser aux conséquences.
— Tu ne veux pas aller voir ça de plus près ? demanda Akira. Je suis sûr que ça ne dérangera pas Griffin d'avoir un élève de plus si tu veux apprendre.
Wyn lui jeta un regard en coin, les yeux plissés comme s'il cherchait à déceler un piège, puis se détourna et haussa les épaules.
— Je suis bien ici.
Akira haussa les épaules également.
— Comme tu veux. Et toi, Zuza ?
Il lui donna un coup de coude dans les côtes.
— Ça ne te dit pas, un peu d'exercice ?
Zuza rit, mais ça semblait un peu forcé.
— Moi ? Mais non.
Elle eut un sourire de courte durée, son regard se posant à nouveau sur l'entraînement à leurs pieds.
— Non, mais tu m'y vois, toi ? On rirait bien, je te l'accorde. Mais… Je ne suis pas faite pour ça, je crois.
Akira fronça les sourcils, Layeni tapa dans ses mains au même moment, indiquant qu'ils n'avaient plus qu'une minute de pause avant de reprendre.
— Allez, va, dit Zuza, agitant la main. Je suis bien ici.
Akira n'était pas convaincu, mais il s'en alla quand même, non sans un dernier regard incertain par-dessus son épaule.
Hunk s'habituait doucement à la politique.
Il ne pensait pas qu'il aimerait ça un jour, mais au moins, quand il travaillait avec les doyens balmérans, il n'avait plus trop envie de se cogner la tête contre un mur. Ce n'était pas comme au congrès ou à ses retombées. Il ne s'agissait pas de faire de beaux sourires et de marcher sur des œufs.
Il s'agissait de résolution de problème pure et simple.
Oui, il y avait des désaccords. Les priorités n'étaient pas les mêmes pour tous et tout le monde était stressé. Les doyens d'Atsiphos n'avaient eu que quelques jours pour s'habituer à leur liberté. Leur Balméra était encore faible et le peuple inquiet des représailles. Et la découverte que ce n'était pas la créature cybernétique qui tuait leur foyer, après tout, leur avait porté un sacré coup au moral.
C'était un parasite. Sur Metos, il y avait des récits d'infections similaires : de créatures à l'esprit collectif se nourrissant de Balméras, les dévorant de l'intérieur et détournant leur chant pour que les Balmérans travaillent pour eux. Le nom de ce parasite s'était perdu depuis longtemps, mais l'horreur qu'il inspirait perdurait. Surtout qu'apparemment, le robeast des Galras servait à le tenir à distance. Son aura similaire à celle d'un Vkullor aveuglait le parasite, l'empêchant de s'étendre, si bien qu'il s'en donnait à cœur joie maintenant que le robeast n'était plus là. Allura et Coran avaient mené un groupe d'Altéens à Atsiphos pour restaurer ses réserves de quintessence et des ingénieurs olkaris travaillaient sur une grille défensive (autant pour les préserver du parasite que de l'Empire), mais le peuple avait quand même besoin d'être rassuré.
Pendant ce temps, Metos et Theros avaient un nouvel objectif : trouver une Migration. C'était le meilleur moyen pour eux d'apprendre à se défendre et à s'occuper de menaces invisibles comme le parasite. Mais il y en avait qui disaient que les Balméras libres n'étaient que légendes et qui voulaient redoubler leurs efforts pour libérer autant de Balméras que possible avant que Zarkon ne se doute de quelque chose.
Pour Hunk, ces objectifs étaient tous louables, pas comme ceux d'alliés potentiels de Voltron, qui voulaient juste profiter de la guerre. Alors, bien que c'était frustrant, bien que Shay devait parfois poser une main sur son bras pour lui rappeler de respirer avant de s'en prendre à quelqu'un, il avait quand même l'impression d'avancer.
Doucement, mais sûrement.
— Nous devons trouver une Migration, dit Rua. C'est le meilleur moyen de défense à notre disposition.
— Et nous mettre une cible encore plus grosse dans le dos ? demanda Jhan, d'Atsiphos. N'avons-nous pas déjà assez donné de raisons aux Galras de tous nous tuer ? Plus nous nous rassemblons au même endroit, plus il y a de chances que Zarkon nous attaque.
— Mais les Balméras libres savent des choses que nous ignorons, plaida Shay. Je suis d'accord avec le doyen Lem : nous n'abandonnerons pas les autres Balméras qui souffrent sous le joug de Zarkon. Mais ne devrions-nous pas nous tourner vers l'avenir ? Nous allons continuer de nous raccrocher à des fantômes si nous ne trouvons pas ceux de notre peuple qui ont conservé notre histoire. Les Balméras libres ont tant à nous apprendre.
— Si tant est qu'ils existent. (Jhan secoua la tête.) Un jour, oui, nous devrons récupérer ce que nous avons perdu. Mais notre situation actuelle est trop précaire. Et si l'Empire connaissait déjà les anciens chemins migratoires ? Et s'ils nous y attendaient quelque part ?
Hunk croisa les bras, faisant un tour de cercle du regard. Les doyens s'étaient rassemblés au cœur de Metos, le plus grand des trois Balméras. C'était une Rencontre un peu discordante, avec trois chants différents qui se mélangeaient. Au début, ça avait donné l'impression que tout le monde chantait dans une tonalité différente et, bien qu'ils aient fini par se moduler sur la chanson de Metos, il y avait encore des moments où ça ne collait pas trop.
Peut-être était-ce dû aux longues heures et aux enjeux importants de cette réunion. Metos avait finalement adopté les défenses olkaris et les doyens d'Atsiphos avaient accepté d'essayer après avoir vu celles mises en place sur Theros, mais ce n'était pas leur seule préoccupation. L'occupation galra avait drastiquement réduit la production alimentaire sur la Balméra et il y avait peu de ressources qu'ils pouvaient prendre sans la blesser davantage. Hunk et Shay avaient encouragé les doyens à déposer une pétition auprès de la Coalition, mais ce n'était qu'une solution à court terme. À long terme, ils auraient besoin de nourriture, de médicaments, de textile et de technologies, surtout sur Metos, où les dégâts étaient si importants que les doyens estimaient qu'une génération s'écoulerait avant que le Balméra ne soit capable de subvenir à leurs besoins sans aide.
Hunk se gratta la joue, s'assurant que son chant était apaisant avant de prendre la parole :
— Bah, vous n'êtes pas obligés de rejoindre la Migration immédiatement. Si vous avez peur de vous peindre une cible dans le dos, entrez simplement en contact. Voyez ce qu'elle a à vous apporter et décidez ensuite de la rejoindre ou non.
Les doyens se turent. Ce n'était pas comme s'ils n'y avaient pas déjà pensé : Hunk le sentait dans le chant. C'était juste qu'ils voulaient tous avoir un plan ferme en place. « Attendre de voir » ne leur plaisait pas. Ironique, vu que la principale raison de leur survie était qu'ils avaient pris les choses au jour le jour.
Enfin bon, il s'agissait des leaders du peuple, après tout. S'ils n'agissaient pas, Zarkon n'allait pas se gêner. Du moins, c'était l'ambiance qui pesait sur Metos ce soir-là.
Shay fredonna sa gratitude, le prenant par le bras.
— Paladin Hunk a raison. Notre priorité immédiate est de trouver des ressources et de renforcer nos foyers. Nous nous aiderons les uns les autres où nous pouvons et ferons appel à la Coalition dans les autres cas. Voltron continuera de chercher les Balméras captifs pour les libérer et nous agirons au fur et à mesure que nous collectons des informations. En attendant, nous devons au moins commencer à chercher les Migrations qui ont survécu. Y a-t-il quoi que ce soit dans nos histoires qui puisse nous guider dans la bonne direction ?
— Nous avons quelques indices, répondit Lem à contrecœur. Rien de sûr, rien de clair. Des chercheurs de Metos et de Theros ont compilé ce que nous savons. Si Atsiphos a connaissance du moindre élément qui pourrait nous aider, nous serrons reconnaissants. Autrement…
— Nous avons des rumeurs, dit Rua. Des descriptions poétiques de paysages le long de la Migration. Mais aucune coordonnée ni rien qui n'indique où elle pourrait se trouver aujourd'hui.
Shay acquiesça, puis regarda Hunk.
— C'est un début. Compilez toutes vos informations. Hunk et moi allons enquêter. Ce sera plus rapide que de déplacer notre Balméra et, si Zarkon nous attend en effet, nous sommes mieux équipés pour nous défendre.
Rua acquiesça, suivie après un instant d'hésitation par Lem et Jhan.
— C'est… convenable. Nous nous rassemblerons à nouveau une fois que nous aurons plus d'informations pour décider de ce que nous allons faire.
Hunk sourit aussi courtoisement qu'il le pouvait. Trois heures de débat pour en venir à la conclusion qu'il leur fallait plus d'informations. Cela aurait pu être pire : ils auraient pu décider de ne rien faire du tout.
Mais c'était quand même frustrant et il fut soulagé quand les doyens mirent fin à la Rencontre, se dispersant pour discuter de leurs projets personnels, comme la coordination d'un autre congrès de navigateurs en herbe, l'établissement d'une liste de denrées dont ils allaient avoir besoin pour pouvoir déposer une pétition auprès de la Coalition, la prise de contact avec les guérisseurs, les architectes et d'autres volontaires prêts à se rendre à Atsiphos pour l'aider à se reconstruire…
Leur alliance était encore fragile, mais elle progressait. Hunk pouvait s'en réjouir, mais il était quand même content de reprendre les airs pour partir à la recherche de Balméras disparus qui n'existaient peut-être même plus.
Au moins, il ne s'ennuyait jamais.
— C'est vraiment facile de distinguer ceux qui ont fait l'armée, hein ? fit Wyn, balançant ses pieds par-dessus la rambarde.
Zuza devrait sûrement s'en inquiéter davantage, vu qu'il se trouvait à cinq mètres de haut. Mais elle se disait que Wyn était assez grand pour décider tout seul et, en tant qu'Altéen, ce n'était de toute façon pas une chute de cette hauteur qui allait lui faire mal.
— Tu trouves ? demanda-t-elle, jetant un œil à la classe avancée.
Ils s'étaient dispersés en paires et trios pour s'affronter et, à les regarder, Zuza se disait surtout que n'importe lequel d'entre eux serait capable de la briser comme une brindille en moins de deux.
— Bah oui.
Wyn se pencha en arrière, pointant une paire du doigt.
— Tu vois l'Altéenne et le Phérien là-bas ? L'Altéenne reste toujours en position. Elle sait ce qu'elle fait et attend une ouverture. Le Phérien, lui, se lance immédiatement. Il ne se bat pas à la loyale, tu vois ?
Zuza ne voyait pas, mais elle acquiesça quand même. Wyn en apprenait sûrement plus qu'elle, ce qu'elle ne pouvait lui reprocher. Il était là pour ça, car il voulait prendre de l'avance dans ses cours de self-défense. Quant à Zuza…
Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Elle se morfondait surtout de ne pas être à sa place. Elle n'avait rien d'une guerrière et, franchement, n'était pas sûre de vouloir le devenir.
Mais elle voulait se montrer utile.
Elle se tourna à nouveau vers la classe intermédiaire, où Akira essayait d'imiter un jeté que leur avait montré Keturah face à un adversaire holographique. L'IA était apparue un quart d'heure plus tôt, ne restant en retrait que quelques instants avant de s'approcher de Layeni pour lui proposer son aide.
Zuza n'avait capté qu'une partie de la conversation : l'IA d'un autre paladin parlait souvent de la Garde et Keturah voulait voir ce qu'il y avait de si intéressant. Comme si elle n'était pas aussi curieuse que les autres. Et aussi un peu seule, peut-être. Zuza ne savait pas ce que ça faisait d'être un programme informatique vivant, un tas de souvenirs ficelés dans une coquille holographique.
Mais Keturah ne pouvait pas cacher à quel point elle appréciait de passer de groupe en groupe, distribuant des conseils comme si elle était la maîtresse des lieux. Elle s'était figée brièvement au début quand, alors qu'elle tendait la main pour corriger la posture d'un membre de la Garde, elle lui était passée au travers. Elle avait essayé d'en rire et de passer à autre chose, mais elle s'était murée dans le silence après coup, ses suggestions se faisant de plus en plus timides jusqu'à ce qu'Akira ne commence à essayer d'imiter les mouvements les plus compliqués qu'elle avait démontrés.
(Il était loin du compte, mais au moins, Keturah semblait plus exaspérée que découragée ensuite, ce qui était certainement son intention.)
Tout ça n'arrangeait pas vraiment l'humeur de Zuza. Elle soupira et recula.
— Je vais aller voir si Coran a besoin d'aide, dit-elle à Wyn. Tu restes là ?
— Ouais, je reste encore un peu, dit Wyn. C'est super intéressant, en vrai.
Zuza sourit, lui ébouriffant les cheveux. Il l'esquiva avec une grimace mécontente et Zuza pouffa.
— Pardon. À plus tard, Wyn.
— Ouais, dit Wyn, s'intéressant de nouveau à l'entraînement en contrebas. À plus.
— Dis-moi la vérité, dit Lana, croisant les bras sur le comptoir alors qu'Eli pivotait pour commencer la sauce du repas du soir. Tu as énervé quelqu'un à New Altéa ?
Eli poussa un son outré.
— Quoi ? Mais non !
Lana leva les mains avec un sourire espiègle.
— Sans vouloir te vexer, hein. C'est juste que tu es si secret sur le sujet. La dernière fois que c'est arrivé, c'était parce que tu avais rejoint un groupe de justiciers chasseurs d'OVNI pour abattre la Garnison Galactique.
— À ma décharge, je ne vois pas du tout comment j'aurais pu placer ça dans une conversation lambda.
Lana secoua la tête et Eli reprit son travail. Akani s'occupait du plat principal. Pas de surprise. Eli avait peut-être appris deux-trois trucs auprès de sa mère et de Rebecca, son associée qui vouait une haine féroce aux fast-foods et aux plats surgelés (pourtant des incontournables pour les pigistes qui vivaient dans des motels), mais il était loin du niveau de sa belle-sœur.
Mais comme Hunk était occupé par les affaires balméranes, Akani n'avait plus de sous-chef et Eli avait accepté le rôle avec plaisir.
Il aurait seulement pu se passer de l'interrogatoire de sa sœur.
— Sérieusement, dit Lana. Aux dernières nouvelles, tu comptais repartir après l'Unité. Tu ne peux pas me reprocher d'être curieuse des raisons de ce changement d'avis, non ?
Akani leva les yeux au ciel et tapota l'épaule d'Eli alors qu'il passait derrière elle pour prendre le lait dans le… enfin, ce n'était pas vraiment un frigo, mais presque.
— Ignore-la, dit Akani, jetant un regard en biais à Lana. Tu sais que c'est une fouineuse. C'est bon de t'avoir parmi nous.
— Merci, dit Eli. Je suis content d'être là. New Altéa a beau être magnifique, ça m'avait manqué d'être dans le feu de l'action.
Lana rit.
— C'est bien mon frère. Toujours à courir après les dernières nouvelles.
Cette phrase n'avait pas pour but de le culpabiliser, mais il eut quand même l'impression de se prendre un coup de poing dans l'estomac. C'était la vérité, après tout : il était toujours sur la piste d'une nouvelle affaire. Que ce soit un départ pour l'allée des tornades afin de suivre une tempête, ou encore pour la Californie afin de filmer un séminaire d'entreprise… Il n'était jamais resté très longtemps au même endroit.
Déjà au lycée, il rêvait de nouveaux paysages. Lana avait travaillé durant ses études pour prendre soin de leur mère, mais Eli ? Eli s'en était allé deux jours après la remise des diplômes avec une caméra, un sac à dos rempli de vêtements, cent dollars et un ticket d'avion pour l'aéroport international de Los Angeles, prêt à traverser les États-Unis en faisant du stop juste pour dire qu'il l'avait fait.
Cela avait été le début de sa carrière dans la vidéographie, même si c'était loin d'une source de revenus stable à l'époque. Il filmait simplement ce qui attirait son attention, comme un chauffard ivre qui avait défoncé cinq voitures et la vitrine d'un magasin en essayant de sortir de sa place de parking. Eli avait trouvé ça drôle, mais en vendant le clip à la chaîne de télévision locale, il avait subitement découvert un moyen de se payer le reste du voyage.
Après ça, il n'avait plus jamais réussi à prendre racine nulle part. Il rentrait à la maison pour un temps, se disputait avec Lana pour ce qu'il considérait à l'époque comme des attentes irrationnelles de sa part et des tentatives de le faire culpabiliser. Après avoir enterré leur mère, il était reparti et s'était lancé dans un cercle vicieux d'évitement de ses obligations familiales, ne rentrant qu'une fois tous les deux ans, malgré ses bonnes résolutions à faire partie de la vie de Hunk.
Tout le monde avait toujours cru qu'il finirait par rencontrer quelqu'un et se poser. Qu'il se marierait, aurait des enfants, achèterait une maison. Eli savait que beaucoup de monde pensait qu'il sortait avec Rebecca. Mais… ce n'était pas le cas. Il ne savait pas vraiment si c'était quelque chose qu'il avait voulu un jour ou s'il s'était résigné à l'inévitable.
Il avait rencontré des gens. Il n'était pas immunisé au charme des belles personnes. Il avait eu quelques aventures, mais ça n'avait jamais duré au-delà de la fin de son contrat. L'appel de la route était plus fort et il n'avait jamais ressenti le besoin de s'investir dans une romance. Il se sentait très bien tout seul.
Mais il avait laissé sa famille en plan. D'abord Lana, qui s'épuisait au travail pendant qu'Eli faisait le tour du pays. Puis Hunk, qui pouvait au final considérer qu'il n'avait pas d'oncle.
Il s'en était toujours voulu, mais il avait fallu qu'il perde Hunk pour qu'il se décide à se bouger les fesses et à changer les choses. Il voulait être présent. Il voulait s'impliquer.
Eli touilla la sauce, la goûtant une dernière fois avant de la laisser mijoter, puis pivota et offrit à Lana un sourire qui, l'espérait-il, ne trahissait pas la culpabilité qu'il ressentait.
— Pour être honnête, je restais surtout à New Altéa pour Sebastian. Il a besoin d'un projet et…
Il rit, un peu hystérique.
— Soyons réalistes, Sebastian a des problèmes ordinaires avec lesquels je peux peut-être l'aider. Je ne serai pas d'une grande utilité à Hunk.
— Tu es son oncle, fit remarquer Akani d'un ton prudent. Ta présence l'aide déjà beaucoup.
Eli sourit, le cœur serré.
— Ouais, j'imagine.
Il secoua la tête.
— Je suis content de rester. Vraiment. Je suis dépassé par tout ce qui concerne les paladins et la guerre, mais je suis là. Je ne vais nulle part.
Akani lui serra le poignet et Lana, quand il risqua un coup d'œil dans sa direction, lui souriait.
Eli ne voyait toujours pas comment se rendre utile, mais ce qu'il avait dit était sincère. Il restait. Il était temps qu'il arrête de fuir sa propre famille.
Après le dîner, Eli alla chercher Val, son ordinateur sous le bras et le cœur battant à tout rompre sous le coup de l'enthousiasme.
— J'ai un nouveau projet, dit-il, s'installant sur le canapé à côté de Val. Et je pense que ça pourrait t'intéresser.
Nyma et Pidge, qui étaient aussi là à regarder un film, levèrent le nez, bien que Pidge semblait bien plus intéressé·e par son ordinateur que par Eli ou l'écran holographique et reprit bien vite ses tapotements.
Val haussa un sourcil.
— Oooh, un projet, cool. De quel genre ?
Eli tambourina sur son ordinateur portable, souriant malgré lui.
— Je pensais l'appeler la « Radio Voltron ».
Le cœur de Shay sombra alors qu'ils émergeaient d'un trou de ver pour ne tomber à nouveau sur rien d'autre que du vide.
Ça faisait des heures qu'ils parcouraient l'espace, suivant les pistes ténues que les navigateurs balmérans leur avaient fournies. Coran en avait comparé certaines aux cartes stellaires et archives du château ; d'autres pointaient déjà vers des étoiles connues.
Chaque fois, Shay ouvrait un trou de ver, le cœur logé dans la gorge. Elle ne devrait pas s'attendre à trouver une Migration entière de l'autre côté. Elle savait que ce n'était qu'un rêve et qu'il faudrait énormément de chance pour qu'il devienne réalité. Et pourtant, elle retenait son souffle, se penchait en avant alors que la lumière du vortex s'effaçait, et souffrait un peu plus à chaque fois qu'elle ne découvrait que des étoiles inconnues et des planètes esseulées.
— Rien sur les radars, confirma Hunk, la mélancolie colorant sa chanson.
Il avait, au départ, pris son poste habituel au fond de Yellow, prêt à agir si l'Empire occupait les anciens chemins migratoires. Après deux heures, cependant, il avait rejoint Shay dans le cockpit pour surveiller les scanners et l'aider à chercher des signes récents d'une Migration.
— Non, dit Shay. Je ne vois rien non plus.
— Coran a pu se tromper, dit Hunk sur le ton de celui qui essayait de réconforter quelqu'un sans vraiment y croire lui-même. Il nous a prévenu que la base de données des constellations est incomplète. Et nous ne savons pas si ces cartes sont bien précises, de toute façon. Même un léger décalage peut nous avoir produit un faux résultat.
Shay acquiesça. Elle le savait. Elle l'avait su dès le départ. Certains récits de Metos faisaient mention d'étoiles et de planètes, mais leurs noms ne collaient pas à la base de données universelles. Les Balmérans avaient leurs propres appellations pour les lieux qu'ils connaissaient depuis des milliers d'années et ils ne semblaient pas les avoir partagés avec beaucoup d'étrangers.
La plupart de leurs pistes venaient donc d'un petit nombre de cartes stellaires que les navigateurs avaient trouvées gravées dans les murs de caves bien cachées dans les profondeurs des trois Balméras. Elles étaient plus nombreuses à Atsiphos, qui avait passé le moins de temps sous le règne de Zarkon, mais même à Metos et Theros, on en trouvait un certain nombre.
Shay pensait que ça devait être un réseau, autrefois : un tunnel continu près du cœur de cristal, imitant les chemins migratoires, avec des salles symbolisant les pouponnières et les lieux de ravitaillement. Ces salles avaient des constellations gravées dans la roche qui pouvaient être scannées avec une caméra holographique et comparées avec les constellations contenues dans les archives du château-vaisseau.
Bien sûr, les Altéens n'avaient pas été partout et n'avaient pas enregistré le ciel sous tous ses angles, et de nombreuses caves avaient été endommagées par les mines, les effondrements et des générations d'abandon.
Les doyens avaient commencé à constituer des équipes pour les remettre en état et s'organiser avec les Balméras pour en trouver d'autres, mais cela prendrait du temps et le mince espoir de Shay de voir l'une de ces caves les mener à une Migration active s'amenuisait à chaque trou de ver qui s'ouvrait sur le vide.
— On devrait… On devrait explorer les environs, dit Hunk, remarquant son humeur maussade. On ne sait jamais, on pourrait trouver quelque chose ?
Shay ne dit rien, mais fit faire à Yellow un grand arc de cercle autour de l'étoile. Personne ne savait quelles traces les Migrations laissaient sur leur passage, s'ils en laissaient tout court. Le château ne pouvait déjà pas suivre à la trace un seul Balméra en mouvement. Ils n'évacuaient que très rarement leurs déchets et ne laissaient derrière eux que des résidus de quintessence qui se dispersaient rapidement dans le vide de l'espace. Même les radars les plus sensibles du château-vaisseau ne pouvaient plus les détecter au bout d'une heure.
Mais elle continua à chercher. Ils avaient passé les trois derniers jours à suivre le chemin migratoire du mieux qu'ils le pouvaient, se servant des données du château et du tracé des tunnels pour se guider. Ils connaissaient l'ordre de visite de la Migration et avaient trouvé des références à des dates relatives à l'ancien calendrier migratoire.
Malheureusement, les Migrations avaient cessé pour Theros, Metos et Atsiphos depuis si longtemps que personne ne savait comment elles collaient au calendrier impérial qu'ils avaient tous été forcés d'adopter.
Pendant près d'une heure, ils explorèrent le système solaire, avançant en cercles lents jusqu'à l'étoile la plus proche au cas où les calculs de Coran ou les gravures elles-mêmes avaient connu un léger décalage. La moindre anomalie sur les relevés, la moindre population qui aurait pu voir quelque chose, pourrait leur fournir l'indice dont ils avaient besoin pour trouver une Migration.
À moins qu'elles n'existaient plus. Peut-être qu'au début de la campagne de Zarkon contre les Balméras, ces derniers s'étaient dispersés pour éviter de se faire repérer. Peut-être que, si les Migrations continuaient, elles suivaient de nouveaux chemins, que les Balméras captifs ne connaissaient pas. Theros et Atsiphos semblaient cartographier le même itinéraire dans leurs tunnels, mais rien sur Metos ne s'y alignait. Les navigateurs pensaient donc qu'il y avait plusieurs Migrations différentes dans le passé.
Si Zarkon avait capturé deux Balméras de la même Migration, il était probable que les autres aient connu le même sort ou aient été tués.
— Et si on faisait une pause ? proposa Hunk, la tirant de ses pensées. Si on se repose quelques jours, on pourra s'y remettre avec les idées claires.
Shay fit non de la tête.
— Il nous reste peu d'endroits à vérifier. Autant aller jusqu'au bout.
— Mais si on attend, ils en auront peut-être trouvé d'autres.
Hunk marqua une pause, déversant sa compassion dans son chant et dans le lien.
— Je sais que c'est important, Shay, mais on est dessus depuis longtemps. Ça ne nous fera pas de mal de nous concentrer sur autre chose un petit moment.
Il avait raison, Shay le savait, mais elle refusa quand même son offre. C'était elle qui avait insisté pour chercher une Migration et elle ne voulait pas rentrer les mains vides.
Mais au bout d'un moment, Yellow insista également, gentiment, et Shay finit par céder.
— Une pause… serait la bienvenue, dit-elle.
Hunk sourit, lui serrant l'épaule.
— On ne baisse pas les bras, promit-il. Peut-être qu'on s'y attaquera sous un autre angle, mais on n'est pas en train d'abandonner.
— Oui.
Shay rentra les coordonnées du Château des Lions, empruntant un peu de détermination à Hunk.
— Tu as raison. Pour l'instant, allons nous reposer.
Yellow ronronna, approuvant, et, alors qu'ils émergeaient du trou de ver devant le château, elle laissa sa fatigue se montrer. Son poids prit Shay par surprise : Yellow était fière de sa capacité à persévérer. Elle n'était pas aussi rapide ou puissante que ses sœurs, mais elle pouvait voler bien plus longtemps et subir bien plus de dégâts.
Or, même à elle, trois jours sans résultat lui pesait. Ce n'était pas de la fatigue physique pour ainsi dire, mais un changement d'air lui ferait du bien.
À Shay aussi.
Ils laissèrent Yellow se reposer dans son hangar et retrouver les autres lions, puis allèrent chercher de quoi manger et de la compagnie. Leurs horaires avaient changé, d'abord à cause de la Rencontre des Doyens à Metos, puis à cause des longues journées passées avec rien d'autre qu'un nombre à l'écran pour leur dicter leur cycle de sommeil.
Il était tard au château-vaisseau et la plupart de ses résidents étaient déjà allés se coucher. Hunk leur prépara un petit dîner composé de nouilles aux légumes vapeurs avec de la viande pour lui-même et des insectes des cavernes pour Shay, et ils mangèrent en silence. Les lumières étaient basses, exacerbant la fatigue de Shay, si bien que même s'ils n'étaient debout que depuis dix heures, elle se sentait déjà en train de piquer du nez.
Hunk remua son assiette à moitié entamée avec sa fourchette.
— Bah, au moins, on pourra peut-être– (Il s'interrompit dans un bâillement que Shay faillit imiter.) …peut-être retrouver le rythme du château.
Shay sourit.
— Ce n'est pas une mauvaise idée, dit-elle.
Elle se força à avaler quelques bouchées de plus de son dîner, puis rangea les restes dans le refroidisseur. Hunk l'imita, puis la suivit jusqu'aux quartiers de vie. Ils avaient très peu utilisé leurs chambres depuis l'Unité, mais ça faisait du bien de les retrouver. Même si Shay préférait toujours la berceuse du Balméra, le château-vaisseau était devenu son second foyer et elle avait hâte de retrouver son lit.
Des voix les accueillirent à la sortie de l'ascenseur, provenant du couloir qui menait aux chambres de membres de la famille des paladins. Elles étaient basses, peut-être par respect pour l'heure tardive, bien que les murs séparant chaque chambre étaient suffisamment épais pour ne rien laisser filtrer, à moins de hurler.
Ceux qui parlaient semblaient cependant bien animés et de la lumière se déversait dans l'obscurité du couloir.
— Oncle Eli ? murmura Hunk, s'éloignant du chemin de sa chambre.
Shay lui emboîta le pas par curiosité.
Ils trouvèrent Wyn et Maka agglutinés devant la porte ouverte de la chambre d'Eli, regardant en douce à l'intérieur en chuchotant. Hunk s'arrêta derrière eux et croisa les bras tandis que les deux garçons se figeaient, se retournant lentement, Wyn avec un sourire contrit et Maka une moue renfrognée.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Hunk avec un grand sourire. Un truc top secret ? On joue les espions ?
Shay rit, pinçant le bras de Hunk.
— Il est tard, dit-elle aux garçons, essayant d'afficher un air autoritaire, bien que cela avait toujours été le domaine de Rax.
Il avait toujours su comment se faire écouter par les plus jeunes, alors que Shay cédait à tous leurs caprices.
— Vous devriez être en train de dormir.
Wyn baissa les yeux, frottant le sol du bout des pieds, tandis que Maka croisait les bras.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ? demanda-t-il d'un ton impérieux qui prit Shay de court.
Alors qu'elle cherchait comment y répondre, elle remarqua que les voix à l'intérieur s'étaient tues. Quelques secondes plus tard, Eli apparut à la porte, la tête penchée de côté :
— Euh, salut… ? Je ne savais pas qu'on avait déjà un public.
Wyn sembla se ratatiner encore plus, tirant sur la manche de Maka.
— Ils ont raison. On devrait aller se coucher.
— Selon qui ? Vous n'êtes pas Hava Zelka.
Maka s'étira un peu plus en hauteur, ce qui lui fit presque atteindre le nez d'Eli, bien que Hunk et Shay faisaient toujours une tête de plus que lui.
Val sortit la tête de derrière les épaules d'Eli.
— Maka ? Wyn ? Qu'est-ce que vous faites là ?
— On vous a entendu parler d'une radio, bredouilla Wyn. On voulait voir ça de plus près.
— Une radio ? s'enquit Hunk.
Eli secoua la tête, souriant aux garçons.
— On commence un nouveau projet, dit-il à Hunk. Mais on s'occupe juste de la partie la plus ennuyeuse pour l'instant.
— Ça a pas l'air ennuyeux, dit Maka.
Val rit dans le creux de sa main.
— Peut-être que non. Mais ça demande beaucoup de travail et je n'ai pas le temps de vous expliquer maintenant. Revenez demain et je vous montrerai tout.
Wyn la regarda avec de grands yeux.
— C'est vrai ?
— Pourquoi pas, fit Eli avec un sourire. On pourrait avoir besoin de quelques apprentis.
Val rit, chassant Wyn et Maka.
— Demain. Allez vous coucher.
Elle marqua une pause, les regardant pivoter et courir vers l'ascenseur, puis fronça les sourcils.
— Et n'essayez même pas de me réveiller à l'aube ! Je dors jusqu'à au moins dix heures et je vais me lever du pied gauche si quelqu'un interrompt mon sommeil réparateur !
Wyn leva une main pour faire signe qu'il l'avait entendue, mais pas Maka, et Val soupira.
— Il va falloir que je ferme ma porte à clé, pas vrai ?
— Oui, vaut mieux, dit Eli.
Il se tourna vers Hunk et Shay, écartant les bras :
— Vous êtes rentrés !
Souriant, Hunk l'étreignit en le soulevant du sol.
— On vient d'arriver. On n'avait pas remarqué qu'il était si tard.
Eli agita les mains.
— Tes mères vont être jalouses que j'ai pu te voir avant elles, mais tant pis. Comment ça s'est passé ?
Hunk fit la grimace et Shay répondit pour lui, puisqu'il avait l'air de vouloir plutôt s'écrouler sur le lit d'Eli. Val et ce dernier retournèrent au bureau où deux chaises faisaient face à l'ordinateur.
— Nous n'avons rien trouvé, dit Shay. Nous espérons qu'une pause dans nos recherches nous donnera le temps de trouver une nouvelle stratégie. Sur quoi travaillez-vous ?
— Un projet qu'on appelle la « Radio Voltron », dit Val, battant des jambes en se penchant en avant. C'est Eli qui a eu l'idée.
— J'ai entendu parler de l'émission de plusieurs chaînes de radio rebelles, vous voyez le genre ? dit Eli, écartant les bras. Et je me suis dit que ce serait une bonne idée de contribuer. C'est une autre façon de se battre contre Zarkon et de répandre la nouvelle du combat mené par Voltron.
— Il y a encore beaucoup d'endroits où on ne peut pas se rendre, dit Val. Zarkon fait de son mieux pour étouffer le fait que quelqu'un lui résiste. Il a sûrement peur que notre succès inspire d'autres personnes.
— C'est donc pour ça qu'on va incarner cette source d'inspiration, dit Eli, l'air radieux tandis qu'il se radossait à son siège. On a les vidéos que j'ai faites pour la Coalition, mais c'est difficile de les diffuser dans l'espace impérial, alors on s'est dit qu'on allait se contenter du format audio. On réfléchit encore à des idées, mais ça commence à prendre forme.
Hunk leva la tête pour passer son regard d'Eli à Val.
— Oh ?
Eli sourit à pleines dents et Val transféra un fichier de l'ordinateur sur une tablette qu'elle tendit à Hunk.
— Vous pouvez y jeter un œil. On aurait bien besoin d'un peu d'aide supplémentaire, de toute façon.
Keturah revint le jour suivant, accompagnée cette fois-ci de Lealle et de Rukka. (Sa s'était esquivé en disant que l'entraînement au combat était d'un ennui et qu'il avait promis d'aider Coran à analyser les cartes stellaires balméranes, ce qui n'était pas tout à fait son domaine d'expertise, mais ça restait intéressant.)
La présence des anciens paladins ne dérangeait pas Akira. Elles avaient plein de conseils à donner, même s'ils reposaient tous sur une force que les humains ne possédaient tout simplement pas. Et elles étaient bienveillantes envers le manque d'expérience à l'affiche partout dans la pièce. Enfin, c'était le cas de Lealle et de Rukka, qui passaient le plus clair de leur temps à corriger les postures du groupe débutant et à leur montrer les bons mouvements.
Ce qui, honnêtement, était d'une grande aide. La Garde ne comptait pas beaucoup d'instructeurs et ils avaient tous besoin de formation. Lealle aidait les nouveaux, Rukka l'assistait tout en passant parfois voir l'avancée de la classe intermédiaire et Keturah aidait les élèves du groupe avancé à raffiner leur technique.
Akira était reconnaissant.
Mais il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il se montrait à la hauteur de leurs attentes.
Au fur et à mesure de la journée, il se prit à les suivre du regard sans y penser, surtout Keturah, qui semblait toujours sur le point d'apparaître derrière lui pour le réprimander sur sa posture, ses gestes excessifs, etc. Elle avait beau ne pas s'être approchée de lui du tout, il avait quand même l'impression qu'elle le surveillait.
C'était l'ancien paladin rouge, après tout. Elle devait se sentir responsable de Keith et de Matt, même si elle ne le montrait pas. C'était logique qu'elle se présente sous un prétexte bidon pour jauger Akira, voir s'il méritait le poste d'adjuvant rouge.
…Ou bien Akira était parano.
— Je crois que vous vous en sortez de moins en moins, monsieur, dit Rizavi avec un petit sourire malicieux.
Elle venait de passer sous la garde d'Akira, mais plutôt que de mettre fin au match, elle recula.
Akira retrouva l'équilibre, sentant comme un poids sur sa nuque. Il résista à l'envie de chercher Keturah du regard, qui s'intéressait certainement à quelqu'un de bien plus doué que lui.
— Je crois que vous avez raison.
Akira leva les bras au-dessus de sa tête, grognant en sentant ses muscles le tirer.
— Pardon. Je suis un peu à côté de la plaque. Vous ne voulez pas trouver un autre partenaire ?
Rizavi fit un geste indifférent de la main.
— Pour être honnête, ça ne me dérange pas d'y aller mollo aujourd'hui. Je n'ai plus fait autant d'exercice depuis la semaine d'intégration.
Akira sourit.
— Au moins, ça ne nous rend pas trop nostalgiques d'Iverson.
Le rire de Rizavi leur valut un regard acéré de Layeni, et Akira se redressa immédiatement, affichant une attitude diligente jusqu'à ce qu'elle se retourne vers la paire qu'elle aidait. Akira lui jeta un coup d'œil en biais, puis se détendit, faisant un signe de tête vers le côté de la pièce où se trouvaient de l'eau et des barres protéinées à leur disposition. Quelques membres de la Garde s'y trouvaient déjà. Akira avait dit à Layeni qu'elle pouvait pousser leurs hommes, mais seulement jusqu'à un certain point. Un peu de discipline était malheureusement nécessaire, mais quand un appel de détresse pouvait surgir à tout moment, ils devaient être suffisamment en forme pour réagir immédiatement.
Akira se demanda si Keturah l'estimait un peu moins pour ce genre de décisions et sa façon de plaisanter avec ses subordonnés. Il était, objectivement, un piètre commandant, peu respectueux de la chaîne de commande et sans aucune patience pour la sévérité d'un camp d'entraînement traditionnel. Ces pilotes n'en avaient pas besoin. Ce n'était pas des civils : ils n'ignoraient rien de la réalité de la guerre. Toute personne dans cette pièce avait déjà perdu un proche dans l'affrontement. La plupart avaient frôlé la mort de près. Ils savaient dans quoi ils s'embarquaient. Ils savaient de quoi ils devaient avoir peur et comment continuer à se battre malgré tout.
Il se demandait si c'était la raison qui avait poussé Layeni à l'écouter quand il lui avait demandé de lâcher un peu la corde à l'entraînement. Il se demandait si elle voyait la même chose que lui. Certainement, non ? Elle était la soldate qu'Akira n'avait jamais été. N'avait jamais voulu être. Il se contentait parfaitement de son boulot de pilote de cargo avant que la guerre ne frappe la Terre.
Mais qu'en était-il de Keturah ? C'était un paladin d'un temps de paix, happée subitement par la guerre. Était-elle, comme Akira, une idéaliste qui avait été forcée de se lancer dans quelque chose qui dépassait son champ d'expérience ? Ou, en regardant la Garde, voyait-elle une bande de recrues inexpérimentées et démunies face au combat dans lequel elles s'étaient engagées ?
Akira pivota en enfonçant sa paille dans son sachet d'eau. Il trouva Keturah presque immédiatement, comme à chaque fois, presque comme si le lien de paladin s'étendait à son profil mémoriel, lui faisant bénéficier de cet instinct particulier pour tout ce qui concernait Keith et Matt.
Les fois précédentes, quand Akira l'avait cherchée du regard, elle était concentrée sur les instructions qu'elle donnait. Cette fois-ci, cependant, elle rencontra son regard, l'expression indéchiffrable. Akira se figea, refusant de se détourner le premier. Il voulait qu'elle soit fière de lui. C'était étrange quand la personne en question était morte depuis dix mille ans, mais c'était la vérité.
Un des élèves de la classe avancée attira l'attention de Keturah et elle se détourna, ne montrant rien de ce qu'elle pouvait penser.
Fronçant les sourcils, Akira engloutit le reste de son eau, puis fit signe à Rizavi de retourner s'entraîner.
— Allez, dit-il. Il est temps que je me rattrape.
— Le coin culture ? répéta Sebastian d'un ton ironique.
Val agita les mains, levant à peine le nez de l'ordinateur sur lequel elle et Eli fignolaient les paramètres audio.
— Le titre est temporaire. Et je sais que tu n'aimes pas le feu des projecteurs, alors ce n'est pas grave si tu ne veux pas le faire. Si tu veux, tu peux quand même t'occuper de la rédaction et quelqu'un d'autre le diffusera ? Mateo, ne touche pas à ça.
Sebastian jeta un œil à l'équipement mis en place au fond de la pièce. Maka et Wyn avaient apparemment découvert le projet « Radio Voltron » la nuit dernière et étaient revenus ce matin avec Mateo pour regarder de plus près le transmetteur et le logiciel de cryptage dont Val et Eli allaient se servir.
— Je ne sais pas ce que je pourrais raconter, dit Sebastian, prêtant à nouveau son attention à sa sœur.
Quand elle lui avait demandé de venir, il avait vraiment cru qu'elle voulait juste qu'il éloigne Mateo. Le frère et la sœur de Lance avaient pris l'habitude de traîner dans leurs pattes depuis que leurs parents et ceux de Sebastian avaient décidé de rester au château-vaisseau. (Ils avaient donné un million d'excuses, comme quoi Val, Lance et Tía Rosa leur manquaient et qu'une école avait ouvert au château pour les familles des membres de l'équipage, mais tout le monde savait qu'ils restaient juste pour garder un œil sur Sebastian.)
Val fronça les sourcils, baissant le stylo qu'elle mordillait depuis dix minutes.
— Tu as les trucs des Balmérans. Tu pourrais leur demander ce qu'ils seraient prêts à partager. Sinon… ooh ! Et si on préparait une série d'interviews ? On demande aux conservateurs ou aux doyens de se présenter à l'émission et on les laisse parler de leur peuple !
L'idée le titillait, il devait bien l'avouer, mais c'était un niveau d'engagement qu'il redoutait.
— Combien de personnes les écouteraient ? demanda-t-il. Voltron, la guerre, le combat contre Zarkon, d'accord, je comprends. Les gens sont suffisamment en colère pour écouter tout ça. Mais parler d'histoire, ce n'est pas un peu trop… académique pour ce que vous cherchez à faire ?
— Je ne sais pas, dit Val. Zarkon a dépouillé beaucoup de peuples de leur identité culturelle. Parler des choses qu'il a essayé de voler est aussi un acte de rébellion. Il y a peut-être des Balmérans qui entendront l'émission, tu n'en sais rien. Peut-être que tes interviews « académiques » leur donneront une raison de continuer à se battre.
Elle se tut, remarquant l'hésitation de Sebastian.
— Prends le temps d'y penser, dit-elle. On ne va pas commencer tout de suite, de toute façon.
Sebastian acquiesça, replongeant dans le silence alors que les autres continuaient à travailler. Hunk, Pidge et Coran étaient tous passés à un moment de la journée pour aider à installer le matériel d'enregistrement et d'émission. De ce que Sebastian avait compris, il allait plutôt s'agir d'un podcast que d'une émission radio.
Mais ça avait l'air intéressant. Il avait commencé à s'inquiéter de ce qu'il allait faire quand il aurait terminé la base de données balmérane. Il avait presque terminé le catalogue initial et plusieurs conservateurs avaient manifesté leur intérêt à apprendre comment s'en servir. Sebastian ne pouvait pas leur dire non juste parce qu'il avait peur de sombrer sans travail pour l'occuper.
Il se demanda un instant si Val était devenue télépathe lorsqu'elle était partie apprendre à se trouver à deux endroits en même temps, mais c'était absurde. Elle avait déjà dit que c'était Eli qui avait eu l'idée de la « Radio Voltron » et ce truc, ce… ce journalisme résistant ou peu importe le nom qu'elle voulait lui donner, c'était exactement le genre de choses qui avait tendance à l'enthousiasmer. Inviter Sebastian à participer était juste sa manière de lui dire qu'elle se souciait de lui.
Il n'était pas sûr d'être prêt à accepter un tel projet, plus conséquent et public que tout ce qu'il avait jamais entrepris avant.
Mais il n'était pas prêt non plus à refuser l'offre de Val.
Il resta donc, blotti dans un fauteuil, tandis que les autres s'affairaient autour de lui, leur énergie contagieuse soulevant un sourire sur son visage.
— Les forces impériales sont arrivées trois jours après votre départ, dit Mirek. Des contingents se sont installés dans les trois plus grands dômes simultanément, ont relevé les gouvernements locaux de leurs fonctions et ont institué… eh bien, ce n'est pas officiellement la loi martiale, mais on s'en approche.
Keith leva le nez de la couchette qu'il avait investie dès leur arrivée à la planque. Ce n'était pas professionnel, mais il s'en fichait. Ils avaient dû marcher presque quatre heures pour venir jusqu'ici depuis la remise et il avait l'impression que ses jambes allaient se détacher. Et c'était sans parler des brûlures électriques. Mirek lui avait fait apporter un kit de soin pour accélérer la guérison, mais ce n'était pas une cryo-capsule. Ça allait prendre du temps.
Donc Thace pouvait le fusiller du regard tant qu'il voulait, Keith comptait bien s'accorder une foutue pause.
— Comment ça ? demanda-t-il.
Mirek se frotta la nuque, ses griffes grinçant de façon désagréable contre un truc métallique.
— Officiellement, rien n'a changé et les soldats ne sont là que pour arrêter un nombre non précisé de criminels intergalactiques. Aucun couvre-feu n'a été imposé et il n'y a pas de règles contre les rassemblements de civils ni d'autres éléments qui pourraient suggérer que les lois ordinaires ne sont plus appliquées.
Elle marqua une pause, ses lèvres se tordant d'un sourire ironique.
— Mais ce n'est pas l'impression que ça donne quand on voit l'état du 301.
— On a remarqué, dit Lance. C'est si calme que c'en est flippant.
— Les gens ont peur. Heureusement, il n'y a pas eu de raids majeurs pour le moment. Quelques frappes décisives contre nos repères les moins protégés. Une petite présence militaire aux protestations, du moins, le peu qui perdurent encore maintenant que les troupes de Zarkon sont arrivées.
— Qu'est-ce qu'on fait, alors ? demanda Arel. On se terre ?
Keith se redressa avec une grimace railleuse.
— Tu rigoles ? On ne va pas attendre que ça se passe. Il faut répliquer, sinon Zarkon resserrera son emprise.
Arel battit de l'oreille.
— On ne peut pas–
Il s'interrompit dans un petit grondement, puis se tourna vers Mirek.
— On n'est pas préparés pour ce genre de combat, pas vrai ?
Il avait le ton de celui qui ne cherchait pas tant confirmation qu'un appui de la part de quelqu'un avec plus d'autorité.
Mirek, cependant, se contenta de soupirer.
— Vous avez tous les deux raison, malheureusement. Le lieutenant Vit a reçu les commandes de l'opération et tout ce que nous avons appris à son sujet suggère qu'il ne s'en ira pas tant que les soulèvements de la ville n'auront pas cessé pour de bon. Peut-être même qu'il ne s'en ira pas du tout. Mais Arel a raison de dire que nous n'avons pas les ressources pour l'affronter à armes égales. Nous avons plusieurs douzaines de déserteurs de l'armée dans nos rangs, une poignée de civils avec une certaine expérience dans des domaines… peu reluisants. Mais notre force a toujours reposé sur l'organisation des gens ordinaires, l'utilisation des canaux officiels et l'exploitation des failles. Nous sommes conscients que nous allons devoir changer de tactique, mais nous ne savons pas encore quelle serait notre meilleure option.
— Des frappes ciblées peuvent être une bonne idée, dit Thace. Avec une bonne préparation, un petit nombre d'agents compétents peut mettre à genoux une opération comme celle-ci.
— J'imagine que vous parlez de vous et de vos deux compagnons, dit Mirek.
Thace écarta les bras.
— Nous ne vous avons jamais caché nos talents. C'est à vous de décider si vous voulez en profiter, mais, étant donné la situation, je pense que vous n'avez pas vraiment le choix.
— Non, en effet.
Mirek se laissa tomber sur une chaise, faisant vrombir les engrenages autour de ses membres cybernétiques.
— Vous pouvez rester ici pour l'instant. Je vais en discuter avec mes camarades avant de vous remettre notre décision.
Val perdit la notion du temps en travaillant sur le podcast avec Eli. Avec le nombre de geeks à bord du vaisseau et l'expérience d'Eli en audio-visuel, il ne leur fallut pas longtemps pour que leur configuration soit opérationnelle.
La question du contenu restait en suspens.
Ils avaient un tableau holographique rempli d'idées lancées pour la plupart par Eli et Val, mais aussi quelques suggestions de Sebastian, qui était resté bien plus longtemps que les autres, partis se divertir ailleurs. Au bout d'un moment, après le départ de l'équipe de montage, Val avait oublié sa présence, recroquevillé qu'il était dans son fauteuil au fond de la pièce, et elle avait sursauté quand il l'avait interrompu dans ses pensées en proposant un récit romancé de la vie au Château des Lions, dans le style d'un feuilleton audio. En vérité, elle avait même oublié l'heure du déjeuner jusqu'à ce que Hunk arrive avec un plateau de sandwichs, de fruits et de cookies sortant du four, leur demandant de ne pas non plus oublier le dîner.
Sebastian dut le leur rappeler.
Ils arrivèrent en retard et Nyma était déjà partie pour aller s'occuper du tri des appels de détresse et des pétitions des planètes membres de la Coalition. Ce qui était… étrange. Coran avait formé une équipe d'opérateurs pour se charger des plus simples à leur place. Coran triait le reste deux fois dans la journée pour les transférer à la Garde ou aux paladins selon leur domaine.
— Elle a pensé que j'avais besoin d'une pause, dit Coran avec un rire, se resservant des pommes de terre.
Il jeta un œil au reste de l'attablée, puis se pencha vers Val et baissa la voix :
— Je crois qu'elle avait besoin d'une distraction, pour être honnête.
Le cœur de Val se serra.
— À cause du message ?
Coran coupa un morceau de pomme de terre avec sa cuichette et poussa un petit son affirmatif, évitant le regard de Val.
— Pas de nouvelles de Meri non plus, malheureusement. Je ne pense pas que Nyma ait jamais été du genre à patienter en se tournant les pouces.
— Je me demande ce qui peut bien te faire dire ça…
Val mangea quelques bouchées de plus, consciente du regard de sa mère de l'autre côté de la table. Elle lui avait fait les gros yeux en la voyant arriver en retard, puis lui avait servi une assiette débordante de victuailles. Val avait perdu l'appétit, mais elle savait qu'elle allait se faire enguirlander si elle cherchait à partir sans avoir fini. Elle avait fait de son mieux pour éviter de penser au message que Nyma avait reçu quelques jours plus tôt, mais elle ne cessait de se demander si le Dignitaire disait la vérité. Rolo et le commandant Holt, au même endroit ? C'était trop beau (ou trop alarmant) pour être vrai. Mais rien ne pouvait être fait tant qu'ils n'auraient pas obtenu un retour de Meri ou des agents de l'Entente.
Val termina son assiette mécaniquement, discuta un peu pour ne pas paraître impolie, puis sortit de table en promettant à Eli de passer le voir le lendemain pour affiner leur liste de possibles thèmes.
Quand elle arriva à la passerelle, Tev, qui était de garde, l'accueillit d'un sourire. Il resta à son poste, bien loin de la paladine bourrue allongée sur le flanc sur le siège à la droite de Val.
— Tu m'as manqué au dîner, dit Val, arrivant derrière Nyma et déposant un baiser sur sa tempe.
Nyma se crispa, mais laissa Val passer les bras autour de ses épaules. Val se pencha pour regarder l'écran, que sa petite amie avait incliné de façon à pouvoir le voir depuis son étrange position.
— Coran a dit que tu l'as congédié pour le reste de la soirée.
— Cet homme travaille trop, dit Nyma. Et j'avais besoin de silence.
Val pencha la tête de côté.
— Ça va ?
— Migraine.
Nyma hésita, se tournant légèrement vers Val.
— Tu n'as pas du travail à faire ? Avec Eli ou sur tes bouquins ?
— Nan. J'en ai assez fait pour ce soir. J'ai besoin de décompresser un peu.
Val se pencha en avant, se pressant contre le dos de Nyma, lui caressant les bras.
— Je peux te tenir compagnie ?
Un sourire finit par percer l'expression nuageuse de Nyma et elle se redressa pour lui faire de la place sur ses genoux. Val ne dit pas non à l'invitation, s'installant confortablement avec un bras autour du cou de Nyma, la tête posée sur son épaule, les jambes par-dessus l'accoudoir.
— Votre émission de radio avance, au moins ? demanda Nyma, déplaçant un fichier dans le dossier du lion noir.
Un autre apparut à sa place et, après un court instant de réflexion, elle le déplaça vers l'icône de la Garde.
— Doucement, dit Val, observant le mouvement des mains de Nyma, mais sûrement. Eli a déjà dit qu'une fois qu'on aura lancé la machine, il se taillera la part du lion dans le travail.
Nyma marqua une pause, ses doigts à quelques millimètres de l'écran, fronçant les sourcils à l'attention de Val, qui soupira.
— Oui, dit-elle. C'était un jeu de mots. Ça me tue quand ça ne se traduit pas.
— Ça ne t'empêche pas d'en faire à chaque fois.
— Tu adores mes jeux de mots.
— Mm. Ça se discute.
Mais Nyma souriait et Val lui donna une tape sur l'épaule. Le sourire s'agrandit, mais Nyma resta obstinément concentrée sur son écran, alors que Val savait que trier ses rapports n'en demandait pas autant. C'était simple, vraiment. Shiro et Allura s'occupaient des démêlés politiques et de tout ce qui pouvait dégénérer en conflit : ils creusaient un peu et décidaient ensuite d'appeler les Greens ou les Yellows à la rescousse si besoin. La Garde se chargeait des occupations bureaucratiques et des catastrophes naturelles, soit tout ce qui s'étendait sur une vaste zone et qui demandait plus de main-d'œuvre que de puissance de feu. Val et Nyma, elles, géraient toutes les évasions de prisons. Dans la grande majorité des cas, il suffisait de faire une recherche par mot-clé et tout déplacer dans le dossier approprié.
La longue journée, la faible luminosité et la chaleur du corps de Nyma berçaient Val tandis qu'elle observait sa petite amie trier les derniers fichiers en silence. Il y avait une querelle naissante entre Iltair et Klyx, deux planètes membres de la Coalition, au sujet du placement des réfugiés : décidément un cas pour les Blacks. Des signalements d'un vaisseau-prison stationné près de Vo II, détenant quelques prisonniers politiques et freinant la révolution locale. Val eut à peine le temps de lire les deux premières lignes avant que Nyma ne fasse glisser le fichier vers la petite tête de lion bleu dans le coin en haut à droite. Une tempête électrique (que Val présumait plus dangereuse qu'un orage ordinaire) à N'terru causait des perturbations générales dans leurs défenses : Garde.
Après quelques rapports supplémentaires, Val se sentit s'assoupir sur l'épaule de Nyma et abandonna l'idée de continuer à lire avec elle. Le mouvement régulier du bras de Nyma la berça. Du moins, jusqu'à ce qu'il s'arrête complètement.
Val ouvrit les yeux, clignant des paupières pour en chasser le sommeil. Elle avait cru que Nyma avait fini de trier les rapports, mais non. Il y en avait encore un à l'écran et Nyma se contentait de le fixer.
Il devait être compliqué, si ça lui demandait tant de temps pour prendre une décision. Val plissa les yeux jusqu'à distinguer ce que ça disait. C'était un appel de détresse d'un expéditeur anonyme de la planète Ryloss (ça ne disait rien à Val, mais elle était un peu en retard sur sa culture générale de la Coalition). Les Galras ont créé une nouvelle prison au cœur de la capitale et sont en train d'arrêter du monde pour toutes sortes de raisons minables. Les gens ont peur de sortir de chez eux. Nous avons besoin d'aide.
Val souffla, se redressant pour lire le reste, mais avant qu'elle n'en soit capable, Nyma prit sa décision, glissant le fichier dans le dossier de la Garde.
— Attends, dit Val, la voix enrouée de sommeil. Ce n'était pas une prison ?
— T'inquiète, dit Nyma.
Elle transféra un dernier fichier dans le dossier de Blue, puis éteignit l'écran.
— Voilà, fini.
Val fronça les sourcils, laissant Nyma la pousser à se relever.
— Mais c'est pas nous qui nous chargeons des évasions de prison, d'habitude ? Pourquoi tu l'as envoyé à la Garde ?
— J'ai dit « t'inquiète ».
Nyma se leva, fusillant Tev du regard, qui s'était retourné en l'entendant hausser le ton. L'expression orageuse, elle se dirigea vers la sortie.
Val l'observa s'éloigner, son esprit fatigué essayant de comprendre la raison de sa mauvaise humeur.
— Tu… tu es sûre que ça va ?
Nyma s'arrêta au seuil, les épaules raides.
— Ne commence pas, siffla-t-elle.
— Mais–
— Juste… Laisse-moi.
Nyma partit sans rien ajouter.
