Un léger cri le réveille en sursaut.

Son œil gris s'ouvre en grand, sur le qui-vive.
Devant lui, une mouette semble les regarder d'un air moqueur.

- Tsé..., crache-t-il en direction de l'animal, remuant des pieds pour le chasser.
Le volatile fait quelques bonds hors de portée, piaillant encore une fois.
Soudain, une main apparaît comme par magie dans son dos et le chasse d'une grande claque dans une nuée de plume blanches.
Immobile, Zoro remercie d'un faible geste de la tête l'intervention de Robin tandis que l'apparition s'évapore en pétales de fleurs volant dans les airs.
Il ne sait d'où la jeune femme observe le pont, mais il lui en est redevable.
Il n'a pas besoin de baisser les yeux pour savoir que Sanji dort toujours profondément entre ses bras, sentant encore la respiration lente et profonde contre sa peau nue.
D'ailleurs, il lui semble avoir encore plus chaud que lors de son dernier réveil, où il avait eu la surprise étonnante de découvrir le cuistot confortablement installé contre lui. Certes, il ne sent plus le vent marin comme quelques heures auparavant, mais cela n'explique pas tout.
Levant la main du mieux qu'il peut, bloquée sous le bras du cuistot endormi, ses doigts finissent par entrer en contact avec une matière duveteuse un peu rêche: il reconnaît la matière des couvertures du Sunny.
Avec un léger sourire, il se dit qu'il devra doublement remercier la jeune archéologue d'avoir pris ainsi soin d'eux.
Un long bâillement lui arrache alors un grognement et il observe enfin le paysage environnant: les ombres lui apparaissent plus imposantes, plus allongées. La lune est bien descendue sur l'horizon, seule sa lueur argentée lui parvient de derrière la rambarde du Sunny, emplissant le pont de ténèbres encore plus sombres.

Il reste ainsi quelques minutes, profitant une dernière fois de l'instant présent...
De ce moment d'éternité, à l'abri des regards, se contentant d'un bonheur aussi simple que la présence chaleureuse de son compagnon dans la fraîcheur de la nuit.
Mais il ne peut rester ainsi plus longtemps.
La nuit va tirer sa révérence dans peu de temps et il est grand temps pour les deux hommes de regagner leur hamac.
Il ne peut permettre aux autres membres d'équipage de les trouver dans une telle position, à la fois embarrassante et aux antipodes de leur relation habituelle. Le cuistot le tuera sans hésiter s'il l'apprenait. Robin ne comptait pas, il avait confiance en elle quand il s'agissait de garder un secret... et au pire, il irait lui parler dans la matinée.
Il se contentera de garder pour lui cette attitude si aberrante et à la fois touchante de cet idiot de Sourcil en vrille... Il espère juste que le réconfort que ce dernier ait pu trouver entre ses bras lui permette de finir sa nuit sereinement et de ne plus refaire de cauchemar par la suite...
Ce n'est pas dans les habitudes du cuistot de demander de l'aide, mais il croise les doigts pour que cet idiot puisse refaire appel à l'un de ses compagnons pour l'aider à guérir définitivement ce qui le traumatise ainsi.

Avec un profond soupir, il remue doucement, dégageant ses mains de la chaleur attrayante de son kimono et du corps collé à lui.
Il hésite un instant, puis cède une dernière fois, passant ses doigts dans les mèches blondes en une légère caresse.
Contre lui, l'autre homme ne bronche pas, dormant toujours du sommeil du juste, le visage apaisé, la respiration profonde.
Soudain, ses doigts tremblent un instant, mais il ne résiste pas à la tentation et soulève délicatement la chevelure éparse, dévoilant le front et les deux yeux fermés de son comparse...
L'ombre d'un sourire apparait alors sur ses traits fatigués à la vue de ces sourcils asymétriques, vrillés dans la même direction, donnant un air unique à celui qu'il respecte tant...
Mais jamais il ne lui avouera son geste, sachant l'embarras voire la honte qu'éprouverait le cuistot s'il le savait. Il relâche doucement les mèches sur le visage de son compagnon, toujours un peu surpris par la vision étrange de ces sourcils, qu'il ne trouve pas plus honteux ou dérangeant qu'un homme squelette ou un renne parlant...
Mais même s'il ne comprend pas l'attitude du cuistot par rapport à son visage, il respecterait cette habitude et ne dirai rien qui puisse trahir ce qu'il venait de faire.

Redevenant sérieux, il lui faut maintenant ramener le cuistot au chaud sans le réveiller. Repoussant la couverture posée sur eux, il passe délicatement un bras sous les jambes de son compagnon et l'autre dans son dos.
Observant du coin de l'œil les traits délicats, faisant fi du frisson qu'il ressent, il prie mentalement pour que le froid ne le réveille pas.
Prenant appui contre la rambarde, il soulève lentement le corps assoupi et le décale en dehors de ses jambes, le laissant reposer sur la couverture afin de ne pas sentir l'humidité de l'herbe.
Il se redresse à moitié et s'empare de ses sabres reposant contre le bois, les glissant en un geste sûr tiré de l'habitude dans son haramaki, avant de s'accroupir de nouveau.
Avec d'infinies précaution, il soulève de nouveau dans ses bras le corps de son compagnon, se penchant légèrement en arrière pour garder l'équilibre.
le cuistot est étonnamment plus léger qu'il ne le pense, et il sent la tête blonde dodeliner doucement avant de tomber lourdement contre sa poitrine, provoquant un faible grognement étouffé.
Il se fige, les jambes plantées bien droite sur le pont, les muscles de ses bras saillant sous l'effort, les yeux rivés sur les traits du cuistot, redoutant de l'avoir réveiller...
Mais, le grognement se transforme en marmonnement incompréhensible, suivi d'un profond soupir avant que le souffle ne redevienne paisible comme avant.

Avec un soupir de soulagement, le sabreur se dirige alors d'un pas lourd vers la cabine des garçons, traversant le pont du Sunny en silence, sans un regard pour leur couverture glissant sur le sol.
Doucement, d'un mouvement du coude, il appuie sur la poignée et pousse le battant de bois du bout du pied, priant pour qu'elle ne grince pas.
Doucement, la porte s'ouvre, claquant à peine en fin de course, et il s'engouffre à l'intérieur, son précieux fardeau dormant toujours entre ses bras.
En équilibre instable, il s'appuie contre la paroi afin de repousser la porte d'un mouvement du pied, évitant au froid de pénétrer un peu plus dans la chambre commune.
S'adossant à la porte, la refermant complètement dans le même mouvement, il reste quelques instants immobile, laissant son œil s'accommoder de la faible lueur régnant à l'intérieur.
Il peut entendre les ronflements et divers grincements familiers, preuve que ses compagnons d'aventure dorment d'un sommeil profond, n'ayant pas remarqué leur absence. Il s'avance alors dans la pénombre, contournant les divers obstacles - la petite table encastrée, les piles de linge sale et autres- avant de s'arrêter près de l'alignement de lits en bois suspendus.
Il arrive enfin à distinguer sur sa gauche l'imposante silhouette de l'homme poisson, respirant profondément. A côté de lui, ce qui lui apparait comme deux très longs bras pendent jusqu'au sol depuis le hamac du haut. En dessous, il lui faut un moment pour comprendre l'étrange forme : au pied de la silhouette au long nez, il reconnait les bois de renne émergeant d'une bosse sous les draps.
Il repère alors leurs deux hamacs vides, puis derrière il entend plus qu'il ne voie les deux derniers membres de l'équipage: une ombre imposante et grinçante en bas et un doux fredonnement venant d'au-dessus.
Tous ces bruits familiers le font sourire dans l'ombre de la pièce, le rassure en même temps, et il se dirige lentement entre les deux hamacs libres, esquivant la main flasque de son capitaine trainant au sol.

S'arrêtant devant le hamac libre à côté du sien, il contemple une dernière fois les mèches blondes contre son torse, les mains fines reposant délicatement sur kimono.
Il se penche doucement, serrant les dents, dégageant un de ses bras pour repousser la couverture sur le lit, libérant la place pour y déposer le cuistot.
Inspirant profondément, il soulève un peu plus à bout de bras l'homme assoupi et vient le faire reposer sur le hamac, faisant glisser ses mains petit à petits de dessous le corps désormais allongé.
Alors qu'il se redresse, il sent qu'on s'empare fermement de son kimono, tirant sur le tissu, le forçant à se maintenir le buste penché en avant.
Dans le même temps, Sanji pousse un grognement de protestation, tournant brutalement le dos au sabreur, s'agrippant désespérément au tissu vert du kimono, menaçant le faire craquer.
Zoro est maintenant quasiment couché sur son compagnon endormi, son visage à quelques centimètres de son cou, ses mains posées sur le bois de part et d'autre de la silhouette enroulée dans son vêtement pour éviter de s'écrouler. Son cœur s'emballe et il prie pour que ce fichu cuistot pervers ne se réveille pas maintenant...
Il a beau tenter de se relever, son kimono reste emprisonné dans les doigts crispés de ce fichu Sourcil. Il n'ose trop tirer dessus, de peur d'une part de le réveiller complètement et d'autre part de déchirer son précieux bien. C'est une des rares tenues dans laquelle il se sent vraiment à l'aise et il espère bien la conserver en bon état.
Levant les yeux, il tire à nouveau sur les coutures, espérant le dégager d'un coup sec, mais aperçoit alors un léger pli se former entre les sourcils vrillés, et un nouveau gémissement s'échappe des lèvres fines.
Il ferme les yeux, figé, redoutant le réveil et l'éclat de voix qui allait suivre... mais rien ne vient... au contraire, il sent de nouveau un tiraillement sur son kimono, suivi d'un léger soupir.
Ouvrant son œil gris, effaré devant le spectacle à quelques centimètres de ses yeux, il ne peut s'empêcher de réprimer un gloussement moqueur, qui lui semble résonner comme un claquement dans l'obscurité de la chambre. Il lève son regard rapidement mais rien ne semble remuer autour de lui.

Cependant, à force de tirer dessus, il sent soudain son kimono s'ouvrir en grand, la ceinture ayant cédée sous la tension, le faisant glisser sur ses épaules. Les doigts fins en profitent aussitôt pour tirer un peu plus dessus, ramenant un grand pan de tissu sur le visage pâle désormais à moitié enfoui dedans...
Son air moqueur disparaît alors qu'il observe de plus près les traits du cuistot: ce dernier inspire profondément, ses sourcils se dérident et un sourire apaisé semble naître sur ses lèvres.
A cet instant, ce solide compagnon lui apparaît comme un enfant perdu, serrant au creux de ses mains la seule chose lui apportant du réconfort... et son cœur se serre à cette image.
Abandonnant la partie, sans trop réfléchir à ses gestes, Zoro décide alors de se débarrasser de son haut, laissant le cuistot remporter le morceau de tissu.
Se contorsionnant au-dessus de la silhouette endormie, faisant glisser le tissu le long de ses bras, il arrive enfin à s'en dégager et se redresser. Rassemblant le vêtement et recouvrant du mieux qu'il peut son comparse, il l'entend à nouveau soupirer de contentement et se lover un peu plus dans son hamac, resserrant son étreinte, comme s'il pouvait s'enrouler autour de ce maigre bout de tissu.
Avec l'ombre d'un sourire indulgent, Zoro ramène alors sur lui la couverture, l'étendant par-dessus son kimono, n'en faisant ressortir que le coin chiffonné d'où s'échappent quelques mèches blondes.
Même si lui s'en moque, il se doute que cet idiot de Sourcil ne souhaite pas qu'on le voie dans cette situation un peu gênante, à ensuite devoir expliquer à leurs compagnons pourquoi il serre contre lui le vêtement du sabreur...
D'ailleurs, il se doute qu'il aura droit aux pires insultes demain matin, quand le cuisinier constatera qu'il a dormi avec son kimono dans les bras... à moins que cet idiot arrogant ne vienne le voir avec du riz blanc et de la viande de monstre marin, accompagné d'un bon saké...
Dans les deux cas, cela lui irait parfaitement, car c'était leur quotidien, la normalité de leur relation, ce qui les définissait... et il garde précieusement dans un coin de son esprit ces rares moments calmes qu'ils avaient parfois ensemble.

Avec un profond bâillement, il s'éloigne du hamac et se retourne vers le sien, puis dépose avec soin ses sabres contre le mur.
D'un geste souple, négligeant l'échelle, il saute à l'intérieur, avant de se glisser sous sa couverture avec un profond soupir.
Dans les ombres mouvantes, bercés par les bruits résonnant autour de lui, il ne peut s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil sur le côté, vers la silhouette profondément endormie se soulevant doucement au rythme lent de sa respiration.
Il reste ainsi un moment, avant de sentir le sommeil le gagner enfin, clignant des yeux avant de les fermer définitivement, emporté par le doux roulis du navire.

La première chose qu'il ressent est un poids sur son torse... puis vient une odeur dans ses narines, entêtante... une odeur d'acier, familière sans qu'il sache pourquoi...
Puis il prend conscience de son corps bien au chaud sous ses draps...
Il baille à s'en faire décrocher la mâchoire, grognant presque tandis que son esprit lui envoie le signal habituel qu'il est l'heure de se réveiller.
Surpris, ses lèvres se referment presque sur un bout de tissu... apparemment, il s'est endormi la tête dans sa couverture... puis ses paupière se soulèvent lentement... et il se retrouve à cligner des yeux, perplexe devant cette teinte vert foncé qui emplit son champ visuel.
Sanji se redresse brusquement, s'asseyant dans son hamac, le regard fixé sur le morceau de tissu qui glisse sur ses genoux... un tissu terriblement familier et pourtant si extraordinaire...
Complètement réveillé, il sort ses bras de l'empêtrement de tissu qui le recouvre, s'emparant du textile, le levant à bout de bras devant lui... Dévoilant les larges manches, la découpe si reconnaissable...
Un vêtement si basique mais qu'il reconnaitrait les yeux fermés - ou presque...
Un kimono vert ...
Aussi vert que les cheveux de son propriétaire...
Il coule un regard vers le hamac voisin, où repose paisiblement une silhouette aux cheveux de jade en brosse, la bouche ouverte, les bras en croix, ronflant doucement... Pour un peu, il verrait presque le filet de bave dégoulinant dans son cou...
Pourquoi...?
Reportant ses yeux sur le tissu emmêlé avec sa couverture, il reste perplexe, cherchant désespérément une raison à sa présence si incongrue dans son lit, entre ses bras...
Pire même: sur son visage...
Car il sait maintenant d'où provenait cette odeur si familière d'acier à son réveil.

Soudain, une certaine gêne l'envahit et il tourne le regard à droite puis à gauche, parcourant des yeux la pièce dans la faible lueur.
Mais il n'entend que des ronflements et autres marmonnements indistincts, tous les hamacs sont occupés et aucun de ses compagnons ne semble l'avoir surpris en train de dormir avec ce satané morceau de tissu collé sur le visage.
Soulagé, il ne peut empêcher un profond soupir de franchir ses lèvres, ni ses épaules de se relâcher et s'affaisser doucement.
Portant son regard vers le petit hublot, il peste un peu en apercevant une faible lueur, signe que l'aube est déjà là. Il a dormi plus que d'habitude et il doit maintenant s'activer sévère pour préparer le petit déjeuner.
D'un geste ample, il repousse les couvertures et se laisse glisser en dehors du lit en bois, ses pieds frémissent au contact du plancher froid.
Puis, déposant le kimono sur les pieds d'un Zoro au pays des rêves, il se dirige rapidement vers son casier et l'ouvre lentement.
Avec soulagement, ce dernier ne grince pas et il s'empare d'un costume propre avant de filer tout aussi silencieusement vers la sortie. Contrairement aux autres, il prend grand soin de l'huiler régulièrement, étant toujours le premier à se lever et ne voulant pas réveiller ses amis en attrapant ses affaires.

Une fois dehors, la fraicheur de l'aube le fait frissonner, le ciel se pare d'un léger bleu clair, teinté du rose précédent le lever de soleil.
Mais pour une fois, il n'a pas le temps de contempler ce spectacle si splendide et apaisant. D'ailleurs, c'est étonnant qu'il se soit réveillé bien plus tard que d'habitude...
À bien y réfléchir...
Son pas ralenti au fur et à mesure qu'il se dirige vers la salle de bain, ses pensées se font plus cohérentes, les souvenirs de la nuit refaisant lentement surface.
Il finit par se figer, les mains serrées sur son costume propre, les yeux écarquillés d'horreur devant l'ampleur de ce qu'il a fait cette nuit.
Tout lui revient d'un bloc: sa terreur nocturne, son réveil en sueur, la clope en pleine nuit, la vision de l'algue installé sur le pont... et cette idée absolument absurde de se glisser contre lui ... et de s'y endormir!
Son esprit tourne à plein régime, mille questions l'assaillent.
Secouant la tête, il reprend sa marche et se dépêche de glisser sous la douche une fois dévêtu. Le filet d'eau chaude lui fait un bien fou, apaisant son esprit torturé.
Il a beau chercher, il ne se souvient de rien passé le moment où il s'est niché contre la peau nue du sabreur, bien au chaud entre ses bras et l'épaisseur de ce fichu kimono vert.
Il se devait d'être réaliste: il savait au fond de lui pourquoi il avait cherché la présence du sabreur, pourquoi il avait été le dernier rempart à ses cauchemar, lui octroyant une nuit enfin paisible et réparatrice...
Tout simplement parce qu'il était le seul membre d'équipage avec qui il pouvait être réellement lui-même. De par leur relation si intense et si chaotique, il était le seul qu'il respectait pleinement.
Alors quoi de plus normal en vérité que d'aller guérir ses tourments auprès de celui en qui on a le plus confiance?
Mais alors... pourquoi s'était-il réveillé dans son lit? Pourquoi n'avait-il aucun souvenir d'être retourné dans la chambre? Pourquoi cet abruti ne l'avait-il pas réveillé? ... et surtout pourquoi diable ce fichu kimono avait atterri sur sa figure?
Avec un cri de désespoir mêlé de colère, il se frotte vivement les cheveux, espérant y voir plus clair, mais il ne voit qu'une seule solution évidente...
mais qui au fond ne le surprenait pas tant que ça...
Il sait que Zoro est moins aveugle qu'il n'y paraît et qu'il veille farouchement et discrètement sur eux tous. Il l'avait compris à ses dépends à Thriller Bark.
Et aussi surprenant que cela paraisse, le sabreur avait encore une fois veillé sur lui, l'avait laissé dormir et l'avait même ramené dans son lit...
Sans doute avait-il eu du mal à relâcher le vêtement imprégné de son odeur et son compagnon le lui avait laissé, ne voulant pas l'abîmer plus que de raison...
Avec un profond soupir résigné, il décide que cette explication en valait bien une autre, et du moins cela a l'avantage de calmer son esprit épouvanté.
Il n'aura sans doute jamais le fin mot de l'histoire, car il n'osera jamais en parler avec son comparse.
Ce serait avouer que cet idiot comptait bien plus qu'il ne le laisser paraître, et ça, il ne le dirait pour rien au monde.
Il doit maintenant se reprendre et se concentrer sur ses recettes car son capitaine n'aura aucune pitié si le repas n'est pas prêt dans les temps.

Rapidement, il se sèche, enfile ses vêtements propres et file vers la cuisine, toquant discrètement en passant devant la porte de la salle des cartes avant de l'ouvrir:
- Robin d'amour, tu peux aller dormir, je prends la relève! déclare-t-il doucement, voyant la jeune archéologue lever la tête de son livre, confortablement installée dans un fauteuil.
- Ah, merci Sanji.
- Tout s'est bien passé?
- Oui, rien à signaler. Je laisse le Sunny entre tes mains... dit-elle en se levant et en rangeant l'ouvrage.
Toujours galant, il lui tient la porte tandis qu'elle sort, la referme doucement, puis suit la jeune femme le long de la coursive.
Arrivé en haut des escaliers, il lui souhaite une bonne nuit avant de se diriger vers la cuisine.
Mais il fut arrêté par deux mains sortant du bastingage, tenant une couverture:
- Oh, Sanji-kun ? Pourras-tu remettre ceci à notre sabreur? Vous l'avez laissé tomber en rentrant vous coucher..., déclare la voix malicieuse en dessous, depuis le pont du Sunny.
Il reste sans voix, trop confus et embarrassé que quelqu'un les ait quand même vu dans un moment de faiblesse, d'autant plus l'une de ses princesses chéries, et se saisit du plaid en silence.
- Mais je suis rassurée, notre sabreur a su effrayer les dernières traces de tes cauchemars.
- Robin d'amour? questionne-t-il enfin, d'une voix tremblante.
- Oui?
- Les autres n'ont pas forcément besoin de savoir tout ça, je pense...
- Humm... En effet, cela vaut sans doute mieux. Soit rassuré, votre secret le restera. Mais tu sais, cher Cuisinier, quand tu le voudras, il y aura toujours quelqu'un pour t'écouter
- Merci, Robin.
Il reste un moment silencieux, perdu dans ses pensées, tandis qu'il entend les pas feutrés de la jeune femme s'éloigner et le porte de la cabine d'en face claquer doucement.
Il reprend ses esprits, il sait que Robin n'en parlera à personne et il est heureux que ce soit elle et non Usopp qui fut de garde cette nuit.

Toujours perdu dans ses pensées, il pénètre dans la cuisine et commence à tout préparer machinalement. Ce sont des gestes qu'il a accompli des milliers de fois, routine basique du quotidien, qui l'ancre dans le réel mieux que des mots.
Les derniers évènements le tourmentent encore un peu, mais cuisiner l'apaise.
Faire lever la levure dans un fond de lait tiède, verser la farine dans un récipient, y casser les oeufs, battre le tout en ajoutant le lait... Ses mains volent d'elles-mêmes sur le plan de travail, laissant son cerveau tourner en boucle, repassant sans fin le film de la nuit.
Robin lui a confirmé ce qu'il pensait, et il sait qu'il ne peut rien y faire.
Il a conscience d'être reposé, nettement plus détendu que ces dernières nuits, et il sait que la présence chaleureuse de Zoro y est pour beaucoup.
Il comprend désormais pourquoi Chopper se glisse toujours entre ses jambes lors de ses siestes.
Décalant son saladier empli de pâte à pancake, puis vérifiant la cuisson de son riz, il s'empare ensuite d'un filet de monstre marin et commence à le découper délicatement, faisant virevolter sa lame aussi bien que l'aurait fait Zoro. Préparer son plat préféré était la moindre des choses qu'il pouvait faire pour le remercier, sans se couvrir de honte.

C'était leur manière de communiquer, à travers ce qu'ils savaient faire le mieux au monde...

Et quelques heures plus tard, dans une cohue générale, sa plus belle récompense fut quand le sabreur débarqua bon dernier au petit déjeuner, lui jeta à peine un coup d'oeil, puis engloutit le regard pétillant son plat de poisson et de riz.

Nul besoin de mot entre eux, seuls leurs actes comptent.

Un seul regard échangé suffit.

Une promesse muette.

A tout jamais.