Cher hôte,
Vous aviez raison, il s'est effectivement passé beaucoup de choses dans la matinée… Nous avons croisé la Marine. Il s'agissait d'un cuirassé dirigé par le Contre-Amiral Smoker qui revenait d'Alabasta et qui escortait Crocodile à Impel Down. Il nous a contrôlés. La pression était terrible mais la stratégie de nous faire passer pour des pêcheurs a très bien fonctionné et nous avons repris notre cap directement.
Figurez-vous que pendant l'altercation, au lieu d'accoster le bateau adverse, j'ai accosté dans le bateau adverse… J'ai encore honte.
Je me doute que patienter au Palais n'est pas la partie la plus plaisante du voyage pour vous. J'espère que mes lettres vous distraient un peu. À ce propos, quelle est l'affaire la plus étrange que vous ayez suivie pendant les réunions ?
En vous souhaitant une agréable soirée – ou nuit, selon l'heure – et au plaisir de vous lire.
Braalaka Eiksen
Une croix en haut de la colonne de droite.
….
Rakuyou, les avant-bras appuyés contre le bastingage, observait l'océan sombre dont la surface était mouchetée d'étoiles diaphanes. L'air iodé qui bombait doucement la voile depuis le début de la journée s'était rafraîchi ; seules les crépitations des bulles d'écume qui bariolaient les vagues remplissaient le silence. Le septième commandant inspira profondément comme s'il voulait emplir ses poumons de cette atmosphère vespérale. Il estimait les veillées parmi les moments les plus agréables dans le quotidien d'un pirate. Les chants de l'océan, la bise marine qui vivifie la peau, la présence discrète mais apaisante des camarades, la sensation d'être seuls au milieu du monde mais d'y exister dans la plus pure liberté… Il en avait passé, des nuits entières, perché dans la hune du MobyDick à regarder la mer. Il se les remémorait, un sourire aux lèvres. Lorsqu'il était en équipe avec des hommes tels que Marco ou Vista la surveillance se muait en contemplation silencieuse dans l'intimité de laquelle ils échangeaient quelques pensées personnelles et profondes. Avec Ace, ou encore Oden des décennies auparavant, les conversations étaient plus comiques et ils s'épuisaient en paroles jusqu'à finir par s'endormir, dos l'un à l'autre dans le nid-de-pie, tout cela pour être réveillés au petit matin par les sermons de ceux qui venaient les relayer. C'était cette dernière habitude que Rakuyou partageait avec Thatch.
Le septième commandant se redressa et tourna la tête vers Marco. Il tenait la barre, l'air iodé berçait ses mèches blondes qui se balançaient doucement autour de ses tempes rasées. Ses prunelles bleues étaient fixées sur l'horizon, son visage fermé témoignait de sa concentration mais ses épaules étaient basses, détendues, les pans de sa chemise violette déboutonnée tombaient nonchalamment le long de son corps. Cette vue arracha un sourire au moustachu : c'était du Marco dans toute sa splendeur, une posture décontractée mais qui respirait un sérieux presque diligent. Il le savait, entre la perte de Thatch et le départ d'Ace, la dernière année avait ébranlé le blond autant dans ses sentiments d'homme que dans sa position de second d'équipage. Sa nature soucieuse en avait été exacerbée et Rakuyou fut heureux de voir que son frère parvenait à se détendre un peu malgré tout. Il s'approcha de lui et s'appuya contre le pupitre.
« Marco, souffla-t-il à voix basse.
- Oui ?
- Tu te rappelles quand on a affronté l'équipage de Roger pour la dernière fois ?
- Je m'en souviens très bien, yoi. Pourquoi ?
- Tu avais chargé Rayleigh comme un idiot et il avait stoppé ton kick d'un seul doigt… murmura Rakuyou avec un sourire nostalgique. Je t'avais rarement vu te comporter autant en tête-brûlée.
Un ricanement agita la poitrine de Marco.
- C'est vrai que je n'avais pas été très malin cette fois là… Et toi, tu essayais de dégommer Shanks à coups de fléau. Il avait quoi ? Onze, douze ans ?
- Il se moquait de mon duvet de moustache ! Pas de pitié pour les gosses. »
Les rires spontanés des deux commandants s'élevèrent par-dessus les chuchotements des vagues. Ils commencèrent à énumérer quelques souvenirs de leurs batailles dantesques avec les équipages rivaux qui appartenaient, eux-aussi, aux légendes de l'âge d'or de la piraterie, l'époque où tous les partis luttaient pour stabiliser leur domination sur les mers et où les titres qui délimitaient le monde d'aujourd'hui se forgeaient à peine.
….
À l'aube une légère averse s'était déversée sur l'océan, les fines gouttelettes raisonnèrent sur le pont comme sur une peau de tambour. Artie et Braalaka avaient repris leur poste à peine l'intempérie passée et, heureusement pour elles, à mesure que la matinée s'étirait le soleil reprenait sa place dans le ciel azur et le vent, resté doux, poussait les nuages derrière elles. Le plancher du pont avait séché et dégageait l'odeur du bois chauffé par le soleil. Cela convenait bien à Braalaka qui n'avait aucune envie pour le moment de diriger le bateau sur une mer agitée, même si elle était fière de ses compétences fraîchement acquises.
Tandis que la brune silencieuse et concentrée maintenait le cap au nord, Artie décida de faire une ronde de surveillance. Elle récupéra la longue-vue sur le pupitre et partit se poster à bâbord ; elle ne vit rien d'autre que l'immensité bleue surplombée par les quelques cumulus à la dérive qui moutonnaient la voûte céleste, encore gris de pluie. La rousse marcha jusqu'à la poupe et son mouvement de balayage circulaire avec la longue-vue se stoppa net dès qu'un objet fit irruption dans la lunette. Ledit objet était un bateau qui l'interpella immédiatement.
« Bah… C'est la Marine ça ? s'étonna-t-elle en fronçant les sourcils.
- Qu'est-ce que tu dis ? lança Braalaka qui n'avait entendu qu'un marmonnement.
La rousse cligna de l'œil pour le réhydrater avant de l'aligner à nouveau en face de l'oculaire. Il y avait effectivement un vaisseau, et il était suffisamment proche pour qu'elle remarque que sa proue n'était pas dirigée dans leur direction. La peinture bleu sombre et la forme des canons étaient distinguables et ne laissaient aucun doute.
- Vaisseau Marine ! confirma-t-elle plus fort.
- Encore ?! »
Braalaka lâcha précipitamment la barre et cavala jusqu'aux rambardes de poupe sans se préoccuper du boucan provoqué au-dessus des têtes des commandants. Elle mit ses mains en visière sur son front et regarda dans la même direction qu'Artie. Celle-ci pointa du doigt la silhouette discernable à l'œil nu et traça un itinéraire imaginaire :
« Ne t'inquiète pas ils vont droit vers le sud-ouest, on ne se croisera pas.
- Ah, j'ai eu peur… J'espère qu'ils ne changeront pas de cap pour nous.
- Ça m'étonnerait, sinon ils auraient déjà pivoté. Smoker a dit qu'ils gardaient un territoire, on doit être en dehors du périmètre.
- Tant mieux, un contrôle a bien suffit.
- Ouais… Je viendrai vérifier dans dix minutes au cas où.
Elle se digèrent ensemble à tribord pour terminer la ronde.
- Ça me fait bizarre qu'on n'ait croisé personne à part eux, commenta la brune. Je m'attendais à voir plein de pirates.
- Moi aussi. Normalement Grand-Line est plus fréquentée que ça… Je pense que les petits équipages se tiennent tranquilles le temps qu'un nouveau corsaire soit nommé, car il y aura des bagarres pour le titre.
- Oui c'est probable… Ceci dit on ne va pas s'en plaindre, ça nous facilite la tâche.
- Hm…»
Les deux jeunes femmes retournèrent à leur poste. Braalaka jeta un coup d'œil à sa carte et à son log-pose, rituel qu'elle réitérait toutes les quinze minutes. Elle accentua doucement l'inclinaison du gouvernail vers le nord, direction dans laquelle se trouvait Banaro.
À mesure que la matinée progressait chaque nouvelle vérification sur la carte rapprochait l'emplacement théorique du bateau de celui de l'île. L'arrivée aux alentours de midi semblait correctement estimée, au vu de la distance restante. Braalaka sentait un stress grandir doucement dans son estomac et agiter ses pensées : elle ne pouvait s'empêcher de tourner la mission dans tous les sens et d'imaginer les pires scénarios possibles. Elle prit une profonde inspiration, les mains accrochées à la barre. Le pont était plus silencieux qu'à l'accoutumée, depuis l'observation du bateau Marine aucune conversation n'avait été échangée entre l'infirmière et elle. La jeune femme soupçonna que la rousse ressentait une appréhension similaire.
« Imagine que je me sois trompée et qu'on ne trouve pas Ace, lança soudainement Braalaka, n'y tenant plus.
- Mais non, il faut croire en tes prévisions. Et dans le pire des cas, s'il est introuvable, on avisera pour l'appeler en minimisant les risques. On verra bien sur le coup.
-… Et tu crois qu'il acceptera de revenir ? Je ne le connais pas en personne mais il me paraît assez borné comme garçon…
- Ça c'est sûr, pouffa Artie. Il fera sûrement tout un cirque mais ça devrait aller.
La brune étira un sourire.
- Moi qui croyais que tu stressais aussi, finalement on dirait que je me prends le chou toute seule…
- Oh, je m'inquiète aussi tu sais. C'est normal, on est en pleine mission. C'est juste que d'expérience je peux te dire qu'il faut relativiser. Se crisper face à un problème qui n'est pas encore survenu n'apporte que de la fatigue, affirma la rousse d'un ton rassurant.
- Hm, je vais essayer… »
Elle resta silencieuse quelques instant avant de s'enquérir :
« Et qu'est-ce que vous appelez 'missions' normalement ? Il ne me semble pas qu'il y en ait eu depuis que je suis arrivée dans l'équipage, pourtant ça fait plusieurs fois que j'en entends parler.
- C'est vrai que les derniers mois ont été calmes. Ça englobe toutes les activités que sont censés faire les pirates, par exemple faire la reconnaissance d'une île avant d'y accoster, décrypter de nouvelles informations maritimes, défendre le territoire contre un équipage adverse… C'est aussi pour ça que les divisions existent, puisqu'on est très nombreux il suffit d'envoyer un groupe au lieu de solliciter toute l'armada.
- Je vois, c'est vraiment bien organisé. Et toi, tu participes souvent ?
- Pas vraiment non. Je suis la soignante référente de la première division, alors parfois j'accompagne mon groupe sur des missions d'explorations risquées ou des grosses batailles. Ce n'est pas très fréquent, peu de monde s'attaque aux Empereurs.
- Ah ? Ce n'est pas Marco le soignant de la première division ?
- Non, rester actif à l'infirmerie lui prendrait trop de temps par rapport à son titre de commandant. Il ne s'occupe que de l'inventaire et des demandes de l'équipe ; une sorte de médecin en chef qui n'effectue pas de soins, si tu veux… Sauf s'il s'agit du Capitaine, là il s'incruste. »
Braalaka souffla du nez en se souvenant de l'expression profondément blasée de Barbe Blanche lorsque le phœnix était entré en trombe dans ses appartements pour le harceler sur ses bilans médicaux. Elle avait trouvé la scène attendrissante même si, sur le coup, elle n'avait su où se mettre. L'affection du commandant transparaissait sous son discours de bon sens aux tonalités de sermon.
« C'est vrai qu'il ne veut pas le lâcher avec ça, fit-elle avec un rictus amusé.
- Marco est trop sérieux pour se laisser décourager par l'entêtement de ce vieil alcoolique. J'admire sa persévérance.
- Vieil alcoolique, carrément….
- Quoi ? J'ai tort peut-être ?
- Non… Quoique, tu exagères un peu sur le 'vieux', il ne fait pas son âge je trouve.
- Ouais, il est bien conservé, concéda-t-elle.
Quelques instants de silence passèrent durant lesquels la rousse afficha un sourire malicieux avant d'ajouter :
- Tu me donneras des détails quand tu auras tout vu.
- Artie ! »
Braalaka tourna vivement le buste pour lui envoyer une œillade qui se voulait sévère, mais ses yeux rieurs et son sourire non dissimulé suffirent à les faire pouffer toutes les deux .
….
Marco était allongé sur le dos, les bras croisés derrière la tête. Ses paupières étaient closes mais il ne dormait pas, son torse se soulevait doucement et régulièrement. Parfois il entendait Inu-kun remuer sur la couchette d'à côté pour se blottir contre Rakuyou et rechercher sa main. Le septième commandant ne sommeillait pas non plus, il piquait du nez tout au plus et sortait de sa torpeur au moindre mouvement de la part du chien. Aucun des deux hommes, sachant l'échéance du voyage proche, ne parvenait à fermer l'œil.
Le phœnix entendit quelqu'un descendre l'escalier et s'arrêter dans couloir, devant leur porte. Deux coups résonnèrent, secs et rapprochés. Le moment était venu. Marco se redressa et pivota au bord du lit pour enfiler ses tongs, imité par Rakuyou. Ils échangèrent un bref regard avant de se lever. Marco ouvrit la porte sur Braalaka. La jeune femme se tenait sur le seuil avec rigidité, le dos droit et les épaules crispées. Elle lui sourit en le voyant, comme une statue de marbre aurait souri. Pas de doute, elle était nerveuse.
« Banaro est à portée de vue. »
Le blond hocha la tête et ils sortirent. Du coin de l'œil il remarqua que Rakuyou avait à nouveau tourné la tête vers lui et le dévisageait. Il finit par interroger le moustachu d'une œillade.
« T'as une sale tronche, lança Rakuyou en le pointant du doigt.
Marco haussa un sourcil et afficha un sourire désabusé, conscient que ses cernes naturelles avaient doublé de volume à cause de la nuit blanche. Son camarade n'était pourtant pas en reste, les traits de maquillage qu'il s'appliquait autour des yeux avaient coulé, déformés par la transpiration et les frottements de ses paumes.
- Tu peux parler, on dirait que tu sors d'une cuite. »
Braalaka émit un soufflement de nez ; d'une certaine manière les fariboles de Rakuyou étaient efficaces pour diminuer l'appréhension ambiante. Ils se mirent tous trois en marche et un silence tacite s'installa, comme s'ils profitaient des derniers instants de la partie facile du voyage et qu'ils s'apprêtaient à sauter dans l'inconnu en franchissant l'escalier.
Pour la première fois depuis qu'ils avaient quitté les Sabaody des oiseaux marins parcouraient le ciel au-dessus d'eux, ce qui était un signe de proximité avec un littoral. Artie attendait adossée au pupitre. Ils avancèrent à son niveau, les yeux rivés au-devant du bateau. Au loin, dans la direction pointée par la proue, on pouvait distinguer une masse sombre danser sur la ligne d'horizon. Banaro, avec ses contours irréguliers formés de gros amalgames rocheux et ses maigres forêts habillant les creux des falaises. L'île était encore trop loin pour en distinguer les détails même à la longue vue, mais suffisamment proche pour déterminer sa forme et la couleur des roches les plus massives.
« Eh bien, nous y voilà, souffla Rakuyou.
-… Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? s'enquit Braalaka sans détacher son regard de l'horizon.
- Du repérage. Ce serait trop risqué de s'approcher sans savoir qui est déjà sur l'île. Il faut la survoler, expliqua Marco.
Tout le monde acquiesça sauf Braalaka qui fronça les sourcils :
- Mais, tu veux y aller avec ton zoan ?
- Oui, fit le phœnix comme une évidence.
- Tout le monde va voir tes flammes, non ?
Il sourit et désigna le soleil qui culminait au zénith.
- Pas si je monte assez haut et que je me cache.
- Oh, d'accord…
Le phœnix se tourna vers le pupitre et s'empara de la longue-vue :
- À cette altitude j'aurai peut-être du mal à voir correctement, il faudrait que quelqu'un m'accompagne avec ça.
Artie, Braalaka et Rakuyou se concertèrent du regard.
- J'y vais, proposa le septième commandant en s'avançant.
Artie l'arrêta en lui saisissant doucement l'avant-bras.
- Attends Rakuyou, ce serait plus prudent que tu restes sur le bateau au cas où il se passerait quelque chose.
- Quelque chose ? répéta-t-il.
- Oui, du genre une attaque de monstre marin, ou un bateau suspect qui apparaît…
- Elle a raison. Personnellement je ne me vois pas affronter un roi des mers, fit Braalaka en se remémorant la taille pharamineuse de ces créatures.
- Tu plaisantes ? Je suis sûr que si tu en cognes un bien fort avec ton anti-haki ça règle le problème, s'amusa Rakuyou.
- Je ne sais pas faire ça hein, bougonna-t-elle.
- Je te taquine, ne prends pas la mouche… Bon, qui y va alors ? »
Les deux femmes allaient en discuter lorsqu'un espadon sauta bruyamment hors de l'eau, faisant sursauter tout le monde. Contrairement aux poissons précédents qui s'étaient annoncés avant de surgir celui-ci atterrit sans ménagement sur le pont et il frétilla misérablement à quelques pas d'Artie en attendant qu'elle vienne le ramasser. L'infirmière se précipita vers lui ; un grommellement s'échappa d'entre ses dents lorsqu'elle parvint à le saisir, non sans s'être prise un coup de nageoire sur la main. Les deux jeunes femmes se dirigèrent alors rapidement vers les cabines afin d'épargner un record d'apnée à l'animal.
« Braalaka, interpella Marco.
- Oui ?
- Tu pourras attendre qu'on ait fait l'éclairage pour lui répondre ? Je devrai faire un rapport et ce serait plus simple qu'on groupe nos lettres.
- Ok !
Elles disparurent dans l'escalier, sous le regard perplexe de Rakuyou.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- T'avais qu'à suivre hier, yoi.
- Hein ? »
Le moustachu n'eut pas le temps de protester qu'elles étaient déjà revenues. La brune s'était contentée de poser la bouteille sur son chevet dans l'idée de la lire après la mission.
« Je viens de penser à un truc, fit Braalaka en se tournant vers le phœnix. Je pourrais venir avec toi et couvrir ta présence en même temps qu'observer.
Marco plissa les yeux, l'air pensif. Personne n'avait eu besoin de préciser ce qu'il avait sous-entendu lorsqu'il avait préconisé la ronde de reconnaissance : sur cette île il y avait une chance de croiser Teach tout autant que de croiser Ace. Il n'avait pas souvenir d'un haki de l'observation très puissant chez le traître, et détecter quelqu'un à l'altitude qu'il s'apprêtait à prendre aurait demandé un bon niveau. Pourtant Braalaka avait affirmé qu'il était fort, au moins autant que son ancien commandant. C'était quelque chose que Marco avait du mal à concevoir. Comment un tel lâche pourrait-il gagner face à un pirate reconnu dans le Nouveau-Monde ? Peut-être que Teach ne leur avait jamais révélé ses vraies capacités lorsqu'il voyageait avec eux, pas plus que sa vraie nature. Puisqu'il était impossible d'estimer sa progression depuis sa fuite du MobyDick et qu'il avait recruté un équipage, la prudence primait. Marco recentra son attention sur Braalaka :
- Oui, ça garantirait notre discrétion. Tu pourrais maintenir ton pouvoir au moins dix minutes?
- Normalement.
- Et tu n'as pas le vertige ?
- Euh, aucune idée.
-… Tu ne sais pas si tu as le vertige ? répéta-t-il en haussant un sourcil.
- Si. Enfin non… Ça dépend d'où je me trouve en fait.
- Comment ça ?
- Par exemple en haut d'une échelle j'ai peur, alors qu'en haut d'un arbre non.
Le phœnix eut l'air confus.
- Et tu n'arrives pas à pressentir pour le vol ?
- On ne se déplace pas à dos d'oiseaux chez moi tu sais…
Rakuyou se pencha par-dessus l'épaule d'Artie. Trop concentrés pour prêter attention aux messes-basses de leurs camarades, Braalaka et Marco ne les remarquèrent pas.
- Je te parie une bière qu'elle va poser une galette sur le crâne de Marco, chuchota-t-il.
L'infirmière étira un petit sourire et répondit discrètement :
- Ok, moi je parie que non.
- Essayons, proposa le premier commandant en haussant les épaules. Si tu ne te sens pas bien je te redéposerai.
- Ça me va, acquiesça la brune.
- Je vais prendre seulement ma forme hybride, tu pourras t'accrocher facilement à moi. »
Depuis que le bateau stagnait les oiseaux marins, curieux, s'étaient rapprochés et se permettaient de voler plus près du niveau de la mer. À une dizaine de mètres de là une mouette plongea en piquet sous la surface de l'océan. Elle en ressortit l'instant d'après en déployant vigoureusement ses ailes blanches, projetant une grande gerbe d'eau sous elle. Un poisson, à peine visible, dépassait de son bec. Elle reprit de la hauteur et fut bientôt un simple point dans le ciel. Braalaka se tourna à nouveau vers le phœnix sans dissimuler un air badin :
« Tu déjeunes comme ça aussi, Marco ?
Les esclaffements de Rakuyou retentirent immédiatement, tonitruants. Le blond, d'abord surpris que la blague ne vienne pas de son acolyte moustachu, roula des yeux avant de souffler bruyamment :
- Tu ne vas pas t'y mettre aussi yoi !
- Désolée, je crois que je prends le pli …
- Je vais te jeter par-dessus bord et je n'irai pas te repêcher, tu vas voir, menaça-t-il en croisant les bras sur son torse d'un air contrarié.
La brune ne put retenir plus longtemps le rire qu'elle contenait et elle pouffa, rejoignant un Rakuyou toujours hilare. Le septième commandant tapota l'épaule de Braalaka.
- C'est bien ! C'est comme ça qu'on s'intègre chez les pirates de Barbe Blanche…
Marco claqua la langue contre son palais, exaspéré, même si un petit rictus amusé tordait la commissure de ses lèvres. La jeune femme fut secouée de quelques derniers soubresauts avant de reprendre finalement son souffle et son sérieux. Le blond lui tendit la longue-vue qu'elle rangea dans l'une des poches de cuisse de son treillis en veillant à bien la refermer. Il se tourna ensuite et désigna son dos d'un geste du bras.
- Bon, monte et accroche toi bien. »
Braalaka tendit les bras pour placer ses mains sur les épaules du commandant, qui culminaient à presque deux têtes aux-dessus des siennes. Elle leva un genou mais ne parvint pas à placer sa jambe au niveau du flanc du phœnix sans se tordre. Elle fronça les sourcils et changea de stratégie : le commandant n'eut pas le temps de s'abaisser pour l'aider qu'elle reposa pied à terre pour mieux prendre son élan, et elle bondit le plus haut possible tout en s'appuyant à l'aide de ses mains. Marco se crispa en prévision du choc et laissa échapper un « hmpf » étouffé lorsque Braalaka atterrit de tout son poids en plein milieu de son dos. La jeune femme serra immédiatement ses jambes contre son abdomen et enroula ses bras autour de son cou afin de ne pas glisser. Il tourna la tête du mieux qu'il put et jeta un coup d'œil par-dessus son épaule :
« T'es obligée de m'étrangler ? fit-il sur le ton de la plaisanterie.
- Oui.
Rakuyou souffla du nez.
- Détends toi Braalaka, imagine que c'est comme un tour de manège, conseilla le moustachu.
Elle lui lança un regard perplexe sans pour autant desserrer sa prise d'un millimètre. Son air concentré qui détonnait avec sa position de chat coincé dans un arbre le fit ricaner. Artie, elle, manifesta son encouragement à la brune en brandissant un pouce en l'air accompagné d'un sourire qui signifiait « ça va aller».
- Prête, yoi ? »
Braalaka hocha la tête. L'instant suivant des panaches de flammes bleues et jaunes jaillirent des épaules de Marco. La jeune femme faillit avoir un mouvement de recul mais se souvint qu'elles ne brûlaient pas. Au contraire, ces flammes diffusaient une sorte de tiédeur réconfortante. Les bras du phœnix se changèrent en ailes où dansait le feu et ses jambes se parèrent de serres à leurs extrémités. Trois longues plumes jaune chatoyant s'élancèrent du bas de son dos pour virevolter souplement derrière lui. Braalaka, qui s'était penchée pour regarder avec émerveillement les ondulations des flammes le long du corps du commandant, se replaça immédiatement lorsqu'il tendit les bras sur le côté. Après un dernier coup d'œil derrière lui Marco effectua simultanément un bond et un puissant coup d'ailes, secouant le bateau et projetant une telle bourrasque sur le pont qu'Artie et Rakuyou plissèrent les paupières. Par réflexe Braalaka avait enfoui son visage entre les omoplates du phœnix et avait encore resserré sa prise, position qu'elle maintint jusqu'à avoir le courage de se redresser. Fendre l'air à cette vitesse lui cinglait les joues mais elle put néanmoins regarder en contre-bas. Le phœnix possédait une force fulgurante, quelques battements d'ailes avaient suffi à les mener si haut que le navire n'était plus qu'une pastille acajou sur la toile bleue de l'océan. Il diminua l'amplitude de ses battement pour continuer l'ascension plus doucement et pouvoir parler sans que ses mots ne soient mâchés par le vent :
« Alors, comment tu te sens ? s'enquit-il.
La jeune femme regarda à nouveau sous eux comme pour s'assurer de son propre état : voir le bateau rapetisser seconde par seconde ne lui provoquait pas de nausées, et l'inclinaison du buste de Marco vers l'avant lui permettait de se cramponner sans trop se fatiguer.
- Ça va, assura-t-elle.
- Ok, très bien. »
Le phœnix agita ses ailes encore quelques fois avant de se stabiliser à une altitude précise. Il commença ensuite à voler en direction de l'île, en alternant des phases de planage et de battements légers. Cette technique était plus agréable à vivre pour Braalaka qui encaissait moins de vent dans la figure et qui était moins secouée par les grands mouvements de bras. La brune avait l'expérience de la randonnée en montagne : elle savait qu'avec l'altitude l'atmosphère se rafraîchissait et que l'air se faisait moins riche. Pourtant, grâce aux flammes de Marco qui venaient onduler autour d'elle, elle ne ressentait pas le froid. Son immobilité en tant que passagère lui permettait de bien respirer et ne pas souffrir de la déperdition d'oxygène, aussi elle veillait à ne rien faire qui pourrait modifier cet équilibre. Elle s'étonna d'ailleurs de ne pas voir le pirate lutter pour respirer malgré l'effort que demandait l'action de ses ailes. Au bout de deux ou trois minutes de vol, lorsqu'elle se sentit suffisamment en confiance pour décrisper son étreinte, elle se permit de se pencher en avant pour regarder par-dessus l'épaule du commandant. La mer défilait à une telle vitesse que les reflets du soleil miroitant en sa surface faisaient l'effet d'une peau de reptile ondulant sous la lumière.
« Comment tu fais pour respirer aussi bien ? finit-elle par demander.
- Ça ne se voit pas mais mon système cardio-vasculaire est renforcé par mon zoan.
- Oh, c'est pratique… Et tu peux monter jusqu'où ?
- Je pourrais encore gagner cinq ou six centaines de mètres, mais ça deviendrait dangereux.
- Ah oui. Désolée de t'avoir traité de mouette.
Marco secoua la tête en laissant échapper un ricanement.
- Si tu veux utiliser ton pouvoir c'est le moment, ajouta-t-il. »
Braalaka se pencha à nouveau, juste assez pour observer en contre-bas sans être gênée par leurs corps respectifs : Banaro se découpait sous eux, les grands reliefs bien distincts malgré l'altitude. La jeune femme resta un instant captivée par cette vue qui était, pensa-t-elle, similaire à celles que partageaient les parachutistes et les pilotes qui filmaient leurs sorties. Mais c'était bien elle qui se retrouvait perchée au-dessus du monde, sans aucun matériel et accrochée aux épaules d'un pirate. Elle reprit rapidement ses esprits et se concentra sur son anti-haki : comme lors des entraînements avec Rakuyou elle visualisa une bulle extensible et l'étira jusqu'à ce qu'elle les enveloppe, Marco et elle. Bien qu'il ne pouvait pas distinguer ce pouvoir à l'œil nu le commandant sentit une sorte de force hermétique tout autour de lui. Il étira un sourire. Contrairement à ce qu'il avait pu penser suite à l'arrivée rocambolesque de Braalaka sur le MobyDick il estima qu'elle s'était finalement bien adaptée à la vie parmi eux ; il avait même été surpris de se voir lui accorder sa confiance au bout de quelques semaines. Sûrement sa prouesse d'avoir convaincu le capitaine et le reste des commandants de récupérer Ace y était pour quelque chose. Le phœnix se faisait un sang d'encre pour son jeune acolyte, et il n'était d'ailleurs pas le seul. Pourtant, après le départ de Poing Ardent qui avait catégoriquement refusé de laisser tomber les règles de l'équipage, personne n'avait osé remettre la question sur le tapis. Les notions d'honneur et d'éthique, bien que différentes sur chaque bateau, primaient dans la piraterie. C'était l'arrivée de Braalaka, avec son point de vue extérieur et sa manière de se mêler aux autres tout en cherchant des solutions à ses propres problèmes, qui avait débloqué la situation. Marco lui en était intérieurement reconnaissant même s'il n'en disait rien, trop prudent pour fêter une mission encore inachevée.
Le duo plana jusqu'à ce que le commandant lève la tête vers le soleil. Il regarda ensuite vers le bas : juste sous eux une zone colorée détonnait avec le relief des plaines et des roches. C'était la ville principale, les toitures des habitations ressortaient comme des patchs sur un vêtement. Marco se stabilisa, imitant le vol stationnaire des oiseaux de proie. Du point de vue d'une personne au sol ils se trouvaient pile devant l'astre lumineux, ce qui les rendait quasiment invisibles. La brune s'appuya sur ses épaules pour aligner son visage à côté du sien, non sans resserrer à nouveau sa prise autour de son cou. Les yeux plissés, elle chercha du regard le même point que lui.
« On y est, informa-t-il. Et tu m'étrangles encore, yoi.
- Désolée… Tu vois quelque chose toi ?
- Pas de détails, seulement des couleurs. Tu peux utiliser la longue-vue ?
- Oui…
Elle décrocha sa main droite du cou de Marco, lentement, comme pour vérifier qu'elle n'allait pas provoquer sa propre chute en se défaisant d'une prise. Cela n'arriverait pas, ils étaient stables, mais l'idée lui avait tout de même traversé l'esprit au moment où son bras s'était retrouvé dans le vide.
- Tu ne bouges pas hein ? fit-elle avec un semblant d'inquiétude dans la voix.
- Et où veux-tu que j'aille ? sourit-il en lui lançant une œillade moqueuse.
-... Partout ?
- Pff, mais non... Ne t'inquiète pas. »
La jeune femme souffla du nez pour avoir réussi à faire rouler des yeux le commandant, puis elle parvint à décrocher le bouton de poche qu'elle triturait nerveusement depuis quelques instants. Avec toutes les précautions du monde elle sortit la longue-vue de son treillis et la déplia. Le bras gauche toujours serré contre la gorge du phœnix, qui ne se plaignait plus peut-être par peur de la déconcentrer, elle plaça la lucarne devant son œil droit et scruta l'île sous eux. Elle eut à promener un peu son regard avant de finalement repérer le petit bourg qui s'étendait au milieu d'une plaine sur la partie la moins rocheuse de l'île. Les constructions semblaient s'organiser le long d'une route principale, celle-ci traversait l'île du littoral jusqu'au centre comme une artère. Au-delà de cela, les canyons et les proéminences rocheuses empêchaient toute architecture humaine et Braalaka était incapable de discerner ce qui pouvait se trouver derrière les reliefs des rochers. De maigres forêts s'étaient établies de manière éparse, soit aux pourtours des rares plaines cultivées soit dans les creux des falaises resserrées. La brune ne remarqua rien de particulier dans ce paysage et ne s'y attarda pas, son attention retourna directement sur les habitations : presque tout était fait de bois, les planches semblaient plus ou moins foncées selon les bâtiments et de grandes pancartes colorées s'élançaient parfois au-dessus des devantures du côté de la rue principale. Il y avait des citernes à eau sur certaines toits. L'ensemble lui fit indéniablement penser à l'un de ces décor de film western qu'on pouvait voir dans les séries. Elle essaya d'observer plus attentivement la route et les ruelles qui s'en détachaient, à la recherche de passants. Il y avait peu de circulation à cette heure de la journée, or elle constata un attroupement devant un bâtiment, probablement un restaurant ou un bar. Des chevaux étaient attachés à un râtelier placé à l'ombre d'un mur. Rien de particulier ne sauta aux yeux de la brune, les maisons étaient dans un état normal, aucun effondrement, aucun incendie, aucune émeute dans la ville. Son regard continua à longer la grande route en direction du littoral. Une calèche y cheminait, le cocher était seul sur la banquette. Il n'y avait pas de zone portuaire, les berges étaient trop chaotiques et le sol trop friable pour dresser des quais. Cet espace littoral était exploité pour l'agriculture, des champs de céréales pâlichons en tapissaient les bordures. La jeune femme se remémora la couleur jaune poussin de la barque motorisée d'Ace : elle ne repéra rien de semblable sur les côtes. Soudain, lorsqu'elle passa la lunette sur une parcelle plus proche de la baie, Braalaka s'immobilisa. Un nouveau bâtiment était apparu, il semblait fait d'un bois beaucoup plus sombre que ceux de la ville et une sorte de bâche le couvrait en partie. La jeune femme fronça les sourcils derrière sa longue-vue. Elle mit quelques instants à identifier ce qu'était cette chose. Il s'agissait d'une embarcation, reposant là, à même le sol. La forme était atypique. Elle se rapprochait plus de celle d'un radeau fait de larges troncs enchevêtrés plutôt que d'un navire conventionnel. À bien y regarder il y avait tout de même un mât central duquel pendait paresseusement une voile noire, à moitié détachée et avachie sur les rondins. La gorge de Braalaka s'était nouée et son bras s'était figé. Marco sentit cette crispation et tourna la tête pour la dévisager avec inquiétude. Elle fixa encore un peu le radeau, incapable de décrocher l'œil de la lucarne. Ce n'était pas une hallucination, il ne disparaissait pas quand elle clignait des yeux. Il semblait laissé sans surveillance, il n'y avait personne sur le pont ou aux alentours. La voile auparavant affaissée à l'envers se mut soudain à cause d'une légère bise, et le motif d'un jolly roger blanc apparut. La jeune femme eut le temps de distinguer trois crânes soulignés d'os avant que la bourrasque ne cesse. Aucun doute possible quant à l'identité de l'équipage qui naviguait avec cette embarcation singulière.
« Marco… Je crois que Teach est arrivé en premier…
Le phœnix resta interdit plusieurs secondes avant de susurrer d'une voix étrangement basse :
- Tu es sûre ?
Ses battements d'ailes s'étaient faits un peu plus amples, comme s'il devait faire attention à les maîtriser, et la brune l'avait senti se crisper dès qu'elle avait prononcé le nom de l'ancien membre de la seconde division. Elle abaissa la longue-vue pour lui adresser un regard empli d'un mélange de compréhension et d'inquiétude. Elle avança sa main pour placer la lucarne devant les yeux de Marco, qui vérifia. Son air grave se renforça.
- On rentre. »
Artie et Rakuyou avaient attendu sur le pont en papotant, accoudés au bastingage. Ils scrutèrent les deux arrivants, et plus particulièrement leurs habits, dès qu'ils réapparurent au-dessus du bateau. Aucune trace de vomi ni sur l'un ni sur l'autre. L'infirmière se tourna vers le commandant, un sourire triomphant aux lèvres, et le taquina d'un petit coup de coude dans le flanc.
« Tsk ! C'est bon, tu as gagné, concéda le moustachu en se tortillant.
- Quoi ? Tu peux répéter ?
- Tu as gagné !
- Encore ?
- N'abuse pas… »
En se chamaillant ils ne remarquèrent pas tout de suite la mine sombre de leurs deux camarades qui se posaient, et le mutisme de ceux-ci finit par les interpeller. Ils se tournèrent pour les questionner du regard et constatèrent immédiatement que quelque chose n'allait pas. Le visage blême de Marco traduisait un état d'inquiétude où transparaissait également de la colère, et Braalaka n'avait pas l'air beaucoup plus enjouée que lui. Artie et Rakuyou comprirent que la situation qu'ils craignaient tous était en train d'avoir lieu.
« C'est Teach ? demanda le septième commandant de but en blanc.
- Oui, fit Marco d'un ton bas. »
La rousse resta interdite et le regard de Rakuyou s'assombrit. Il n'avait fallu que quelques instants pour qu'un poids s'instaure. Braalaka ne sut que dire ni que faire, l'atmosphère était devenue étouffante de ressentiments dont l'origine était bien antérieure à son arrivée. Elle se contenta de rester digne aux côtés des pirates qu'elle considérait maintenant comme ses amis, comme pour les aider à éponger cette résurgence d'émotions. C'est Artie qui finit par relancer le dialogue :
« Qu'est-ce que vous avez vu, précisément ?
Elle aurait voulu parler de son ton habituel mais, malgré elle, sa voix était un peu plus haute qu'à l'accoutumée. Cela n'échappa pas à Rakuyou qui serra les mâchoires.
- Leur bateau. Ils l'ont traîné sur la berge, expliqua Marco.
- Ils étaient dessus ?
- Non. Ils pourraient être à l'intérieur ou n'importe où sur l'île.
-… Et, des traces d'Ace ?
- Il n'y avait pas grand monde dans les rues et je n'ai pas vu sa barque, expliqua Braalaka. Il aurait pu la cacher derrière des rocher ou sous les falaises, ceci dit…
Marco se massa la nuque dans une tentative de détendre ses cervicales crispés de nervosité.
- Bon, souffla-t-il. Je pense qu'il y a trois options. La première : Ace n'est pas encore arrivé et il n'y a que Teach. La deuxième : Ace est aussi sur l'île mais il se fait discret. La troisième : il a déjà été capturé.
Braalaka se tourna vers lui avec préoccupation :
- Attend, il n'y avait pas de traces de combat, ça m'étonnerait qu'ils se soient battus…
- L'île est en bon état mais on ne devrait pas exclure la possibilité qu'ils se soient croisés ailleurs et que quelque chose ait déjà eu lieu.
- … Tu as raison, on ne sait jamais.
- Je propose qu'on pose pied à terre la nuit, loin d'eux et des habitants, et qu'on aille vérifier si Ace est déjà prisonnier ou non, continua le phœnix. À partir de là on pourra décider de comment s'y prendre. »
Rakuyou, qui n'avait pipé mot depuis le début de la conversation, hocha la tête. Ils traitèrent encore de quelques détails avant de se séparer : Braalaka et Marco retournèrent dans leurs cabines pour s'occuper de la communication tandis que l'infirmière et le septième commandant commencèrent à diriger le navire pour contourner l'île, toujours à bonne distance.
….
Braalaka retrouva la bouteille qu'elle avait posée sur le chevet à côté de sa couchette. Sa vue lui procura une étrange sensation de réconfort mêlé de dépit. La simple idée de dérouler cette lettre soulageait son cœur de la pesanteur instaurée par les dernières découvertes, mais elle savait que l'échange serait compliqué une fois le navire tiré à terre. Elle se sentit soudain très éloignée de son correspondant. Lentement elle s'assit sur le matelas et décacheta la missive.
Chère invitée,
Il y a des manœuvres de navigation, comme l'accostage, que nous n'avons pas eu le temps de t'apprendre. Mais il semblerait que tu les acquiers par empirisme… J'aurais trouvé l'image amusante si je ne me faisais pas un tel sang d'encre. Décidément c'est bien frustrant d'attendre ici. Dis aux autres de rester prudents, et prends soin de toi s'il-te-plaît.
L'affaire la plus étrange? Tu auras sûrement remarqué que les habitations de Ryugu sont faites de coraux et de coquillages géants. Avec la construction du quartier humain et le commerce qu'il valorise les collectionneurs se ruent sur le marché de coquillages et autres espèces marines, mais il y a des déboires… Depuis quelques temps des toitures entières disparaissent, et les fautifs courent toujours.
Indéniablement tes lettres m'apportent du réconfort et je t'en remercie.
Une dernière chose : Banaro est une île rocailleuse et peu orientée vers les activités maritimes alors il n'y aura pas de ports. Il faudra faire attention à ne pas accoster dans les côtes.
Edward Newgate
Un rond au milieu de la colonne de droite.
Un sourire s'était dessiné sur les lèvres de Braalaka à mesure qu'elle lisait, et elle souffla du nez en terminant la dernière ligne. Pour avoir vu les contours de l'île quelques minutes auparavant il était clair qu'elle laisserait la barre à quelqu'un d'autre, histoire de ne pas ruiner l'embarcation. Sans se départir de son sourire elle se laissa choir sur le dos et tendit la lettre au-dessus d'elle pour la parcourir une nouvelle fois.
Au moment de prendre la plume pour répondre la main de la jeune femme resta figée à côté du parchemin. Que pouvait-elle bien écrire ? Marco avait affirmé qu'il se chargerait de faire le rapport détaillé de l'expédition et d'annoncer le plan, comme il l'avait fait auparavant au sortir des Sabaody, alors il n'était pas utile qu'elle fasse de doublette. D'ailleurs elle savait que Barbe Blanche serait inquiet, peut-être même furieux, en lisant le nom de Teach ne serait-ce qu'une seule fois. Elle soupira.
Cher hôte,
Ça me fait plaisir de vous lire.
Sachez que le bateau est toujours en bon état depuis la dernière lettre, ne vous en déplaise…
Vous l'aurez lu dans la missive de Marco : nous arrivons à destination et les circonstances
sont particulières… Je ne sais pas trop quoi en dire. L'ambiance est devenue plus tendue et je crois que j'appréhende un peu, moi aussi. J'espère que les autres ne se torturent pas mentalement ; vous non plus, d'ailleurs. Je suis sûre qu'on parviendra à retrouver Ace comme prévu.
Nous serons au cœur de l'île pour un temps incertain et nous devrons être discrets, alors c'est à regret que j'écris sans attendre de réponse. Je tâcherai de glisser une nouvelle lettre dans le bilan que Marco fera à notre départ de Banaro. Même si j'aimerais mieux discuter directement avec vous.
Ce fut une correspondance charmante.
À très bientôt.
Braalaka Eiksen
Braalaka examina la grille de morpion qui lui avait servi de prétexte pour écrire sa première lettre et elle y gribouilla une croix au milieu de la colonne de gauche, plus par principe que pour finaliser la partie. Elle inscrivit ensuite, sous la grille : Ça prenait le tournant du match-nul. À défaut de gagner, je peux enfin me vanter d'avoir été à égalité avec vous à un jeu…
La brune sortit de sa cabine d'un pas lent. Marco l'attendait dans le couloir, la bouteille à expédier à la main, le visage assombri, encore. Elle lui tendit ses lettres qu'il ajouta à celle déjà présente dans le tube et il le scella d'un bouchon, sans un mot. Braalaka le regarda faire, pas plus égayée que lui. En temps normal il aurait posé des questions sur le contenu de ces missives par esprit d'enquête et pour taquiner la jeune femme, mais la situation ne lui permettait pas de penser à autre chose qu'à la présence du traître qui avait assassiné son frère.
….
La nuit était tombée. Un quart de lune discret entrecoupé de nuages noirs éclairait faiblement le ciel. Les étoiles scintillaient avec pâleur sur la surface de l'océan et Banaro reposait au milieu de leurs reflets, grand monticule sombre. L'équipage n'était plus qu'à une cinquante de mètres des côtes rocailleuses de l'île, du côté opposé à celui qu'occupaient les plantations de la ville. Rakuyou s'était désigné pour aller y repérer un endroit où hisser le navire. Une corde longue de plusieurs dizaines de mètres avait été attachée à la base de la proue. Il commença à se dévêtir de son manteau, de sa chemise et de ses bottes avant de s'avancer sur la poutre. Les trois autres patientaient sur le pont, Marco à la barre, Braalaka et Artie penchées sur les rambardes pour vérifier qu'il n'y a avait pas de récifs proches d'eux. Le septième commandant s'empara de la corde, la noua autour de son bassin et plongea prestement dans les eaux sombres. La fraîcheur de la mer le saisit dès qu'il entra en contact avec elle mais il commença directement à nager un crawl puissant, ignorant le froid qui lui piquait la peau et la sensation d'alourdissement que provoquait l'eau infiltrée dans ses habits et ses cheveux. Le son de ses paumes et de ses pieds frappant l'eau rythmèrent le silence et il ne fut bientôt qu'une silhouette mouvant au loin.
Lorsqu'il atteignit la rive composée de multiples couches de roches lisses et irrégulières il chercha des aspérités pour se cramponner. L'eau qui dégoulinait de ses cils et de sa moustache lui brûla les yeux et immisça un fort goût de sel dans sa bouche. Il grimaça et se passa une main sur le visage avant de continuer son ascension.
La corde rattachée à la proue se tendit soudainement, signe que Rakuyou avait trouvé un endroit praticable. Marco laissa le gouvernail s'ajuster à la trajectoire que son camarade induisait en tirant sur la corde et le navire glissa doucement sur l'eau. Inu-kun, qui sentait l'odeur de son maître sur les vêtements entassés devant le bastingage, commença à mâchouiller une chaussure. Artie le remarqua et saisit la botte par l'autre extrémité en grondant l'animal d'un « tcht » réprobateur. Il lâcha prise et elle lui sourit avant de se pencher pour le ramasser et le tenir dans ses bras afin qu'il ne fasse pas plus de bêtises que nécessaire.
Ils arrivèrent devant une partie de la côte où une crevasse marquait la séparation entre deux falaises rocailleuses qui s'élançaient prodigieusement. Cette sorte de fissure était à ciel ouvert, permettant à plusieurs arbres de pousser en son creux. La berge y était plus basse qu'ailleurs et le sol plus meuble, ce qui facilitait d'y hisser un bateau sans trop risquer d'endommager la coque. Ils descendirent tous d'un bond. Marco se posta au bord de la berge pour aider le navire à gravir le rebord sans le percuter. La brune savait que les commandants étaient capables de déplacer des centaines de kilos mais assister à une telle démonstration de force était bien plus impressionnant que de l'imaginer. Artie et elle rejoignirent Rakuyou pour l'aider à tracter le navire et ils synchronisèrent leurs efforts, grondants et haletants.
Une fois cet exercice terminé le voilier reposait debout, appuyé dans le creux dans d'une des parois de la falaise et suffisamment loin de l'accès à la berge pour rester invisible depuis la mer aussi bien que depuis le ciel. Le phœnix vérifia une dernière fois que tout était bien calé avant de se retourner vers ses camarades, l'air sérieux.
« À partir de maintenant personne ne se déplace seul, on reste au minium en duo. Et il faut toujours quelqu'un pour surveiller le bateau, on ne peut pas se permettre d'avoir un problème avec. Ça vous va ?
Ils hochèrent tous la tête.
-La nuit va être longue. Allons nous préparer, yoi. »
Ils avaient convenu de prendre leur ration du soir avant d'entreprendre une quelconque action sur l'île puisqu'ils n'étaient pas sûrs de ce qu'ils trouveraient et de combien de temps cela leur demanderait pour revenir. Rakuyou récupéra les vêtements qu'il avait laissés sur le pont et s'absenta dans sa cabine pour se changer. Marco alla chercher une boîte repas dont il sortit plusieurs paquets de viande séchée, de biscuits et de fruits confits. Les deux femmes récupérèrent chacune leur part et décidèrent de manger ensemble dans leur cabine, l'appréhension de la suite de la mission les poussant à chercher un moment de tranquillité entre elles. Le phœnix rejoignit le moustachu et lui tendit sa ration avant de s'asseoir sur sa couchette de manière presque léthargique. Il se sentait dans état particulier de fatigue, le genre d'état produit par un cocktail de manque de sommeil et d'émotions fortes. Ils mangeaient lentement et en silence, manquant tous deux d'appétit. Soudain Rakuyou se redressa et posa son plat sur le chevet avec brusquerie. Le premier commandant leva les yeux et l'interrogea du regard.
« On peut venger Thatch.
Marco se figea. Il se doutait que l'idée avait traversé l'esprit de Rakuyou et qu'il la ruminait depuis le milieu de journée. Lui aussi y avait pensé, d'ailleurs.
- Ce n'est pas le plan convenu, yoi.
- On s'en tape ! À nous deux on pourrait le tuer facilement !
Le phœnix fronça les sourcils.
- Arrête. On est là pour récupérer Ace.
- Ça ne nous empêchera pas de le récupérer.
- Rakuyou, je te rappelle qu'on doit rester discrets, pas se battre contre un équipage ennemi devant toute une île…
Le septième commandant se leva et se dirigea vers la porte.
- Rakuyou !
Le moustachu sembla totalement imperméable à l'avertissement du blond alors celui-ci se précipita pour lui saisir le poignet avant qu'il n'atteigne la sortie. Il se retourna, les mâchoires crispées. Inu-kun, qui s'était terré sous une couchette, se mit à grogner.
- Lâche moi ! Tu crois que je vais patienter alors que Teach est sous mon nez ?
- Oui ! Tu vas patienter et te calmer !
Rakuyou sentit son sang bouillir.
- Comment tu peux dire ça ?! Il a poignardé Thatch, putain !
Il se débattit violemment pour se défaire de la poigne de Marco dont les yeux s'étaient écarquillés de colère.
- Parce que tu crois que ça ne me fait pas chier, moi ?! »
Pour l'empêcher de partir le phœnix agrippa le septième commandant sous le col et le plaqua contre un mur avec force, faisant retentir un gros « bam » contre la paroi. La porte s'ouvrit à la volée l'instant suivant. Artie et Braalaka déboulèrent dans la pièce, affolées par les éclats de voix et les bruits de lutte. Elles ouvrirent de grands yeux en voyant les deux commandants aux prises l'un avec l'autre, le visage rouge et les poings serrés.
« Qu'est-ce qui se passe ?! s'écria Artie. »
Braalaka eut le réflexe de se jeter sur eux pour les empoigner et les tirer chacun d'un côté. L'irruption des deux femmes dans la cabine avait endigué la vague de violence qui commençait à monter et ils se laissèrent séparer sans résister, tout hagards de leur propre emportement. Même s'ils ne bougeaient plus la brune n'osa pas les lâcher et elle les regarda à tour de rôle d'un œil perplexe.
« Qu'est-ce vous faites ? répéta Artie d'un ton sec qui traduisait plus une inquiétude qu'une réprimande.
- On a eu… un désaccord, se justifia Marco.
- Sur ?
Le phœnix leva les yeux vers le septième commandant. Celui-ci resta muet un moment et regardait le parquet à ses pieds. Ses yeux étaient embués.
- Je veux venger Thatch…
Des soubresauts ne tardèrent pas à agiter son menton. Braalaka sentit son cœur se serrer, elle relâcha les deux hommes et tourna la tête vers Artie. L'infirmière avait les lèvres pincées.
- Rakuyou, tu sais qu'on est là pour Ace… fit-elle d'une voix tremblante.
- Oui… mais j-j'ai… hacha-t-il avec difficulté.
Il éclata en sanglots. La rousse se précipita vers lui et l'enlaça d'un mouvement à la fois désemparé et désespéré ; elle pleurait, elle aussi. Rakuyou resserra ses bras autour d'elle et reposa son visage sur son épaule. Il tenta de s'exprimer malgré les soubresauts qui agitaient sa poitrine et les larmes qui commençaient à inonder son visage :
- Je suis désolé… Si seulement- si seulement j'étais resté avec lui… Ce soir là…
Artie lui répondit quelque chose que Marco et Braalaka ne distinguèrent pas, la voix de l'infirmière était trop étouffée par le manteau dans lequel elle avait enfoui son visage. Le phœnix avait la gorge serrée et l'impression qu'on lui compressait le torse. Il était resté complémentent pétrifié depuis que Braalaka l'avait empoigné et il ne savait pas quoi faire. Lui aussi avait envie de pleurer. Il avait connaissance de l'origine du mal-être de son frère, il l'avait déjà entendu se lamenter à ce propos lors d'états d'ivresse sans jamais vouloir développer une fois sobre : il ne s'était jamais pardonné d'avoir laissé Thatch seul quand ils avaient fêté ensemble la trouvaille du yami-yami no mi. Il s'était absenté cinq minutes pour régler une broutille de division, et pendant ces cinq minutes Thatch avait perdu la vie.
- Je suis désolé Artie…je suis désolé… répéta Rakuyou plus bas. »
Marco sentit sa manche de chemise bouger. Il sursauta imperceptiblement et baissa les yeux : il vit la main de la brune en train de tirer doucement sur son habit. Il croisa son regard et comprit qu'elle voulait sortir lorsqu'elle fit un mouvement de la tête en direction de la porte. Il ne s'y opposa pas et ils s'éclipsèrent discrètement, sans un bruit.
«… Je pense qu'on devrait les laisser. Ils ont sûrement des choses à se dire, se justifia-t-elle une fois qu'ils furent dans le couloir.
Le phœnix hocha la tête : il ne pouvait qu'être d'accord, une gêne persistait entre ces deux là depuis trop longtemps. Ses doigts tremblaient encore légèrement d'adrénaline et Braalaka le remarqua.
- Tu veux qu'on aille s'asseoir ?
- Non… Non, ça va aller, ça va redescendre. »
Il inspira profondément et passa ses mains sur son visage comme pour se réveiller d'un mauvais rêve. La jeune femme l'observa tandis qu'il tentait de se sortir de sa torpeur. Tout le monde était sur les nerfs depuis le midi mais elle n'avait jamais vu Rakuyou aussi silencieux : elle avait pris cela pour de la concentration mais il semblait que c'eut été un mélange d'anxiété et de colère. Elle se doutait, au vu de la réaction d'Artie, que son origine concernait le deuil de Thatch et la tension qui résistait à ce propos. Elle en saurait quelque chose de plus précis ultérieurement, probablement.
Une fois que son palpitant et son souffle se furent calmés le commandant ôta les mains de ses tempes et reprit la parole :
« Bon, il faut qu'on poursuive la mission. L'île ne va pas s'inspecter toute seule.
- Tu veux qu'on y aille les deux si j'ai bien compris ?
- Oui. C'est le plus logique à faire dans notre situation, je vois la nuit et tu peux dissimuler notre présence.
- Comme quoi, on forme un parfait duo.
- Qui l'eut cru. J'ai bien fait de ne pas te jeter au cachot quand on t'a rencontrée, sourit-il.
- Ah, c'est vrai ! Je me rappelle de ça… J'avais eu super peur, heureusement que Vista n'a pas été un mufle, lui.
Marco se massa le cou, un demi-sourire gêné tordant ses lèvres. Braalaka se retint de pouffer.
- J'avoue que c'était un peu rude, mais il fallait que je fasse mon travail de second d'équipage…
- Je sais bien, ne fais pas cette tête, le rassura-t-elle. Est-ce que ça ira pour Artie et Rakuyou ?
- Oui. Je reparlerai avec Rakuyou plus tard, on était sur les nerfs mais je ne pense pas qu'il fasse quelque chose qui nous compromette.
- Ok…
- Allons-y. »
….
Izo arpentait les couloirs du Palais d'un pas décidé. Les talons en bois de ses getas claquaient contre le marbre du sol. Il s'arrêtait à chaque porte et hasardait un regard dans les pièces qu'il pouvait ouvrir. Cela faisait quinze minutes qu'il déambulait de la sorte, à la recherche de son capitaine. Presque tout était vide de présence à cette heure. Il était minuit passé et les appartements du Yonko étaient vides, la salle de réception aussi, et même Neptune, qu'il y avait croisé tardivement, affirmait qu'il n'avait pas revu Barbe Blanche depuis l'heure du repas. Izo marmonnait dans sa barbe. Comment un homme du gabarit d'Edward Newgate parvenait-il à s'éclipser aussi facilement ? Non pas qu'il avait autre chose à faire que de le chercher, puisque le sommeil était impossible, mais il aurait au moins aimé le trouver rapidement. Le dernier endroit à vérifier était la bibliothèque du château, après quoi le samouraï n'aurait plus d'idées.
La missive de Marco était arrivée en fin d'après-midi et avait chamboulé l'équipage : tout le monde s'inquiétait. Namur était allé rejoindre les gardes royaux dans leurs entraînements, il se ré-initiait aux arts martiaux des hommes poissons pour s'occuper l'esprit. Izo, lui, s'interdisait de dormir car la perspective que ses camarades soient dans une posture délicate en ce moment même lui donnait des vertiges. Il était certain que son capitaine, bien du genre à s'isoler pour broyer du noir lorsqu'une situation le dépassait, ressentait quelque chose de similaire. Le samouraï n'avait pas envie de patienter seul et il savait qu'il trouverait le refuge d'une conversation auprès du grand homme.
Il poussa la lourde porte nacrée de la bibliothèque.
« Père ?! beugla Izo.
Barbe Blanche qui était assis sur un sofa au deuxième étage, un livre entre les mains et les lettres de Braalaka dans une poche, haussa un sourcil en reconnaissant la voix de son seizième commandant. Il se pencha par-dessus la mezzanine pour se rendre visible. Son habituel visage stoïque était terni de fatigue, il étira néanmoins un sourire à son adresse.
- Tu essaies de réveiller tout le Palais, fils ?
- Ah, tu étais donc bien ici !
Sans perdre de temps il gravit l'escalier et rejoignit l'Empereur qui le regarda faire sans un mot. Il déposa une bouteille de saké et deux coupes sur la table qui trônait au milieu des banquettes. Namur était allé chercher la boisson sur sa demande dans les cuisines du château, dont les placards étaient étonnamment diversifiés. Le samouraï s'affala sur un siège et tâcha de remplir les coupelles.
- Qu'est-ce que tu lis ? »
….
À mesure que Braalaka et Marco progressaient vers la civilisation les falaises se faisaient moins hautes et les forêts, qui profitaient de plus de lumière, était plus fournies. Où qu'ils passaient il y avait toujours de gros rochers disposés ça-et-là dans le paysage, parfois ils ressortaient directement du sol ou il semblaient s'être détachés des parois des falaises. Le phœnix marchait devant, l'œil bien ouvert, et décidait de l'itinéraire qui leur permettait de ne jamais s'exposer hors du couvert d'un arbre ou d'un rocher. La jeune femme marchait précautionneusement dans ses pas, le plus silencieusement possible, et elle couvrait leur présence au moindre craquement de branche ou au moindre souffle de vent dans les arbres. Chuchoter était dispensable, ils s'étaient très vite compris dans leurs manières de se tenir, de respirer, de se déplacer, et ils progressaient sans encombres. Il leur fallut une trentaine de minutes de marche pour atteindre les abords de l'unique bourgade de l'île. Marco se stoppa et s'abaissa près du sol. Braalaka l'imita. Le réseau d'éclairage public n'était pas aussi bien développé que dans d'autres patries mais ils discernèrent tout de même des halos orangers issus de lampes qui pendaient aux devantures des bâtiments et quelques braseros qui éclairaient la rue principale. La nuit était calme, par-dessus le silence les éclats de voix lointains des passants se joignaient aux crépitements des flammes des brazeros. Il y avait aussi une mélodie qu'on devinait à peine, elle provenait d'un pub tout au bout de l'avenue et était beaucoup trop étouffée pour être reconnaissable. Peut-être du jazz. Le blond concentra son haki de l'observation : il y avait du monde dans les bâtisses, il sentait une masse de présences partout devant lui. L'île et ses habitants n'avaient pas été attaqués, visiblement.
Traverser directement la ville était inenvisageable alors Braalaka et Marco la contournèrent par le flanc droit tout en restant suffisamment proches pour apercevoir les passants, mais suffisamment éloignés pour se tapir dans la pénombre. Personne parmi les quelques locaux qu'ils avaient pu apercevoir ne ressemblait à Teach ou à un membre de son équipage.
Les sons des festivités se faisaient plus audibles à mesure qu'ils s'approchaient de l'extrémité de la ville opposée à celle par laquelle ils étaient arrivés. L'orchestre provenait d'un gros bâtiment arborant une pancarte peinte « saloon », Braalaka pouvait démêler du brouhaha ambiant des rythmes de percussions, la régularité d'une basse et les envolées d'un saxophone. Il y avait plus de fréquentation à cet endroit, des silhouettes se mouvaient derrière les carreaux et à l'extérieur des chevaux étaient attachés à une barrière, devant une longue mangeoire. La jeune femme dont l'attention était accaparée par l'examen des lieux n'avait pas vu que le phœnix s'était arrêté et elle le percuta en lui marchant un peu sur les talons. Elle se tourna vivement vers lui et agita les mains pour s'excuser. Il ignora totalement le malentendu et pointa du doigt quelque chose devant le saloon. La brune, interloquée, suivit la direction qu'il indiquait. Elle plissa les paupières car rien ne lui sautait aux yeux, il n'y avait personne ni sur le perron ni à la fenêtre.
« Les chevaux… chuchota Marco tout bas.
-… les chevaux ? répéta Braalaka avec confusion.
Il y avait quatre équidés attachés devant le bâtiment. Deux d'entre eux étaient alezans, plutôt hauts, un autre était pie noir avec de longs fanons aux pattes et le dernier était d'un gris monochrome à la limite du blanc. Il était plus rachitique que les autres, un peu voûté, ses crins n'étaient pas très fourni et lui retombaient sur les yeux comme des rideaux. La jeune femme se remémora la monture du médecin de l'équipage de Barbe Noire.
- Ah. Le gris délavé, là ? fit-elle.
- Oui… On dirait celui de Doc Q, tu ne trouves pas ?
- C'est vrai…
Marco soupira imperceptiblement. Essayer de localiser les pirates ennemis impliquait de les apercevoir, évidemment, mais il n'en avait franchement pas envie. Il avait pris sur lui pour s'y préparer et n'apercevoir qu'une mascotte limitait un peu son dégoût.
- Bon, reprit-il. S'ils sont ici ça nous facilite la tâche. On continue.»
À cette heure de la nuit personne ne s'aventurait hors de la ville et ils ne croisèrent pas âme qui vive en longeant les plantations. Les feuilles des maïs s'élançaient de leurs tiges pour venir leur chatouiller les épaules. La terre, sèche et poussiéreuse, sentait l'argile. Bientôt la silhouette du radeau de Barbe Noire se découpa dans l'obscurité. Marco ne distinguait aucune lumière, il ne savait pas si c'était parce qu'il était inoccupé ou simplement parce qu'il n'y avait pas de fenêtres sur ces immenses rondins. Il activa son haki de l'observation qu'il projeta droit devant lui. Un électrochoc lui parcourut l'échine : il avait senti une présence. Il se voûta par réflexe et changea de trajectoire pour aller se cacher derrière l'un des nombreux rochers qui parsemaient la plaine. Il s'agenouilla sur l'herbe jaunâtre, imité par Braalaka qui l'interrogeait du regard.
« On est à trente mètres du bateau, murmura-t-il. Il n'y a pas de lumière mais j'ai senti quelqu'un.
- Tu peux savoir qui c'est ? s'enquit-elle sur le même ton bas, les sourcils froncés d'appréhension.
- Non… Mais je peux garantir que ce n'est pas Ace, j'aurais reconnu ce qu'il dégage sinon.
-… Tu penses que c'est Teach ?
- Je ne sais pas. Je ne le fréquentais pas beaucoup, et ça fait longtemps… Je ne me souviens plus de son énergie.
- Donc ça pourrait être n'importe qui ? Un gars de son équipage, un prisonnier ?
- C'est ça. Je pencherais pour un membre d'équipage qui fait la vigie pour la nuit.
Ils restèrent silencieux quelques instants. D'un côté ils étaient soulagés que Poing Ardent ne soit pas à l'intérieur du radeau ennemi, ce qui aurait été le pire scénario possible, mais cela ne les avançait pas sur la connaissance de son emplacement. Marco se sortit de ses pensées et se pencha à nouveau vers elle :
- Il faut qu'on aille voir, chuchota-t-il. On pourrait en tirer des choses.
- Des choses comme quoi ?
- Des cartes, des dossiers maritimes, des lettres… N'importe quoi qui nous en apprendrait plus sur ce qu'ils manigancent et sur la force réelle de Teach. Tu avais dit qu'il avait des capacités inhumaines, non ?
- Oui, dans mon scénario il peut récupérer des fruits du démon et en manger plusieurs…
- Hm, j'aimerais avoir le fin mot de cette histoire. Il faut qu'on soit capables de l'arrêter si il revient un jour pour attaquer l'équipage. »
Braalaka hocha la tête. Elle faisait confiance à la capacité décisionnelle de Marco qui avait beaucoup plus d'expérience qu'elle et qui n'était pas le second d'un Empereur pour rien, comme le prouvait sa capacité à garder la tête froide et à tout analyser pour les bénéfices de son équipage.
« Ok, donc on y va et on fouille tout. Qu'est-ce qu'on fera après, pour Ace ?
- On continuera à faire le tour de l'île pour vérifier qu'il ne soit pas arrivé et ait planqué Striker dans une crevasse. Si on ne trouve rien on surveillera la mer tout en gardant un œil du côté de Teach.
- Striker ?
- La planche à voile qui ressemble à une banane.
- Ah oui… »
Marco se pencha prudemment pour jeter un regard par-delà le rocher. La présence n'avait pas disparue, elle lui paraissait même stable et immobile. Il n'apercevait pas de silhouette sur le pont, et à mieux y regarder il n'y avait pas non plus de fenêtres sur le corps du bateau. Mais peut-être que la distance et l'obscurité étaient trompeuses, il devait s'approcher pour en être sûr. Il se tourna à nouveau vers Braalaka :
« Je n'ai pas l'impression qu'il y ait quelqu'un sur le pont, c'est étrange.
- Peut-être qu'il s'est endormi pendant son tour de garde ?
- Si seulement… Est-ce que tu pourrais couvrir nos présences jusqu'à ce qu'on arrive là bas?
- Oui. Il faut qu'on reste en contact par contre, c'est ce qui me demande le moins d'énergie.
- D'accord. Voilà le plan : une fois qu'on sera à côté on pourra chercher où est l'ennemi et où sont les accès au bateau. On tentera l'infiltration si on peut passer sans se faire voir.
- Ça marche. »
Ils sortirent lentement du couvert du rocher, Marco toujours en tête et Braalaka à son côté, une main sur son épaule pour faciliter la circulation de son pouvoir. Non seulement le phœnix ne voyait personne mais il n'entendait pas non plus d'activité humaine sur le bateau. Lorsqu'ils arrivèrent ils se plaquèrent contre les rondins qui servaient de coque afin de se dissimuler de la vue d'une potentielle personne au-dessus d'eux. Comme il s'en doutait, le blond ne trouva aucune fenêtre le long des murs. Les seuls aménagements dans le bois étaient des sabords, la lune faisait reluire la fonte des canons qui dépassaient au dehors. Un filet tressé tombait mollement par la largeur du bateau. Marco se pencha sur l'épaule de Braalaka et chuchota le plus doucement possible :
« Aucune fenêtre ni entrée. Est-ce que tu peux désactiver ton pouvoir ?
La brune s'exécuta pour qu'il puisse utiliser son propre haki. Le commandant était certain de sentir la présence, elle était toute proche et toujours immobile, comme si la personne dormait ou restait assise derrière le mur.
- Je vais vérifier sur le pont, indiqua-t-il en avançant d'un pas vers le filet.
Braalaka lui saisit l'avant-bras pour le ramener vers elle.
- Attends, susurra-t-elle. Qu'est-ce qu'on fait si on se fait repérer ?
Il réfléchit quelques secondes.
- Si on voit nos visages on capture l'ennemi, et si on nous ne nous reconnaît pas on fuit. Dans tous les cas essayons de nous en tenir au plan de discrétion…
- Je suis d'accord. »
Ils avancèrent jusqu'aux cordes rêches et pleines de résidus sableux. Marco grimpa en faisant le moins de bruit possible, Braalaka attendait en scrutant le moindre de ses mouvement. Une fois que ses yeux furent à la hauteur du pont il balaya sa surface du regard. Pas de doute, il n'y avait personne dehors. Le radeau ne possédait qu'un unique mât en son centre et il sentait que la hune était inoccupée. Les contours d'une sorte de trappe en acier forgé brillaient sous la lune. Sans cesser de zieuter la zone Marco se hissa tout entier sur le pont et fit un signe de la main à Braalaka pour qu'elle le rejoigne.
« Le gars est forcément à l'intérieur, murmura-t-il une fois qu'elle fut à son niveau.
- Et il ne s'agite toujours pas ?
- Non.
-… On entre ?
- Il faut que l'un de nous reste dehors au cas où l'équipage revienne.
- Oui, c'est vrai… Reste, moi je descends.
Il lui glissa un regard emprunt d'incertitude.
- Tu es sûre ?
- Je ne peux pas monter la garde aussi efficacement que toi, fit-elle comme d'une évidence. Par contre je peux me dissimuler et je suis plus légère, je ferai moins de bruit en me déplaçant.
- Tu n'as pas tors… Mais le danger immédiat est là dedans, tu dois faire très attention et ne pas te laisser surprendre…
- J'y compte bien.
Marco soupira doucement. Il appréhendait les imprévus et cela faisait beaucoup de facteurs qu'il ne maîtrisait pas dans cette expédition.
- Je vais surveiller la zone avec mon haki jusqu'à ce que tu reviennes. Si je sens le moindre intrus je te le signalerai en tapant du pied assez fort, il faudra que tu ressortes immédiatement.
- Et la discrétion ?
- Tant pis, je préfère qu'on fuit en éveillant des soupçons plutôt qu'on ne déclenche un affrontement qui rameutera toute la ville.
Elle hocha la tête.
- De mon côté je t'appellerai en dernier recours, si on me repère et que je ne peux pas ressortir.
- Ne prends aucun risque, avertit-il. Si tu vois ou entends quelque chose de suspect remontes sans te poser de question.
- Oui. »
Même s'ils n'échangeaient qu'en messes-basses elle percevait l'indéniable tension dans leurs voix. Ils savaient aussi bien l'un que l'autre que leur posture était compliquée et pouvait déraper facilement. La possibilité d'échouer et de se retrouver en face d'un individu qui chercherait peut-être à la capturer ou la tuer nouait l'estomac de Braalaka. Artie lui avait dit que l'anxiété était le pain quotidien en mission, surtout lors des premières, et elle le ressentait très bien à ce moment précis. Le phœnix, lui, menait les choses par expérience et avec sang froid. Cela lui coûtait, pourtant. Il n'avait jamais vraiment pu aborder les missions critiques avec un esprit totalement serein. Non pas qu'il n'appréciait pas un bon combat, au contraire, mais seulement avec des adversaires qui proposaient un verre par la suite. Certains aimaient ça, le risque. Il y avait beaucoup de pirates peu inquiets des conséquences de leur mode de vie. Lui s'inquiétait, surtout pour ses camarades.
Ils soulevèrent la trappe avec toutes les précautions du monde pour éviter de faire grincer les charnières. Ils l'ouvrirent complètement et la bloquèrent avec une tige métallique, dévoilant un escalier. Le vestibule était sombre, aucune lumière, la lueur plongeante de la lune ne suffisait pas à laisser voir les dernières marches. La jeune femme posa à nouveau la main sur l'épaule du blond, pas pour utiliser son pouvoir mais pour la serrer dans une accolade qui se voulait encourageante. Il l'imita et lui tapota l'omoplate.
« À tout de suite, souffla-t-elle en posant un pied sur la première marche.
- Sois prudente. »
Braalaka s'engagea dans l'escalier. Elle retenait son poids sur le bout des ses pieds, les mains contre les parois, et se déplaçait avec lenteur pour tester la fiabilité du bois. Faire grincer une latte trop fort aurait été sa pire angoisse. Elle parvint tout de même à descendre sans provoquer de bruit suspect : puisque tout était fait de bois la structure travaillait déjà, et les quelques craquements qu'elle avait pu provoquer s'étaient confondus avec la vie du navire. La brune arriva aux dernières marches. Ses yeux essayaient de s'adapter à l'obscurité plus épaisse qu'au dehors : elle distinguait, grâce à la lueur résiduelle qui parvenait de l'escalier, qu'elle arrivait au niveau d'une première pièce. Au-delà des premières lattes de plancher tout était trop sombre, elle n'avait pas la moindre idée de ce qui s'y trouvait. L'appréhension la tenailla et elle leva la tête vers la trappe. Marco était assis à côté de l'ouverture, elle apercevait son flanc gauche et son visage. Prenant son courage à deux mains Braalaka se tourna vers l'obscurité et inspira doucement pour calmer ses mains tremblantes. Elle arrêta de réfléchir et descendit les dernières marches qui la séparaient de la pièce. Rien ne se passa. Aucun bruit, aucun mouvement autour d'elle. Soulagée, elle tenta d'identifier des choses à proximité d'elle. Il semblait y avoir des chaises juste devant, et un meuble à sa gauche. Elle n'osa pas s'avancer de peur de faire tomber une chaise ou quoi que ce soit d'autre dans le passage. Passer une main sur le meuble lui semblait plus raisonnable. Ses doigts effleurèrent un objet, une petite boîte rectangulaire plutôt légère. Une matière rugueuse couvrait deux de ses face et il y avait quelque chose à l'intérieur. Elle reconnut une boîte d'allumettes. La jeune femme hésita à en craquer une. Sans éclairage elle ne pourrait pas explorer l'étage, c'était certain. Aussi elle avait peur que la lumière éveille l'attention de l'individu présent on ne sait où dans le navire. Mais s'il était endormi ou dans une pièce éloignée, quelle était la chance pour qu'il la remarque ? Elle resta immobile plusieurs instants avec sa boîte entre les mains. Finalement elle sortit une allumette et la frictionna sur la face rêche.
Elle cligna des yeux, la lueur oranger lui paraissait forte après tout ce temps passé dans la pénombre. Il y avait d'autres affaires sur le meuble, notamment une lampe à huile, qu'elle s'empressa de saisir pour l'allumer. Elle manqua de se brûler avec l'extrémité du bâton qui commençait déjà à se consumer entre ses doigts et elle agita la main en l'air en retenant un juron. Une fois qu'elle y vit plus clair elle tendit l'oreille et observa autour d'elle. Toujours pas de bruit, et aucun mouvement. Elle relâcha un soupir soulagé et reprit son exploration. Il y avait bel et bien des chaises ainsi qu'une grande table en plein milieu de la pièce. Elle s'approcha de la table. Des couverts, des bouteilles vides et une casserole qui sentait le graillon y traînaient. Au fond, un petit plan de travail dont le bois était tâché par endroits et un évier, vide. Cette vision de pièce à vivre laissée dans la crasse répugna Braalaka, qui se rebutait à toucher quoi que ce soit. Elle tenta néanmoins d'ouvrir quelques placards, au cas où, mais elle n'y trouva que des aliments secs et des ustensiles. Il y avait trois issues à ce salon : l'escalier par lequel elle était entrée, un couloir qui faisait face à la table, et un autre escalier qui continuait à descendre depuis un angle. S'enfoncer encore plus dans les méandres du bateau lui faisait peur et elle préféra d'abord visiter le couloir.
Toujours à pas de loup elle se dirigea dans le corridor en serrant la lampe contre elle comme si cela pouvait la rendre plus discrète. Le couloir finissait en cul-de-sac mais il y avait des portes sur les côtés longs. La plupart étaient ouvertes, seules les deux les plus au fond étaient closes. Tandis que la brune se dirigeait vers la première ouverture une planche grinça affreusement sous son poids. Son cœur manqua un battement et elle se figea, les yeux écarquillés et le souffle court. Rien d'autre ne se passa. Elle finit par reprendre sa marche en priant pour ne pas faire de bruit à chaque pas. Enfin arrivée à la porte elle fureta un regard sans trop s'avancer dans l'entrebâillement. Il lui semblait voir un lit avec les draps en vrac au bout du sommier. Prudemment elle se décida à entrer et ce fut effectivement dans une chambre qu'elle atterrit. L'ensemble était très minimaliste, juste le lit et une armoire dont un volet était ouvert. Elle hésita à s'approcher de l'armoire, l'idée saugrenue que quelqu'un pourrait s'y cacher lui traversa l'esprit. Elle se trouva idiote de se faire de telles réflexions, personne n'irait se dissimuler dans sa propre penderie en laissant le battant ouvert. Elle s'avança et tendit la lampe. Il n'y avait que des vêtements, des t-shirt noirs, marrons, ou à rayures ainsi que des pantalons gris tout ce qu'il y avait de plus banal. Des ceintures avec d'énormes boucles métalliques, un peu comme celles que portent les champions de catch, traînaient sur le sol.
La pièce suivante était aussi une chambre, ce qui était suffisant à Braalaka pour conclure qu'elle se trouvait dans les dortoirs de l'équipage. Cette chambre-là était double, il y avait deux matelas de chaque côté de la pièce. Un bureau était juxtaposé à l'un d'eux, et il était assez fourni en piles de papier et classeurs en tous genres. C'est vers ce meuble qu'elle dirigea toute son attention. Il y avait des piles de cartes et quelques instruments de navigation sur le plateau droit du bureau. L'une des cartes était étalée à plat, on pouvait y voir des tracés et des indications, ainsi qu'une gommette collée sur ce qu'elle identifia comme Enies Lobby. A gauche, des cahiers et de gros ouvrages en cuir. Elle en attrapa un et plaça la côte devant la lanterne : encyclopédie médicale, . Probablement la cabine partagée par le médecin et le navigateur. Le bureau était agrémenté de tiroirs et elle commença à ouvrir tous ceux qui n'étaient pas fermés à clé. Toujours plus de paperasse maritime, quelques brochures de journal, des affiches de primes… Elle attrapa la liasse d'affiches et la feuilleta. Elle vit défiler les visages des grands corsaires, ceux de bandits notoires sévissant sur Grand-Line, les têtes des chefs de l'armée révolutionnaire, puis elle finit par tomber sur les primes de Shanks et de son équipage. Un petit sourire retroussa la commissure de ses lèvres lorsqu'elle vit à quel point le Roux avait l'air sérieux et redoutable sur son poster, alors qu'elle l'avait rencontré tout affable en claquettes et bermuda. Elle se mit à chercher les primes des pirates de Barbe Blanche. L'affiche dédiée à Edward Newgate était dans le lot et elle l'observa pendant de longs instants avant de tout remettre en place. Le dernier tiroir qu'elle examina contenait des instruments de médecine, des éprouvettes, et surtout des petites sacoches qui l'interpelèrent. Il s'agissait de bourses noires en velours fermées par des rubans. Elle en saisit une avec précaution. Il lui sembla qu'il y avait quelque chose comme du sable à l'intérieur, et en l'ouvrant elle découvrit une poudre blanche. Braalaka fronça les sourcils. Était-ce de la drogue ? Elle ne s'aventura pas à toucher ni à sentir, le moment était mal choisi pour risquer de s'empoisonner. Elle savait que le médecin créait des armes peu orthodoxes, comme des pommes explosives, et elle se demanda si ces petits échantillons de poudre étaient aussi des armes. Considérant le grand nombre de sachets dans le tiroir elle pensa qu'elle pouvait bien en voler un sans que cela ne soit visible. Elle resserra le ruban et glissa la bourse dans sa poche. Elle la donnerait à Artie ou à Marco pour qu'ils analysent de quoi il s'agit.
De retour dans le corridor le brune zieuta les deux portes closes à quelques mètres d'elle. Elle avait beaucoup trop peur d'aller les ouvrir, d'autant que la possibilité que l'inconnu se trouve derrière l'une d'elles lui paraissait grande. Préférant ne pas tenter diable elle laissa tomber l'exploration du couloir et retourna prudemment dans la pièce à vivre. Revoir la sortie et la lueur de la lune lui fit du bien. Il lui restait un escalier à visiter et elle se doutait qu'il menait à la cale, lieu qui valait le coup d'œil pour déterminer les activités récentes et les moyens d'un équipage. Avant d'y descendre Braalaka se plaça sous la sortie. Le halo de sa lampe attira l'attention de Marco, qui se pencha pour regarder. Elle lui fit signe que tout allait bien en brandissant un pouce en l'air, ce à quoi le phœnix répondit par le même geste, gratifié d'un sourire. Un peu plus rassurée, la jeune femme se ré-engouffra dans la pénombre du bateau. L'absence de fenêtres rendait le navire de Barbe Noire particulièrement inquiétant. L'obscurité permanente oppressait Braalaka même si elle avait trouvé de quoi s'éclairer. Il y avait certes d'autres lampes disposées un peu partout, qu'elle n'avait pas allumées pour des raisons évidentes de discrétion, mais elle ne pouvait pas s'imaginer vivre à l'intérieur d'un tel radeau au quotidien. L'ambiance était particulière, les lieux ne reflétaient aucune chaleur. Le contraste était grand comparé au MobyDick qui avait été aménagé dans l'esprit de ressembler à une maison pour chaque individu présent à son bord. Même le cuirassé de la Marine lui avait semblé plus accueillant, avec ses airs d'office de mairie.
Braalaka entreprit la descente à la cale et la première marche grinça terriblement sous son pied, le son était trop fort et prolongé pour ressembler au travail du bois. Elle se figea à nouveau, pétrifiée de nervosité, à l'affût de la moindre réaction provoquée par son boucan. Au bout de quelques secondes de silence elle gravit la deuxième marche, qui grinça pareillement. Cette fois la brune serra les dents et sentit une vague de stress réchauffer tout son corps et accélérer son pouls. Foutu plancher. Elle pencha la tête en arrière pour vérifier que personne n'arrivait par le couloir du dortoir. Apparemment non. Les marches suivantes firent un peu moins de bruit, heureusement pour son palpitant qui s'était déjà beaucoup trop emballé. Elle finit par apercevoir, en contre-bas, que l'escalier donnait sur une salle dont la porte était grande ouverte. Il y faisait noir, comme dans tout le reste du bateau. Braalaka gagna la dernière marche se pencha tout doucement. La porte déjà ouverte reposait contre un mur directement sur la gauche, alors elle tendit le bras vers la droite pour éclairer l'espace. Il s'agissait bien d'une cale avec d'habituels caissons et tonneaux, mais un détail glaça le sang de la brune. Elle distinguait des sortes de cages à barreaux, un peu plus loin. L'envie de faire demi-tour la saisit brusquement, mais cet élément était bien trop singulier pour ne pas aller l'examiner ; peut-être qu'elle déduirait une information importante là bas. A contre-cœur et avec grande appréhension elle entra et, lentement, s'avança sur la pointe des pieds. Trois cages étaient alignées contre le mur ; elles étaient toutes vides. Une sordide tâche maculait le sol de celle du milieu et Braalaka n'avait pas besoin d'aller vérifier la teneur précise de cette flaque pour deviner qu'il s'agissait de sang séché. Elle ne trouva rien d'autre qu'un grand drap posé négligemment par terre à côté des geôles. L'impression de malaise de la jeune femme était encore plus prenante qu'au début. Malgré cela elle s'enfonça plus loin dans la cale. Il y avait un secrétaire et une chaise tout au bout de la pièce. C'était bizarre, ça aussi. Elle décida de le fouiller en priorité et s'avança, non sans faire craqueter quelques planches. Soudain un « clac » métallique se fit entendre. Braalaka se figea. Le bruit était venu de derrière elle. Un long frisson glacé lui parcourut le dos. Elle n'osa pas se retourner, son pouls commençait à tambouriner contre ses tempes. Avait-elle halluciné ? Ce claquement ne ressemblait pas au bois. Un nouveau « clic », plus aiguë, la fit se décomposer. Non, ce n'était le bois. Elle n'était pas seule dans cette cale. La terreur qui montait en Braalaka la clouait sur place et lui donnait des vertiges tels qu'elle avait l'impression qu'elle allait vomir. Elle tourna lentement la tête et écarquilla les yeux d'horreur. Marshall D. Teach se tenait de l'autre côté de la pièce. Il avait une main posée sur la poignée de porte qu'il venait de fermer et l'autre était armée d'un pistolet qu'il braquait directement sur Braalaka.
