Bonjour bonsoir. Alors. On va dire qu'on est samedi, parce que tant que j'ai pas dormi, on est pas le jour suivant (oui il est 3h du matin). J'ai vraiment charbonné pour sortir ce chapitre au bout de 3 semaines, et pas attendre une semaine de plus, mais c'est le plus long de Malja de loin, et mon préféré je pense. Il se passe plein de trucs cool (de mon humble avis). Pour le prochain chapitre, je pense qu'il vaut mieux viser dans 3 semaines, mais qui sait, peut être que dans 2 il sera prêt ! J'arrive pas à croire qu'on approche vraiment de la fin, ça fait 5 ans que j'ai commencé cette fic…
Sur ce, j'ai absolument hâte de savoir ce que vous pensez de ce chapitre, alors bonne lecture !
Chapitre 18 : Isabel
Ce voyage était loin d'être le pire qu'Eren ait vécu (ce titre appartenant haut la main à sa déportation à Mitras), il restait plutôt désagréable. Entre le sable, la chaleur, et le fait qu'il commençait à avoir sérieusement mal aux fesses d'être resté assis sur une selle toute la journée, il avait plutôt hâte d'arriver. Au moins il avait quelqu'un avec qui parler.
"...je ne me rappelle même pas de mon premier sort pour être honnête. C'est sûrement ma mère qui me l'a appris, allumer une lumière ou faire un peu de vent je crois. Mon père faisait un peu de magie aussi, mais il était clairement moins bon que ma mère. Enfin, jusqu'à ce qu'il se spécialise dans la magie noire en tout cas."
Ils étaient partis de Shiganshina avant même que le soleil n'ait dépassé la ligne d'horizon mais la fraîcheur du matin n'était maintenant qu'un pâle souvenir sous la chaleur écrasante de l'après-midi. Il pouvait voir au loin Zeiad, leur arrêt pour la nuit, mais la distance ne semblait jamais diminuer.
"Quand j'étais petit, je n'arrivais pas à vraiment produire de l'énergie spirituelle," confia Livai en retour et Eren se tourna vers lui, surpris.
"Ça ne se voit pas."
"J'étais en sous-nutrition ou un truc du genre," répondit Livai en haussant les épaules, "mais ma mère insistait pour que j'apprenne à faire de la magie. Je crois que c'était quelque chose d'important dans sa famille. Bref, le premier sort que j'ai appris c'était pour décupler mon énergie spirituelle."
"Ça existe ça ?" demanda-t-il avant de se mettre à tousser quand du sable se faufila sous sa chèche et directement dans sa bouche.
Enfin, tousser. Il faisait le même bruit qu'un chat en train de recracher de l'herbe, et Eren avait beau ne pas vraiment faire le malin face à ces créatures, même lui devait avouer que dans ces cas-là, ils avaient l'air ridicules.
"Je crois même que ça vient de Maria si tu veux savoir. Ma mère disait "Lastoli Lanya", mais je suis pas sûr que l'incantation serve à quelque chose…" répondit-il et Eren arrêta de tousser. Comment il connaissait ça lui ? "En tout cas j'ai jamais réussi à le refaire après la mort de ma mère."
Eren ne pouvait voir que ses yeux pensifs, le reste de son visage dissimulé par son chèche, mais il avait l'air perdu dans ses souvenirs.
"C'est parce que ce n'est pas un sort pour décupler l'énergie spirituelle…" hésita-t-il et il regagna immédiatement l'attention de Livai. "C'est plus… un transfert."
"Un transfert ?" répéta Livai et Eren acquiesça.
Il avait beaucoup étudié ce sort pour créer ses talismans, mais il s'était vite rendu compte qu'il n'était absolument pas recréable.
"C'est une des premières formes de magie de Maria," expliqua-t-il. "Un transfert d'énergie d'une personne à une autre."
"Comme ce que tu as fait la dernière fois ?"
Si la dernière fois était quand il avait complètement vidé Livai de son énergie pour tuer une dizaine de gens et se téléporter en même temps, ne passant pas loin de le tuer au passage, alors nan, pas vraiment comme la dernière fois.
"La dernière fois j'ai transféré ton énergie directement dans un talisman précis, mais je n'aurais pas pu l'utiliser moi-même."
"Et avec Lastoli Lanya, tu aurais pu l'utiliser toi-même," s'inquiéta Livai, et Eren laissa échapper un petit rire.
"Sauf que je n'aurais pas pu utiliser Lastoli Lanya comme ça."
Ce sort était de la très belle magie, très ancienne, et très intime.
Livai haussa juste les sourcils, le forçant à continuer :
"Déjà parce qu'il faut que les deux personnes contribuent, et il faut aussi une grande proximité entre elles. Deux membres d'une même famille souvent."
C'était quelques fois utilisé entre un parent et son enfant malade, mais la plupart du temps c'était surtout un rituel intime de partage avec ses proches.
Bref, rien que tu puisses utiliser contre un ennemi.
"Tu penses que ce serait possible entr-" commença Livai avant de s'interrompre quand il aperçut les cavaliers se dirigeant droit vers eux au loin.
Eren se tendit et vérifia que son épée était à portée de main mais ne dégaina pas. Ils étaient à moins d'un kilomètre de Zeiad : les cavaliers ne devaient être là que pour les accueillir… et vérifier qu'ils ne constituaient pas un danger. Eren espérait vraiment qu'ils ne constituaient pas un danger à leurs yeux.
Il regarda d'un œil attentif les chevaux les encercler, se rapprochant légèrement de Livai.
"Nous voulons juste passer la nuit à Zeiad, sans causer de problèmes," déclara-t-il en levant les mains là où tout le monde pouvait les apercevoir. Mikasa lui avait dit qu'ils seraient bien accueillis là-bas, mais il commençait à légèrement douter.
"Passez votre route étrangers, on n'offre malheureusement plus l'hospitalité aussi insousciemment dernièrement," répondit une jeune femme et il pouvait comprendre que de la méfiance était plus que raisonnable en ces temps troublés, notamment en la présence d'un Sinayen. Personne n'avait fait la remarque, mais tous les yeux avaient discerné la pâleur du teint de Livai. D'un autre côté, le prochain village était des dizaines de kilomètres plus loin, et avait encore moins de chance de les accueillir.
"Vous pouvez garder nos armes, le temps de notre séjour ici," proposa-t-il, et Livai n'approuvait clairement pas cette idée, vu le regard noir qu'il sentait dans sa vision périphérique. La femme eu presque l'air d'hésiter mais secoua la tête.
"N'insiste pas," maintint-elle d'un air presque désolé.
Eren aurait clairement continué à insister, mais une voix familière appela son nom, le faisant se retourner.
"Eren ?"
Un homme descendit de son cheval derrière eux, sous les regards méfiants de tous les autres, mais Eren ne le reconnaissait pas. En même temps avec ses foulards devant le visage…
"Ah, désolé," réalisa l'homme en se découvrant la tête, et cette fois il ne lui fallut que quelques secondes pour mettre un nom sur son visage.
"Dasten ! Je ne savais pas que tu vivais ici !"
"Je ne fais pas que vivre ici, je suis même le chef de Zeiad !"
"Ça ne m'étonne pas de toi ! Et… Karina ?" demanda Eren. Il avait toujours peur de demander des nouvelles.
Dasten laissa échapper un petit rire et désigna du menton la femme qui les avait accosté.
"Pardonne-moi Eren, je ne t'avais pas reconnu," s'excusa-t-elle avec un sourire contrit en enlevant son chèche et Eren fit de même.
"Moi non plus pour être honnête," avoua-t-il en se grattant l'arrière du crâne.
Il avait rencontré Dasten dans la résistance il y avait bien longtemps, et celui-ci l'avait beaucoup aidé à retrouver Mikasa. Karina avait été une des premières omégas qu'il avait délivré des maisons de réconfort, et elle et Dasten s'était mariés moins d'un an après leur rencontre.
"Mikasa va toujours bien ?" demanda-t-elle et Eren hocha la tête avec un sourire. C'était pour ça qu'elle lui avait assuré qu'ils seraient bien accueillis ! N'empêche, elle aurait pu le prévenir.
"Je suis sûr qu'on peut continuer cette conversation à l'ombre," suggéra Dasten et tous les cavaliers avaient l'air on ne peut plus d'accord.
"Je croyais que tu n'offrais pas l'hospitalité aussi inconsciemment dernièrement ?" le taquina Eren alors que Dasten remontait à cheval en souriant.
"Allez, tu sais qu'il vaut mieux être prudent en ce moment… Avec Rose qui a débarqué, l'armée sinayenne afflue par ici, et on préfèrerais éviter tout rapport avec eux."
Dasten sembla se rappeler de la compagnie, puisqu'il se retourna brièvement vers Livai avant de se pencher un peu plus vers lui.
"Il comprend le maranien, ton ami, là ?"
"Un peu," répondit Eren en se retournant vers "son ami" avec un sourire en coin.
"Il a compris ce que je viens de dire tu penses ?" demanda Dasten d'un air plus curieux qu'embarassé.
Eren pensait surtout qu'il n'avait pas entendu.
"Je sais pas," répondit-il avant de se tourner complètement vers Livai. "T'as compris ce qu'il vient de dire ?"
Celui-ci hocha simplement la tête et ouais nan, il avait pas compris.
Lorsqu'ils posèrent enfin pied à terre devant la maison de Dasten, ni son dos ni ses fesses n'étaient en état de continuer. Et dire qu'il devrait remonter en selle le lendemain, et les cinq prochains jours…
"Vous pouvez vous rafraîchir rapidement, mais il faudra attendre après dîner pour vous baigner à la source. C'est l'heure réservée aux omégas maintenant."
Eren se sentit si sale et collant de sueur qu'il était à deux doigts de dévoiler qu'il était un oméga juste pour y aller maintenant. Vu le regard de Livai, celui-ci avait pensé la même chose. Sauf que lui, personne le croirait. Et contrairement à Eren, ça aurait été un gros mensonge.
Une bassine et un linge suffiraient pour le moment.
Une petite fille se détacha du groupe de gens près du puits, se mettant à courir vers eux.
"Papa, papa !"
Dasten l'attrapa par les aisselles et la posa sur sa hanche.
"Voici ma fille Leyan, dis bonjour !"
Leyan lança un énergique bonjour, auquel ils répondirent un peu plus timidement. Elle devait avoir le même âge qu'Aslan, peut-être même un peu plus. Eren se demanda si Karina était déjà enceinte la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Dasten reposa sa fille par terre et alla leur chercher de quoi se laver, avant de les mener jusqu'à une petite salle d'eau.
Quand ils ressortirent après une toilette sommaire, tout le monde s'affairait déjà en cuisine. Eren proposa d'aider, mais on le chassa sous prétexte qu'ils étaient des invités, les renvoyant dans le salon.
Après une trentaine de minutes, Eren avait appris trois petits talismans à Leyan. Pendant ce temps, Livai s'était assis contre un mur et avait fermé les yeux. À chaque fois que Dasten passait dans la pièce, il essayait de faire le moins de bruit possible pour ne pas le réveiller, mais Eren était presque sûr qu'il ne dormait pas. À tous les coups, il l'écoutait apprendre à Leyan le talisman pour rafraîchir ses fleurs fânées.
"En-"
"En-"
"fa-"
"fa-"
"rem !'
"REM !"
"Enfarem !"
"ENFAREM !" s'exclama Leyan et Livai leva les yeux au ciel.
"Tu peux éviter de lui apprendre des insultes en sinayen, s'il-te-plaît Eren ?"
Voilà, c'était sûr, il ne dormait pas.
"J'y peux rien, c'est comme ça qu'on active le talisman !" se défendit Eren. Bien que ce soit techniquement vrai, Livai lui fit comprendre d'un regard qu'il ne fallait pas le prendre pour un débile non plus.
"À se demander qui l'a créé…" marmonna-t-il et Leyan leva de grands yeux inquisiteurs vers lui.
"Ça a été créé par hasard, et maintenant je sais pas le faire autrement," contra Eren en se rappelant ce moment où un des chats de la petite Domi avait pissé sur les fleurs de Darya, les bousillant complètement. Il n'avait pas pu crier "enfoiré" en direction du mur de sa voisine parce qu'Aslan n'était pas loin, c'était donc l'équivalent sinayen qui était sorti. Darya lui avait fait comprendre que ce n'était pas vraiment mieux, mais au moins ses fleurs avaient été restaurées dans toute leur splendeur.
"Et tu te crois malin en apprenant ça à des enfants ?" rétorqua-t-il en enlevant un bout de pétale arrivé sur son épaule.
Hmm. Un peu, honnêtement.
Eren répondit simplement par un sourire, et Livai avait très bien compris.
"Tu fais pareil avec Aslan ?" demanda-t-il et cette fois il secoua la tête.
"Darya parle couramment sinayen, si elle l'entendait répéter ça, elle me ferait la peau."
Leyan commençait à être un peu trop intéressée par leur conversation, mais heureusement Dasten entra à ce moment-là, la faisant bondir sur ses pieds.
"Papa, papa ! Regarde, Eren il a fait revivre mes fleurs !" s'écria-t-il en montrant ses belles-de-jour désormais en pleine forme.
Il fallait dire que ses fleurs avaient vraiment été en piteux état.
"C'est bien, tu vas pouvoir les remettre devant la fenêtre," sourit-il à sa fille, qui se précipita dehors, ses belles-de-jour à la main.
Une fois les fleurs posées, Leyan annonça qu'elle allait jouer près du puits. La chaleur était un peu retombée et le repas ne serait pas prêt dans l'immédiat. Eren pouvait voir des enfants courir un peu plus loin. C'était si paisible, loin de Shiganshina et de l'occupation; il avait oublié à quoi ressemblait un village maranien en paix.
"N'oublie pas Isabel !" cria Dasten et Eren se redressa d'un coup.
"De quoi ?" se troubla-t-il, déconcerté, avant de se rendre compte que ce n'était pas à lui que Dasten s'adressait quand il vit Leyan revenir en courant pour récupérer la poupée de chiffon que son père lui tendait.
Il avait remarqué qu'elle trimballait cette poupée partout avec elle, mais il n'avait jamais demandé son nom. Isabel hein.
Il ne pourrait jamais l'oublier, mais il devait avouer qu'il pensait moins souvent à elle dernièrement. Et peut-être que c'était une bonne chose.
Les trois hommes grimacèrent quand Leyan fit tomber sa poupée dans la seule flaque de boue du village, avant de la récupérer et de la presser contre elle. Sa robe n'était de toute manière plus propre depuis longtemps.
"Je vous jure, c'est vraiment du boulot cette gamine," soupira Dasten, mais le sourire sur son visage enlevait tout doute.
Il était complètement gaga, oui.
"Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas," ajouta-t-il en faisant bien attention à articuler, mais ils secouèrent tous les deux la tête. On leur avait déjà dit ça au moins trois fois.
Dasten vérifia que Leyan était entre de bonnes mains avant de se rediriger vers la cuisine. Il avait à peine franchi la porte qu'il se retourna vers lui.
"Et au fait Eren, je sais reconnaître des insultes en sinayen quand j'en entends."
Ha ha. Oupsi.
o
Le repas avait duré en longueur, Dasten et Karina ayant beaucoup de choses à raconter à Eren depuis son départ, et le soleil venait juste de se coucher quand ils sortirent dehors. L'oasis où ils étaient censés se baigner se trouvait un peu en contrebas. "Vous n'avez qu'à descendre ce petit chemin, vous pouvez pas vous tromper", leur avait dit Dasten en désignant un sentier s'enfonçant sous les arbres. Quand il manqua de se casser la gueule pour la troisième fois, Eren commença à regretter d'avoir voulu se laver. On voyait que dalle sous le feuillage des arbres, et les pierres n'arrêtaient pas de rouler sous ses pieds. Les cigales braillaient à plein poumons, comme pour se foutre de sa gueule.
Eren sentit le sol céder sous son pied droit -encore une fois- et il se rattrapa de justesse au bras de Livai, laissant échapper un cri.
"Ymir laka dise ne !"
Nan, parce qu'il commençait à en avoir ras-le-bol de ce chemin !
Livai lui lâcha l'épaule une fois qu'il fut bien stable.
"Ymir… étouffe ?" répéta-t-il, apparemment sceptique dans sa traduction.
"Ne répète pas ça devant Aslan," l'avertit Eren en continuant sa descente, avec plus de précautions. Ils étaient presque en bas, ça ne pouvait pas être beaucoup plus loin. "C'est une abréviation pour quelque chose comme 'Tu as l'air tellement pathétique que même Ymir s'étouffe de rire en te voyant'."
Livai le poussa légèrement sur le côté avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit, l'empêchant de marcher sur un tas de cailloux d'apparence très peu stable. Comment il avait vu ça, Eren n'en avait aucune idée.
"Ça me paraît tout à fait insultant."
"Rigole pas, c'est vraiment une grosse insulte chez nous," insista-t-il. "J'ai déjà vu des duels pour moins que ça."
Livai regarda Eren en haussant un sourcil. Il n'arrivait pas à savoir s'il se foutait de sa gueule, mais ce n'était pas comme s'il allait répéter ça dans tous les cas.
Ils arrivèrent enfin au bord de l'eau, et Livai entendit Eren pousser un soupir de soulagement. Les arbres se faisaient plus rares ici, laissant la douce lumière du soir éclairer le bassin. Les rochers formaient comme des marches jusqu'à un endroit plus plat près de l'eau. Le bruit de la petite cascade un peu plus loin accompagnait celui des cigales, et des petites vagues venaient s'échouer sur les rochers. Ça lui rappelait Orvud.
Livai se délesta de sa chemise noire et de sa ceinture, posant avec précaution son épée dessus. Ses chaussures et ses protège-bras les rejoignirent, ne gardant que son pantalon noir en toile.
Après un rapide coup d'œil, il trouva un endroit où descendre facilement dans l'eau. La roche glissait mais il réussit à atteindre un endroit avec plus de profondeur et commença à nager. Même avec le peu de luminosité, il pouvait voir à quelle point l'eau était claire; la lune se reflétait sur les écailles des quelques poissons qui filaient entre ses pieds.
Après leur journée dans le sable, la poussière et la sueur sous un soleil de plomb, c'était un bonheur. La toile de son pantalon ondulait le long de ses jambes, le courant caressait sa peau, le débarrassant de sa crasse accumulée.
Il entendit Eren le rejoindre. Il n'avait pas l'air de savoir nager, mais l'eau n'atteignait de toute manière jamais plus haut que son torse.
Livai le regarda s'approcher l'air de rien, et bien évidemment, bien évidemment, la première chose qu'Eren tenta de faire fut de lui crocheter un pied pour le couler. Eren n'étant pas aussi imprévisible qu'il aimerait le croire, Livai lui fit facilement perdre l'équilibre, lui attrapa une jambe et d'une pression sur les épaules, lui plongea la tête sous l'eau.
"T'as cru que t'allais me couler aussi facilement ?" demanda-t-il alors qu'Eren re-émergeait en crachant de l'eau partout. Huh.
"J'ai bien réussi dans la fontaine," fit-il remarquer avec un sourire, alors qu'il n'était pas du tout en position de le provoquer.
Livai avait ses deux jambes sous un bras maintenant. Il lui suffisait d'appuyer légèrement sur ses épaules pour le renvoyer avec les poissons.
"N'utilise pas ta magie ici, Eren," le prévint-il, "tu risques d'en avoir besoin demain."
Et il ne tenait pas spécialement à rejouer l'épisode de la fontaine.
"Oui oui, je sais bien. Même si en utiliser un petit peu n'aurait pas fait de mal…" ajouta-t-il entre ses dents, mais le regard de Livai s'était posé sur son torse.
Là aussi, il avait de nombreuses cicatrices blanches qu'il pouvait à peine discerner sous l'eau. Comme des traces de lames assez fines… ou de griffes.
Il avait à peine ouvert la bouche qu'il se sentit basculer. Ce petit bâtard d'Eren. Il devait au moins reconnaître qu'il n'avait même pas eu recours à la magie.
Sous l'eau, tous les sons étaient atténués. Il entendait le son étouffé d'Eren qui ricanait à la surface, la cascade un peu plus loin… C'était bien plus paisible que ce à quoi il s'attendait.
Il donna quand même un coup de pied dans les côtes d'Eren pour se dégager et ressortit quelques mètres plus loin.
"C'était assez facile, au final," le nargua Eren, et Livai lui fit un signe sinayen qu'Eren n'avait pas besoin de connaître pour deviner la signification.
"Tu ferais mieux de te laver au lieu de faire tes conneries," lui lança-t-il et Eren essaya de lui envoyer de l'eau mais il était trop loin.
Livai fit quelques aller-retours dans le bassin, passant sous la cascade avant de retourner vers Eren. Celui-ci avait trouvé une pierre plate là où il y avait moins de fond et s'était assis dessus, ne laissant que le haut de ses épaules au-dessus de l'eau.
"Tu ne m'as jamais dit comment tu t'étais retrouvé à Shiganshina," fit remarquer Eren au bout d'un moment.
Il n'avait jamais pensé que ce fut particulièrement intéressant.
"Y a pas d'histoire passionnante à raconter. Quand ma mère est morte, j'ai pas mal traîné dans les rues," raconta Livai en se laissant flotter tranquillement. "Et puis j'ai attiré l'attention d'Erwin et il m'a offert une seconde chance."
Ça résumait plutôt bien la situation. Pas besoin de détailler ses années de voleur dans la rue.
"Tu as l'air de vraiment l'apprécier," commenta Eren en s'appuyant sur ses mains vers l'arrière.
"C'est vrai," admit-il facilement. Cet homme lui avait sauvé la vie. "Puis il a été envoyé à Shiganshina parce qu'il dérangeait trop à Maria, et disons que j'ai un peu pris sa relève. De manière pas très étonnante, je me suis fait dégager aussi."
Eren sourit avant de reporter son regard sur la cascade, et Livai en profita pour l'observer. C'était rare de le voir détendu. Ses cheveux trempés étaient poussés en arrière, laissant ses yeux étincelants au clair de lune parfaitement visibles. Une tâche noire derrière son oreille attira son attention. Ça ne ressemblait pas vraiment à de la magie noire, ni à de la simple crasse. Il plissa les yeux, essayant d'apercevoir quelque chose dans la pénombre, quand la tâche bougea furtivement, se cachant sous les cheveux d'Eren, le faisant sursauter.
"Qu'est-ce que…?" marmonna-t-il, et Eren tourna vers lui un regard interrogateur. "J'ai cru voir quelque chose là," indiqua-t-il en désignant sa propre oreille, en se rapprochant un peu. Eren parut inquiet un moment avant de s'éclairer.
"Ah ça," répondit-il avec un sourire.
Il tapota légèrement son cou. Livai attendit quelques instants et un petit oiseau à l'encre noire laissa apparaître sa tête d'un air curieux, avant de venir se déposer d'un coup d'aile juste derrière l'oreille d'Eren. "Elle est un peu timide," ajouta-t-il en soulevant ses cheveux pour lui offrir une meilleure vue.
L'oiseau était magnifique. Elle pencha un peu la tête, et Livai se retint de l'imiter. Visiblement, il ne devait pas représenter une menace, car elle commença à se nettoyer les plumes sans plus se soucier de lui.
"C'est un tatouage spirituel ?" demanda-t-il sans quitter l'oiseau des yeux. Il n'en avait pas vu beaucoup dans sa vie, mais celui-ci était incontestablement le plus beau.
"Hm," acquiesça Eren, "elle s'appelle Azadi. Quand j'étais dans le… Quand j'étais à Mitras, j'ai presque complètement perdu l'ouïe de ce côté. Azadi se nourrit de mon énergie spirituelle et me traduit tous les sons qu'elle entend."
"Je n'avais jamais remarqué."
"C'est parce qu'elle fait très bien son travail," répondit-il en se laissant aller dans l'eau, "il n'y a presque aucune différence avec une oreille normale sauf quand je suis fatigué ou que mon énergie spirituelle est instable."
Livai hocha la tête et l'oiseau tourna la sienne vers lui avant de piailler gaiement. Eren grimaça.
"Moins fort," se plaignit-il, et l'oiseau piailla une deuxième fois pour la peine, avant de s'envoler derrière le rideau de cheveux.
"C'est toi qui lui as donné un nom ?"
"Plus ou moins," acquiesça Eren en se laissant aller dans l'eau, "ça veut dire "liberté" en maranien."
"Je m'attendais presque à "l'empire d'Eren" ou quelque chose comme ça," rétorqua Livai et Eren laissa échapper un petit rire avant de lui envoyer un jet d'eau en plein visage.
Pfff. On pouvait vraiment pas lui faire confiance à celui-là.
"Je t'ai dit que c'était une blague !"
Livai lui renvoya un jet d'eau en pleine tête et ils allaient continuer de se chamailler comme des gamins quand ils entendirent des voix se rapprocher. Ils se figèrent tous les deux, le regard posé sur la rive, d'où parvenaient les voix, et cinq villageois émergèrent de derrière les arbres, avec parmi eux Dasten.
"Alors, elle est bonne ?" leur cria-t-il, alors que les alphas commençaient à se déshabiller.
"Très rafraîchissante," répondit Eren d'une voix un peu forcée, "on vous la laisse."
Livai se contenta d'un hochement de tête. Ils se dirigèrent vers le rebord où ils avaient laissé leurs vêtements, et Livai sortit rapidement de l'eau avant de récupérer sa chemise. Il l'utilisa pour essayer de grossièrement sécher son torse, avant de se rendre compte qu'Eren ne l'avait pas suivi. Celui-ci était encore dans l'eau, semblant hésiter, alors que les villageois étaient entrés dans l'eau non loin.
Pourquoi est-ce qu'il hési- Ah.
Livai ramassa la chemise bleu foncé d'Eren, et profitant du fait qu'il avait son attention focalisée sur les autres, la lui envoya de toutes ses forces.
"Attrape !"
La chemise lui atterrit en pleine face, avant de tomber mollement dans l'eau.
"Livai, qu'est-ce que tu fous ?" s'exclama-t-il d'un ton incrédule, avant de réaliser ce qu'il tenait dans les mains. Une expression de soulagement passa brièvement sur son visage. "Ma chemise est trempée maintenant !"
"Autant la mettre," suggéra Livai, et Eren poussa un faux soupir contrarié.
Honnêtement, il ne jouait pas très bien la comédie.
Eren enfila rapidement sa chemise avant de finalement tourner son dos à Dasten et les autres pour sortir de l'eau, la Sina bien cachée sous ses vêtements.
"Merci," souffla-t-il quand il arriva à sa hauteur.
Ils récupérèrent leurs chaussures et le reste de leurs affaires, souhaitèrent bonne nuit aux autres et commencèrent à remonter.
Le trajet du retour fut moins pénible qu'à l'aller. La lune s'était découverte et ils savaient où regarder. Ils étaient presque revenus au village quand Eren le retint par la manche.
"Ça te dit d'aller par là ?" dit-il en désignant un chemin à peine visible sur le côté.
Ça sentait le plan foireux à plein nez.
"Ça dépend, si tu veux rentrer au village, c'est clairement pas de ce côté."
"J'aimerais bien aller au sommet de la falaise," confirma Eren.
Rien n'indiquait que le chemin débouchait quelque part -encore moins en haut de la falaise- mais il semblait en effet partir dans la bonne direction.
"Allons-y alors," répondit Livai en attrapant la main d'Eren et s'engageant dans le sentier, "mais si on se fait mordre par un serpent, ce sera ta faute."
Parce que clairement, on voyait encore moins où on mettait les pieds, le chemin n'avait pas dû être beaucoup utilisé. Qui savait ce qui trainait dans les fourrés.
"Il n'y a pas de serpents dans cette région de Maria…" rétorqua Eren. "Enfin je crois."
"Tu crois ?" répéta-t-il, mais il ne s'inquiéta pas plus que ça. Ils pouvaient sûrement gérer un serpent à eux deux. Livai fit quand même une liste dans sa tête des talismans anti-venins qu'il connaissait. Juste au cas où.
"Vas-y, monte, et arrête de poser des questions," marmonna Eren.
"Je m'embarque toujours dans des plans foireux quand je suis avec toi," fit-il remarquer alors qu'ils arrivaient dans ce qui semblait être l'ancien lit de la rivière. Au moins ici, on pouvait voir où poser les pieds, et ce n'était que de la roche plutôt lisse de toute manière. Il y avait de temps en temps des petites parois d'anciennes cascades à escalader, mais rien de plus que quelques mètres, et la roche offrait suffisamment d'appuis stables. Tant qu'ils continuaient à remonter le lit de la rivière, ils devraient arriver suffisamment proche du sommet.
Eren regarda Livai grimper avec précaution, s'appuyant sur un arbuste qui avait poussé là, et se hissant facilement. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait ce genre d'escapades. Mikasa et Armin l'aurait accompagné dans son exploration s'ils avaient été là, mais il était content que ce soit Livai avec lui ce soir. Le faire de nuit ajoutait un charme supplémentaire. Eren sourit et accepta la main que lui tendait Livai.
Après une dizaine de minutes supplémentaires de marche, le lit de la rivière se réduisit à un trou dans la paroi et ils durent se frayer un chemin sous les arbres. Il y avait un peu plus de végétation par ici, un peu moins de lumière. À un moment, Eren jura sentir quelque chose lui frôler la cheville.
Ils finirent par déboucher tout en haut de la falaise, une vue absolument magnifique les accueillait. La lune éclairait le désert s'étendant à perte de vue, Zeiad sur le côté à gauche, et la cascade un peu plus bas sous eux. Ça valait clairement le coup d'être monté jusqu'ici.
Eren trouva un rocher à peu près plat sous un arbre et s'y installa, rapidement rejoint par Livai. Ils pouvaient voir le reste des habitants ramasser leurs affaires pour rentrer au village, n'entendant que des vagues éclats de voix d'ici. Leurs lanternes n'étaient que des points lumineux.
Quelque part au Sud-Ouest, du vent soufflait sur le désert, pas assez fort pour être inquiétant. C'était là bas qu'ils iraient demain. Et bien plus loin, c'était également là-bas que s'était trouvé Mitras.
Eren passa une main distraite dans son dos, n'atteignant pas tout à fait la marque de la Sina.
"La première fois qu'un alpha est venu dans ma chambre, je n'ai rien fait. Je n'ai pas essayé de fuir ou de crier. J'étais comme… paralysé," murmura-t-il sans prévenir.
Il sentit le regard de Livai se tourner vers lui mais il garda les yeux fixés sur les dunes devant lui. "C'était très étrange comme sensation, j'avais presque l'impression que ce n'était pas à moi que ça arrivait."
"Tu n'es pas obligé de me raconter tu sais," le coupa Livai avec douceur.
"Je sais."
Il ne savait pas pourquoi il avait commencé à parler de ça. Il n'avait pas l'habitude d'aborder le sujet : certaines personnes savaient plus ou moins ce qu'il s'était passé, devinaient ce qu'il ne disait pas, et ça s'arrêtait là. La plupart des omégas au Fi Malja n'avaient pas envie d'aborder le sujet.
Eren continua de fixer les dunes au loin. Les cigales chantaient autour d'eux, une légère brise agitait tranquillement les feuilles des arbres, apportant une odeur d'été.
"La deuxième fois, je me suis tellement débattu qu'il m'a cogné la tête contre le mur jusqu'à ce que je sois inconscient," reprit-il. "J'ai vite appris que j'aurais moins mal si j'arrêtais de résister."
Ses souvenirs remontaient à la surface, plus vifs et sûrement plus exacts que dans ses cauchemars. L'odeur de sa petite chambre pourrie, de la sueur et des phéromones alphas remplaçait rapidement celle des arbres et du désert. La main de Livai vint chercher la sienne et Eren leva les yeux. Il aurait pu se perdre dans son regard.
"J'avais quatorze ans quand Maria a été envahie, et seize quand mes parents ont été assassinés. Ils ont envoyé Mikasa dans un camp de travail, et moi dans un bordel à Mitras." Il se força à prendre une grande inspiration pour calmer son cœur qui s'affolait dans sa poitrine. "La… la première semaine… C'était atroce. Je ne pensais pas qu'on pouvait haïr d'autres êtres humains à ce point. On ne leur avait rien fait, alors pourquoi ? J'ai vu des choses… c'était absolument..." Inhumain. Il préférait ne jamais en parler. Il ne saurait même pas quels mots il pourrait employer pour décrire ce qu'il avait vu.
Livai ne l'interrompit pas, mais il lui donna une petite pression de la main et Eren sentit une vague de chaleur le parcourir.
"Je crois qu'on s'y habitue. Au début ça fait très mal. J'ai continué de me défendre les deux premières semaines. J'étais persuadé que je n'arrêterais jamais de résister. Ça m'a valu ça," murmura-t-il en désignant son dos.
Ça faisait bizarre. Il avait l'impression que cette voix qu'il entendait n'était pas la sienne. Elle paraissait trop détachée. Comme s'il n'avait pas vécu l'horreur.
"Et puis le temps passe. On arrête de lutter, on se contente de survivre. La douleur physique ne disparaît pas mais elle s'estompe. La douleur mentale par contre, je ne sais pas si on peut jamais s'en défaire. Quand on t'utilise comme si tu n'avais rien d'humain, tu finis par le croire."
Eren s'arrêta. Une chouette hulula au loin, imperméable aux drames qui s'étaient et continuaient de se dérouler dans le monde des humains.
"Les jours de repos, les soldats défilaient sans interruption," continua-t-il dans un souffle, "à la fin de la journée, on était tous en sang." Eren avala sa salive, essayant de faire abstraction de la boule dans sa gorge. "Putain, c'est plus dur que ce que je croyais…" avoua-t-il à voix haute, un petit rire nerveux s'échappant de ses lèvres.
"Il y a eu un moment où j'ai abandonné. J'ai même pensé à prendre ma vie mais on n'avait… on n'avait pas d'armes, rien. Je me suis laissé mourir. Il a fallu qu'Isabel arrive au camp pour que je sorte de cet état."
Ses yeux commencèrent à le piquer, mais c'était le sable.
"Elle était comme moi au début. Pleine de vie et de colère. Mais ils n'ont pas réussi à la briser, elle."
Respire Eren. Fais une pause.
"Elle… Elle est tombée enceinte, et elle savait que s'ils le- s'ils le découvraient, ils la tueraient. C'est ce qui est arrivé à Dilraba..." S'il ne s'arrêtait pas tout de suite, il savait qu'il ne parviendrait pas à retenir les larmes, mais il ne voulait pas s'arrêter. Comment ce genre de personne pouvait-il exister en toute impunité ?! "Ils ont éventré Dilraba devant nous, sorti son bébé de son ventre et l'ont- ils l'ont empalé sous ses yeux," continua-t-il en essuyant ses yeux mais les larmes ne s'arrêtaient plus. "Comment peut-on éprouver autant- autant de haine ?"
Les étoiles au-dessus d'eux n'étaient plus que des points scintillants brouillés par l'eau brûlante dans ses yeux.
Il n'osait pas regarder Livai en face, mais il sentait celui-ci hésiter à ses côtés.
"Eren," murmura-t-il, et il n'en fallut pas plus pour que tous ses remparts ne cèdent.
"J'ai voulu- j'ai voulu aider Isabel alors que je savais- je savais très bien que je n'étais pas encore prêt !" hoqueta-t-il en enfouissant les mains dans ses cheveux, cherchant désespérément quelque chose auquel s'accrocher. "Mais j'étais- j'étais terrifié ! Et c'est- c'est- c'est ma faute si elle est- si elle est m-morte !"
"Eren, calme-toi," intervint doucement Livai, et il le sentit poser une main sur son épaule.
"J'e-J'essaie ! Mais je n'y- je n'y arrive pas !" s'exclama-t-il.
Quelque part dans sa tête, il savait que c'était du passé, qu'il avait eu le temps de faire son deuil. En parler maintenant n'aurait pas dû déclencher une telle réaction. Et pourtant… et pourtant il avait… Il les avait tu-
Livai lui attrapa la main et la guida délicatement jusqu'à sa poitrine.
"Respire avec moi."
Les mots familiers le firent reprendre pied. Il essaya d'inspirer profondément à travers les sanglots, puis une deuxième, puis une troisième de manière un peu moins saccadée. Il voyait l'oasis en bas, il voyait les dunes, il voyait la poitrine de Livai se soulever régulièrement. Il pouvait sentir l'odeur du sable.
Ils restèrent comme ça de longues minutes, jusqu'à ce qu'Eren prenne une dernière grande inspiration et ne se laisse tomber en arrière, le regard tourné vers les étoiles sans les voir. L'agitation l'avait quittée, remplacée par du vide, et une tristesse infinie. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas pleuré comme ça.
"Je les ai tous- tous tués, Livai," finit-il par dire, "Je me suis trompé dans le dessin du talisman protecteur... C'était censé repousser la magie noire, mais ça l'a canalisé à la place. En y repensant, j'étais naïf de penser que je pouvais contrôler une telle- une telle énergie avec seulement de vagues souvenirs des grimoires de mon père et un peu d'entraînement…"
Il repensa au symbole qu'il avait dessiné sur l'avant-bras de tous les omégas du bordel. Ce symbole pas si différent de celui qu'il avait tracé sur la main de Farhad deux semaines plus tôt. Comme si une pauvre croix recourbée pouvait repousser la magie noire…
"Et… les soldats ?" hésita Livai.
Pourquoi fallait-il qu'il pose toujours les bonnes questions.
"Tous morts aussi. C'est comme ça que j'ai pu m'échapper."
Même si les talismans censés être protecteurs n'avaient pas attiré la magie noire, tous les omégas seraient morts comme les soldat. Ce n'était pas spécialement ça qui les avait tué. Mais ça ne les avait pas sauvé de la vague dévastatrice qu'Eren avait lancé non plus. Il s'était mal rappelé du livre de son père : la réalité, c'était qu'aucun talisman ne pouvait repousser la magie noire à ce moment.
"Tu regrettes ?" répondit simplement Livai, et Eren n'arrivait pas à croire qu'il lui demande ça. Il n'avait donc rien écouté ?
"Bien sûr que je regrette ! Je les ai tous tués ! J'ai tué Isabel !" s'exclama-t-il en se redressant un peu trop vite.
"Tu sais très bien ce qui serait arrivé si tu n'avais pas agi," rétorqua Livai, et il n'avait pas besoin de lui rappeler, il avait déjà passé des centaines de nuits à y réfléchir. Isabel aurait été tuée avec son enfant. Eren aurait fini par mourir dans cet endroit lui aussi, ainsi que tous les omégas prisonniers, et tous les autres qui auraient été amenés après sa mort. Livai esquissa un sourire triste. "Tu as pris un pari, et tu l'as perdu. Sauf qu'il n'y avait rien à perdre."
Eren serra la mâchoire. Livai avait raison. Il n'avait que seize ans quand il avait fait ce pari, mais il n'avait déjà plus rien à perdre. Il n'avait rien à perdre, mais beaucoup à gagner.
Et puis il avait perdu son pari. Et ça l'avait dévasté.
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Ils mirent une heure à retrouver le chemin.
o O o
Deux jours plus tard…
Le soleil disparaissait derrière l'horizon, l'ombre recouvrant désormais toute l'oasis d'Ishka. Les derniers rayons de soleil s'effacèrent et une brise secoua la toile des tentes. Tout était calme, personne ne sembla remarquer les deux silhouettes en haut de l'immense dune surplombant le campement.
Des gouttes de sang coulaient le long de l'avant-bras d'Eren, et quand elles tombèrent sur le talisman tracé au sol, un immense cercle rouge s'illumina tout autour du camp militaire. Il lui avait fallu le sang de trois sentinelles pour couvrir toute cette surface.
Ça avait été trop facile. Ils étaient tous persuadés que leur ennemi était l'armée de Rose encore à une semaine de marche d'ici, sans se douter que la Faucheuse les guettait dans l'ombre.
Les premiers à remarquer la lueur qui les encerclait furent les gardes qui jouaient aux cartes près du feu. L'un d'entre leva la tête et ses yeux s'écarquillèrent quand il vit les nuées d'énergie négative s'approcher de tous les côtés au-dessus de leur tête. Un silence non naturel plana sur l'oasis une seconde avant que la tempête de magie noire ne s'abatte sur eux.
Eren se concentra sur la douleur dans son bras, insensible aux hurlements dans la vallée sous eux. S'il commençait à éprouver de la pitié, la magie noire se retournerait contre lui. Il jeta un coup d'œil à Livai, vérifiant qu'il n'était pas affecté. Son énergie était censée rester à l'intérieur du cercle et Livai avait toujours sa bague mais mieux valait rester prudent.
Des soldats sortaient de leur tentes en panique, se traînant au sol de douleur, essayant d'attraper leurs armes ou de retrouver leurs amis, et Eren appuya un peu plus sur son bras blessé, grimaçant quand il sentit la douleur lui percer tout le corps.
Il ne pouvait pas les épargner, mais il pouvait au moins abréger leur souffrance en accélérant le processus. Tous ceux qui réussissaient encore à bouger s'effondrèrent, terrassés, et Eren crispa une main sur sa poitrine. Ça lui avait demandé plus d'énergie que ce qu'il aurait crû.
Une main se posa sur son épaule, l'obligeant à détourner le regard.
"Ca suffira, je m'occupe du reste," affirma Livai et Eren s'assit avec précaution sur le sable pendant qu'il allait achever à l'épée les quelques soldats qui avaient réussi à sortir du cercle avant la deuxième vague.
Il se força à respirer lentement, repoussant la sensation de magie noire remontant sa poitrine pour l'étouffer. C'était comme si son énergie spirituelle se battait pour ne pas se faire aspirer. Et peut-être que c'était le cas. Merde.
o O o
Ils mirent plus d'une heure à revenir à Ramsar, une petite ville à seulement quelques kilomètres. Malgré lui avoir assuré tenir le coup, Eren avait failli tomber de cheval à peine dix minutes plus tard. Livai avait préféré monter avec lui après ça et il avait eu raison : Eren tenait à peine droit, s'appuyant contre lui pour ne pas s'affaler sur son cheval. Livai lui avait jeté un coup d'œil inquiet quand il avait fermé les yeux mais Eren l'avait rassuré en lui expliquant qu'il était simplement fatigué.
Livai étouffa un soupir de soulagement quand ils s'arrêtèrent enfin à l'entrée du campement. Il aida Eren à descendre pendant que la chef du groupe, accompagnée d'un jeune homme, récupérait les rênes de leurs chevaux.
"Tout s'est bien passé ?" demanda-t-elle en regardant Eren d'un air inquiet et celui-ci secoua une main d'un geste rassurant.
"Aussi bien que possible."
Tu parles.
"Il a juste besoin de repos."
"Et d'eau chaude," ajouta Eren et la femme acquiesça avant de les ramener vers la tente qu'on leur avait attribuée, et dans laquelle ils avaient déjà posé toutes leurs affaires plus tôt.
Eren lutta pour ne pas s'endormir le temps de boire un thé d'apparence plus que douteuse et le verre était à peine fini qu'il s'était écroulé sur le matelas. Livai remit quelques couvertures supplémentaires sur lui et alla s'installer à la petite table basse à côté. Les pouvoirs d'Eren étaient bien plus impressionnants que tout ce qu'il s'était imaginé, et Livai craignait les conséquences. Personne n'utilisait la magie noire comme ça sans en payer le prix.
o
Eren regardait Livai écrire sans un bruit. Il ne savait pas si celui-ci s'était rendu compte qu'il était réveillé, mais il était content de pouvoir l'observer tranquillement.
La bougie de cire l'éclairait de sa douce lueur orangée et donnait à la scène un air paisible. Il voulait continuer de profiter de ce genre de moments.
"L'armée de Rose devrait arriver à Shiganshina dans moins de deux semaines," murmura Eren et Livai se tourna vers lui, "et ça devrait leur prendre au moins une autre pour prendre la ville si tout se passe bien. Plusieurs mois si ça se passe mal."
Livai repoussa la chandelle loin de ses papiers et le rejoignit, s'asseyant à ses côtés.
"Comment tu te sens ?" demanda-t-il en scrutant son visage, mais Eren pensait à autre chose.
"Qu'est-ce que tu feras à ce moment-là ?" demanda-t-il et Livai soupira avant de baisser les yeux sur le tapis.
"Je ne sais pas encore," répondit-il simplement.
Eren se redressa avec difficulté avant de finalement réussir à s'asseoir en tailleurs.
Même si Livai ne l'avait pas dit à voix haute, Sina restait son pays, et l'armée sa vie. Alors bien sûr, il n'était pas toujours d'accord avec elle, encore plus depuis qu'il était arrivé à Maria, mais ça ne voulait pas dire qu'il voulait la quitter pour autant. Si on ajoutait la dette qu'il ressentait encore envers Erwin… Si l'armée sinayenne rentrait au pays, il y avait de fortes chances pour que Livai la suive.
Eren voulut sourire quand il saisit délicatement les mains de Livai, mais il savait que ça sonnait faux.
"Il n'y a pas de mots pour traduire 'Lastoli Lanya' en Sinayen," annonça doucement Eren. "Le plus proche de 'Lastoli' serait quelque chose comme 'solitude', 'vide' ou peut-être 'manque'… Mais c'est un mot qui ne s'applique qu'à l'âme. Quelque chose -ici de l'énergie spirituelle- qu'on devrait avoir mais dont l'absence nous dérange sans qu'on sache pourquoi. 'Lanya' c'est le fait de retrouver son chemin, de combler le vide si tu préfères. D'où le 'Lastoli Lanya' qui permet de donner de l'énergie spirituelle."
"Lastoli," répéta Livai en plantant ses yeux droits dans les siens.
Eren maintint le regard. Il pouvait sentir ses mains chaudes dans les siennes, l'odeur de la bougie, la nuit au-dessus de leur tente faiblement éclairée. Ça valait le coup d'essayer, pensa-t-il en complétant l'incantation.
"Lanya."
Comme si elle n'attendait que ça, un flot d'énergie spirituelle afflua au bout de ses doigts, attirée par Livai. Il sentit un changement dans l'air, mais il ne voulait pas détourner le regard une seule seconde.
C'était différent de tout ce qu'il avait vécu jusque-là. Eren avait déjà été des deux côtés de ce sort mais ça n'avait absolument rien à voir. Il ne donnait pas de l'énergie à Livai, mais il n'en recevait pas non plus. C'était plutôt comme si leurs énergies dansaient ensemble, les entourant presque de manière… joyeuse, réparant les dommages infligés par la magie noire. Eren laissa échapper un vrai sourire cette fois alors que l'énergie finissait par retomber tranquillement autour d'eux.
Son cœur battait un peu plus fort, mais ce n'était pas de peur. Pas même de nervosité. Il ne voulait jamais se séparer de cette sensation.
La lumière de la chandelle éclairait les traits fins de Livai de sa douce lueur. Les yeux d'Eren se fermèrent tous seuls, et il se laissa aller. Leurs fronts reposaient désormais l'un contre l'autre, comme une promesse. À cet instant, il lui semblait impossible que ses cauchemars refassent surface.
"Livai… si jamais tu veux rester, tu as une place au Fi Malja."
Livai ne décolla pas son front, ses cils frémirent à peine.
"Je sais," murmura-t-il, son souffle venant lui effleurer la peau.
Il sentit le poignet de Livai se détendre entre ses doigts, puis la caresse d'une joue contre la sienne. Eren inclina légèrement la tête et réunit leurs lèvres. Ce n'était au début qu'un effleurement, et il sentit Livai expirer contre sa peau avant que leurs bouches ne s'écrasent l'une contre l'autre. Une main vint se déposer sur son cou, encourageante mais légère, ne l'empêchant à aucun moment de reculer. Il enfouit à son tour une main dans les cheveux de Livai et les lèvres de ce dernier s'entrouvrirent un peu plus. Il n'avait jamais été embrassé comme ça, avec autant de tendresse, de passion.
Son énergie spirituelle réafflua, s'échappant du bout de ses doigts, et il sentit celle de Livai répondre à l'appel. Comme une douce lumière, elles les enveloppaient, les protégeaient du monde extérieur.
À ce moment, une chose était sûre, pensa Eren quand ils s'écartèrent enfin, il ne voulait pas que Livai parte.
"Alors reste."
o O o
"Encore une ?" demanda Mikasa en saisissant la belle de jour que lui tendait Soraya.
"Plus y en a, mieux c'est."
"Je suis pas sûre de réussir à tout faire tenir," prévint-elle mais Soraya la sentit glisser la fleur dans sa tresse sans difficulté.
Ça faisait plus d'une demi-heure que Mikasa lui tressait les cheveux et les adornait des fleurs que Soraya lui passait, mais celle-ci n'était pas pressée de s'arrêter. La brise qui balayait l'arrière cour était très agréable mais tous les autres avaient préféré rester à l'intérieur. Ça faisait cinq jours qu'Eren était parti. N'importe qui de raisonnable aurait au moins pris une journée de pause à Ramsar, mais Mikasa lui avait assuré qu'à moins d'un problème sur la route, Eren serait de retour le lendemain. Tout le monde ici savait que le plus tôt il serait rentré, le mieux.
Des éclats de voix parvinrent soudain de l'intérieur du Fi Malja, et les deux jeunes femmes échangèrent un regard avant de se lever pour voir ce qu'il se passait. Soraya était à peine rentrée à l'intérieur qu'Elena arriva dans le couloir, s'arrêtant à peine en les voyant.
"Ils vont exécuter Hannes !" s'écria-t-elle et en quelques secondes, elles étaient dehors, suivant les gens qui se précipitaient vers la grande place. La plupart des fleurs dans ses cheveux étaient tombées quand elles arrivèrent enfin en vue de l'échafaud, et une foule criante s'était formée tout autour. Au centre se tenaient trois soldats, et un prisonnier qui ne pouvait être qu'Hannes. Elle ne l'avait jamais rencontré, mais elle savait qu'il avait sauvé la vie de Mikasa quand elle était jeune, et qu'il était un de leurs plus proches amis au sein de la Résistance. Elle n'était même pas au courant qu'il avait été arrêté, mais d'après le visage de Mikasa, elle non plus n'en avait pas eu la moindre idée. Et maintenant…
"Mikasa !"
Les deux jeunes femmes se retournèrent en voyant Jean se frayer un chemin vers elles.
"Elena et tes potes sont là-bas," l'informa-t-il en désignant un coin un peu à l'écart, et Soraya aperçut un groupe d'une vingtaine de personnes parlant à voix basse. "Je n'ai pas vu Armin."
"Je vais les rejoindre," s'exclama Mikasa avant de se tourner vers elle, "reste ici avec Jean. Au moindre signe de grabuge, vous rentrez au Fi Malja."
Soraya lui attrapa le bras avant qu'elle ne puisse s'éloigner.
"Vous ne pourrez pas empêcher l'exécution."
"Je dois essayer, Soraya," répondit-elle et Soraya sentit la peur lui prendre la gorge.
"Fais attention," murmura-t-elle, parce qu'elle savait qu'elle ne parviendrait pas à la dissuader, et les yeux de Mikasa s'adoucirent.
"Je te le promets," répondit-elle en lui embrassant le front avant de s'enfoncer dans la foule.
"Dispersez-vous !", un officier sinayen cria à la foule, mais personne ne bougea. Au contraire, toujours plus de monde affluait.
"Libérez Hannes !"
"C'est mon dernier avertissement, dispersez-vous ou nous attaquerons!"
La foule en colère commençait à crier de plus en plus fort et les soldats sinayens la repoussaient avec de plus en plus de difficulté.
"Ils ne sont pas tous de la Résistance, si ?" demanda Soraya à Jean qui surveillait la foule du regard, s'attardant légèrement sur ses amis.
"Il n'y a pas besoin d'être résistant pour montrer sa colère. Hannes est quelqu'un de très respecté."
"Rentrez chez vous, blankinas !"
Soraya ne vit pas la personne qui lança la pierre, mais elle atteignit un soldat sinayen en pleine tempe. Les cris de colère s'intensifièrent, un ordre fut donné… Les soldats sortirent leur épée, transperçant chacun la personne la plus proche.
.
C'était leur deuxième jour de trajet depuis Ishka, cinquième depuis qu'ils avaient quitté Shiganshina, et Eren pouvait assurer qu'il ne repartirait pas en voyage de sitôt. Il ne sentait plus sdepuis un bon moment déjà. Il n'avait pas voulu traîner à Ramsar, repartant dès le lendemain de son petit coup de Faucheuse, après avoir assuré au village entier qu'il était de nouveau en pleine forme. N'importe qui le regardant plus de deux secondes pouvait savoir qu'il mentait, mais il se sentait presque bien maintenant. Et au moins il était suffisamment en forme pour parler avec Livai.
"Après m'être enfui de Mitras, je me suis entraîné à la magie noire pendant quelques mois, puis j'ai rejoint la Résistance grâce à Armin. J'ai mis deux ans à retrouver Mikasa : elle avait été envoyée dans un camp de travail au nord de Karanese."
"Tu n'es plus dans la Résistance ?"
"Disons que je ne suis plus vraiment dans la branche principale… je garde en contact pour savoir quand frapper avec la Faucheuse, et je continue de leur filer plein de talismans. C'est juste que je voulais que quelqu'un se charge des maisons de réconfort, et ce n'était clairement pas leur priorité. Plus, ils n'aimaient pas la magie noire," continua Eren en se redressant un peu sur son cheval, "ce qui peut être compréhensible, même s'ils sont bien contents maintenant."
"Ils savent que c'est toi la Faucheuse ?"
"Non. Juste quelques personnes de confiance, Armin, Darya, Mikasa…Ce serait trop dangereux autrement, il y a des traîtres qui essaient de s'infiltrer," répliqua Eren en le regardant de haut en bas. Livai haussa un sourcil, pas impressionné.
"Comme si tu ne m'avais pas littéralement avoué être la Faucheuse un mois après qu'on se soit rencontré," rétorqua Livai.
Certes.
Non seulement il ne pouvait rien répondre à ça, mais Livai avait l'air beaucoup trop à l'aise sur son cheval, c'en était rageant. Il ne semblait même pas avoir mal au dos, se tenant bien droit comme les cinq jours précédents.
"Le premier arrivé en haut de la dune a gagné ?" proposa Eren dans un élan de mauvaise idée.
"On devrait plutôt ménager nos montures," répondit-il, parce que Livai était quelqu'un qui faisait semblant d'être raisonnable. Alors qu'en vrai, Eren était presque sûr qu'il avait autant envie que lui, ou alors il avait juste la flemme.
"Aller, Zeiad est juste derrière !" se défendit Eren avant de partir au galop.
Livai se contenta de le regarder de loin, parce que franchement, il avait la flemme. Eren s'était lancé au galop sans attendre, le vent dans les cheveux, un grand sourire aux lèvres… On pouvait presque oublier le piteux état dans lequel il s'était retrouvé deux nuits auparavant.
Cet idiot ne s'était même pas encore rendu compte qu'il ne le suivait pas dans sa course. Livai ne savait pas où il trouvait son énergie, parce que de son côté, tous les membres de son corps étaient au point mort. Il ne parlait même pas de l'état de son dos.
Eren atteignit facilement le haut de la dune, mais au lieu de se retourner pour célébrer sa victoire, Livai le vit se figer. Il fronça les sourcils et poussa un peu sa jument pour le rattraper.
"Qu'est-ce qu'il y-"
Livai s'arrêta net.
Il n'y avait que des ruines. À la place du village de Dasten, il n'y avait plus que des ruines et des cadavres au pied de la dune. La moitié des maisons avaient été brûlées, et le sol était teint en rouge.
Eren lui jeta un regard angoissé avant de se lancer dans la descente.
"Il y a peut-être des survivants !"
En bas, l'odeur du sang et des cendres était encore forte. Ils attachèrent leurs chevaux à un arbre et posèrent pied à terre. Ils sortirent chacun leur épée, mais vu l'état des corps, ceux qui avaient fait ça devaient être bien loins maintenant.
Livai ramassa un talisman déchiré au sol, confirmant ses soupçons. C'était clairement un talisman de l'armée sinayenne.
Ils échangèrent un regard et se séparèrent.
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Tout le monde criait autour de Soraya, tout le monde fuyait, la bousculant, la séparant de Jean.
"Mikasa !" appela-t-elle, avant de trébucher.
Au sol, tout paraissait cent fois pire. La poussière lui rentrait dans la bouche, des gens lui rentraient dedans, lui tombaient dessus. Elle essayait de se protéger le visage, elle n'arrivait pas à se remettre debout-
"Lève-toi !" lui cria Jean en la saisissant par le bras et la redressant.
Soraya prit une grande inspiration au milieu des cris.
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Eren porta deux doigts au cou d'un femme étendue sur la route. Elle non plus ne respirait pas. La personne suivante non plus, ni celle d'après. Il y avait des chariots renversés, des voiles arrachés. La plupart des villageois avaient clairement été en train de fuir quand on leur avait tranché la gorge.
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Tout le monde ne fuyait pas. À travers la foule, Soraya pouvait voir un petit groupe de personnes se battre. Et parmi eux, il y avait Mikasa.
"Mikas-"
Jean la tira violemment par le bras.
"On doit fuir !"
Quelqu'un devant ramassa une pierre et la lança sur un soldat.
"Il faut aller les aider!" rétorqua Soraya mais Jean secoua la tête.
"Tu ne sais pas te battre!"
La personne qui avait lancé la pierre se fit transpercer par une épée.
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Les maisons étaient toutes dans le même état, les meubles renversés, les corps gisant au sol. Les unes après les autres, elles n'offraient que le spectacle morbide de corps sans vie. Eren vit une adolescente avec une pierre dans la main. Son corps avait été transpercé.
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Les cris l'entouraient de toute part, et Soraya peinait à apercevoir ce qui se passait devant l'estrade alors que Jean continuait de la tirer en arrière.
"MIKASA !"
Un père de famille essayant de protéger ses enfants, une grand-mère recroquevillée dans un coin. Eren hésita avant d'entrer dans la dernière maison, celle avec des belles de jours fanées devant la fenêtre.
"Elle va s'en sortir, mais il faut d'abord se mettre en sécurité !" cria Jean alors qu'ils continuaient de se faire bousculer par les personnes qui fuyaient. Soraya aperçut enfin Mikasa, entourée par au moins cinq soldats.
Juste avant qu'elle ne reçoive un talisman en pleine tête.
"NON !" s'écria-t-elle en écarquillant les yeux, alors que Mikasa tombait au sol, assommée. "NON MIKASA ! Ils l'ont eu Jean, ils l'ont eu, lâche-moi !" se débattit-elle et la poigne autour de son bras se relâcha un instant avant de se raffermir aussitôt.
"Tu ne peux rien faire pour elle !" lui hurla Jean alors qu'un soldat s'éloignait avec Mikasa par-dessus son épaule, pendant que le reste continuait d'essayer de repousser l'émeute, mais Soraya ne voulait pas l'écouter. Une belle de jour tomba de ses cheveux.
"Lâche-moi Jean, on peut encore aller la sauver !"
"On ne peut pas !" répondit-il et il semblait presque aussi désespéré qu'elle, alors pourquoi, pourquoi est-ce qu'il continuait de la tirer en arrière?! Elle ne réalisa qu'on lui avait plaqué un bout de papier sur le dos que lorsque sa vue devint trouble, et un engourdissement remonta le long de sa poitrine.
"Mikasa…", souffla-t-elle, puis les cris autour d'elle s'évanouirent, et tout fut noir.
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Eren se dirigea droit sur son cheval, apercevant à peine Livai qui le rejoignait.
"Tu as trouvé quelqu'un ?" demanda sombrement Livai et Eren secoua la tête, lui tendant simplement le morceau de chiffon qu'il avait en main.
"Partons d'ici," dit-il simplement en enfourchant sa jument.
Il ne regarda pas le visage de Livai se fermer, le poing serré autour d'Isabel.
À suivre…
Alors, qu'avez vous le plus aimé ? Les talismans débiles qu'Eren apprend à Leyan (rip), la baignade à la cascade, le passé d'Eren, the Kiss, la fin croisée Eren/Soraya ? Aucun d'entre eux ? Merci d'avoir lu jusque là et à la prochaine
