Le troisième jour de chevauchée en direction d'Isengard, le paysage commença à changer. Les terres jadis verdoyantes du Rohan s'effaçaient peu à peu, cédant la place à un décor plus sinistre et ravagé.

Au loin, des volutes de fumée noire s'élevaient dans le ciel, se mêlant aux nuages bas d'un gris morne. L'air portait une lourdeur inhabituelle, une moiteur étouffante qui pesait sur les épaules, rendant la chevauchée plus pesante à chaque lieue parcourue.

Le groupe de cavaliers avançait en silence, l'écho des sabots se répercutant sur la terre desséchée.

En tête chevauchait Théoden, le regard dur, droit sur sa monture comme le roi qu'il était, vêtu d'une armure que la lumière grise du jour rendait mate et austère. À ses côtés, Gandalf montait Gripoil, sa silhouette imposante drapée dans son manteau blanc, sa chevelure et sa barbe flottant légèrement sous la brise trouble qui soufflait depuis le nord.

Un peu en retrait, Aragorn et Calion chevauchaient côte à côte, leurs montures avançant au même rythme. Aragorn jetait régulièrement des coups d'œil à son compagnon, notant la raideur dans sa posture, la tension dissimulée dans ses traits.

Calion ne montrait aucun signe évident d'inconfort, mais Aragorn savait que sa blessure devait encore le faire souffrir. Un voyage à cheval n'avait rien de clément pour un homme en convalescence, et bien que sa guérison soit rapide, elle n'en restait pas moins incomplète.

Plus loin derrière eux, Legolas chevauchait d'un pas souple, alerte, son regard perçant analysant les alentours avec l'acuité propre aux elfes. Sa chevelure blonde brillait à la lumière terne du jour, et ses doigts reposaient légèrement sur l'arc attaché à son dos, toujours prêt à réagir au moindre signe de danger.

À ses côtés, Gimli paraissait aussi mal à l'aise qu'un nain pouvait l'être à cheval. Son expression renfrognée ne cachait pas son exaspération à l'idée de passer encore une journée en selle.

Derrière eux, quelques-uns des meilleurs soldats du Rohan suivaient avec discipline, leurs lances solidement accrochées à leurs selles, leurs visages fermés par la concentration et l'appréhension. Parmi eux chevauchait l'un des principaux conseillers de Théoden, un homme d'âge mûr, au port noble, portant un manteau sombre et une broche d'or marquée de l'emblème du Rohan.

La tension était palpable.

Là où régnait autrefois la vaste plaine du Rohan, il ne restait qu'un paysage meurtri, des arbres déracinés, des champs piétinés sous les pas des armées de Saroumane.

— Les terres souffrent, murmura Legolas, brisant le silence pesant. Elles pleurent les blessures infligées par ces envahisseurs.

Calion, perché sur Dréogan, ne répondit pas immédiatement. Son regard se perdait souvent à l'horizon, comme s'il cherchait quelque chose au-delà de la brume épaisse.

— Elles souffriront encore longtemps, souffla-t-il enfin.

Aragorn le regarda du coin de l'œil, notant l'éclat de tristesse qui assombrissait ses traits.

Ce n'était pas seulement le paysage ravagé qui le troublait.

Calion connaissait cette terre avant qu'elle ne porte ce connaissait ces bois. Il les avait traversés dans des temps immémoriaux, alors qu'ils étaient encore vivants et indomptés, bercés par le chant du vent et la lumière filtrant à travers un feuillage millénaire. Il les avait vus sous leur splendeur, foulé leurs sentiers encore intacts… et aujourd'hui,

Un soupir profond s'échappa de ses lèvres, plus las que véritablement amer.


Le lendemain matin, le groupe arriva aux abords d'Isengard. Le paysage qui s'étendait devant eux était méconnaissable. Les majestueux jardins que Gandalf avait connu autrefois avaient disparu, remplacés par un chaos de boue, de pierres éclatées, et d'arbres déracinés. Les remparts autrefois imposants semblaient avoir été balayés par une force titanesque, comme si une vague gigantesque avait submergé la forteresse. Des éclats de bois et de métal jonchaient le sol, et au centre, la tour d'Orthanc, bien que toujours debout, semblait solitaire au milieu de cette désolation.

Gimli, observant l'étendue des dégâts, lâcha un sifflement bas. « Eh bien, voilà un endroit où je ne ferais pas de pique-nique. »

Le groupe avançait lentement, leurs regards balayant les ruines avec prudence, jusqu'à ce que des voix s'élèvent, portées par le vent. Des rires. Des rires ?

En s'approchant davantage, ils aperçurent une scène improbable : Merry et Pippin, assis sur un mur à moitié écroulé, leurs pipes entre les dents, entourés de tonneaux et d'un maigre butin de victuailles. Les hobbits semblaient étrangement à l'aise au milieu de cette destruction. Un sourire narquois sur les lèvres, Merry leva la main en guise de salut.

« Bienvenue en Isengard ! » lança-t-il, son ton léger tranchant avec l'atmosphère pesante qui régnait encore sur le groupe.

Pippin, soufflant une longue bouffée de fumée, ajouta avec nonchalance : « Vous êtes arrivés juste à temps. Il reste encore un peu de porc salé, si ça vous intéresse. »

Un silence de stupéfaction accueillit leurs paroles. Gimli, le premier à réagir, rougit jusqu'aux oreilles. « Par Durin ! Après tout ce que nous avons traversé pour vous retrouver, vous voilà, bien installés, à fumer de l'herbe à pipe comme si vous étiez dans une auberge de Bree ! »

Legolas, dissimulant un sourire amusé, posa une main sur l'épaule du nain pour le calmer. « Ils semblent en bonne santé, Gimli. Peut-être devrions-nous nous réjouir plutôt que nous offusquer. »

Gimli grogna, croisant les bras. « Je ne suis pas offusqué, Legolas. C'est juste que... enfin, ce n'est pas approprié. » Mais son regard se posa brièvement sur les pipes des hobbits, et un éclat de jalousie mal dissimulé traversa ses yeux. Personne n'était dupe : il aurait aimé se joindre à eux.

Calion s'avança. Une chaleur inattendue monta en lui à la vue des deux hobbits, vivants et en sécurité. Il sentit un poids invisible s'alléger de ses épaules. Un sourire sincère éclaira son visage fatigué.

« Merry, Pippin, vous êtes vraiment incorrigibles, » dit-il en secouant doucement la tête. Sa voix trahissait à la fois son soulagement et son amusement. « Mais je suis heureux de vous revoir, plus que je ne saurais le dire. »

Merry, avec un sourire malicieux, lui répondit : « Ne nous en voulez pas, Calion. Après tout, quelqu'un doit bien veiller à ce que les tonneaux de Saroumane ne se perdent pas. Ce serait un sacrilège. »

Pippin ajouta, les yeux pétillants : « Oui, vous avez combattu. Nous, nous avons festoyé. Il y a différentes façons de remporter une bataille, n'est-ce pas ? »

Les deux hobbits éclatèrent de rire, un rire contagieux qui, malgré l'absurdité de la situation, arracha des sourires aux membres de la compagnie. Même Aragorn, toujours sérieux, laissa échapper un soupir amusé.

Théoden, qui observait la scène avec un air perplexe, se tourna vers Gandalf. « Ils ont vraiment été vos alliés dans cette quête ? »

Gandalf, un sourire mystérieux aux lèvres, répondit doucement : « Plus que vous ne pourriez l'imaginer, Théoden Roi. Leur courage a pris une forme différente, mais il n'en est pas moins précieux. »

Pendant ce temps, Calion, toujours près de Merry et Pippin, les regarda avec une affection sincère. Il savait que leur légèreté cachait une force insoupçonnée. Ces moments simples, faits de rires et de malice, étaient ce qui donnait un sens à tout ce qu'il avait traversé.

Avant que la conversation ne puisse continuer, une voix grave et profonde résonna derrière eux, captant immédiatement l'attention de tous.

— « Hoooom… »

Lentement, un être colossal se détacha de l'arrière-plan. Un ent d'une stature vénérable s'avançait, son écorce marquée par les âges, ses yeux profonds comme des gouffres de sagesse millénaire. Ses branches se courbaient comme des bras noueux, et chaque mouvement semblait chargé de patience et de réflexion.

Merry et Pippin se tournèrent vers lui avec un sourire ravi, et Merry s'empressa de faire les présentations.

— « Permettez-moi de vous présenter Sylvebarbe, le gardien des arbres. »

Sylvebarbe s'arrêta devant le groupe de cavaliers, son regard lent et pesant glissant sur chacun d'eux comme s'il les jaugeait avec une sagesse insondable. Son immense silhouette projetait une ombre imposante sur l'eau trouble qui recouvrait encore le sol d'Isengard.

Il inclina légèrement la tête, son feuillage bruisser doucement au moindre de ses mouvements.

— « Hm… Sylvebarbe, je suis, » déclara-t-il d'une voix grave et résonnante, semblable au grondement lointain d'un orage en approche. « Gardien de la forêt, berger des arbres. Et vous… Cavaliers du Rohan… Voyageurs de terres lointaines… »

Son regard s'attarda un instant sur Gandalf, qu'il connaissait déjà bien, puis sur Théoden, qui l'observait avec un mélange de fascination et de prudence.

Enfin, ses yeux insondables se posèrent sur Calion.

Un silence s'étira, plus long que nécessaire, avant que l'Ent ne reprenne d'un ton empreint d'une curiosité discrète :

— « Et toi… je te connais. »

Le regard de Calion s'assombrit légèrement.

— « Peut-être, » répondit-il simplement, sa voix calme, mais sur ses gardes.

Sylvebarbe sembla méditer ses paroles un moment avant de lentement détourner son attention vers la tour d'Orthanc, encore dressée fièrement au cœur du désastre.

— « Hm… Vous venez pour le Magicien de Fer… » murmura-t-il avec gravité. « Je vais vous mener à lui. »

D'un pas lourd et mesuré, l'Ent pivota et commença à avancer, chaque mouvement empreint d'un poids ancien.

La tour d'Orthanc se dressait comme un doigt noir pointé vers le ciel, défiant encore la lumière du jour malgré la dévastation qui l'entourait. Ses parois sombres, lisses et impénétrables, semblaient absorber la clarté, reflétant à peine les rayons du soleil déclinant. La pierre noire émanait une froideur sinistre, et ses angles tranchants accentuaient son allure menaçante.

Au pied de la tour, l'eau grisâtre s'étendait en une vaste nappe stagnante, résultat du déluge qui avait submergé les terres d'Isengard. Les chevaux des cavaliers, habitués aux terrains difficiles, hésitaient pourtant à avancer, leurs sabots s'enfonçant légèrement dans le sol gorgé d'eau. L'air était lourd, chargé de l'odeur du bois détrempé, de la terre retournée, et d'une étrange puanteur, comme si les machines de Saroumane exhalaient encore leur corruption.

Non loin, des Ents s'affairaient, leurs gestes lents mais déterminés. Leurs grandes mains noueuses redressaient des troncs brisés, ramassaient des branches éparses ou refermaient des plaies béantes dans le sol. Sylvebarbe, imposant, observait silencieusement, ses yeux lumineux fixés sur la tour comme s'il évaluait l'ampleur de la menace encore présente.

Gandalf fit avancer son cheval blanc, Gripoil, ses sabots remuant l'eau stagnante. Il leva son bâton, le pointant vers le sommet de la tour, et sa voix, claire et puissante, brisa le silence :
« Saroumane ! Montre-toi ! Ton pouvoir est brisé, et ta tromperie n'a plus d'emprise ici. Descends de ta tour et rends-toi ! »

Les mots résonnèrent, ricochant contre les parois sombres d'Orthanc. Un instant de silence suivit, pesant, comme si le monde retenait son souffle. Puis, lentement, une silhouette apparut au sommet de la tour.

Saroumane, enveloppé dans une robe blanche désormais ternie et souillée par la défaite, s'avança avec une lenteur étudiée. Sa longue barbe blanche flottait dans le vent léger, et ses yeux perçaient de leur éclat glacé ceux qui osaient lever la tête vers lui. Derrière lui, presque cachée dans l'ombre, une deuxième silhouette émergea, petite et nerveuse.

Théoden, observant la scène avec une intensité fébrile, fronça les sourcils. Reconnaissant la figure qui se tenait en retrait, il jura à voix basse, la colère montant dans son ton :
« Gríma… »

Gríma, vêtu de noir, se tenait derrière Saroumane, ses mains osseuses se frottant nerveusement l'une contre l'autre. Ses yeux fuyants regardaient de tous côtés, évitant de croiser ceux des cavaliers. Il semblait s'accrocher désespérément à Saroumane, comme un chien fidèle à son maître déchu.

Saroumane, sans un mot, leva une main pour imposer le silence à Gríma, qui s'agita encore plus sous le regard impassible de l'Istari déchu. Gandalf, toujours immobile au pied de la tour, fixait son ancien confrère avec une intensité redoutable, comme s'il cherchait à déceler le moindre signe de faiblesse ou de repentir.

Calion, lui, restait en retrait parmi les cavaliers, ses yeux verts rivés sur la scène. Il scrutait Saroumane avec méfiance, mais c'était Gríma qui attirait particulièrement son attention. Langue de Serpent, un homme brisé mais encore dangereux dans sa lâcheté, semblait rôder dans l'ombre de son maître, prêt à frapper là où on s'y attendait le moins.

L'atmosphère était tendue, comme suspendue dans un équilibre précaire, alors que tous attendaient la réponse de Saroumane.

La voix grondante de Saroumane, appuyée sur un ton de défiance calculé, résonna dans l'air lourd qui entourait la tour d'Orthanc. Son bâton noir à la main, il semblait peser ses mots avec soin, s'assurant qu'ils frappent là où cela ferait le plus mal.

« Qu'avez-vous à dire, Théoden Roi ? » commença-t-il, sa voix se faisant presque charmeuse, un écho vicieux de la personne qu'il avait été autrefois. « Voulez-vous faire la paix avec moi, et jouir de toute l'aide que mon savoir, fondé sur de longues années, pourrait vous apporter ? Prendrons-nous conseil ensemble afin de nous prémunir contre ces jours funestes, et réparerons-nous les torts infligés à chacun avec suffisamment de bonne volonté, pour que nos domaines viennent à fleurir tous deux comme jamais ils n'ont fleuri ? »

Un murmure parcourut les cavaliers du Rohan. Théoden, assis droit sur son cheval, fixa la tour avec une détermination féroce. Ses traits, marqués par l'âge et les épreuves récentes, ne trahissaient rien d'autre qu'un mépris glacé.

« Vous êtes un menteur, Saroumane, » déclara-t-il avec véhémence, sa voix claire portant au-delà des remparts effondrés. « Un corrupteur du cœur des hommes. Vous me tendez la main, et je ne vois qu'une griffe de la serre du Mordor. »

Un éclat de colère traversa le visage de Saroumane, mais il fut rapidement remplacé par une expression dédaigneuse. Son ton, à présent moqueur, visait à humilier.

« Vieux gâteux ! » tonna-t-il, sa voix imprégnée de mépris. « Qu'est-ce que la maison d'Eorl sinon une grange couverte de chaume où des bandits trinquent dans le relent, pendant que leur marmaille se roule sur le sol parmi les chiens ? »

Un silence pesant s'installa. Théoden serra les poings, ses lèvres se contractant en une fine ligne de colère contenue, mais avant qu'il ne puisse répondre, Gandalf intervint, sa voix emplie de calme, mais non dépourvue de fermeté.

« Saroumane, » dit Gandalf, avançant légèrement son cheval. « Il est encore temps pour toi de faire le bien. Tu as œuvré au côté de l'ennemi, cela est indéniable. Mais maintenant, tu peux réparer une partie de tes torts. Dis-nous ce que tu sais. Quelles informations peux-tu offrir ? »

Un rire jaune, dénué de toute véritable joie, échappa à Saroumane. Il se redressa légèrement, dominant la scène depuis le sommet de sa tour. « Des informations ? » railla-t-il. « C'est pour cela que vous êtes venus jusqu'ici ? J'en ai, oui… pour vous. »

Il fit un geste théâtral, et comme surgie de nulle part, une orbe noire apparut dans ses mains. Une sphère noire luisante, à l'intérieur de laquelle des images éthérées semblaient danser. Une vague de malaise traversa les cavaliers. Même Gandalf plissa légèrement les yeux, son expression devenant plus attentive.

Saroumane promena un regard lent sur la compagnie rassemblée en contrebas, un sourire narquois jouant sur ses lèvres minces. Sa voix, profonde et insidieuse, résonna dans l'air lourd et stagnant qui pesait sur Isengard.

— « Quelque chose gronde en Terre du Milieu, quelque chose que vous avez omis de voir. Vous êtes aveugles, sourds aux vérités qui vous entourent. »

Il s'interrompit, savourant le silence tendu qui s'installa à ses pieds. Les volutes de fumée qui s'élevaient encore des ruines donnaient à la scène un aspect presque irréel, comme si le sol lui-même retenait son souffle.

Puis, son sourire s'élargit, cruel.

— « Un compagnon de voyage… quelqu'un de proche parmi vous… vient aujourd'hui me rendre visite. »

Un malaise diffus s'installa dans la compagnie. Théoden serra les mâchoires, sa main se crispant inconsciemment sur la garde de son épée. Aragorn, aux aguets, jeta un regard discret mais acéré vers Gandalf, s'attendant à une manœuvre perfide du magicien blanc.

Saroumane laissa son regard parcourir les cavaliers, s'attardant un instant de trop sur Calion. Son sourire s'étira légèrement lorsqu'il vit les doigts du rôdeur se crisper sur les rênes de Dréogan.

— « Ainsi voilà ce que l'on oppose au pouvoir du Mordor… » continua-t-il, sa voix traînante dégoulinant de mépris. « Une poignée de guerriers fatigués, un roi sans couronne et… » il plissa les yeux, son ton devenant plus doucereux, « un être qui n'est pas ce qu'il prétend être. »

Un froid s'abattit sur la compagnie.

Saroumane pencha légèrement la tête, comme un prédateur jouant avec sa proie avant de l'achever.

— « Gandalf, tu n'es pas le seul à qui les Valar ont confié des secrets… »

Sa voix se fit plus basse, presque caressante, mais chargée d'un venin latent.

— « Il porte un nom d'homme… mais en est-il vraiment un ? »

Le silence qui s'ensuivit était oppressant, presque tangible.

Aragorn sentit le regard de Théoden peser sur lui, puis glisser vers Calion. L'instinct de Legolas s'éveilla aussitôt, son regard acéré scrutant la tension naissante qui s'insinuait dans le groupe.

Calion, quant à lui, ne bougea pas. Son visage était impassible, mais ses muscles étaient tendus comme une corde d'arc prête à rompre.

Gandalf, jusque-là silencieux, leva son bâton et frappa violemment le sol.

— « Assez ! »

Un écho profond vibra dans l'air, couvrant les dernières syllabes de Saroumane.

Le magicien blanc se redressa légèrement, surpris, mais son sourire moqueur ne disparut pas tout à fait.

— « Ne cherche pas à semer la discorde ici, Saroumane, » gronda Gandalf, sa voix tranchante comme une lame d'acier.

Il guida son cheval un pas en avant, s'imposant face à la tour.

— « Tu as perdu Isengard. Ton pouvoir se flétrit, ton règne touche à sa fin. Mais il n'est pas trop tard. Réponds à mes questions et peut-être échapperas-tu au sort qui t'attend. »

Saroumane haussa un sourcil, feignant l'amusement.

— « Oh ? » Il croisa les bras, légèrement penché sur son bâton, savourant encore l'instant. « Vous ne pouvez croire que ce rôdeur puisse un jour s'asseoir sur le trône du Gondor. Cet exilé sorti de l'ombre ne sera jamais couronné roi. »

Calion, qui s'était déjà refermé comme une forteresse, vit du coin de l'œil Aragorn se tendre.

Gimli grognait déjà d'impatience, et Legolas, arc en main, le regard perçant, jaugeait le magicien blanc comme s'il s'attendait à une attaque imminente.

Gandalf, lui, ne cilla pas.

— « Une dernière fois, Saroumane. Descends, et tu vivras. »

Saroumane recula légèrement, ses traits crispés par la colère.

— « Vous êtes tous condamnés. Vous le savez. »

Son ton était plus sec, plus pressant. Il savait que sa prise sur la situation lui échappait.

Calion, lui, releva enfin la tête.

Son regard, d'ordinaire vibrant, était d'un calme inquiétant.

Le silence qui suivit fut lourd, presque suffocant.

À quelques mètres, Gimli, juché derrière Legolas, grogna avec irritation, se tortillant légèrement d'inconfort sur sa selle. « Qu'on abatte ce chien ! » gronda-t-il.

Legolas, lui aussi à bout de patience, porta la main à son carquois et en sortit une flèche avec fluidité. Il la plaça sur la corde de son arc, prêt à décocher un tir précis. Mais avant qu'il ne puisse agir, Gandalf leva la main d'un geste ferme.

« Non ! » sa voix claqua comme un fouet, ramenant le silence. « Personne ne le touche. Saroumane ! Descends immédiatement, et peut-être obtiendras-tu un sursis. »

Mais Saroumane, loin d'être intimidé, éclata d'un rire sinistre, ses yeux brillant d'un éclat mauvais. En contrebas, les cavaliers se figèrent, conscients que chaque mot, chaque action, faisait monter la tension d'un cran. Calion, cependant, restait ancré dans un calme glacial, ses pensées brouillées par un mélange de colère, de souvenirs et de détermination.

Le ton monta brusquement lorsque Saroumane, le regard empli de mépris, pointa l'extrémité inférieure de son bâton en direction de Gandalf. Une boule de feu rougeoyante jaillit de son arme, traversant l'air avec un sifflement menaçant. Le sortilège sembla déchirer l'atmosphère, et tous retinrent leur souffle.

Mais lorsque l'attaque atteignit Gandalf, elle se dissipa brusquement, comme une flamme soufflée par le vent. L'air crépitait encore, chargé d'énergie résiduelle, et Calion, immobile sur sa monture, sentit quelque chose. L'énergie vibrante s'écoulait autour de lui, entre les deux magiciens, comme des courants invisibles traversant l'espace. Ce flux lui était étrangement familier, une sensation qu'il avait déjà éprouvée sans jamais en comprendre pleinement l'origine.

Des souvenirs lui revinrent en mémoire : le vent qu'il avait calmé sur les parois glacées du Caradhras, les forces instinctives qu'il avait invoquées lorsque le danger devenait insurmontable. Il comprenait maintenant, du moins partiellement, que ces moments étaient plus qu'une simple chance. Il avait puisé dans ces énergies, les façonnant inconsciemment. Cette prise de conscience le troubla profondément, mais ses réflexions furent interrompues nettes.

La voix puissante de Gandalf éclata comme le tonnerre :

« Votre bâton est brisé ! »

Saroumane, qui tenait encore fermement son bâton, regarda son arme de magicien. Sous leurs yeux ébahis, le bois noir craqua, se fendit, puis vola en éclats. Des fragments tombèrent dans le vide, emportés par le vent. Sans son appui, Saroumane sembla soudain plus frêle. Il vacilla légèrement, son arrogance se fissurant. Ce n'était plus un puissant magicien qui se tenait là, mais un vieillard, diminué et vulnérable.

À ses côtés, Grima Langue-de-Serpent, accroupi et tremblant, leva les yeux vers Théoden. Son visage blafard exprimait une supplique silencieuse. Théoden, d'un ton autoritaire mais empreint de sincérité, l'interpella :

« Grima ! Descends. Tu étais un homme du Rohan autrefois. Il est encore temps de racheter tes fautes. »

Le regard de Grima vacilla, une lueur hésitante s'allumant dans ses yeux. Mais avant qu'il ne puisse répondre, Saroumane, ayant remarqué son hésitation, lui asséna un violent coup de pied, l'envoyant rouler au sol.

« Chien que tu es ! » rugit Saroumane. « Tu oses trahir ton maître ? »

Grima gémit, ses mains agrippant le sol pour se relever, mais son expression était désormais celle d'un homme acculé. Gandalf, d'une voix mesurée mais insistante, s'adressa une fois de plus à Saroumane :

« Saroumane, vous avez été dans les secrets de l'ennemi. Dites-nous ce que vous savez. »

Saroumane ricana, son rire résonnant de manière sinistre entre les pierres brisées d'Isengard. Il redressa la tête, son visage marqué par une arrogance indélébile.

« Vous voulez des informations ? » dit-il d'un ton sarcastique. « Rappelez vos gardes, laissez-moi partir, et je vous dirai ce que votre destin contiendra. Mais je refuse d'être un prisonnier ici. »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Grima, surgissant comme une ombre derrière lui, brandit un couteau et le planta dans le dos de Saroumane. Un « oh » silencieux de stupeur s'échappa des lèvres du magicien alors que ses yeux s'écarquillaient.

Grima retira la lame et la replanta encore, cette fois plus profondément. La scène semblait irréelle. Legolas, réagissant instantanément, décocha une flèche précise. Grima chancela sous l'impact, lâchant son couteau, et s'effondra en arrière, son corps inerte s'étalant sur les pierres.

Saroumane, vacillant, perdit l'équilibre. Sa silhouette chuta dans le vide, ses robes blanches flottant autour de lui comme les ailes déployées d'un oiseau blessé. La chute parut interminable, le silence lourd. Puis, le bruit sourd de son corps s'empalant sur une roue brisée retentit.

Pippin, secoué par le son brutal, sursauta légèrement. Ses yeux écarquillés restèrent fixés sur le cadavre de Saroumane, dont les robes immaculées étaient désormais souillées par la boue et le sang. Son regard fut attiré par un éclat à la surface de l'eau. Une lumière étrange, presque hypnotique, semblait danser sous les vagues calmes. Pippin se glissa agilement hors de la selle, ses pieds s'enfonçant dans l'eau stagnante.

« Pippin, que fais-tu ? » appela Calion, sentant un malaise monter en lui alors que l'hobbit s'approchait du reflet dans l'eau. Une énergie sombre et oppressante semblait émaner de ce reflet, un murmure presque imperceptible.

Pippin, les yeux fixés sur l'objet, plongea sa main dans l'eau glacée et en ressortit une sphère noire, brillante et lisse. Le Palantír. Les reflets à l'intérieur tourbillonnaient comme des ombres dansantes, et une lueur sinistre semblait pulser au cœur de l'orbe.

« Pose ça immédiatement. » La voix de Calion était ferme, teintée d'une urgence qui n'échappa pas à Pippin. Mais avant que l'hobbit n'ait pu répondre, Gandalf s'approcha brusquement, ses robes flottant derrière lui comme un nuage menaçant.

« Donne-le-moi, Pippin. » La voix du magicien, d'ordinaire douce même dans l'autorité, résonnait ici avec une dureté indiscutable. Pippin serra brièvement l'orbe contre lui, presque à contre-cœur, avant de tendre l'objet à Gandalf.

Le magicien, prudent, n'effleura pas le Palantír directement. Il sortit un morceau d'étoffe de ses robes et enveloppa soigneusement l'orbe, comme s'il craignait que le moindre contact ne libère une force incontrôlable. Sans un mot, il enfouit l'objet dans les plis de ses vêtements et leva un regard perçant vers Pippin, un mélange d'avertissement et de compréhension dans ses yeux.

« Ce n'est pas un jouet. » La remarque était simple, mais elle portait un poids écrasant. Pippin baissa la tête, légèrement honteux.

Calion, d'un geste calme mais ferme, tendit la main pour aider Pippin à remonter en selle. Le contact entre ses doigts et ceux de l'hobbit était froid, rappelant à Calion la nature sombre de ce qu'ils venaient de manipuler. Une fois Pippin installé, il prit les rênes de Dréogan et suivit le groupe.


Le silence régnait alors qu'ils quittaient Isengard. Les sabots des chevaux frappaient doucement le sol mouillé, l'eau éclaboussant parfois sur leur passage. Les cavaliers, fatigués et lourdement chargés par le poids des récents événements, chevauchaient en silence, les regards fixés sur l'horizon.

Ils progressèrent jusqu'à l'orée de la forêt. Sylvebarbe, immobile comme un ancien monolithe, attendait là. Les derniers rayons du soleil teintaient son écorce de nuances dorées, et ses yeux, aussi profonds que des abysses, brillaient d'une sagesse ancienne.

Alors que le groupe avançait, Sylvebarbe leva un bras noueux pour arrêter Calion. Dréogan, docile, s'immobilisa, creusant un léger écart entre eux et les autres cavaliers. L'Ent se pencha légèrement, sa silhouette immense créant une ombre imposante sur Calion.

« Vous êtes intriguant, Calion… » Sa voix grave résonnait, emplissant l'air d'un poids presque tangible. « L'énergie d'Arda coule en vous, plus forte que chez les autres hommes. Je ne connais pas toute votre histoire, mais je la sens. Vos racines se souviennent, vos branches murmurent. Vous avez marqué cette terre, et elle vous a marqué en retour. »

Calion sentit son cœur se serrer. Les paroles de l'Ent semblaient percer directement son âme, éveillant un écho douloureux

Calion baissa légèrement les yeux, mal à l'aise sous le poids des paroles. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais avant qu'il ne puisse parler, Pippin, brûlant de curiosité, intervint.

« Qu'est-ce que vous voulez dire par 'l'énergie d'Arda' ? » demanda-t-il avec franchise, ses yeux brillants d'un mélange d'inquiétude et de fascination.

Calion, dans un mouvement rapide mais discret, donna un léger coup de coude à Pippin pour le faire taire. « Merci, Sylvebarbe, » dit-il simplement, sa voix marquée par une politesse formelle. Il tira légèrement sur les rênes de Dréogan, indiquant son désir de repartir.

Sylvebarbe resta immobile, ses yeux suivant Calion alors qu'il rejoignait le groupe. « Prenez soin de lui, » murmura-t-il, bien que personne ne puisse dire à qui il s'adressait. Puis, avec une lenteur presque solennelle, l'Ent se tourna pour retourner dans la forêt, disparaissant parmi les ombres des arbres anciens.

Calion talonna légèrement Dréogan, reprenant sa place dans le convoi sans un mot. Ses traits étaient neutres, mais son esprit était en ébullition.


Le feu crépitait doucement au centre du campement, projetant sur les visages fatigués des ombres dansantes. L'atmosphère était pesante, chaque cavalier plongé dans ses pensées après l'échange tendu avec Saroumane.

Théoden brisa enfin le silence, sa voix grave résonnant sous la voûte étoilée.

— « Gandalf, il faut que nous parlions. »

Tous les regards se tournèrent vers le roi. Certains, curieux, d'autres, inquiets.

— « Saroumane a parlé avec perfidie, comme il l'a toujours fait… Mais cela ne veut pas dire que ses paroles ne contenaient pas un fond de vérité. » Il marqua une pause, ses doigts se crispant légèrement sur ses genoux. « Quelqu'un parmi nous n'est pas ce qu'il prétend être. Est-ce un mensonge ? Ou avons-nous laissé une menace entrer parmi nous, aveuglés par la confiance et l'amitié ? »

Un frisson parcourut le camp.

Assis en retrait, Calion sentit son souffle se raccourcir. Sa main se figea sur sa cuillère, suspendue en l'air au-dessus de son bol à moitié vide. Son regard était désormais rivé sur les flammes, comme s'il espérait s'y dissoudre.

Non loin de lui, Pippin jeta un regard rapide en coin vers lui, remarquant la tension soudaine qui raidissait ses épaules. Gimli, assis à côté de Legolas, fit rouler le manche de sa hache entre ses doigts, les sourcils froncés.

Gandalf, tranquillement appuyé sur son bâton, releva la tête. Son visage était calme, mais une lueur d'agacement brillait dans ses yeux.

— « Théoden, tu as entendu les paroles de Saroumane. Elles étaient empoisonnées, comme toujours. Ne te laisse pas manipuler par les vestiges de son influence. »

Sa voix était posée, mais elle portait une autorité indéniable.

Théoden ne se laissa pas démonter. Son regard dur s'accrocha à celui du magicien.

— « J'ai vu mon peuple souffrir sous l'influence d'un esprit perfide, Gandalf. Je ne laisserai pas cela se reproduire. » Sa voix s'enflamma légèrement. « Si un étranger porte en lui les ténèbres, il ne peut rester sous mon toit. Mon royaume ne se remettrait pas d'une nouvelle trahison. »

Un silence pesant tomba sur l'assemblée.

Calion se crispa, le muscle de sa mâchoire tressaillant sous la lumière vacillante. Son esprit s'arma déjà contre ce qui allait suivre.

— « Et si c'était moi, Théoden ? »

La voix de Gandalf fendit l'air comme un éclat de tonnerre lointain.

Le roi ouvrit la bouche, stupéfait.

— « Allez-vous me chasser comme un vulgaire warg ? M'abandonner sur le bord du chemin, sous prétexte que je ne suis pas tout à fait celui que j'étais ? »

Théoden parut désarçonné, cherchant du regard un soutien parmi la compagnie. Mais personne ne répondit. Même Aragorn gardait le silence, son regard oscillant entre Théoden et Gandalf.

Legolas, toujours observateur, fit glisser un regard rapide vers Calion. Puis il prit la parole.

— « Saroumane n'a rien affirmé, seulement semé des doutes. Ce qu'il a dit peut être vrai… ou être un mensonge savamment distillé pour nous diviser. »

Le prince elfe laissa planer un silence avant de reprendre, sa voix douce mais assurée.

— « Mais s'il disait vrai… alors qu'est-ce que cela change, au fond ? »

Théoden le foudroya du regard, incrédule.

— « Que dis-tu là, elfe ? Si un serviteur des ténèbres marche parmi nous, cela ne te trouble pas ? »

Legolas ne cilla pas.

— « J'ai vu des êtres changer. Gandalf le Gris est devenu Gandalf le Blanc. » Il s'interrompit, son regard clair effleurant Calion, dont les doigts s'étaient refermés autour de son bol, crispés. « Pourquoi un autre ne pourrait-il pas avoir suivi un chemin similaire, loin des ténèbres ? »

Théoden serra les poings, sa méfiance visible sur son visage. « Et si ce chemin n'est qu'une façade ? » demanda-t-il, ses mots tranchants.

Gandalf se redressa, sa haute silhouette semblant projeter une ombre immense derrière lui. Sa voix gronda, emplie d'une colère froide : « Théoden, veux-tu interroger chaque homme de cette assemblée ? Veux-tu fouiller dans les moindres recoins de leurs âmes et de leurs passés pour juger s'ils sont dignes de ta confiance ? »

Le roi ouvrit la bouche pour répondre, mais Gandalf ne lui laissa pas le temps. « N'as-tu jamais, toi aussi, commis des fautes ? Des crimes qui, si dévoilés, feraient naître des murmures dans ton propre camp ? Si nous devons juger chacun pour ses erreurs passées, qui parmi nous est digne de marcher sous le soleil ? »

Un silence lourd tomba sur le campement. Théoden, bien que visiblement irrité d'être ainsi rabroué, sembla penaud. Il détourna le regard, incapable de soutenir celui, brûlant, de Gandalf.

Calion desserra lentement sa prise sur sa cuillère, son regard restant fixé sur les flammes. Il savait que la méfiance ne disparaîtrait pas aussi facilement, mais il était reconnaissant envers Gandalf et Legolas pour leur intervention.

Le reste de la soirée se déroula dans un silence pesant, troublé seulement par le crépitement des flammes et le bruissement du vent dans les arbres environnants. Chacun se replia dans ses pensées, les paroles de Gandalf continuant de résonner dans l'esprit de tous.


Le retour vers Edoras se déroulait dans un silence pesant. Les chevaux marchaient au pas, leurs sabots soulevant des nuages de poussière qui s'accrochaient à l'air comme une brume stagnante. Peu de paroles étaient échangées parmi les membres de la compagnie. Calion, silencieux, semblait se replier dans une solitude familière. Ses traits, d'ordinaire marqués par une vigilance intense, avaient pris une gravité particulière. Il chevauchait légèrement en retrait, les yeux fixés sur l'horizon, comme si le paysage désolé et les collines du Rohan lui offraient une évasion temporaire.

Merry et Pippin, non perturbés par ce changement, bavardaient à voix basse, insouciants après les événements d'Isengard. Gimli, en revanche, jetait de fréquents coups d'œil vers Calion, un froncement soucieux plissant son front. Legolas, avec la sensibilité propre aux elfes, semblait comprendre l'état d'esprit de Calion. Plus d'une fois, il tournait la tête pour croiser le regard de l'homme, offrant un soutien silencieux. Ces échanges de regards ne passaient pas inaperçus pour Calion, qui répondait souvent d'un hochement de tête discret ou d'un faible sourire. Mais Aragorn, le plus attentif de tous, observait avec une inquiétude croissante. Il voyait son frère d'armes se replier peu à peu, redevenir l'homme réservé qu'il avait rencontré autrefois.

Enfin, après plusieurs jours de chevauchée, les tours dorées d'Edoras apparurent à l'horizon. La lumière décroissante du soleil faisait briller les toits de Meduseld, semblables à des flammes d'or. Mais cette vision, d'ordinaire réconfortante, semblait avoir peu d'effet sur Calion. Lorsqu'ils passèrent les grandes portes de la cité, il mit pied à terre avec une grimace de douleur. Sa cuisse, bien qu'en voie de guérison, le faisait encore souffrir, et il posa brièvement une main sur son cheval pour s'appuyer.

Un écuyer s'avança pour prendre les rênes de Dréogan, mais Calion leva une main pour refuser poliment. « Je m'en occupe. Merci. »

Aragorn, toujours à cheval, le regarda s'éloigner vers les écuries. Il connaissait suffisamment Calion pour comprendre : ce n'était pas simplement un désir de s'occuper de sa monture, mais une manière d'échapper aux regards et de trouver un moment de solitude. Quelques instants plus tard, Aragorn le rejoignit dans l'écurie, où Calion s'affairait à brosser Dréogan avec des gestes précis, presque mécaniques.

Aragorn s'appuya contre la paroi de bois, croisant les bras. Il ne dit rien, laissant le silence s'installer. Calion, sans se retourner, savait qu'il était là. Il continua à brosser la robe lustrée de Dréogan, attendant que son ami prenne la parole.

« Moragor. » La voix d'Aragorn résonna doucement, mais elle sembla frapper Calion comme un coup de poing. L'homme se figea, ses épaules se voûtant imperceptiblement, comme s'il s'attendait à être condamné.

« Moragor est mort, » reprit Aragorn, sa voix plus assurée. « Tu n'es plus cette personne. Tu es Calion, Lame d'Or, héros du Gouffre de Helm. Tu es Calion, ami des nains, des elfes, des hommes… et mon frère. Tu n'as pas à avoir honte de ton passé. Cela est derrière toi. »

Calion cessa de brosser Dréogan, mais il ne se retourna pas. Sa main resta suspendue un moment, puis il posa la brosse sur un support proche. « Je ne suis plus cette personne, » murmura-t-il, sa voix teintée d'une amertume qu'il ne cherchait pas à cacher. Il fit courir sa main sur le pommeau de Calimmacil, accroché à sa ceinture. « J'ai fait la paix avec cette part de mon passé… mais il revient sans cesse me hanter. Je sais que je ne pourrai jamais m'en défaire. Il pesera à jamais. »

Il se tourna lentement vers Aragorn, son regard vert brûlant d'une émotion contenue. « Je pense que Legolas a compris. »

Aragorn hocha la tête, ses traits adoucis. « T'a-t-il tourné le dos ? »

Calion secoua la tête.

« Alors écoute-moi, » poursuivit Aragorn. « Legolas connaît ta valeur. Il ne laissera pas les ombres de ton passé obscurcir les actes de lumière que tu accomplis aujourd'hui. Fais confiance à tes proches pour apprécier celui que tu es devenu. »

« Mais Théoden… » commença Calion.

Aragorn leva une main pour l'interrompre, son regard se faisant plus ferme. « Théoden ne te connaît que depuis peu de temps. Il a peur, et la peur rend les hommes prompts à juger. Pardonne-lui sa méfiance et ses paroles. Il finira par voir la vérité, tout comme moi je la vois. »

Un silence s'installa entre eux, seulement troublé par le souffle de Dréogan. Puis, lentement, Calion hocha la tête. « Merci, Aragorn. »

Son ami posa une main réconfortante sur son épaule, un sourire rassurant éclairant son visage. Puis, d'un ton plus léger, il ajouta : « Maintenant, voyons si tu parviens à rester debout assez longtemps pour dîner. »


La salle de Meduseld baignait dans une lumière chaude et vacillante, projetée par les torches accrochées aux murs. Théoden et Gandalf étaient plongés dans une conversation animée près de la grande table centrale. Calion, vêtu de vêtements plus propres s'approcha lentement, ses bottes claquant légèrement sur le sol de pierre. Son visage portait une gravité qui attira immédiatement l'attention de Gandalf.

L'Istari interrompit doucement le roi avec un sourire apaisant. « Pardonnez-moi, Théoden, mais il semble que je sois requis ailleurs. »

Le regard de Théoden glissa vers Calion, son expression neutre, mais ses yeux trahissaient une curiosité contenue. Calion sentit ce regard peser sur lui comme une pierre, mais il fit de son mieux pour l'ignorer, gardant son attention fixée sur Gandalf, qui se redressa avec son bâton en main. Ensemble, ils quittèrent la salle, laissant Théoden derrière eux.

Ils marchèrent en silence jusqu'à un coin reculé de la cour, là où les ombres des murs massifs enveloppaient tout d'une obscurité paisible. La fraîcheur de la nuit s'était posée sur Edoras, et le murmure lointain du vent emplissait l'air. Calion s'arrêta, croisant les bras, et prit une profonde inspiration avant de parler.

« Gandalf, je voulais vous parler d'une chose… étrange, » commença-t-il, sa voix basse et hésitante. « Lors de notre confrontation avec Saroumane… quand il a lancé sa boule de feu… j'ai senti quelque chose. »

Gandalf inclina légèrement la tête, son expression se faisant plus attentive. « Que veux-tu dire, Calion ? »

Calion chercha ses mots, ses yeux verts brillant faiblement sous la lumière de la lune. « C'était comme… comme si l'air vibrait. Comme si une énergie invisible s'écoulait entre vous deux. Et je pouvais la ressentir. C'était subtil, mais réel. »

Gandalf sourit, un sourire empreint de fierté et de soulagement. « Voilà une excellente nouvelle, Calion. Cela signifie que tu commences à renouer avec les énergies d'Arda. »

Calion hocha doucement la tête, mais son expression restait marquée par le doute. « Pensez-vous… que j'aurais besoin d'un bâton pour manipuler ces énergies ? Comme le vôtre ? » demanda-t-il, jetant un regard rapide à l'objet imposant que Gandalf tenait fermement.

Gandalf ne put retenir un léger rire, non moqueur, mais empreint de bienveillance. « Calion, as-tu eu besoin d'un bâton pour abattre le troll avec une force que même les soldats rohirric jugent surnaturelle ? As-tu eu besoin d'un bâton pour calmer les vents sur Caradhras ? »

Calion baissa les yeux, se sentant légèrement bête de sa question. « Non, c'est vrai… » murmura-t-il.

Gandalf, toujours souriant, leva alors son bâton et le tendit vers Calion. Ce dernier releva la tête, surpris, et lui lança un regard interrogatif. « Prenez-le, » dit Gandalf simplement.

Hésitant, Calion leva une main, ses doigts tremblant légèrement alors qu'ils approchaient du bois poli. À peine eut-il effleuré le bâton qu'une brûlure cuisante parcourut sa main, comme une décharge foudroyante. Il retira rapidement sa main, les yeux écarquillés, et recula d'un pas.

Gandalf rit doucement, son amusement résonnant comme un murmure dans l'air calme. « Tu n'as nul besoin d'un bâton, Calion. Un bâton de magicien est propre à son porteur, une extension de son pouvoir. De même que tu ne peux toucher mon bâton sans ressentir cette résistance, je ne pourrais prendre Calimmacil sans éprouver une sensation similaire. »

Calion fronça les sourcils, les souvenirs se bousculant dans son esprit. « Maintenant que vous le dites… Je me rappelle de la réaction d'un soldat lorsque je lui ai tendu mon épée pour franchir les portes de Meduseld. Il a hésité, presque effrayé. Je pensais qu'il ressentait ses origines sombres »

Gandalf hocha la tête, son sourire se faisant plus pensif. « Calimmacil est un outil puissant, sans aucun doute. Elle porte une énergie qui t'est liée, mais elle n'est pas la source de ton pouvoir. »

Calion réfléchit un instant, son regard se perdant dans l'obscurité. « Pensez-vous que mon épée m'aide à canaliser ces énergies ? » demanda-t-il.

Gandalf croisa les bras, son expression pensive. « Peut-être. Il est clair que tu sembles mieux canaliser les énergies d'Arda lorsque tu te bats avec elle. Mais n'oublie pas, Calion : ce n'est pas l'épée qui fait le guerrier, ni l'outil qui fait la magie. Ton pouvoir réside en toi, dans ce que tu es. Calimmacil est une extension, un outil, rien de plus. »

Ils restèrent un moment dans le silence, chacun absorbé dans ses pensées.

Calion releva lentement la tête, ses yeux verts brillant d'une lueur indécise. « Gandalf… pensez-vous que vous pourriez m'aider ? » demanda-t-il, sa voix teintée d'une hésitation inhabituelle. « À comprendre ces énergies que je ressens parfois. Je veux apprendre à les maîtriser, mais… il y a comme des résistances en moi. »

Gandalf, tenant son bâton fermement dans une main, posa son regard perçant sur Calion. Il semblait réfléchir un moment avant de répondre, un soupir léger s'échappant de ses lèvres. « Si seulement je pouvais, Calion. Mais nos magies, si je puis les nommer ainsi, sont fondamentalement différentes. »

Calion fronça les sourcils, ses pensées s'embrouillant encore davantage. « Mais pourtant… » Il hésita, cherchant ses mots. « Ce que je vois dans mes souvenirs, ce que je ressens… Il y a des similitudes avec ce que je perçois ici, en Terre du Milieu. Des forces invisibles qui répondent à la volonté… Des choses que je faisais, que d'autres faisaient… »

Gandalf resta silencieux, l'incitant à poursuivre.

« J'ai vu des lumières jaillir de mes mains, tout comme j'ai vu les éclats dorés danser sur Calimmacil. J'ai vu des objets se mouvoir sans que personne ne les touche, tout comme les vents se sont levés pour moi. J'ai vu des créatures de l'ombre aspirer la lumière des âmes, tout comme j'ai senti l'obscurité s'insinuer en moi sous l'emprise de Morgoth. Tout cela… » Il s'arrêta, la gorge sèche. « Tout cela ressemble aux énergies d'Arda… mais en même temps, c'est différent. Moins fluide, plus… brutal. »

Gandalf, toujours impassible, hocha doucement la tête.

« Il n'est pas surprenant que tu ressentes cela, Calion. » Il laissa son regard errer vers l'horizon, comme s'il contemplait quelque chose d'invisible aux yeux des autres. « Ton passé… » Il marqua une pause, avant de reprendre. « Ce que tu étais autrefois, ce monde que tu as connu, avait sa propre nature. Tu parlais de forces qui répondaient aux hommes, de phénomènes inexplicables. Mais ce n'est pas le même fil qui tisse l'univers d'où tu viens et celui d'Arda. »

Calion serra les poings. « Alors pourquoi ai-je l'impression que c'est lié ? Pourquoi ces souvenirs s'imbriquent-ils dans ce que je ressens ici ? »

Gandalf lui offrit un sourire énigmatique. « Parce que l'univers entier est fait de forces qui se répondent, même si elles ne prennent pas toujours la même forme. Ce que tu étais autrefois a laissé une empreinte en toi, une empreinte que les énergies d'Arda reconnaissent. Elles ne t'accueillent pas comme un étranger… mais elles ne t'ont pas non plus forgé. »

Calion ferma les yeux un instant, méditant ces paroles. Tout cela ne faisait que rendre les choses plus confuses. Il se rappelait avoir manié un étrange bout de bois qui obéissait à sa volonté. Il se souvenait d'incantations qui semblaient structurer une puissance brute et indomptée. Ici, il n'y avait ni bout de bois ni formules. Et pourtant…

Gandalf tapota doucement son épaule. « Laisse le temps faire son œuvre, et la vérité viendra à toi. Mais ne t'attends pas à retrouver ce que tu as perdu. Les fils de ton destin ont été retissés, et ta magie ne prendra plus jamais la même forme. »

Calion inspira profondément, assimilant les paroles de Gandalf. Bien qu'une ombre de déception assombrisse ses traits, il hocha lentement la tête, signe qu'il comprenait, même si cela ne lui apportait aucun réconfort immédiat.

Gandalf observa son compagnon un instant, ses traits marqués par une étrange combinaison de fierté et d'inquiétude. Après une pause, il changea légèrement de posture, posant les deux mains sur son bâton. « Calion, » dit-il doucement, mais avec une gravité qui fit relever la tête à ce dernier. « Comptes-tu un jour révéler ton passé à tes compagnons ? »

Les yeux de Calion s'écarquillèrent légèrement, surpris par la question. Il ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Ses épaules, si droites un instant plus tôt, s'affaissèrent imperceptiblement, comme sous un poids invisible.

« Pourquoi cette question ? » demanda-t-il enfin, sa voix rauque, presque défensive.

Gandalf resta impassible, sa voix résonnant avec calme mais fermeté. « Ton isolement, ton refus de te dévoiler pleinement, d'accepter entièrement ce que tu es… ce sont des obstacles, Calion. Des obstacles qui freinent ta renaissance. »

Calion détourna le regard, son expression se durcissant. Les paroles d'Aragorn, prononcées plus tôt dans les écuries, revinrent dans son esprit. Tu es Calion, mon frère. Maintenant, Gandalf touchait à ce même point sensible, insistant sur ce qu'il essayait encore d'éviter : accepter son passé, et ce qu'il signifiait.

Le silence se prolongea, mais Gandalf n'insista pas. Il voyait les pensées tourmentées de Calion se refléter dans ses yeux. Avec sagesse, il choisit de ne pas en dire davantage. Il posa une main rassurante sur l'épaule de Calion, rompant la tension. « Les réponses viendront en leur temps, » murmura-t-il. Puis, avec une légèreté soudaine, il ajouta : « Et maintenant, allons retrouver ces bières brassées dont Théoden m'a vanté les mérites. »

Calion tourna la tête vers Gandalf, son visage encore marqué par l'introspection, mais un sourire discret, bien que timide, étira ses lèvres. Ensemble, ils quittèrent l'ombre pour retourner vers la chaleur et la lumière de Meduseld, les paroles de Gandalf continuant à résonner dans l'esprit de Calion.


Le silence de la nuit était ponctué de rires étouffés et de bruits de chopes qui s'entrechoquaient. À l'intérieur de Meduseld, l'ambiance était encore animée, bien que certains des convives aient déjà sombré sous l'effet du breuvage généreusement servi tout au long de la soirée. Gimli, le plus affecté, s'était effondré sur une table, le nez enfoui dans ses bras croisés, émettant un ronflement régulier qui témoignait de son abandon total à la fatigue et à l'ivresse.

Legolas, quant à lui, se détacha de la salle principale avec une élégance tranquille, sans montrer la moindre trace des effets de la bière qu'il avait pourtant consommée en quantité. Il poussa la grande porte de Meduseld et s'avança dans la fraîcheur de la nuit, laissant derrière lui l'agitation humaine pour retrouver le calme du ciel étoilé. Ses pas silencieux l'amenèrent jusqu'au bord de l'esplanade, où la lumière dorée des torches ne portait plus. Là, une silhouette se dessinait dans l'ombre.

Calion était debout, une chope encore à moitié pleine à la main, mais son attention était ailleurs. Son regard, levé vers la voûte céleste, reflétait une intensité qui ne venait pas uniquement du spectacle des étoiles. Il était absorbé dans ses pensées, si bien qu'il ne sembla pas immédiatement remarquer la présence de Legolas. L'elfe l'observa un instant, notant la tension légère dans ses épaules, comme si un poids invisible s'y était déposé. Puis, avec la fluidité qui lui était propre, il s'approcha doucement.

«La bière du Rohan ne semble pas avoir autant d'effet sur toi que sur notre ami Gimli,» fit-il remarquer d'un ton léger, un sourire flottant sur ses lèvres. «Il faudra peut-être un jour que je lui dise que je ne ressens pas ses effets autant que lui.»

Calion tourna légèrement la tête et haussa un sourcil en direction de Legolas, avant de jeter un regard vers l'intérieur du palais. Gimli était toujours affalé sur la table, inconscient du monde qui l'entourait. Un rictus amusé passa sur le visage du rôdeur.

«Il ne te le pardonnerait pas,» répondit-il en levant sa chope, mais sans la porter à ses lèvres. «Il te défierait aussitôt pour laver son honneur. Et il perdrait. Encore.»

Legolas hocha légèrement la tête, amusé. Il laissa son regard vagabonder un instant sur l'étendue sombre qui s'étendait devant eux, sur les collines baignées par la lumière spectrale de la lune. Puis il reprit, plus sérieux cette fois.

«Théoden se méfie de moi,» déclara-t-il sans détour.

Calion tourna cette fois-ci complètement la tête vers lui, la surprise marquant fugacement ses traits.

— « De toi ? » Il secoua la tête, incrédule. « Pourquoi diable Théoden douterait-il de ta loyauté ? »

Legolas laissa passer un instant avant de répondre, sa voix aussi calme que l'eau d'un lac.

— « Saroumane a planté des graines de méfiance. Les hommes sont prompts à se saisir de telles choses, surtout après tant d'épreuves. »

Calion croisa les bras, son agacement perceptible.

— « C'est absurde. Il ne t'a jamais vu faillir. Il sait ce que tu as accompli. »

Legolas tourna enfin son regard azur vers lui, un sourire tranquille aux lèvres.

— « Ce n'est pas une question de faits, Calion. C'est une question d'ombre et de lumière. Je suis le seul immortel ici, hormis Gandalf. Aux yeux de Théoden, je suis le seul qui pourrait avoir été corrompu par les ténèbres depuis longtemps. »

Calion serra la mâchoire.

— « Et donc il te soupçonne d'être l'être dont parlait Saroumane ? »

Legolas hocha légèrement la tête, mais son sourire ne vacilla pas.

— « Il ne le dit pas. Il n'a même pas besoin d'y croire lui-même. Il doute, et cela suffit. »

Calion fit un pas en arrière, levant les yeux vers les cieux constellés.

— « Théoden ne devrait pas douter ainsi de toi. »

Legolas laissa échapper un léger rire, cristallin et amusé.

— « Ce n'est pas à moi que cela nuit, Calion. Je n'ai que faire des doutes des hommes. Je connais mon cœur, et je sais où vont mes allégeances. Que Théoden doute… cela ne changera rien. Ma loyauté parlera pour moi. »

Calion posa son regard sur son ami, une lueur d'admiration traversant son regard vert.

— « Tu es bien plus sage que moi, Legolas. »

Legolas secoua la tête avec un sourire.

— « Ce n'est pas de la sagesse, c'est de la certitude. Toutes les personnes ont leur part d'ombre, certaines plus lourdes que d'autres. Mais ce ne sont pas ces ténèbres qui nous définissent, c'est ce que nous en faisons. C'est la somme de nos épreuves qui façonne la personne que nous devenons. »

Il se tourna alors franchement vers Calion, l'observant d'un regard perçant, perçant mais dépourvu de jugement.

— « Et toi, Calion… Ton passé est bien plus complexe que ce que tu as voulu nous faire croire. »

Le ton de l'elfe était différent cette fois. Il n'accusait pas, ne menaçait pas. Il analysait, déduisait, comme un chasseur suivant les traces d'une proie insaisissable.

— « Je t'observe depuis longtemps, Calion. » Il croisa les bras, un pli soucieux barrant son front. « J'ai envisagé plusieurs hypothèses. D'abord, j'ai cru que tu étais un Istari. Un mage venu d'au-delà des mers, dissimulant ses pouvoirs sous une apparence modeste. Mais tu ne ressembles à aucun d'entre eux. Pas même à Gandalf. Tu ne rayonnes pas de leur lumière, ni de leur sagesse intemporelle. »

Calion garda le silence. Il savait que Legolas n'en avait pas fini.

— « Alors j'ai songé que tu étais un homme béni d'une longévité hors du commun, un vestige d'un ancien temps, un héritier d'un peuple oublié. Mais ton regard me contredit. » Legolas se rapprocha légèrement, sondant l'âme de Calion comme s'il pouvait percer le voile de ses secrets. « Il y a quelque chose en toi… quelque chose d'ancien, de profondément enraciné dans cette terre, et pourtant… étranger. »

Il laissa le silence s'installer un instant avant de lâcher, d'une voix plus basse, plus grave :

— « Je pense que tu es immortel. »

Calion se raidit. Ce n'était pas une question. C'était une déclaration, une conclusion tirée après de longues observations et analyses.

— « Pas comme un elfe. Pas comme un Istari. » continua Legolas. « Mais tu ne peux pas mourir de vieillesse. J'en suis presque certain. »

Calion resta immobile, sa prise sur sa chope se relâchant légèrement.

— « Depuis combien de temps es-tu ici, Calion ? » demanda doucement l'elfe.

Calion hésita. Ce n'était pas une question qu'il pouvait balayer d'un haussement d'épaules.

— « J'ai vu la manière dont tu regardes les paysages, » poursuivit Legolas, implacable. « Ce n'est pas le regard d'un voyageur, ni même d'un roi contemplant son royaume. C'est celui de quelqu'un qui voit un souvenir perdu derrière chaque arbre, chaque rivière, chaque pierre. »

Calion ouvrit la bouche, prêt à protester, mais Legolas le coupa d'un geste de la main.

— « Ne t'inquiète pas. Je ne cherche pas à savoir. » Sa voix s'adoucit. « Je ne cherche pas à forcer une vérité que tu n'es pas prêt à dire. Je veux simplement que tu saches ceci : quoi que tu sois, quoi que tu aies été… tu trouveras toujours du soutien parmi nous. »

Un silence s'installa, aussi profond que la nuit qui les entourait.

Calion détourna enfin le regard du ciel pour le poser sur Legolas. Il ne vit aucun jugement dans ses prunelles claires. Seulement une certitude paisible, et une loyauté indéfectible.

Un instant, il fut tenté de parler. De tout lui dire.

Mais il n'était pas encore prêt.

Alors, sans un mot, il hocha simplement la tête.

Legolas ne dit rien de plus. Il n'avait pas besoin d'insister.

Et ensemble, dans le silence paisible de Meduseld, ils contemplèrent les cieux.