S'il est 23h50, ça compte toujours comme mardi n'est-ce pas ? (Oui bon, je sais que le temps que je le mette sur le site on sera mercredi…) J'avais très peu réécrit ce chapitre donc j'avoue qu'il me restait pas mal de trucs à changer mais je m'en suis pas trop mal sortie (j'espère). Il y a moins d'action dans ce chapitre mais il reste assez intéressant je trouve, puisqu'on commence à en apprendre un peu plus… Sur ce, je vous laisse le découvrir !

Réponse à Elendil : On en découvre un peu plus sur le passé d'Eren dans ce chapitre justement ! Ouais moi aussi je suis contente que Livai ne soit pas mort, parce qu'on va pas se mentir, c'est un peu un personnage important dans cette histoire ^^ Merci d'être toujours là au rendez-vous !


Chapitre 4 : Appel à l'aide

La porte du salon de thé s'ouvrit dans un délicat tintement de carillon et un groupe de personnes entra en bavardant joyeusement.

"C'est bon, c'est pas lui," marmonna Ymir.

Eren sortit de sous la table avec un soupir de soulagement et s'époussièra les genoux.

"Ouf, j'ai eu peur."

"Tu comptes faire ce cirque à chaque fois ?" demanda Ymir d'un air bien trop amusé.

Ça ne faisait que deux heures qu'il avait commencé son service, et il s'était déjà jeté une vingtaine de fois sous des tables, derrière le comptoir ou un rideau, de crainte que le nouvel arrivant ne soit Livai.

"On est jamais trop prudent," répondit-il en continuant de ramasser les verres vides qui trônaient sur la table avant de se diriger vers le comptoir.

"Eren ! Tu me ramènes un verre d'Arak !"

Eren lui fit signe qu'il avait entendu avant d'aller faire passer sa commande à Elena. Aujourd'hui n'était pas un jour très occupé. Les clients ne remplissaient qu'un tiers de la salle, un serveur et un barman suffisaient. Il s'était proposé pour faire souffler un peu Marco et Annie, mais continuait de se cacher dès qu'un nouveau client entrait et Ymir faisait sa tour de contrôle. Il ne savait pas ce qu'elle faisait là d'ailleurs, d'habitude elle ne venait au Fi Malja qu'en compagnie d'Historia.

Depuis sa tentative d'assassinat ratée, il n'avait pas osé s'approcher du quartier général Sinayen : il se doutait que Livai serait sur ses gardes et il avait déjà eu du mal à le prendre par surprise alors maintenant…

Il savait qu'il esquivait le problème, vivre perpétuellement dans la crainte de le croiser dans la rue n'était clairement pas envisageable, mais se faire tuer par Livai n'était pas dans ses premiers choix non plus. Il fallait qu'il en touche deux mots à Erwin, et si même lui ne pouvait rien faire, ils devraient peut-être même déménager. Rien que d'y penser lui donnait envie de casser quelque chose. Ils avaient travaillé tellement dur pour construire Fi Malja, tout abandonner serait un déchirement.

Eren passa devant la table d'un homme avec un tatouage au bras qui le suivait du regard et déposa le verre d'Arak devant Ymir.

"C'est moi ou ce mec me regarde souvent ?" demanda-t-il en désignant discrètement l'homme au tatouage qui leur tournait maintenant le dos.

"Il craque carrément pour ton petit cul tu veux dire ?" rétorqua Ymir, "Je te parie que c'est la seule raison pour laquelle il revient ici tous les jours."

Eren leva les yeux au ciel mais ce n'était pas totalement impossible qu'elle ait raison. Ça faisait un petit moment qu'il l'avait repéré et le regard avec lequel il le suivait n'était pas exactement discret. Bien qu'il ne soit serveur que rarement au Fi Malja, Eren y passait une grande partie de son temps en tant que client. Il avait eu le temps de le remarquer, après tout son physique attirait plutôt le regard, mais il n'était jamais allé lui parler.

"J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part…"

"Bien sûr, il vient tous les jours depuis deux semaines !" répondit-elle avec un grand sourire.

"Je ne parlais pas de ça…" rétorqua Eren, "Oh putain, il regarde par là !"

"Vas-y qu'est-ce que t'attends, il est trop bien foutu !"

"Quoi ?! Attend Ymir, j'ai encore rien dit moi !" protesta-t-il alors qu'elle le poussait dans sa direction. Mais quelle traîtresse celle-là, il lui avait rien demandé !

"Tu crois que j'ai pas vu comment tu le regardes ? Bouge tes fesses !"

"C'est une blague ?" souffla-t-il avec agacement alors qu'elle le forçait à avancer.

"Tu me remercieras plus tard !" lança-t-elle avec un clin d'œil, avant de s'éloigner rapidement.

Eren lui jeta un regard assassin et se retourna vers l'homme. Celui-ci avait apparemment suivi une bonne partie de l'échange si l'on en croyait son petit sourire en coin. Eren retint un soupir, ne souhaitant plus qu'une chose : creuser un trou et s'y enterrer.

Trop tard pour faire demi-tour, il n'était plus qu'à deux mètres de sa table, changer de trajectoire quand il n'y avait que des tables vides à côté ferait bizarre.

Eren s'approcha en essayant d'avoir l'air le plus à l'aise possible.

"Voulez-vous commander quelque chose ?"

L'homme sourit et montra son verre encore plein.

"J'ai déjà ce qu'il me faut merci," répondit-il avec un petit accent Nordique.

Eren sourit en retour mais il voulait s'enterrer maintenant. Il allait faire demi-tour -pour aller creuser, probablement- quand l'homme parla à nouveau.

"C'est de votre amant que vous vous cachez ?"

Eren leva les sourcils si haut qu'ils disparurent sous ses mèches brunes.

Haha. Elle était bien bonne celle-là.

"Sous la table," précisa-t-il, lui confirmant qu'il l'observait bien depuis un petit moment.

Super. La honte.

"Euh non, pas de mon amant non," répondit-il en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, sans développer plus. Avouer à un inconnu qu'on est poursuivi par un soldat de l'armée sinayenne n'est pas exactement la meilleure chose à faire. Celui-ci sembla d'ailleurs comprendre qu'il ne voulait pas en dire davantage et changea de sujet.

"Ça fait longtemps que vous travaillez ici ? Je ne vous vois pas souvent."

"Ah, en fait je ne travaille pas vraiment ici. Les gérants du salon de thé sont des amis et je leur donne un coup de main de temps en temps. Et vous, vous venez souvent ?"

"J'ai découvert cet endroit il y a environ deux semaines, et depuis je viens presque tous les jours. On peut dire qu'il m'a tapé dans l'œil," répondit avec un sourire charmant et Eren sentit sa gêne se dissiper.

Attend, il parle bien du salon de thé là ?

"Moi c'est Farhad," se présenta-t-il en lui tendant une main et il la serra avec un sourire.

"Eren."

Il vit du coin de l'œil Ymir mimer un geste obscène avec sa bouche et il se retint de lui répondre par un doigt. Ce qu'elle pouvait être lourde celle-là !

Farhad suivit son regard et voulut se retourner mais Eren paniqua.

Il essaya de le retenir par les épaules, mais il se prit les pieds dans ceux de la table et il se sentit tomber au ralenti. Sur Farhad.

Oh super, eut-il le temps de penser avant d'activer son énergie spirituelle et de s'appuyer sur le rebord de la chaise à moins de deux centimètres de la cuisse de Farhad pour dévier sa trajectoire. Il entendit son plateau -heureusement vide- tomber sur le tapis juste avant qu'il ne s'écrase lourdement par terre, plutôt que sur son client.

"Tout va bien ?" s'inquiéta immédiatement Farhad et Eren hocha mécaniquement la tête en se redressant.

"Désolé," marmonna-t-il en jetant un regard meurtrier à Ymir qui était pliée de rire.

"Laisse-moi voir," insista Farhad en effleurant sa joue, et Eren sentit sa pommette le piquer là où il était tombé sur son plateau.

"C'est rien," répondit-il avec un petit sourire, ça l'avait à peine égratigné. Il sentit sa joue chauffer et un instant plus tard, la coupure avait disparu.

"Tu maîtrises la magie ?" s'étonna Farhad et Eren se pencha pour ramasser le danger public qu'était son plateau.

"Un peu," répondit-il en haussant les épaules, comme un menteur.

"Pas qu'un peu on dirait," sourit Farhad d'un air assez impressionné, "C'est un amplificateur ?"

Eren haussa les sourcils, confus, et il répondit par un vague geste de la main.

"Ta boucle d'oreille," clarifia-t-il, et Eren porta automatiquement une main à la fine pierre verte.

"Ah non, c'est…un cadeau," dit-il, et même si ce n'était pas faux, il n'allait pas lui dire que c'était un stabilisateur d'humeur. Ce n'était pas vraiment un secret, mais c'était peut-être un peu trop personnel. Et Farhad avait l'air d'avoir un certain talent pour poser des questions un peu trop personnelles. "Si tu veux bien m'excuser," ajouta-t-il sous les clins d'œil répétés d'Ymir avec un dernier hochement de tête.

Il traversa le salon de thé avec toute la dignité qui lui restait, attrapa Ymir par le bras et la traîna hors de la pièce.

"Je. te. déteste." gronda Eren entre ses dents et la jeune femme se remit à rire.

"Avoue, tu n'es pas indifférent !" dit-elle quand elle réussit à retrouver une respiration normale.

Eren fit une pause.

"Il est.. agréable aux yeux."

"Carrément bien conservé même," renchérit Ymir avec un clin d'œil.

"Mais je ne suis pas intéressé," ajouta-t-il en défaisant son tablier noir et commençant à le plier.

C'était fini pour lui aujourd'hui, il avait vu Mina prendre la relève.

Ymir fronça les sourcils.

"Comment ça, pas intéressé ?"

"J'ai pas envie de me marier ou quoi que ce soit."

"Même pas une petite affaire discrète ?"

Eren lui jeta un regard appuyé.

"Encore moins pour une 'petite affaire discrète'."

Ymir haussa les épaules.

"Tant pis pour toi," rétorqua-t-elle et Eren secoua la tête. Elle pouvait parler, il savait très bien qu'elle n'avait d'yeux que pour Historia. Mais lui ça ne l'intéressait pas.

o O o

"Qu'est-ce que tu sais sur Heidan ?"

Le crayon posé sur la tête d'Hanji tomba par terre lorsqu'elle se tourna vers lui.

"Haa ?"

Livai poussa un soupir agacé et leva les yeux de son dossier.

"Qu'est-ce que tu sais sur Heidan ?" répéta-t-il plus lentement en la regardant.

"Euh, pas mal de choses…" répondit Hanji, "pourquoi ça t'intéresse ?"

Livai croisa les bras et se mit à contempler le mur en face. Il se demandait s'il devait lui dire.

"Je suis retombé sur le chef d'Heidan il y a quelques jours. Il a essayé de me tuer."

"Il faut qu'il arrête ses conneries," marmonna Hanji pour elle-même et Livai continua sans lui prêter attention.

"Une oméga m'a dit qu'il les délivrait. Les omégas. Elle n'avait pas l'air de mentir et lui semblait vraiment vouloir la protéger," ajouta-t-il en fronçant les sourcils.

Hanji le dévisagea d'un air perplexe, et peut-être qu'il n'avait pas bien expliqué. Elle finit par pousser un soupir et s'affaissa un peu plus dans son siège.

"Officiellement, ce sont des sales trafiquants d'omégas," finit-elle par répondre.

"Et en vrai ?"

"En vrai, ils attaquent les maisons de réconfort et ramènent les omégas auprès de leur famille. Mais ça on est pas censé le dire, parce que sinon on devrait aussi avouer ce qu'on fait dans les maisons de réconfort et ça… c'est pas fou."

"À ce point ?"

Hanji le scruta quelques instants et Livai dut étouffer l'envie de se repositionner sur sa chaise.

"T'y as jamais mis les pieds toi."

Livai n'éprouva pas le besoin de confirmer ce qui n'était pas une question en premier lieu.

"Il n'y a aucun respect des omégas là-bas, et tu te doutes bien de ce qu'il y font," expliqua-t-elle, confirmant ses doutes, "Leur espérance de survie dedans est de six mois."

Livai fixa silencieusement une fissure dans le bois de son bureau un petit moment. C'était sa façon de se remettre en question.

"T'aurais pas pu me le dire plus tôt ?" marmonna-t-il finalement, "j'aurais pu le tuer."

Hanji eut l'air mal à l'aise.

"Heureusement que tu ne l'as pas fait du coup. Mais nos supérieurs ne seraient pas exactement de mon avis, alors mieux vaut que tu n'en parles pas trop autour de toi…"

Livai repensa à la façon dont on lui avait dit qu'Heidan était des bandits sans foi ni loi sans donner plus de détails, à la façon dont le gamin lui avait parlé, la façon dont il avait protégé l'oméga. Il repensa aussi à l'air admiratif d'Eld quand il avait parlé d'Heidan, au fait qu'il savait très bien qu'Hanji n'avait jamais transmis sa description physique de leur chef. Tout faisait un peu plus sens d'un coup, et la conclusion à laquelle il arrivait le mettait hors de lui.

"Ces connards de supérieurs peuvent bien se-"

Quelques coups à la porte les interrompurent et Erwin entra, un dossier à la main et l'air contrarié.

"Quoi," demanda Livai en le regardant s'approcher d'eux et poser le dossier sur le bureau d'Hanji.

Il se demanda brièvement si Erwin était au courant. Sûrement. Erwin était toujours au courant de tout, mais ça l'étonnerait très fortement qu'il soit contre Heidan.

"Niles vient de retirer son équipe qui travaillait sur Traoma," annonça-t-il et Hanji soupira. "Apparement, ils ne peuvent rien faire de plus mais on sait tous que ce n'est pas vrai. J'aimerais que vous repreniez l'affaire."

Livai et Hanji froncèrent tous les deux les sourcils.

"On parle de quoi, là," demanda Livai et ce fut Hanji qui lui expliqua :

"Une des plus grosses organisations de trafic d'omégas," dit-elle et Livai la coupa.

"Une vraie cette fois ?"

"Oui, une vraie," répondit-elle avec un petit sourire vers Erwin. Maintenant c'était sûr, il savait. "Ça ne va pas créer des problèmes avec Niles ?"

"On verra bien," répondit Erwin et Livai ne manqua pas ses yeux pétillants. Tout le monde était vraiment prêt à protéger les omégas dans cette pièce, même si ça signifiait prendre des risques. Erwin avait l'air bien décider à se frotter à Niles, même s'il savait qu'il y avait peu de chances qu'il ait le dernier mot.

"Et la Faucheuse ?"

"Il faudra travailler dessus en parallèle mais je veux que vous mettiez la priorité sur Traoma," insista Erwin, "De toute façon, tant qu'il n'y a pas de nouvelle attaque, vous ne pouvez rien faire…"

C'était sans doute vrai mais ça n'empêcha pas Livai de pousser un soupir. Il n'était là que depuis quelques jours, mais c'était déjà le bordel.

"Bon, par quoi on commence ?"

"Par aller casser les pieds des brigades spéciales ?" suggéra Hanji et Livai retint un sourire.

Ça faisait peut-être un moment qu'ils n'avaient pas travaillé tous les trois ensembles, mais certaines choses n'avaient pas changé.

o O o

La rue était bondée, comme tous les jours de marché, et Eren naviguait parmi la foule avec difficulté, ses deux bras maintenant un sac en toile sur chaque épaule. Il réussit à sortir du souk et s'engagea dans une des rues principales de la ville. Une alpha faillit lui rentrer dedans et il l'évita maladroitement, trébuchant sur un pavé qui dépassait.

Regarde où tu vas ! pensa-t-il avec un regard assassin par-dessus son épaule. L'alpha ne s'était même pas arrêtée pour s'excuser. Il reporta son attention devant lui, et un uniforme sinayen attira son regard dans un coin de la rue. Il se figea, prêt à prendre la fuite, mais ce n'était pas Livai.

Je peux pas continuer à vivre comme ça, se dit-il avant de remarquer la jeune femme à laquelle il parlait. Enfin, "parler" était un bien grand mot. Il lui murmurait quelque chose à l'oreille d'un air salace, alors que la jeune femme gardait les yeux rivés sur le sol, les bras resserrés autour d'un sac pressé contre sa poitrine. Bref, elle n'avait clairement pas envie de lui parler, réalisa Eren en plissant les yeux. La rue avait beau être bondée, personne n'osait intervenir : s'attaquer à un soldat sinayen finissait souvent très mal, aussi tout le monde finissait par détourner le regard avec plus ou moins de culpabilité. Eren manoeuvra parmi les passants pour se rapprocher du côté droit de la rue, mais perdit l'équilibre en essayant d'esquiver un vieil homme lorsqu'il fut arrivé pile à la hauteur du soldat.

"Putain de bordel de merde !" s'écria-t-il alors que le contenu d'un de ses sacs se déversait sur le sol.

Le soldat -un alpha, nota Eren- le regarda d'un air perplexe tenter de ramasser les grenades qui avaient roulé jusqu'entre ses jambes.

"Excusez-moi, excusez-moi !" répétait celui-ci d'un faux air contrit en se redressant finalement entre les deux personnes, les bras chargés de grenades.

"Regarde où tu mets les pieds gamin," répondit-il sans cacher son agacement.

"Ah oui, désolé… Heureusement que celui de safran ne s'est pas ouvert ou sinon Annie m'aurait tué !" s'exclama Eren en ramassant le second sac, "Non parce que ça coûte cher le safran, mine de rien ! Vous en avez déjà goûté ?" demanda-t-il en s'adressant à la jeune fille qui secoua la tête d'un air un peu perdu. Malgré l'odeur forte qu'exhalait le safran, il pouvait sentir le parfum d'oméga en détresse.

"Non c'est vrai ?" s'exclama le jeune homme en se tournant vers le soldat comme pour le prendre à parti. "Qui n'en a jamais goûté ?"

"Dégage de là gamin, tu me fais perdre mon temps," rétorqua l'homme d'un ton sec, refusant de rentrer dans son jeu.

Comme si t'avais pas du temps à perdre… pensa Eren en affichant un grand sourire hypocrite.

"Ah oui, je suis désolé de vous avoir dérangé !" s'excusa-t-il encore une fois, avant de se tourner de nouveau vers l'oméga. "Il faut absolument remédier à votre grave manque de culture Mademoiselle, venez avec moi, ma patronne fait le meilleur poulet au safran de toute la ville ! Et si vous pouviez m'aider à porter ces quelques grenades tant qu'on y est…"

La jeune femme n'eut pas le temps de protester qu'Eren la poussait déjà en avant et ils disparurent dans la foule avant même que le soldat ne puisse se rendre compte qu'il s'était fait rouler.

o

Après avoir raccompagné l'oméga chez elle et s'être assuré qu'elle allait bien, Eren se dépêcha de rentrer au Fi Malja. Annie lui avait bien fait comprendre qu'elle avait besoin de ce safran maintenant, et qu'il n'avait pas intérêt à traîner. Il était presque arrivé quand une odeur familière vint se glisser à ses côtés.

"Besoin d'un coup de main ?"

Eren se tourna vers un Farhad souriant, prêt à refuser, mais les mots moururent sur ses lèvres quand celui-ci haussa les sourcils.

"Euh… pourquoi pas ?" répondit-il en se délestant d'un sac de safran dans les mains tendues de l'alpha.

Ils furent accueillis par des acclamations quand ils entrèrent dans le salon de thé.

"Ah le voilà !"

Eren posa ses sacs sur une table inoccupée et se tourna vers la petite assemblée qui semblait l'attendre.

"Qu'est-ce qu'il se passe ?" demanda-t-il en s'approchant, s'épongeant le front de son avant-bras.

"Soraya veut apprendre la magie," répondit Jean en désignant l'oméga hésitante.

"Quoi, maintenant ?"

"Seulement si ça ne te dérange pas," s'empressa de dire Soraya avant d'être coupée par Jean.

"Vas-y, il y a quasiment pas de clients ! Et elle a envie maintenant."

Elle peut me dire elle-même ce dont elle a envie, pensa Eren avant de se passer une main sur la nuque, regardant autour de lui. Farhad le regardait avec curiosité, et tous les autres clients étaient des habitués en qui il avait confiance. Il y avait même la vieille voisine d'en face, la petite Domi, qui ne disait jamais rien, mais Eren savait qu'elle appréciait quand il lui montrait de la magie. Il fallait qu'il n'oublie pas de lui rendre son assiette d'ailleurs.

"Je suppose que ça peut se faire…"

À ses mots, un grand sourire illumina le visage de Soraya et ça ne l'aurait pas surpris de la voir commencer à sauter de joie. Eren ne put s'empêcher de sourire à son tour.

Si ça suffisait à lui faire plaisir comme ça…

"Bougez pas, je vais chercher ce dont on a besoin !" dit-il en montant dans sa chambre en courant.

o

"Il faut que tu sentes l'énergie dans ta poitrine. C'est comme un petit poussin qu'on laisse éclore," expliqua Eren, essayant de se rappeler des mots que sa mère avait utilisés pour lui apprendre la magie, avant de se faire interrompre par un éclat de rire moqueur.

"C'est comme un petit poussin qu'on laisse éclore," répéta Jean, hilare, d'une voix bien plus aiguë que celle d'Eren. Honnêtement il avait envie de le frapper.

Il fit claquer sa langue contre son palais, agacé. Cela faisait à peine dix minutes qu'il essayait d'apprendre à Soraya comment utiliser son énergie spirituelle, et Jean n'avait pas arrêté de faire des commentaires.

"Bah vas-y, explique-lui, toi, puisque tu sais si bien !"

Le rictus de l'alpha s'effaça légèrement alors qu'il semblait réfléchir à la question.

"Hmm, je dirais que c'est plus comme un feu intense qui parcourt tes veines !"

"Oui mais pas au début," fit remarquer Eren, "ça vient quand tu as déjà un peu d'expérience."

"J'ai toujours su l'utiliser sans réfléchir."

Eren leva les yeux au ciel en marmonnant quelque chose avec le mot alpha dedans avant de se tourner à nouveau vers Soraya.

"Il faut que la paume de ta main soit en contact avec le talisman. Tu dois lui fournir de l'énergie et lui s'occupe de la convertir en le sort désiré."

"Il existe aussi des sorts sans talisman," intervint à nouveau Jean, "mais bien plus difficiles à maîtriser. Surtout pour un oméga. Ou même un bêta."

"Oui oui, d'où le fait qu'on va se concentrer sur des talismans pour l'instant. Et Jean, ferme la s'te-plait."

L'alpha fit la moue mais ne fit pas de commentaire supplémentaire.

"Essaie avec celui-là d'abord," conseilla Eren en faisant glisser vers Soraya un bout de papier avec des inscriptions tracées à l'encre bleue dessus, "c'est du chanvre. Celui-ci ne sert qu'à éclairer, c'est un talisman plutôt facile à utiliser."

"Il y a différents types de papier ?"

"Hmhm," acquiesça Eren, la tête reposant dans sa main, "La plupart des sorts ont besoin d'être adaptés si on change de support, d'autres requièrent un type de papier très précis et ne sont pas modifiables. Certains peuvent même être écrits sur la peau mais ils ne sont souvent pas très puissants. Disons que ce n'est pas très conseillé de tenter un sort plus puissant qu'un bouclier si tu ne veux pas finir un peu noirci. En plus ça commence à baver au bout de quelques heures, pas du tout pratique."

Pas du tout pratique, mais en attendant il en avait presque toujours au moins un ou deux sur le corps. Au cas où.

Eren jeta un coup d'œil à Farhad qui suivait les explications avec intérêt, et même un peu d'admiration. Il savait qu'il était plutôt familier avec la magie mais il avait du mal à situer son niveau.

"Et sur le sol ?" demanda Soraya et Eren reporta son attention sur elle, "Je t'ai vu le faire une fois… "

"Oui c'est possible et parfois très puissant, mais ce n'est pas très pratique parce qu'en général tu n'as pas le temps de tracer quoi que ce soit en combat, et si le sol n'est pas très plat c'est plus facile de se tromper."

"Qu'est-ce qu'il se passe si tu te trompes ?"

Jean laissa échapper un ricanement depuis le comptoir contre lequel il s'était accoudé.

"Il se passe que tu manques de cramer tes coéquipiers. N'est-ce pas Eren ?"

Ooh, il allait donc jamais le lâcher avec ça ! C'était il y a longtemps !

"Ça dépend du talisman. Mais oui ça peut être plutôt dangereux," répondit Eren avec une grimace.

"Tu as failli cramer tes coéquipiers ?"

"Heureusement j'étais là."

Eren leva les yeux au ciel. Et c'était reparti.

"Pas besoin de bout de papier pour maîtriser le feu. Pas comme toi."

Mais quel casse-couilles celui-là.

"Tu m'as appris comment faire je te signale," rétorqua Eren en faisant danser quelques flammes dans sa paume sous le regard émerveillé de l'assistance.

Jean laissa échapper une exclamation de pitié.

"Regarde plutôt ça !" s'exclama-t-il et un petit feu d'une vingtaine de centimètres éclaira la pièce depuis le creux de sa main, asséchant l'air autour d'eux.

Eren plissa les yeux avant de se saisir du talisman qu'il venait d'offrir à Soraya. Il voulait vraiment jouer à ce petit jeu ? Ben il n'allait pas être déçu !

Il sortit un crayon khôl d'une de ses poches, y ajouta cinq points et un trait avant de froisser le papier dans sa main et de le lancer en l'air. Jean haussa un sourcil au moment où le talisman explosa en une boule de feu d'au moins un mètre de diamètre. Cette fois ce ne fut pas des murmures d'émerveillement qui parcoururent l'assemblée mais un véritable concert d'exclamations.

Et bam.

Jean éteignit la petite flamme sur une mèche de ses cheveux entre deux doigts sous l'air bien trop triomphant d'Eren.

"Mon. plafond."

Le sourire d'Eren fondit en moins d'une seconde à l'entente de la voix glaciale. Il était dans la merde.

Il avala sa salive et se retourna en levant les bras dans un geste d'apaisement.

"Écoute Annie, je peux le réparer…", marmonna-t-il en jetant un coup d'œil aux planches noircies au-dessus de lui.

Tant qu'il n'y avait pas de trou ça devrait aller.

La jeune femme blonde continua de s'approcher dangereusement et Eren fit un pas en arrière. S'il ne faisait rien, il avait exactement trois secondes avant de finir au tapis. Littéralement. Ce serait bien de le nettoyer un peu plus souvent d'ailleurs.

o

Au final, le plafond retrouva sa couleur d'origine et Eren finit par terre. Il poussa un long soupir et leva les yeux vers Soraya qui le regardait avec ce qui ressemblait à de la pitié.

"Tu vois Soraya, la règle numéro une de la magie c'est de ne pas faire exploser des trucs quand Annie est là."

Soraya leva les yeux au ciel et Farhad sourit dans son coin.

o O o

Le soleil était haut dans le ciel, la chaleur étouffante. Heureusement, il arrivait en vue du Fi Malja, où il pourrait se mettre à l'abri du soleil.

Des bruits de conversation en sinayen lui parvinrent, et il eut à peine le temps de se dissimuler au coin de la rue qu'un groupe de sinayen passa avant de s'éloigner et Eren fut pris d'un mauvais préssentiment. Il s'autorisa un coup d'œil vers le groupe en train de s'éloigner et pâlit quand il distingua Livai parmi eux. Quelques secondes plus tard, il se précipitait dans le Fi Malja, et le trouva désert. Pas de bavardages au loin, de pas d'un enfant qui court, de bruits de la vaisselle qu'on range. Il se fraya rapidement un chemin entre les tables, essayant de ne pas céder à la panique.

"Mikasa ? Darya ?" appela-t-il en poussant la porte de la cuisine.

Mais celle-ci était vide.

Une sueur froide commença à s'emparer de lui et il monta les escaliers quatre à quatre, appelant leurs noms. Il ouvrit les portes des chambres sans frapper, terrifié de ne trouver personne.

"Aslan, Soraya !" cria-t-il en entrant dans le salon et tout son sang se figea dans ses veines quand il aperçut un corps sur le sol.

"Non non non non," répéta-t-il en courant au chevet d'Aslan et le prenant dans ses bras, mais celui-ci ne réagit pas, aussi inerte qu'un de ses jouets. Eren chercha avec panique son pouls mais il ne sentit pas le moindre battement de cœur, et sa poitrine était effroyablement immobile. Il était arrivé trop tard. Un gloussement retentit dans le salon, et Eren releva la tête.

Nakisa était assise sur la table, balançant un verre de vin entre ses longs doigts manucurés, son affreux chat pelotonné à ses côtés. Eren eut un mouvement de recul et resserra un peu plus son étreinte sur le corps encore chaud d'Aslan.

"Toi…Qu'est-ce que tu lui as fait !"

Nakisa rit à nouveau avant de hausser un sourcil.

"Allons Eren, tu sais très bien que je ne lui ai rien fait."

Le corps bougea faiblement dans ses bras, et Eren baissa les yeux mais ce n'était plus Aslan qu'il tenait entre ses mains. Isabelle le fixait avec de grands yeux vides alors qu'une tache noire se répandait sur tout son visage.

"Tu nous as tué, Eren."

o

"NON !"

Eren se réveilla en sursaut.

Sa chambre était plongée dans le noir et Eren attrapa avec difficulté le briquet à silex, allumant maladroitement la bougie sur sa table de chevet avant de s'autoriser à respirer. Il passa une main dans ses cheveux humides de sueur et laissa échapper un soupir tremblant.

Tout va bien, ce n'était qu'un rêve. Aslan va bien, tu ne l'as pas tué. Ce n'était qu'un rêve. Tu ne l'as pas tué…

Eren se força à prendre une grande inspiration avant de se lever et rejoindre sa fenêtre. Ses joues étaient trempées et ses doigts tremblaient.

"Ça fait quatre ans Eren, passe à autre chose."

Il en était incapable.

o O o

Mikasa avait toujours eu le sommeil léger et cette nuit ne faisait pas exception. Ses yeux s'ouvrirent dès qu'elle entendit le bruit de verre qui se brise. En quelques secondes elle était debout, avait allumé une chandelle et parcourait le couloir à pas feutrés. Le bruit venait d'en bas, elle en était certaine.

Mikasa ouvrit la porte du salon de thé, totalement plongé dans le noir. Le soleil ne se lèverait pas avant au moins trois heures mais l'air avait gardé sa lourdeur de la journée. Mikasa avança prudemment, avant de s'arrêter lorsqu'elle faillit marcher sur des éclats de verre. Une bouteille d'arak gisait sur le sol, son contenu avait déjà imprégné le tapis. Elle leva la lampe un peu plus haut et aperçut une silhouette assise par terre, adossée contre le comptoir, les épaules secouées par des sanglots silencieux.

"Eren."

La silhouette se redressa d'un coup avant de tourner la tête dans la direction opposée.

"Qu'est-ce que tu fais là ?" demanda Eren d'une voix rauque et Mikasa savait qu'il ne passait pas sa main sur son visage pour essuyer de la sueur.

La carcasse d'un verre brisé traînait à côté de son autre main ensanglantée et les éclats de verre étaient éparpillés un peu partout autour de lui. Mikasa posa la lampe avec précaution sur la table à côté d'elle et commença à les ramasser.

"Laisse, je nettoierai avant d'aller me coucher," murmura Eren mais Mikasa secoua la tête en continuant sa tâche.

Un silence inconfortable s'étira avant qu'elle ne le rompe.

"Tu as bu ?"

"Non. J'ai à peine pris deux verres," répondit-il et sa voix avait retrouvé un peu de sa fermeté. Il n'était pas ivre, juste… perturbé.

"Tu y penses encore ?" demanda Mikasa après un temps. Elle savait qu'elle s'aventurait sur un terrain miné.

Eren poussa un soupir et laissa reposer sa tête contre le mur du comptoir.

"Toujours. Ce n'est pas quelque chose que je pourrais jamais oublier. Et toi, tu n'en fais pas de cauchemar ? Tu y es restée plus longtemps que moi pourtant…"

"Ce n'est pas la même chose."

"Pas si sûr…", marmonna-t-il en regardant le sang sur sa main comme s'il venait de se rendre compte qu'il s'était coupé.

Mikasa ne répondit pas. Ils avaient déjà eu cette conversation plusieurs fois mais Eren n'arrivait pas à comprendre qu'ils n'étaient pas dans le même cas. Elle avait été envoyée dans un camp de travail, et lui dans un bordel militaire. Eren avait beau éviter le sujet, elle avait suffisamment secouru d'omégas pour savoir l'horreur qu'il avait vécu.

"N'importe qui dans ta situation continuerait de faire des cauchemars."

"Mais pas toi. Tu n'en as jamais fait alors que tu as failli mourir là-bas !"

"Pourquoi tu te compares à moi Eren ? Je ne sais pas ce à quoi tu penses mais arrête."

Eren pinça les lèvres et se mit à fixer un point imaginaire.

"Je déteste comment ils m'ont rendu faible," finit-il par admettre et Mikasa s'arrêta dans son action pour se tourner vers lui.

"Tu sais que c'est faux. Tu es loin d'être quelqu'un de faible et personne ne devrait pouvoir te persuader du contraire. Tu n'as qu'à demander à Soraya, Marco, Mina, ou tous les autres omégas que tu as secouru. Même moi j'y serais encore si tu n'étais pas venu me délivrer. Tu nous as tous sauvés, alors laisse nous t'aider pour une fois."

Eren commença à ramasser des petits bouts de verre à proximité, semblant soudain fasciné par le nettoyage.

"Ce n'est pas si simple."

"Je sais bien," répondit Mikasa en allant chercher la poubelle.

Cela faisait plus de quatre ans que son frère s'était échappé, et pourtant il ne s'ouvrait toujours pas ni à elle, ni personne d'autre. À la place, il se couchait à des heures impossibles et piochait dans la réserve d'alcool la nuit.

"J'adore la nuit," lâcha soudain Eren et Mikasa s'immobilisa à nouveau, "j'adore la nuit, mais je suis terrifié à l'idée de devoir dormir. Parce que je sais qu'il y a de fortes chances que je fasse encore des cauchemars. Pas forcément de là-bas, ça peut être sur n'importe quoi… Le pire c'est quand il fait chaud comme cette nuit. J'ai l'impression d'étouffer…"

La première pensée de Mikasa fut que c'était bête qu'il habite à Maria s'il ne supportait pas la chaleur. La deuxième que ce n'était clairement pas ce qu'Eren avait besoin d'entendre.

"Tu veux venir dans mon lit ?"

Eren sourit devant sa tentative de le réconforter.

"Non merci. Je n'aime toujours pas la proximité tu sais."

Oh que oui elle le savait. Une main sur son épaule, une étreinte qui s'attarde trop. Elle voyait bien comment il se crispait dès qu'on le touchait plus qu'un effleurement des doigts. Et même ça… La seule personne dont il semblait apprécier le contact était Aslan. Les autres il les tolérait tout juste.

"Je peux te tenir compagnie si tu veux."

"Je préfèrerais que tu me laisses un peu seul," demanda-t-il avec un soupir las. "Je ne vais pas faire de bêtise," ajouta-t-il en voyant son regard sceptique se poser sur sa main gauche.

"Fait au moins quelque chose pour ta main."

"Oui oui," répondit-il en fermant les yeux.

Il les rouvrit quelques secondes plus tard quand il sentit un tissu mouillé sur son bras.

"Putain Mikasa ! T'es pas ma mère, laisse-moi seul !"

"Mais…"

"Mikasa !"

La jeune femme baissa la tête et se releva d'un air blessé.

"J'espère qu'un jour tu nous laissera t'aider," dit-elle et Eren poussa un soupir.

"Ce n'est pas ça, j'ai juste envie d'être seul, ça arrive à tout le monde !"

Mikasa hocha la tête et quitta la pièce, laissant tomber les morceaux de verre dans la poubelle au passage. Eren la regarda partir avant de refermer les yeux.

Le silence de la nuit revint et avec lui l'écrasante solitude.

À suivre...