«Monsieur Dumas?

- Ouais? répondit-il de surprise en faisant volte-face.

- Lieutenant Talbec et Brigadier Meulin, on vient prendre votre déclaration concernant l'accident de Magda Müller

- Ah, balbutia Antoine en ravalant sa salive. Ok… Enfin je comprends pas trop… Comme vous venez de dire, c'était un accident.

- Oui en effet. L'hôpital a déclaré une chute brutale sur le sol. Mais, libre à nous de déterminer si la victime est tombée seule ou non… Et en l'occurrence, vous étiez présent…

- Oui, on discutait et Magda s'est sentie mal. Elle a reculé mais s'est pris les pieds dans la table basse, voilà tout.

- Et de quoi discutiez-vous?

- De sa fille. C'est ma compagne et les deux ne s'entendent pas bien. Candice allait mal alors j'y suis allé pour éclaircir la situation.

- Et qu'avez-vous éclairci?

- Pas grand-chose justement! Magda est tombée peu de temps après que j'arrive.

- Et vous ne l'avez pas rattrapé?

- J'en ai pas eu le temps! s'agaça-t-il.

- Pas eu le temps… ou pas eu l'envie…?

- Je vous demande pardon?!

- Je ne sais pas. Vous vous rendez chez votre belle-mère avec qui les relations sont difficiles… Et comme par hasard, elle chute malencontreusement.

- Non mais ça va pas bien hein? Jamais je m'en serais pris à elle! C'est la mère de ma compagne! Sérieux… Puis si j'avais voulu lui faire du mal, je me serais barré sans appeler le samu, franchement!

- Sauf que vous êtes flic, non? Donc vous savez parfaitement comment les choses fonctionnent…

- Non mais c'est un cauchemar! souffla-t-il. Demandez-lui bon sang!

- Mais c'est ce qu'on va faire. On attend simplement l'accord du médecin pour l'approcher. En attendant, je vous demanderai de rester à distance.

- À distance de?

- De votre belle-mère. Bonne journée monsieur.

- C'est ça, grommela-t-il de nervosité

...

La blonde reprit ses esprits et avisa l'environnement autour d'elle. Plus de couloir sinistre et glaçant mais quatre murs étroits et obsédant. Ses yeux se fermèrent avant de s'ouvrir doucement, à l'instar d'une porte blanche face à elle.

«Ah… soupira de soulagement une infirmière. Ça va mieux?

- Euh… Oui… tenta Candice en quittant son fauteuil trop rapidement.

- Ouh là… Doucement… s'empressa l'infirmière en accourant à son chevet.

- Je… Je suis où là?

- Vous avez fait un léger malaise et vous êtes tombée de fatigue. Le médecin nous a demandé de vous placer dans ce box le temps que vous récupériez, expliqua-t-elle en déposant un plateau à sa gauche. Tenez, ça devrait faire du bien à votre corps ça…

Candice avisa une compote, un morceau de pain et des biscuits avant de fixer la brune devant elle.

- Mais je… Il est quelle heure?

- Presque 14h…

- Déjà!

- Hum, confirma-t-elle en acquiesçant face à son mutisme. Ça fait combien de temps que vous vous affamez comme ça?

- Je sais pas… Quelques repas peut-être…

- Et votre corps vient de vous dire stop. Il est fatigué et il demande d'être un peu moins malmené…

- La période est compliquée, c'est tout…

- Raison de plus pour faire attention à soi! Je vous laisse vous requinquer un peu, le médecin devrait pas tarder.

- Merci, sourit Candice en ouvrant sa compote. Et ma mère?

- Elle est réveillée. Tout va bien. »

Bon ce n'était clairement pas un repas 5 étoiles… Enfin, un plateau digne d'un hôpital quoi. Puis ce n'était pas une malade après tout. Elle était simplement une visiteuse un peu éprouvée par la situation… Pourtant, son estomac sembla la remercier pour la restauration. 4 repas… la blonde avait délibérément sauté 4 repas. Et l'épuisement s'accumulant, son corps avait eu raison d'elle, la punissant pour ces manquements à répétition. Soudain, la porte devant elle se rouvrit sur un médecin souriant.

«Alors? On reprend du poil de la bête?!

- Ouais… sourit-elle. Merci…

- Oh bah de rien! Vu votre état c'était plus prudent…

- Hum…

- Comment va ma mère alors ?

- Mieux! Elle s'est plainte du plateau repas qu'on lui a apporté…

- Ah, sourit-elle. Donc c'est que ça va, en effet!

- Oui… Elle sortira d'ici ce soir, normalement.

- Bien. Vous avez prévenu son compagnon?

- Elle n'a voulu prévenir personne. Elle s'est déclarée comme célibataire…

- Ah… balbutia-t-elle d'incompréhension. Ok…

- Les policiers l'ont interrogé tout à l'heure et attendaient votre réveil pour venir vous voir.

- Les policiers? Je…

- Simple question de routine. Quand vous avez fini, vous laissez le plateau sur le côté. Ils vont pas tarder. Et après, vous pourrez y aller.

- D'accord! Merci…

- Ah oui, j'oubliais… Y a votre mari qu'est super inquiet. On l'a laissé en salle d'attente mais, on a eu du mal à le faire s'assoir. Il a failli nous retourner le service! »

Candice acquiesça en se redressant alors que le médecin sortait de la pièce dans un sourire furtif. Décidément, la journée prenait une tournure des plus étonnantes… Éreintée, elle tenta d'attraper son portable dans son sac et constata ses messages manqués. Ses fils qui la questionnaient sur le mariage… Elle leva les yeux au ciel, esquivant la notification. Son oncle inquiet. Quelques mots rassurants et hop, ses yeux se posèrent sur le message de son compagnon, pourtant posté si peu loin d'elle. Un message rempli de culpabilité et d'excuses… À l'image d'un bonhomme qui piétinait dans une salle d'attente en turn over constant. Il avait vu les policiers s'engager dans le couloir avant d'être orientés vers la chambre de Magda. Puis rien… Le néant et l'attente interminable…

...

Un bruit sourd résonna sur la porte face à elle. Elle releva la tête, avalant rapidement le dernier morceau de biscuit qui trainait dans son paquet. Un «oui» étouffé s'entendit et deux officiers se laissaient apercevoir dans l'ouverture devant elle.

«Bonjour, le médecin nous a donné le feu vert pour entrer. On vient pour votre mère.

- Je vous en prie, lança-t-elle froidement.

- Bien. Donc on nous a déclaré une chute accidentelle. On se permet juste de vérifier les différents témoignages, pour être sûr que ce ne soit pas… déformé…

- Je veux bien mais je suis au courant de rien.

- Vous ne saviez pas que votre compagnon se rendait chez votre mère?

- Non… Je pensais qu'il avait quitté la ville.

- Pourquoi aurait-il quitté Valenciennes?

- Euh… Bah parce qu'on s'était disputés… C'est une période compliquée pour moi… Je… J'ai une relation compliquée avec ma mère. Je pensais qu'en revenant ici, j'apaiserai la situation mais visiblement non… J'imagine qu'Antoine a voulu lui parler et… elle est tombée voilà!

- C'est ce qu'il a déclaré oui.

- Voilà, donc tout va bien!

- Hum, hésita l'un des flics. Est-ce que vous diriez qu'il pourrait faire preuve d'impulsivité?

- Comment ça?

- Autrement dit, est-ce qu'il aurait déjà eu par le passé des accès de violence, vous concernant ou concernant quelqu'un de votre famille?

Choquée, Candice balbutia avant de sentir ses yeux s'embuer.

- Attendez… Vous êtes en train de me demander s'il m'a déjà frappé? s'offusqua-t-elle tremblante.

- Pas forcément mais, un geste brusque, une bousculade dans une dispute un peu forte…

- Mais jamais…

- Vous êtes sûre?

Dépitée, Candice rigola jaune et ravala ses larmes avant de se lever doucement de son siège.

- J'ai passé mon enfance à entendre ma mère pleurer sous les coups de mon père, donc oui, je suis certaine de reconnaître un homme incapable de violence. Sur ce, vous m'excusez, j'aimerais rentrer auprès des miens…

- Vous n'allez pas voir votre mère?

- Nan. Elle veut plus voir personne de toute façon, déclara-t-elle en se saisissant de la poignée de porte.

- Vous restez à disposition de la justice.

- Évidemment!»

La porte resta ouverte et Candice fit rapidement claquer ses talons sur le carrelage de ce couloir en ébullition. La blonde était désormais remplie de colère et de douleur. Ces derniers jours lui avaient fait comprendre que sa relation avec sa mère était irrécupérable. Son passé demeurait indélébile sur sa peau et son futur bientôt compromis par ses doutes qui la submergeaient… Chouette projet de vie, ironisa-t-elle alors que ses yeux se posaient sur un commissaire assis au milieu d'une salle vide. Penaud, le brun avait logé sa tête dans ses mains, probablement désespéré par l'ampleur de cette situation qu'il avait plus au moins causée. Soudain, ses oreilles furent alertées par la résonnance de talons qu'il ne connaissait que trop bien. Il releva la tête et aperçut sa compagne approcher doucement. Il quitta son siège et approcha hasardement pendant qu'elle réajustait son écharpe autour de son cou. Et désormais face à elle, le commissaire venait de perdre toute sa contenance, paniqué par l'idée de se manger une baffe monumentale. Mais Candice n'en avait pas l'énergie… Loin de là… Elle fixa son sac sur son épaule et posa les yeux sur lui.

«Ça va? osa-t-il timidement. On m'a dit que t'avais fait un malaise aussi, je…

- Ça va ouais, acquiesça-t-elle en sentant les larmes monter.

- Je suis désolé hein… Je voulais pas en arriver là je…

- T'inquiète pas, je suis habituée va…

- Candice…

- C'est rien, chuchota-t-elle en essuyant ses yeux rapidement.

- Oh, souffla-t-il d'émotion face à sa détresse. »

La blonde ne tarda pas à se loger dans ses bras rassurants, son seul repère dans cette situation qui s'envenimait dans un labyrinthe de complications. Et lui se contenta de l'enserrer en déposant de légers baisers sur son crâne.

«Je suis tellement désolée… Tout est de ma faute si on en est là aujourd'hui… Je suis désolée…

- Arrête… Ça va s'arranger, hein? Ça s'arrange toujours…

- Je… Je veux pas que tu aies d'ennuis à cause de moi.

- Mais j'en aurais pas! C'était un accident, Candice.

- Parce que tu crois que c'est ce qu'elle va dire? Elle me déteste! Elle fera tout pour me rendre aussi malheureuse qu'elle, Antoine…

- Mais je suis certain qu'elle y arrivera pas, ok? Tu me fais confiance?

- Oui mais…

- Mais rien! Alors on va aller manger un morceau, on va rentrer chez Paul et on va aviser, ok?

- J'ai pas faim…

- Eh bah tu vas te forcer! Allez! l'entraîna-t-il par les épaules vers la sortie malgré ses protestations. Je vais quand même pas te donner la becquée non?»

Et Candice réussit enfin à laisser apparaître un sourire sur son visage, bien calfeutrée dans les bras cet homme qui n'avait définitivement jamais fait preuve de quelconque violence envers elle. Alors certes l'appétit n'était pas encore présent mais Antoine avait raison, il fallait se forcer pour ne pas sombrer. Puis au moins il n'était pas parti… Malgré cette annonce précipitée il était encore là… Et malgré tout, il serait toujours là, souriait-elle en l'observant discrètement.