Une douce chaleur réveille Zoro.
Alors qu'un grognement s'échappe de sa gorge sèche, un frisson fugace s'empare de lui, une légère rafale de vent froid contrastant brutalement avec la douce chaleur qui l'environne...
Encore dans les bras de Morphée, seule cette langoureuse torpeur qui le réchauffe emplit son esprit au ralenti et ses sens somnolents...
Il se sent si bien, détendu, entouré par cette agréable chaleur diffuse, presque ensorcelante ...
Il se sent comme dans un cocon bienveillant...
Un poids contre lui, un léger effleurement sous le menton, un souffle tiède sur sa poitrine...
Il laisse son corps lui parler, lui envoyant toutes ces sensations étranges mais délicieusement exquises ...
La chaleur contre lui, le clapotis des vagues, le vent claquant doucement dans les voiles...
Il voudrait rester dans cette léthargie savoureuse, en profiter encore pleinement, se rendormir, mais quelque chose le chiffonne à la lisière de sa conscience, loin, très loin de lui...
Il lui faut un moment pour tout associer dans son esprit encore assoupi.
Les bruits du Sunny l'envahissent, le bercent et l'ombre d'un sourire passe sur ses lèvres sèches.
Une certitude glisse en lui, s'empare de sa conscience, s'insinue dans tous ses nerfs et le fait frissonner de plaisir.
Il est à la maison, sur leur bateau.
Chez lui.
Mais il n'y a pas de cris, pas de rire, pas de bruit de course... Pas de sensation de soleil sur sa peau et l'air sur sa nuque est plutôt froid...
Ses neurones tournent et s'imbriquent enfin, le faisant réaliser qu'il s'est sans doute endormi dehors et que la nuit est probablement tombée...
Ses sens lui renvoient aussi autre chose... un petit picotement à la lisière de sa raison, qu'il n'arrive pas à bien identifier...
Mais il ne tarde pas à comprendre, fronçant les sourcils: si ce n'est pas le soleil qui le réchauffe ainsi, alors c'est quelque chose ... ou quelqu'un...
Il continue de laisser couler en lui les différentes perceptions que son corps lui envoie...
Là! Ce poids contre lui, ce souffle contre son torse nu...
C'est bien un être vivant qui le réchauffe ainsi...
Il ne s'est pas réveillé, à aucun moment, c'est donc quelqu'un qu'il connaît, quelqu'un de confiance...
C'est inhabituel, mais cela ne le surprend pas plus que ça non plus.
Même s'il ne comprend pas bien pourquoi, surtout au vu de son caractère associable, il s'avère que certains de ses compagnons aiment bien dormir contre lui...
Cela ne peut donc être qu'un membre de l'équipage, Chopper plus probablement.
Le petit renne se faufile souvent contre lui, se roulant en boule entre ses jambes lors de ses nombreuses siestes, son poil doux contre sa peau nue, en ronronnant presque de plaisir.
Il fronce les sourcils, les yeux ayant toujours du mal à vouloir s'ouvrir, se concentrant plus profondément sur son ressenti...
Non, un détail ne colle pas... Qu'est-ce qui cloche...?
Là, ça...
Cette sensation étrange sous son menton, comme un effleurement, à mi-chemin entre une caresse et une chatouille ... Chopper n'atteint jamais ainsi son menton, il est bien trop petit...
C'est donc quelqu'un d'autre, de plus grand...
Luffy ou Usopp ? Après tout, cela leur est déjà arrivé une ou deux fois...
Baillant à s'en fendre l'âme, il gigote doucement, juste ce qu'il faut pour se réinstaller confortablement sans réveiller son compagnon, ouvrant tant bien que mal son œil gris.
Sa vision trouble reste floue un moment, alternance de vagues tâches sombres et blanches dansant devant ses yeux...
Elle s'adapte petit à petit, lui offrant finalement une vue paisible sur le pont du Sunny sous la lumière argentée de la lune.
Le ciel étoilé à peine voilé et le pâle cercle lunaire presque parfait, la clarté blanchâtre de la voile et de la façade en bois, les ombres de la pelouse et du pont... Tout cela reste flou sous ses yeux emplis de sommeil, mais ses sens restent calmes, tout est paisible...
Il reste immobile, respirant profondément l'air marin, savourant l'instant...
L'espace d'une seconde, il se demande ce qu'il fait sur l'herbe soyeuse mais fraîche, avant de se souvenir que Robin l'avait relevé de sa garde quelques heures auparavant.
La nuit étant agréable, il s'était installé pour profiter du calme ambiant, laissant le roulis le bercer lentement, à l'extrême opposé de la journée tumultueuse et des hurlements de Luffy devant la nouvelle invention d'Usopp...
Un bâillement lui arrache un petit grognement étouffé et un léger frisson s'empare de lui malgré la douce chaleur qu'il ressent contre lui.
La nuit doit être déjà bien avancée, et il a dû s'endormir sans s'en rendre compte, comme bien souvent.
Zoro remue un peu, tentant de dégager son bras de l'étreinte de la personne contre lui, afin d'essuyer les larmes de sommeil dans son œil.
Il se fige, soudain surpris, perplexe, alors que son regard embrumé accroche du coin de l'œil une chevelure claire, presque éthérée sous la pâle lueur de la lune, comme si elle n'appartenait pas au monde des vivants ...
Quoi ? Qu'est-ce que le...?
Son cœur rate un battement quand sa vision finit de faire la mise au point sur un morceau de sourcil en vrille entre deux mèches blondes, confirmant qu'il s'agit bien de la dernière personne au monde qu'il aurait vu faire ça.
Non, je rêve encore...Impossible...
Mais ses quelques doutes se lèvent tandis qu'il baisse la tête pour mieux regarder, renfonçant son menton contre sa poitrine, son nez frôlant des mèches ébouriffées, l'odeur de nicotine et d'épices remplissant ses narines.
De surprise, il recule sa tête brusquement, ahuri, et son crâne heurte le bois derrière lui, le réveillant quasi complètement avec un sourd grognement de souffrance.
Délicatement, ignorant la douleur mais toujours abasourdi, il finit de dégager son bras droit et resserre doucement sa main sur celle délicate et pourtant robuste qui repose au creux de sa cuisse.
Un léger frémissement parcourt le corps du cuisinier, la fine main dans la sienne lui renvoyant faiblement sa pression, et il relâche précipitamment sa prise, ne voulant pas le réveiller pour autant.
Putain, c'est pas un rêve...
Définitivement réveillé, il relève son bras libre, se passe la main sur le visage, puis dans ses cheveux en brosse.
Il ne comprend pas trop ce qu'il se passe, mais son corps ne lui ment pas, il se sent bien, envahi par la chaleur de son meilleur rival sous ce ciel étoilé...
Et tandis qu'il contemple les mèches dorées d'un œil absent, les mains délicates doucement posées sur son haramaki, les longues jambes à moitié calées sur sa cuisse, il ne peut s'empêcher de se demander comment ce fichu cuistot est arrivé là.
Relevant la tête, parcourant du regard le pont herbeux aux ombres fantomatiques du Sunny, il ne trouve rien qui pourrait expliquer cette situation insolite.
Personne en vue, pas un mot, rien... Juste le vent dans les voiles, faisant onduler de manière erratique l'herbe sur le sol.
Seule une faible lueur lui parvient depuis l'arrière du bateau, là où Robin veille sur le repos de tout l'équipage, tel un ange gardien, depuis la salle des cartes.
Il fronce les sourcils, perplexe: se pouvait-il qu'il ait trouvé le cuisinier endormi quelque part et l'ai gardé ainsi près de lui? Son esprit pleinement réveillé tente de se souvenir, mais rien de tel ne lui revient...
Cela voudrait dire que...
Son cœur rate un battement quand la seule évidence s'impose à lui: cet empoté de Sourcil est venu de lui-même s'installer contre lui.
Il baisse les yeux sur la chevelure blonde contre lui, une lueur d'incompréhension dans son œil gris. Il n'a pas besoin de le scruter pour sentir que le cuistot dort profondément, il peut sentir son souffle lent et régulier contre sa poitrine.
Encore sous le choc, il réalise alors que cela doit faire un moment qu'ils dorment ainsi, dans les bras l'un de l'autre.
Il le sent à travers la chaleur diffuse sous son kimono, aux légers fourmillements dans ses jambes engourdie sous celles de l'autre homme... mais surtout au fait que lui-même ait eu du mal à émerger de cette douce torpeur malgré ce poids contre lui.
Penchant la tête en arrière, il se mord la lèvre quelques secondes, grinçant des dents, se maudissant lui-même.
Non pas que la présence du cuistot le dérange, au contraire. Sa chaleur est agréable dans la fraîcheur de la nuit, et il se moque éperdument qu'un de leur compagnon les trouve dans cette position.
Mais jamais auparavant il ne s'était laissé aller ainsi, et la présence souvent provocante de Sanji le réveille toujours avant que ce dernier n'ait le temps de le toucher...
Sauf cette fois-ci.
Décontenancé, il secoue la tête de colère, se grattant le sommet du crâne de sa main droite, réprimant un frisson... Comment avait-il pu ne pas sentir cet imbécile approcher?
Et avant tout chose, comment ce fichu cuisinier si agaçant s'était-il faufilé ainsi entre ses jambes sans qu'il se réveille ?
Au fond de lui, il sait qu'il n'y a qu'une seule réponse possible, mais il n'ose envisager cette possibilité... Cela leur ressemble tellement peu... Mais cela lui paraît si évident au final...
Il le connaît si bien... Il est le seul à qui il confierai sa vie les yeux fermés... Et il sait que seul leur ego et leur fierté les empêche d'avoir une relation normale, comme les autres...
Son cœur s'emballe tandis que son esprit réalise que la seule possibilité est que le cuistot ait baissé sa garde aussi...
Celui lui paraît si improbable... Mais alors...
Serait-ce à cause de ...?
Une infime tressaillement fugitif entre ses bras le coupe dans sa réflexion.
Un long gémissement étouffé monte alors dans la nuit et il baisse les yeux vers la chevelure blonde.
Il sent les doigts fins se crisper sur son haramaki, les épaules contre son torse frissonner, le corps contre lui se tendre légèrement.
Il fronce les sourcils à nouveau, comprenant aussitôt ce qu'il se passe, mais ne sachant comment réagir...
Il sent un mauvais rêve malmener l'esprit du cuisinier, mais il ne peut se permettre d'avoir un geste tendre envers lui...
Ce n'est pas comme ça qu'ils fonctionnent...
Mais rien dans cette situation n'est normal...
Alors ... Peut-être qu'il peut quand même le faire et se laisser porter avec lui ...
Juste pour cette fois...
Il dégage lentement son bras gauche au moment où le grognement se transforme en plainte assourdie, et il ressent la détresse qui monte graduellement chez le cuisinier contre lui, sans même avoir besoin du fluide.
Doucement, presque avec tendresse, il dépose ses doigts rêches et tremblants sur le dos du cuistot, son pouce glissant sur le tissu en un geste de réconfort.
La plainte étouffée se tarit doucement, il sent les doigts se délier de sa ceinture...
Avant qu'un changement quasi imperceptible dans l'air ne le surprenne, une infime tension silencieuse suivi d'un brusque sursaut saisissant le corps contre lui et qu'il ne le sente se recroqueviller encore plus sous le kimono, comme s'il voulait disparaître complètement.
Sans réfléchir, comme il l'a déjà pu le faire avec Chopper, sa main droite se déplace vers la joue de son compagnon puis ses doigts se glissent dans les mèches jusqu'à la nuque, son pouce dessinant des petits cercles sur la peau douce derrière l'oreille.
Et tandis qu'un subtil frémissement traverse le corps endormi, il sent contre sa poitrine un long souffle tiède alors que la respiration se fait plus lente sous sa main gauche.
La crise est passée... jusqu'à la prochaine.
Sans s'en être rendu compte, il relâche le souffle qu'il avait retenu en un soupir de soulagement en voyant les doigts fins qui desserrent enfin son haramaki et le corps svelte qui s'affaisse lentement dans son kimono se reposant de tout son poids contre lui.
Il dépose délicatement son menton dans les mèches blondes, qui le chatouille vaguement, avant de plonger son nez dedans, respirant cette odeur particulière, mélange de nicotine et de sel, si familière pourtant, heureux d'avoir pu lui apporter un peu de réconfort.
Il ne sait combien de temps il reste ainsi les yeux mi-clos, le corps svelte du cuistot niché contre lui, les doigts bougeant d'eux-mêmes, continuant leurs cercles apaisant derrière l'oreille.
Ses sens se laissent porter par cette présence chaleureuse entre ses bras, par son désir de rassurer et de chasser les cauchemars de son ami.
À la lisière de sa conscience, il se demande si cet idiot a atterri entre ses jambes à cause d'eux...
Et quand ses doigts frôlent les racines humides et poisseuses des mèches blondes sur la nuque, il fronce les sourcils, ses gestes se suspendent une infime seconde...
Et la réponse vint d'elle-même, transperçant son cœur, l'emplissant d'une vague tristesse qu'il se gardera bien de montrer...
Sanji n'est pas comme Nami ou Usopp, ou encore Chopper. Il supporte assez bien la chaleur comme le froid ...
Et ce soir, la nuit n'est pas assez chaude pour les faire transpirer...
Il n'y a que des sueurs froides de terreur pour laisser de telles traces de transpiration chez son compagnon.
Il n'est pas dupe, contrairement à certains de ses camarades ... Et bien moins aveugle que ce fichu Sourcil le pense.
Son rôle de Second est de veiller sur l'équipage et leur capitaine, y compris celui que tout le monde considère comme son rival, mais qu'il apprécie au fond de lui. Ils se connaissent si bien que parfois, même les mots sont inutiles entre eux.
Ils se complètent souvent et il n'aurait pu trouver mieux comme partenaire... même s'il ne lui dira jamais...
Et il n'a pas besoin de son Fluide pour sentir que quelque chose tracassait son ami ces derniers jours. Il a bien vu les cernes sous l'oeil azur, les sourcils vrillés un peu plus froncés que d'habitude, son sourire de façade un peu fade, mais juste ce qu'il faut pour tromper la vigilance des autres membres d'équipage ...
Ils font tous des cauchemars, rêvant de leurs aventures passées, des personnes qu'ils ont laissé derrière eux pour accomplir leurs rêves.
Sanji comme les autres.
Dernièrement, plus d'une fois, il a été réveillé, comateux, au plus profond de la nuit, pour voir les gestes saccadés faire tanguer le hamac à côté du sien, entendre les gémissement et les pleurs étouffés de son voisin.
Mais jamais il ne brisera la règle tacite au sein de leur équipage: ne pas interférer dans la vie privée des autres.
Pour garder un équilibre, ils avaient leurs jardins secrets et leurs propres histoires. Personne ne pose de questions tant que leur survie n'est pas en jeu... Ou qu'il n'appelle à l'aide...
Alors, à chaque fois qu'il voit le cuistot se réveiller et sortir la démarche tremblante et les épaules affaissées, il a envie de le poursuivre pour le rassurer, chasser ses fantômes et lui promettre que tout irait bien mais il reste immobile.
Et il ne fera jamais rien ...
Car d'une part, c'est une promesse impossible à tenir... Et d'autre part, ce faisant, il briserait cette règle tacite entre eux... Et les gestes tendres étaient à des milliers d'années lumières de leur relation houleuse...
Jusqu'à ce soir...
Et ce probable appel à l'aide inconscient du blond...
Il n'ose imaginer les souffrances qu'à dû subir son compagnon pour revivre de tels cauchemars ...
Lui si calme en surface... Mais il sait à quel point son cœur est passionné, à quel point cet idiot de Sourcil vit à fond chaque instant, à quel point son esprit tortueux peut le mener au bord de la folie...
Il sait à quel point ils sont si différents...
Il sait qu'il ne devrait pas, qu'il se trompe peut-être, qu'il se ment à lui-même...
Que le cuistot détesterait qu'on les surprenne ainsi... Que leur relation s'épanouit dans leurs insultes et leurs querelles, leur si belle rivalité ...
Mais quand il sent Sanji se caler un peu plus contre lui, lâcher un léger soupir de contentement, effleurant de son souffle chaud sa peau nue, il sait que c'est dont il a besoin à cet instant.
Quel que soit le chemin qu'ait emprunté l'esprit torturé du cuistot pour l'amener jusqu'à lui, il serait toujours là.
Alors, juste cette fois, il lâche complètement prise et envoie son sens de l'honneur et son ego aux oubliettes pour quelques heures...
Le nez toujours dans les cheveux blonds, il ferme les yeux, se laissant envahir à nouveau par cette odeur particulièrement suave et cette présence si familière.
La brise nocturne tourne et s'engouffre un instant entre eux, et il sent la peau du cuistot se hérisser sous ses doigts rugueux dans sa nuque.
L'espace d'un instant, il pense à se lever et porter son comparse dans son hamac, le remettre au chaud pour qu'il finisse sa nuit tranquillement... Sans lui risquer des courbatures par cette position peu habituelle.
Avec un long soupir résigné, il ouvre les yeux et remue doucement, faisant éclater cette bulle réconfortante si délicieuse dans laquelle il s'était plongé, espérant décaler le cuistot sans le réveiller.
Mais tandis qu'il glisse sa main droite hors des mèches dorées, des doigts fins et tièdes se resserrent sur sa cuisse en une légère pression et une sourde protestation résonne dans son torse... Comme un souffle infime qui le paralyse aussi sec.
Il n'ose bouger plus, de peur de réveiller pleinement son compagnon...
Cet instant s'éternise, et la pression des doigts fins diminue, amenant un mince sourire affectueux sur les lèvres sèches, qui se perd doucement dans la chevelure blonde...
Sa main gauche descend le long du dos du cuistot, s'emparant du rebord de son kimono, et glisse le long de la taille de son compagnon, refermant un plus le vêtement sur eux.
Avec délicatesse, il resserre son éteinte sur son compagnon, gardant leur chaleur au creux de son kimono, veillant sur le sommeil apaisé du cuistot, dans la bulle réconfortante de ses bras musclés.
Autour d'eux, la lune descendante brille doucement, éclairant d'un halo argentée les deux silhouettes endormies.
La nuit s'étire doucement, les enveloppant dans son ombre, tandis que l'œil gris se ferme lentement...
