13 octobre
Le ou la mauvais(e) (Wrong (…))
Lune & Guzma (Ultra-Soleil/Ultra-Lune)
Lune se rendait parfois dans l'ancien repère de l'ancienne Team Skull, à Kokohio, pour remettre les maisons en état.
Les Doyens et les Capitaines pouvaient s'en occuper, et ils le feraient un jour sans doute, mais elle était le Maître. Fût-elle âgée de onze ans, il en allait de sa responsabilité d'essayer de rendre la vie des humains et des Pokémons meilleure.
Elle ne faisait pas tant de travail que ça. Tout juste balayait-elle un peu le sol, redressait les meubles qui étaient tombés et rangeait les affaires dispersés partout. Avec l'aide de ses Pokémons, évidemment. Quand on devait remettre debout des commodes, la participation d'un Lougaroc était plutôt appréciable.
Il pleuvait constamment dehors et, à chaque fois, son moment préféré entre le début et la fin des tâches était de s'asseoir dans une demeure vide pour boire des punch sans alcool d'Alola, conservés dans une bouteille en bois. Ses Pokémons s'installaient autour d'elle en mangeant des fèves et le moment était parfait.
Un jour, elle vit quelqu'un entrer dans la maison qu'elle venait de nettoyer. En ce qui la concernait, elle était assise sur le plancher de celle d'en face et elle n'avait vraiment pas envie de bouger. Ce ne pouvait pas être quelqu'un de si dangereux, de toute façon, et après avoir survécu aux manigances d'Elsa-Mina et les voyages dans les Ultra-Dimensions, elle pouvait bien supporter un humain normal qui lui chercherait des ennuis. Eh oui, le risque était un peu plus grand quand on traînait à Kokohio, ville pillée et désertée.
Les cheveux blancs hirsutes qu'elle distinguait à travers la vitre crasseuse lui étaient plutôt familiers. Montravel le Lougaroc s'approcha des carreaux, pour voir, et ce mouvement poussa l'intrus à se tourner vers la baraque. Il rejoignit l'entrée, ouvrit la porte et pénétra à l'intérieur. Les mains sur les hanches, il dévisagea Lune avec un rictus au coin des lèvres et lâcha :
« Place au Boss que tout le monde déteste. Celui qui adore éclater des têtes. Bling-bling et sapes de marques. C'est Guzma qui débarque !
-Bonjour, Guzma, répondit la jeune fille en levant sa gourde de punch devant son visage. Vous en voulez ?
-Tss, une boisson aseptisée de chochotte, je parie. Tu n'aurais pas quelque chose d'un peu plus fort ?
-Non. Sauf si vous aimez les fèves pour Pokémons. »
Lune écarta ses affaires, son sac, son chapeau, et invita l'ancien boss de la Team Skull à s'asseoir près d'elle. Il le fit et elle lui tendit sa seconde bouteille en bois, toujours sans alcool – pour les grosses soifs. Guzma n'était pas vraiment son ami, il avait même été une personne à vaincre durant son aventure, ses sbires semant la zizanie sur les quatre îles, volant les Pokémons des autres.
Cependant, la Team Skull avait été dissoute. Guzma portait même une tête de mort barrée sur sa veste. Lune n'était pas très sûre que c'était une bonne chose, pour lui, et elle l'aimait bien maintenant. Elle avait envie de faire quelque chose pour lui mais elle ne savait pas quoi, alors elle se contenta d'attendre en grignotant des chocolats qu'elle avait apportés.
« Vous ne voulez pas faire sortir votre Sarmouraï ? demanda-t-elle soudain. Les Pokémons sont toujours d'un grand réconfort…
-Qu'est-ce qui te dit que j'ai besoin de réconfort, la mioche ? répliqua Guzma en attrapant nerveusement un chocolat dans sa boîte. Je ne t'ai pas demandé de projeter des insécurités de gamine sur moi. Chuis pas ta nounou !
-Ça veut dire non ? poursuivit Lune sans se démonter. J'aurais bien aimé le revoir, pourtant. Ainsi que Maskadra. »
Le roublard émit un reniflement de mépris et finit par faire sortir ses deux monstres de leurs pokéballs. L'équipe du Maître les accueillit par des cris et des roucoulements; elle sourit et apprécia de les voir partager les fèves multicolores qu'elle leur avait données.
La présence de ses Pokémons sembla apaiser un peu Guzma, comme elle l'avait prédit. Il cessa de donner des coups de talons, sans doute inféodés au rythme d'une musique rap qu'il avait dans la tête, dans le parquet et se tourna vers elle pour demander :
« Bon, et je peux savoir ce que tu fabriques à Kokohio ? Ce n'est pas pour l'ambiance veloutée ou la beauté de l'architecture, je me trompe ?
-Hum, fit Lune en se retenant très fort pour ne pas lui rappeler que c'était de sa faute et celle de ses sbires si la ville était comme ça. C'est vrai que je préférerais qu'elle soit restée un endroit habité et paisible. Mais j'aime bien venir nettoyer de temps en temps.
-Tu essayes de dire que c'est de ma faute si c'est le bazar ? Ne pas être honnête, c'est la marque de fabrique de ceux qui ont rendu mes lascars tels qu'ils le sont aujourd'hui, tu sais.
-Eh bien, si vous insistez, oui, c'est concrètement à cause de vos actions si Kokohio est dans cet état. Je ne comprends pas vraiment pourquoi vous avez fait ça et, franchement, c'était une mauvaise façon de faire comprendre à Alola que vous existez.
-Tu peux pas piger, grinça Guzma en serrant la gourde si fort dans ses doigts qu'il en fit craquer le bois. Je parie que ta Maman t'attend bien gentiment dans ta jolie petite maison gentillette, pleine de fleurs, de la Route 1 ! Et ton père…
-C'est vrai, répondit Lune avec compassion car, à son âge, elle pouvait vaguement commencer à deviner où était le problème de Guzma. Enfin, pas pour mon père, je ne sais pas où il est. Mais écoutez… Peut-être que je pourrais ne pas remettre ces maisons en état pour rien. Peut-être que vous pourriez revenir ici, avec vos « lascars », mais de façon légale… Peut-être que les choses se passeront mieux pour eux et pour vous, cette fois... »
Guzma avait arrêté de s'acharner sur la pauvre bouteille de punch. Il n'avait pas quitté Lune des yeux de toute sa proposition, les paupières mi-closes. Maskadra s'était posé sur son épaule et se tenait enfoui dans son cou. Il cilla encore un court instant et puis, un sourire orna le coin de ses lèvres. Ce n'était plus un rictus moqueur comme quand il était entré dans la maison. Enfin, si, mais pas complètement.
Il finit d'un trait le reste de la bouteille de punch de Lune et la reposa brutalement en la claquant sur le sol, puis il lui tendit la main :
« Très bien ! s'exclama-t-il. Je ne pensais pas qu'on gagnerait grand-chose à avoir une môme comme premier Maître, mais tu es peut-être plus ambitieuse que tous les Capitaines d'Alola réunis. Je marche. Dis-moi juste quel canapé Sarmouraï et moi avons besoin de remettre en place. »
Lune lui décocha un sourire aussi grand que la distance entre l'astre du jour et celui du soir et prit sa main dans la sienne. Ses Pokémons même poussèrent des exclamations de joie. Jamais elle n'avait été aussi remplie de sérénité.
