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Jeudi 8 Novembre 1944
« Est-ce… Que tu… Tu vas mieux ? » Demanda Soraya d'une voix où perçait l'inquiétude.
Chaque jour depuis Halloween, elle était venue voir son amie à l'infirmerie, lui portant des sucreries et les devoirs à faire. L'aidant même pour les matières qu'elle n'aimait pas trop. La métamorphose fut d'ailleurs la première à y passer. C'était quelque chose qui dérangeait profondément la noiraude. Donner vie à un être vivant, puis la lui reprendre, alors qu'il démarre tout juste. Le renvoyer au vide.
Quant à l'inverse… La métamorphose sur le vivant, c'était bien pire. Même si aucune métamorphose n'était durable, là encore, c'était envoyer un être vivant dans le vide, détruire son corps, son être tout entier, pour lui donner une autre apparence. Et si ingurgiter la théorie pouvait passer, la pratique était toujours plus rédhibitoire.
Et comme il y avait un rouleau de 15 centimètres de parchemin à rendre pour la semaine suivante, Soraya avait tout fait pour aider son amie au mieux. Tout en préférant que celle-ci reste à l'infirmerie, puisqu'il avait été plus que laborieux pour la soigner. On ne savait pas pourquoi, on ne savait pas ce qu'elle avait eu. Mais une énorme semaine, alors que Tom Riddle était déjà sorti plusieurs jours auparavant, annonçait clairement que les blessures d'Evelyn étaient trop lourdes. Ou bien que cette dernière fût trop faible.
Pour autant, la rumeur de son sauvetage héroïque n'avait pas mis une journée avant d'avoir fait le tour de l'école. Blanche neige, après avoir clairement offert sa protection à tous ceux qui se faisaient harceler, était désormais celle qui se jette dans le vide sans hésitation pour sauver votre vie. Les plus jeunes filles voulaient apprendre des sorts pour se colorer les cheveux en noir. D'autres commençaient à se maquiller comme elle.
Si Evelyn avait cru comprendre que c'était l'effervescence à son sujet, elle n'avait pour l'instant rien vu de tout cela. Du moins, elle avait compris que la montagne de fondants du chaudron ne venait pas de nulle part, mais elle n'avait jamais pu voir qui le lui avait apporté. Aussi, alors que Soraya l'aidait à faire ses affaires, et qu'elle allait enfin quitter l'infirmerie, la jeune femme était impatiente.
« Je vais bien, Soraya. Promis. Je suis guérie. Et si jamais ça ne va pas, je retourne ici immédiatement, je te le promets. »
Si Depuis son retour, Soraya croyait en chacune des promesses qu'avait faite Evelyn Snow, c'était la seule à laquelle elle aurait voulu croire, et qui lui semblait terriblement fausse. Pour avoir assisté à l'accident. Ce saut dans le vide. Soraya se doutait -savait – qu'Evelyn se fichait éperdument de son état quand il s'agissait de Tom. Même si elle avait espéré que son départ lui permette d'oublier cet homme effrayant. Il était évident maintenant.
Evelyn était revenue pour lui.
Olive Hornby enrageait. Tout le monde parlait de l'héroïque Blanche neige. Evelyn Snow. Qui s'était permise de toucher à leur Prince. SON prince. Malade de jalousie, la sorcière, en plus de subir assez souvent le passage insupportable de Mimi qui avait décidé de la hanter en chouinant, devait désormais assister à une mascarade aussi stupide que ridicule.
Jamais Tom Riddle n'aurait pu s'intéresser à cette ringarde sans qu'elle le sauve. Et même là, elle trouvait ça louche. Il y avait forcément une histoire de philtre d'amour. Snow n'avait rien d'intéressant à apporter, à quiconque. Peut-être son sang, mais ce n'était pas une ancienne famille très importante non plus. Les Snow n'avaient que deux lignées de sorciers. En revanche, ils ne manquaient pas d'argent. Preuve étant des nombreuses robes particulières que portait la Poufsouffle depuis leur retour. Chaque Week end était sujet à une nouvelle tenue.
Et là encore, elle s'attendait à une nouvelle chose, quelque chose qui allait indubitablement la rapprocher de leur prince. Et ça, Olive ne pouvait le permettre. Elle allait lui remettre les idées en place dès le déjeuner !
Elle savait de source sure que le blaireau qui se prenait pour un serpent allait sortir dans la matinée. L'humilier en public allait forcément la calmer. Et puis, elle était prête, elle ne se laisserait pas avoir par son sort de mutisme une nouvelle fois.
oOoOoOo
Il n'y avait encore que peu de monde dans la grande salle en ce jeudi midi. Seulement deux professeurs attablés, ainsi que le directeur Dippet. Evelyn était assise à la table des Poufsouffle en compagnie de Soraya, et les deux s'apprêtaient à manger.
La noiraude n'eut pas le temps de prendre des couverts, qu'une personne avec l'uniforme de Serpentard s'installait à sa droite, lui saisissant le poignet et le tordant sous la table. La jolie blonde au nez retroussé couvert de tache de rousseur lui souriait. Mais le sourire d'Olive n'avait absolument rien d'aimable.
« Pardon, Snow. Je t'ai fait mal, peut-être ? »
« Tu me fais mal, en effet. Lâche-moi, Hornby. » Si Evelyn n'était pas impressionnée, s'étant attendue à une revanche de la sorcière, elle n'était cependant pas encore en état de lutter activement. D'autant que conserver les runes de protection pour le chantage contre Tom la drainait bien plus que les précédentes.
« Non, je ne crois pas. Tu as fait la belle au début d'année, mais aujourd'hui, je vais t'apprendre à respecter tes supérieurs, bébé Snow. »
« Lâ-Lâch- » Tenta Soraya. Mais brusquement, les copines de la serpentard l'encadrèrent, une main sur chaque épaule. Et la tentative d'aider son amie mourut au fond de sa gorge.
« Ma pauvre, quand on maitrise ta copine, t'es vraiment plus rien. Il est beau ton courage de ces derniers mois. » La réplique fit rire la rousse, Gallina Selwyn. « Alors, Snow, on fait moins la maline, maintenant ? Personne ne peut t'aider ici, tu ne fais pas le poids en public. Nous le savons tous. Tu as trop honte. »
« Ouais… Tu vas pleurer, comme quand on t'a fait voler il y a deux ans. C'était beau… »
Henriette Rosier, la châtaine sur la droite de Soraya, avait été l'investigatrice de ce sort. L'autre, Gwendoline Nott, l'avait alors couverte de furoncle, tandis qu'Olive Hornby rameutait tous les élèves autour, pour montrer l'exemple. Et si Evelyn avait surmonté ce traumatisme, ça ne le rendait pas moins douloureux.
« Je vais te… Ah ! » Son autre main venait d'être saisie sous la table et tordue dans l'autre sens, avec bien plus de force. Et la réalisation que sa baguette pouvait aussi être cassée, se fit. « Hornby, lâche-moi, tu ne veux pas que… »
« Que quoi ? Je ne te crains pas. Tu le sais, tes tours de passe-passe ne marcheront pas deux fois. »
« Lachez-les. » Retentit soudain une voix ténébreuse dans le dos d'Olive. Cette dernière se raidit, tandis qu'en face d'Evelyn, Soraya avait écarquillé les yeux de stupeur.
« Mais… Tom… ? »
« Ne m'oblige pas à retirer des points à notre maison. Hornby. Je serais très mécontent si ça devait arriver. »
Et dans un geste qui pourtant, le rendait malade, il posa sa main droite sur l'épaule gauche d'Evelyn, se plaçant en bouclier, entre elle et Olive Hornby. Son autre main vint glisser le long du bras de la Poufsouffle, comme une caresse, avant de buter sur la poigne d'Olive et la forcer à lâcher. Un regard suffit à faire cesser le manège des trois autres, qui s'écartèrent de leur victime.
« Merci… » Un murmure, de la part d'Evelyn, qui le fixait désormais, s'attendant à voir un beau spectacle.
« Je t'en prie. Il est regrettable que les élèves de ma maison ne comprennent pas les choses les plus simples. Je te suis redevable, Evelyn Snow, tu as risqué ta vie pour la mienne, peu d'élève aurait fait preuve d'un tel courage… Encore moins venant de la maison des blaireaux. Je me serais plutôt attendu à voir ça chez les Gryffondors. »
Deux insultes en une seule phrase. Il n'était visiblement pas d'humeur. Pourtant, cela fit naître un sourire chez la noiraude, qui jeta un regard aux filles venant de les attaquer.
« C'est évident. Et aucune de tes camarades n'aurait pris ce risque non plus, même pour toi. »
Joseph Lacombe, juste derrière eux, à la table des Serdaigle, s'étouffa devant une telle réponse. Il fallait dire que s'ils étaient habitués aux joutes verbales de Potter et Riddle, jamais personne n'avait renvoyé la balle avec autant de facilité que Snow, à cet instant précis.
« Assez juste. Je suis ton obligé. »
Et après cette réponse, il se pencha sur la main d'Evelyn, qu'il tenait toujours, pour y déposer un baiser. Au moment même, quelqu'un entrait par la petite porte dérobée derrière la table des professeurs, et assistait à la scène. Perplexe.
Albus Dumbledore s'attendait à ce qu'il y ait des étincelles, lors du retour d'Evelyn Snow. Après tout, son retrait de Poudlard, quelques jours après le meurtre de Myrthle Warren, avait fait parler de l'école dans la gazette. Et évidemment, son entrée dans la grande salle, en étant plus distinguée qu'une lady, avait eu beaucoup d'effet. Personne de l'établissement ne l'avait reconnu. Lui-même, en écoutant parler la jeune femme, confiante, tandis qu'elle rassurait les premières années – tout en brisant le secret millénaire du choixpeau pour cela – avait été surprit.
Il ne se souvenait pas de l'élève de Poufsouffle de cette façon. Non. La dernière image qu'il en avait, était celle d'une jeune fille couverte de furoncles et d'entailles, n'arrivant plus à respirer sous des sanglots déchirants, et cherchant à couvrir sa peau nue devant des centaines d'élèves. Il connaissait les coupables, bien sûr, mais sans preuve, sans témoignage, personne ne pouvait les incriminer. Et personne n'avait ouvert la bouche pour défendre la jeune fille.
Le professeur de métamorphose s'était dit que, sûrement, elle serait transférée à Beauxbatons et terminerait ses études là-bas. Mais en demandant à quelques connaissances, lors de son retour, pour comprendre, il avait découvert qu'Evelyn Snow n'y avait jamais mis les pieds. Elle était rentrée chez elle, avait disparue de la circulation, et était revenue deux ans plus tard, pour sa dernière année à Poudlard.
Elle avait cependant changé. Bien sûr, elle était plus proche d'une femme que d'une adolescente, mais elle débordait de confiance, et sa magie était maitrisée. Il l'avait vu proférer plusieurs fois son sortilège de mutisme, englobant non pas toutes les personnes de la salle, mais toutes celles qu'elle avait choisie de viser. Et il avait appris d'Athleia Crowley, qui avait été défendue, que miss Snow avait fait apparaître un buisson de rose épineuse sans prononcer un seul mot, ni même agité sa baguette.
C'était un puissant sortilège élémentaire.
Aussi, sachant d'où provenait l'humiliation qui avait mené à son départ de l'école, il s'était attendu à une confrontation entre elle et Tom Riddle. Tom qui avait connu un début d'année particulièrement difficile, au point de s'endormir dans diverses classes et rater ses sorts et potions. Le séjour à l'infirmerie avait, semble-t-il, fait du bien au serpentard. Dommage qu'il ait fallut qu'il chute du grand hall des escaliers pour ça.
Evelyn Snow avait été vu par pas moins d'une quinzaine d'élèves, se jetant dans le vide pour récupérer le corps de Tom et le ramener de l'autre côté. Lui évitant ainsi une mort certaine. Car si le docteur Jones était doué pour guérir les plaies les plus infectées qui soit, il ne pouvait pas encore ramener les morts à la vie. Et après un séjour prolongé à l'infirmerie, la voir recevoir un baisemain du jeune homme qu'elle avait sauvé était quelque chose d'inattendu.
Et Albus savait que Tom n'aurait jamais permis une telle chose sans qu'il y ait une raison importante. Il avait remarqué que son élève ne supportait pas les contacts, s'y forçant pour paraître naturel aux yeux de monsieur tout le monde. Mais là, c'était le niveau au-dessus.
La pensée qu'Evelyn Snow tenait les secrets du serpentard entre ses mains se fraya un chemin dans l'esprit du directeur adjoint.
À la table des verts et argent, c'était un calme froid qui régnait. Les harceleuses avaient été reléguées en bout de table, près de la porte, le plus loin possible de Tom. Ce dernier étant entouré par Nathaniel Avery, Abraxas Malfoy, les trois black, années confondues et Auguste Flint. Hormis le son des couverts, et les murmures des cousins blacks, il n'y avait pas un seul bruit à leur table.
Jusqu'à ce qu'Abraxas rompe ce silence.
« Est-ce que c'était… ? » Il n'avait pas besoin de terminer sa phrase, Tom savait exactement ce qu'il demandait.
« Oui. »
« Et que comptes-tu faire, à présent… ? »
La tuer, était la réponse la plus adéquate. Le problème, c'était qu'il ne pouvait rien faire, à cause de la malédiction qu'elle avait clairement mise en place à l'infirmerie. Et lorsqu'elle s'était retrouvée encerclée par les filles de sa maison, il avait d'abord jubilé, avant de se rappeler de la menace. Si elle tombait, il tombait. Et ça, il ne pouvait pas se le permettre. Pas avec les grands projets d'avenir qu'il commençait à peine à préparer.
« Intouchable. » Fit Tom d'une voix atone. Abraxas leva un sourcil blond perdu.
« Que… Je ne comprends pas. Qu'est-ce que ça veut dire ? »
Le brun serra le poing, tordant sa fourchette, avant de prendre une grande inspiration, comme s'il manquait d'air. Ou qu'il avait besoin d'air pour ne pas éclater.
« Evelyn Snow est sous ma protection. Quiconque s'en prend à elle, aura affaire à moi. Suis-je bien clair, Malfoy ? »
C'est à cet instant précis que Malfoy comprit. S'il avait douté un moment de l'envoutement dont parlait Tom, quelques semaines plus tôt, il n'avait désormais qu'une certitude. Evelyn Snow avait bel et bien envouté Tom Riddle. Et Tom Riddle n'avait pas les capacités requises pour se défaire de son emprise.
La noiraude qui l'avait énervé en prenant leur place dans le train n'était visiblement plus une pleurnicharde. Elle était devenue dangereuse. Très dangereuse. Et elle avait les moyens de faire ployer l'héritier de serpentard. Oui. La réputation d'Evelyn Snow venait une fois encore, de prendre du galon.
Personne ne se serait attendu, cependant, à ce qu'elle soit à l'origine du mal.
