Chapitre 28
Les yeux encore collés par la nuit, Harry se dirigea machinalement dans la cuisine des Weasley. Seul Ginny et les parents étaient attablés. L'odeur du café chaud réveilla quelque peu les papilles gustatives de Harry.
- Déjà levé mon grand ? demanda Mr Weasley. On a une bonne nouvelle pour toi.
- Arthur, laisse Harry se réveiller correctement. Un peu de thé mon chéri ?
- Oui Mrs Weasley. Merci Mrs Weasley.
Il bailla à s'en décrocher les mâchoires.
- Tu as bien dormi ?
Harry opina du chef. En réalité, un cauchemar l'avait réveillé et lui avait valu une insomnie pendant plusieurs heures. Il regrettait de ne pas avoir pris sa potion la veille. Se frottant le visage avec force, il débuta son petit-déjeuner et ce fut lorsque Molly s'assura qu'il était parfaitement réveillé qu'elle lança un coup d'œil à Arthur, l'autorisant à parler.
- Le professeur Rogue t'a envoyé une carte postale. Il a donné son accord pour la journée au lac demain.
Bouche-bée, Harry attrapa son courrier. Une chaleur agréable se logea dans son estomac et il contempla pendant de longues secondes la carte postale sous ses yeux. C'était la première fois qu'il recevait une carte comme celle-ci. Plus que le somptueux bâtiment et la jolie place dessinés sur la carte, ce furent les quelques mots notés au dos de celle-ci qui émerveillèrent Harry. Une écriture fine et penchée, il put presque entendre la voix de son tuteur.
Harry,
Actuellement à Paris, je profite de ces quelques instants de répit pour t'écrire ces quelques mots.
J'espère que tout se passe bien pour toi et que tu profites de tes vacances chez les Weasley. Nos affaires ont déjà été envoyées à Poudlard où il me tarde de te retrouver.
A très vite,
Severus
Harry relut plusieurs fois la dernière phrase, n'en croyant pas ses yeux. Où il me tarde de te retrouver. Même écrit, cela paraissait incongru que le professeur ouvre son cœur de la sorte. C'est lorsqu'il sentit une douleur dans ses joues qu'il comprit qu'il souriait comme un benêt devant sa carte. Il se reprit en pinçant ses lèvres, le cœur battant un peu trop vite dans sa poitrine.
Plein d'allégresse, Harry se servit une seconde fois d'oeufs brouillés sous le regard heureux de Mrs Weasley.
L'esprit léger, la journée se déroula à grande vitesse. Ils dégnomèrent le jardin avec les jumeaux puis, la pluie s'invitant, ils restèrent une bonne partie de l'après-midi à enchaîner différents jeux de société sorcier avec Ginny, les jumeaux et Percy qui daigna venir pour une partie de bavboules.
Le soir, alors que Ron était à la salle de bain, Harry ouvrit sa valise avec précipitation pour prendre quelques gouttes de potion. Il voulait être en forme pour le lendemain et ne souhaitait pas être réveillé par un mauvais rêve.
Rogue avait raison.
Un peu inquiet qu'on le surprenne, il se dépêcha d'ouvrir le flacon. Dans la précipitation, la fiole lui glissa des mains et s'éclata au sol en plusieurs morceaux.
- Harry mon chéri tout va bien ? As-tu besoin d'aide ?
Alertée par le bruit, Mrs Weasley se tenait dans l'encadrement de la porte. Rougissant jusqu'à la racine des cheveux, Harry secoua la tête dans tous les sens, pris d'une légère panique. Il ne voulait vraiment pas qu'on sache qu'il faisait des cauchemars comme un pauvre petit bébé. Bafouillant des excuses, il s'agenouilla pour ramasser les débris.
Mrs Weasley s'approcha et arrêta Harry dans son ménage d'une main douce.
- Ce n'est rien mon garçon.
Elle sortit sa baguette et en un rien de temps, les bris de verres et le liquide répandu au sol s'étaient évaporés.
Gêné, Harry se releva, la chaleur lui brûlant les joues. Le professeur n'avait mis qu'une seule fiole dans sa valise et désormais, il devrait affronter ses cauchemars comme avant. L'idée même lui tordit l'estomac, inquiet à l'idée d'affronter la nuit.
La bouche-sèche, il retint un soupir de dépit et attendit que Mrs Weasley s'en aille. Elle n'en fit rien. Elle marmonna un sortilège et une fiole apparût dans sa main gauche.
Un sourire bienveillant, maternelle et réconfortant se dessina sur son visage.
Harry eut la soudaine impression qu'il aurait pu tout dire à Mrs Weasley et même pleurer sur son épaule s'il en avait besoin. Etrangement, cette sensation dirigea ses pensées vers le maître des potions et sa gorge se serra brutalement.
Harry inclina le menton en signe de consentement, trop honteux pour parler. Elle aida à doser sa potion et Harry fut définitivement sûr que Rogue avait échangé avec elle concernant ses nuits agitées.
Une fois la potion prise, Mrs Weasley le serra contre elle, lui souhaitant bonne nuit. Une bouffée de chaleur réconfortante s'empara du Survivant qui commençait à se sentir comme sur un nuage.
Lorsque Ron revint dans la chambre, les yeux de Harry papillonnaient déjà sous sa couette, déjà prêt à rejoindre les bras de Morphée.
.
Le lac de Dwaling était à quinze minutes de marche du Terrier. Après avoir traversé un bois, le groupe tomba sur Mr Diggory et son fils Cédric. Harry connaissait le garçon de vue mais ne lui avait jamais parlé jusqu'ici. Grand, athlétique et souriant, il était le genre de garçon qui plaisait aux filles si l'on en croyait les paroles de Fred et George.
Mr Diggory ne cacha pas son enthousiasme de rencontrer le Survivant en personne et lui serra la main vivement.
- Cédric m'a parlé de vos talents d'attrapeur Mr Potter, déclara l'homme lorsqu'ils se remirent à marcher. Il faudra cependant être prudent, Cédric a réalisé un stage cet été chez les …. et il compte bien saisir la place libre chez Poufsouffle !
- L'ancien attrapeur est parti ? demanda Fred avec intérêt.
- Tout à fait et Cédric n'attend que ça pour rejoindre l'équipe ! Pas vrai mon garçon ?
Le dénommé Cédric sourit poliment à son père en guise de réponse, l'air gêné. Bill, qui était arrivé le matin même, menait la marche, un énorme sac sur le dos. Il avait refusé que son père porte les vivres pour la journée et Mrs Weasley en avait presque pleuré, émue de voir son fils aussi fort qu'un homme, avait-elle dit.
Le garçon portait ses cheveux - aussi roux que le reste de sa famille - en catogan. Ses bottes en cuir de dragon et sa longue veste lui assuraient un style bien à lui et Harry ne pouvait que comprendre l'admiration que vouaient Ron et Ginny à leur grand-frère.
- T'as même pas idée de ce qu'on a dû céder à Ginny pour qu'elle écrive une lettre à Bill afin qu'il vienne, expliqua Fred lorsqu'ils s'intallèrent sur les berges du lac et que les plus vieux lançaient quelques sorts de protections et repousse-moldus.
- Elle est dure en affaires, poursuivit George. Elle a demandé toute notre collection de Quidditch Magazine et on devra lui faire ses devoirs d'Histoire de la Magie pendant un semestre.
La rousse trempait déjà ses pieds dans l'eau. Elle avait retiré ses sandales et remonté sa longue jupe. Elle souriait de toutes ses dents, taquinant Ron et lui envoyant de l'eau à coup de pieds.
Harry se remit à installer la nappe à même le sol. Percy ronchonna que c'était toujours les mêmes qui travaillaient.
Un coup de baguette et une formule marmonnée plus tard, un pique-nique composé de fruits et sandwichs s'étendait sur le sol.
Le ventre de Harry gargouillait déjà mais Ron l'appela afin qu'il vienne se baigner. Le garçon était déjà torse nu. Fred, George et Cédric nageaient au loin, cherchant visiblement à rejoindre un ponton installé au milieu du lac. Ne se voyant pas discuter des affaires du Ministère de la Magie avec le reste des personnes qui étaient déjà assises à même le sol, Harry courut rejoindre son ami.
Ginny devint mutique juqu'à l'arrivée de son amie Luna Lovegood qui la débrida quelque peu.
Harry et Ron avaient déjà eu l'occasion de rencontrer la jeune Serdaigle. Bien qu'étrange, elle avait su apporter un certain réconfort à Ginny quand elle en avait besoin. Les yeux de Luna étaient toujours aussi rêveurs et fixaient son interlocuteur si fort que cela rendait n'importe quelle conversation gênante.
- Tu ne devais pas venir avec tes cousines ? demanda Ron d'un ton bourru.
Luna tourna avec une lenteur excessive la tête vers le benjamin des Weasley. Ses grands yeux globuleux le fixèrent tandis que Ginny, mal à l'aise, rougissait comme une tomate.
Harry fut tenté de dire à son ami de baisser les yeux. Après tout, la Serdaigle lisait peut-être dans les esprits.
Par Merlin, Rogue l'avait rendu complètement paranoïaque !
Des cris s'élevèrent depuis le ponton. Fred et George enchaînaient les cabrioles et saluaient au loin en direction du bois.
Ron avait donc sa réponse, les cousines Lovegood étaient bien présentes. Les deux jeunes filles aux jambes démesurément longues, rendues visibles par des shorts fabuleusement courts, l'une châtain, l'autre d'un blond vénitien, saluaient au loin Fred, George et Cédric.
Dans un élan de parade, Fred effectua un salto dans l'eau depuis le ponton. Les jeunes filles éclatèrent d'un même rire et furent bien vite dans l'eau.
Ginny et Luna s'étaient éloignées tandis que Harry et Ron restaient bouche-bée, ne sachant plus vraiment où se mettre. Trop jeunes pour se joindre aux adolescents mais définitivement trop vieux pour rester avec Ginny et Luna.
- Hum… On devrait peut-être aller se baigner ? proposa finalement Harry.
Harry nageait mal, les Dursley n'avaient jamais jugé bon de l'inscrire aux cours de natation et ne l'emmenaient jamais avec eux en vacances. Le Survivant avait dû se contenter des maigres leçons dispensées par l'école primaire. Les souvenirs s'avéraient douloureux lorsqu'il pensait à ce maître nageur qui ne s'exprimait jamais autrement qu'en hurlant et qui - dans le grand bain - tendait une perche sans jamais laisser l'occasion de la saisir.
Mais là, l'eau était calme et Harry avait réellement envie de se baigner.
Ron ne lâchait pas du regard les cousines Lovegood - plus tard, ils apprirent qu'elles se nommaient respectivement Hazel et Becky - et seule une discussion autour de l'Éclair de Feu permit au roux de retrouver ses esprits.
Harry retira son tee-shirt sans réfléchir et le rangea dans son sac à dos. Il ne remarqua pas tout de suite que les adultes avaient cessé de parler et que Ron arborait un air bouleversé. Ce fut seulement une fois dans l'eau que Luna s'approcha de lui.
- Ce sont des cicatrices de paille en feu ?
- Hein ?
- Luna, je ne pense pas que Harry veuille en parler, déclara Ginny en s'approchant.
Elle était aussi rouge qu'une tomate. Cherchant du regard Ron, il comprit finalement à quoi Luna faisait référence.
- Je trouve ça très beau moi, poursuivit Luna qui ne semblait pas s'apercevoir de la gêne générale. Cela donne la forme d'ailes, ça porte bonheur. C'est pour ça que je te demande si c'est une brûlure de paille en feu.
- Il s'agit d'un oiseau-tonnerre, rectifia Harry.
Les yeux de Luna s'écarquillèrent davantage et une lumière illumina ses yeux bleus. Ginny et Ron ne savaient visiblement plus où se mettre.
- Un oiseau-tonnerre ! s'exclama-t-elle d'une voix aiguë. Bon sang mais c'est merveilleux.
- Non pas vraiment, marmonna Ron.
- On dit que lorsqu'ils étirent leurs ailes, les oiseaux-tonnerres peuvent éblouir comme le soleil. Et au moindre danger, ils peuvent battre des ailes et créer des pluies torrentielles avec des éclairs. Tu en as vu un en vrai ? Je ne savais pas qu'ils pouvaient brûler également !
Une douce folie brillait désormais dans le regard de la jeune fille et Ron lança un regard de panique à Harry qui ne savait pas vraiment quoi répondre.
Il ne pouvait pas expliquer à Luna que l'oiseau s'était manifesté sous forme d'un Feudeymon. Feydemon créé par son tuteur - le professeur Rogue qui cherchait à en savoir plus sur ce sortilège - lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à un Basilic dans la Chambre des Secrets. Brûlure qui l'avait mené au tréfond de l'enfer. Rien que d'y penser…
Un frisson glacé parcourut l'échine de Harry qui paniqua à l'idée de devoir donner une explication crédible à la jeune Serdaigle. Mais Luna était tant passionnée par son récit, racontant les bienfaits du souffle de l'oiseau-tonnerre, que Harry sût que la jeune fille était dans une discussion à sens unique.
Il fit signe à Ron et dans un échange silencieux, ils s'accordèrent pour rejoindre le ponton et les adolescents qui beuglaient et riaient à gorge déployée. A peine avaient-ils fait trois pas que Luna annonça d'une voix calme :
- C'est beau en tout cas. Je suis sûre que Ginny aime beaucoup. De toute façon, elle aime tout de toi.
- Luna ! s'écria Ginny qui attrapa la blonde par le bras pour la tirer vers le bord de l'eau.
Si elle avait pu se réfugier dans un trou de souris, nul doute que Ginny Weasley s'y serait précipitée. Embarrassée au possible, elle bredouilla des mots que Harry ne comprit pas.
Ron afficha désormais un sourire taquin mais se garda de dire quoique ce soit lorsque son regard moqueur percuta celui de Harry.
- Bon, allons nager avec les autres !
Malheureusement, ils n'eurent pas le temps de rester avec la bande d'adolescents qui décida au même moment de se rassasier.
Ron se plaignit quelques minutes sur le fait que ses grands frères l'excluaient toujours mais ce fut rapidement oublié. Les deux amis sautèrent et nagèrent à s'en épuiser. Et Harry ne pensa plus un instant à sa - ou ses - cicatrice.
oOo
La pluie martelait la cour intérieure de la Sorbonne. Un groupe - majoritairement composé d'hommes en costard cravate - parlait et fumait devant les grandes portes de l'Université.
L'odeur de cigarette mêlée à la pluie d'été rappelait au maître des potions les vacances à l'Impasse du Tisseur. Tobias Rogue était le genre d'homme à fumer dans une pièce fermée sans se rendre compte que l'air devenait étouffant. De nombreuses disputes éclataient entre Eileen Prince et son époux à ce sujet.
Severus pleurait dans son coin, espérant que les choses s'arrangent puis le temps avait filé de la même façon que ses espoirs. Peu à peu, au contact de nouvelles fréquentations, la haine pour son père avait pris le dessus. Un homme qui n'aimait à peu près rien et surtout pas la magie. Un homme qui battait sa mère puis son fils jusqu'à ce que Severus lui fasse peur avec un sortilège bien placé. Merlin que Severus avait aimé la souffrance et la peur dans le regard de son père à cet instant… Il n'avait que quatorze ans, à peine plus vieux que Harry, mais il avait déjà goûté à la sensation d'une douce revanche, du pouvoir et de la magie noire.
Eileen, dans sa grande mansuétude, l'avait arrêté. Il trouvait sa mère faible. Mais il l'aimait.
Le rire des hommes éclatèrent la bulle de souvenirs dans laquelle Severus s'était perdue. Sous un porche, il cherchait à s'aérer quelque peu, sans grand succès.
Il ne lui restait plus que deux jours avant son retour au Royaume-Uni et les recherches demeuraient vaines.
Il y avait quelques parchemins en latin sur lesquels il misait peu à l'idée de trouver des informations sur le Feudeymon.
Severus devait désormais réfléchir à un troisième plan si ses recherches ne menaient à rien : trouver lui-même les propriétés du sortilège. Il aurait pu se rendre en Ouganda et en Chine mais le temps lui manquait et la rentrée approchait à grands pas. Une fois à Poudlard, il n'aurait certainement pas le temps de voyager. Le problème étant que pour analyser un sortilège de la sorte, il devrait recourir à la magie noire. Quoi qu'en auraient pensé Lily ou Dumbledore, il était loin d'en éprouver du plaisir - un échange avec les forces du mal n'était jamais gratuit - mais une étude approfondie sur un sort tel que Feudeymon menait indéniablement à des expériences peu recommandées…
Ne souhaitant pas se laisser abattre, Severus retourna dans les tréfonds des couloirs de la bibliothèque.
Mrs Tremblay demeurait assise à son bureau mais ne trompait pas Severus quant aux regards discrets qu'elle lançait. Le maître des potions ne se blessa pas face à cette surveillance. Il aurait au contraire trouvé cela parfaitement idiot que personne ne soit dans ses pattes.
Le temps semblait lui glisser entre les doigts. Rien n'avançait comme il le souhaitait. Ses recherches ne menaient à rien et la panique commençait sérieusement à pointer le bout de son nez. Il se sentait d'une responsabilité double concernant les investigations sur le Feudeymon : il était le tuteur de Harry et surtout, il avait provoqué ce sortilège ce soir-là. Il en cauchemardait encore régulièrement. Harry enserré dans ce serpent, les yeux brillants de courage et ce Feudeymon qui arrivait comme au ralenti sans que Severus ne puisse engager le contre-sort à temps. Le cri de douleur que Harry avait poussé résonnait encore dans ses oreilles… Sans parler de Sainte-Mangouste quelques heures plus tard et les dégâts que le sortilège avait provoqué sur Harry.
Si Severus ne trouvait pas de solution, il en deviendrait fou de honte.
C'était plus qu'une dette. C'était pour Harry. Et ça valait tous les efforts du monde.
Il se rassurait en se disant qu'il avait un autre plan et pendant qu'il se consolait, il n'avançait pas sur ses traductions latines.
C'est exténué qu'il répondit à l'appel de Mrs Tremblay d'un hochement de tête. Rassemblant ses notes, les mains tremblantes et une nouvelle migraine tambourinant l'arrière de ses globes occulaires, Severus répondit à peine à la femme qui lui donnait rendez-vous le lendemain matin dès huit heures.
Il se dirigea immédiatement vers le quartier sorcier, s'attabla à l'intérieur du Café Abringer et demanda aussitôt une rasade de Whiskey Pur-Feu. Le serveur mit un temps conséquent avant de comprendre la commande mais lui apporta son verre très rapidement. Severus sortit aussitôt ses nombreuses notes, essayant de trouver un élément qui lui aurait échappé.
- Vous devriez goûter nos spécialités françaises, résonna une voix aux notes sucrées à sa droite.
Levant la tête avec surprise, son regard se percuta avec celui de l'apothicaire qu'il avait rencontré quelques jours plus tôt. Elle se tenait debout, face à lui, un sourire sincère accroché au visage. Elle portait une longue robe vert d'eau, ceinturant sa fine taille.
- Et vous risquez d'avoir un peu de mal à vous concentrer d'ici quelques heures, ajouta-t-elle en voyant ses notes. Le Café Abringer propose des soirées dansantes tous les vendredis soirs et les travailleurs du coin viennent tous fêter l'arrivée du weekend ici.
- Serait-ce une façon de me dire que je ne suis pas le bienvenu ? demanda Severus qui avait retrouvé toute sa prestance.
- Absolument pas, répondit la jeune femme avec précipitation. Puis-je ?
Le maître des potions jeta un coup d'œil à ses notes tout en se demandant ce que voulait cette apothicaire. Était-ce le besoin impérieux de décompresser ? Severus s'autorisa à ranger ses notes d'un coup de baguette. Il savait pertinemment qu'il n'arriverait de toute façon à rien dans l'état d'énervement dans lequel il se trouvait. Et puis, si l'apothicaire souhaitait lui donner d'autres échantillons de ses produits, c'était toujours ça de gagné.
La jeune femme adressa quelques mots au serveur en français et fit un geste de la main à ses amis au loin.
- Ce sont mes cousins et mes sœurs, se sentit-elle obligée de préciser. La famille Branchiflore au complet ! En réalité, on ne porte pas tous ce nom mais c'est pour vous donner une idée.
Severus reposa son verre, cachant son étonnement. Visiblement, elle mettait immédiatement les pieds dans le plat et souhaitait donc parler de choses sérieuses.
- Vous êtes donc…
- L'arrière-petite fille d'Aziz Branchiflore, l'apothicaire. Je tiens la boutique désormais. Alma Hardi.
- Je suis venu il y a quelques années à Paris, je ne crois pas vous avoir vu.
Oh non, il en était même certain. Le maître des potions se serait indéniablement souvenu de cette présence imposante et de ce regard franc.
- Feu mon père était le gérant de cette boutique il y a encore trois ans. Je me souviens qu'il vous avait reçu avec toute la délicatesse et le savoir dont il savait faire preuve. Je l'avais cependant aidé à traduire quelques mots en anglais.
Severus marmonna des excuses qui furent étouffées par l'arrivée d'un plat qu'on posa devant lui. Il secoua la tête mais Alma assura que c'était pour lui et congédia le serveur.
- Je vous ai dit qu'il serait intéressant de goûter les spécialités françaises.
Il observa la jeune femme quelques instants pour fouiller dans son esprit si ses intentions étaient louables mais également pour essayer de se souvenir d'elle dans son passé.
Son dernier voyage à Paris remontait à une dizaine d'années. Lily venait de décéder. Dumbledore l'envoyait aux quatre coins du monde, officiellement pour assurer le soft-power de la sorcellerie anglaise à travers différentes conférences et concours, officieusement pour que le maître des potions ne périsse pas de chagrin et garde la tête occupée.
Il s'était rendu chez l'apothicaire, dépensant sans vergogne le budget alloué par le Ministère de la Magie dans des ingrédients plus qualitatifs les uns que les autres. Une jeune femme d'à peine quelques années de moins que lui avait aidé l'apothicaire dans la traduction de certains ingrédients.
- Vous avez changé, dit-il simplement.
Elle paraissait plus sûre d'elle et l'air déterminé aurait plu à Salazar. Severus devina qu'elle était de ces personnes qui révélaient le meilleur d'elles-mêmes lorsque le destin les mettait à l'épreuve. Severus ne s'était pas souvenu d'elle à l'époque car elle n'était qu'une gamine à ses yeux. Une petite privilégiée qui n'avait pas connu la guerre ni l'épreuve de devoir faire des choix drastiques pour sa vie.
La curiosité le piqua aussitôt et il refoula cette sensation qui lui fit bien trop peur. Il n'avait aucune raison d'avoir envie de connaître cette femme. C'était ridicule.
Elle opina du chef et sirota son cocktail.
Baissant le regard sur son plat, il découvrit un simple sandwich grillé surmonté d'un œuf accompagné d'une portion de frites et de salade.
- Un croque-madame, expliqua-t-elle. Bien meilleur que le croque-monsieur si vous voulez mon avis.
Un bruit amusé s'échappa de la bouche du maître des potions.
- Venez-vous réellement pour me faire découvrir la gastronomie française ? attaqua-t-il finalement.
- Pas vraiment.
Alma avait redressé la tête, le sérieux animant désormais les traits fins de son visage. Elle possédait cet air de ces gens dures et déterminés en affaires. Rien à voir avec les énergumènes qu'il avait rencontrés quelques jours plus tôt au Ministère de la Magie.
- Je profite de l'occasion de vous croiser ici mais j'aurais de toute façon cherché à vous joindre.
- Vous faites bien, je pars dans deux jours.
- Dommage, répondit-elle du tac au tac dans un sourire sincère.
Severus posa sa fourchette et se redressa sur sa chaise, attendant qu'elle poursuive.
- Les informations vont vite dans le monde de l'art des potions. Je souhaite vous proposer un partenariat. Comme vous pourrez le constater dans les échantillons que je vous ai fournis gratuitement, nos produits sont les meilleurs en ce qui concerne les racines et autres plantes. D'après la dernière parution de Potion pour tous, vous avez signé un juteux contrat et comptez produire plusieurs potions dans l'année. Félicitations.
- Merci. Que voulez-vous ?
- C'est très simple, vous fournir en produits que je vous vendrais dix à quarante-cinq pour cent moins cher.
C'était une offre plus que correcte. Severus chercha immédiatement où était le loup. Il fallait le reconnaître, certains produits de la maison Branchiflore dépassaient de loin la qualité de tous les apothicaires du Royaume-Uni.
- Par quel moyen de transport allez-vous m'envoyer vos produits ?
- Mon cousin Asmar se rend une fois par mois à Londres. Il expédiera les commandes en toute sécurité.
- Que voulez-vous en échange ? Avez-vous conscience que vous risquez de vendre à perte ?
Un sourire suffisant se dessina sur le visage de la jeune femme. Le maître des potions eut l'envie de lui faire ravaler immédiatement ses fossettes et son joli minois. Ce sentiment n'était pourtant pas animé par de la colère mais quelque chose de bien plus vicieux. Sentant ses joues chauffer brusquement, il attrapa son verre de vin qui était apparu au cours de la conversation et savoura le liquide délicat et fruité. Quelque peu apaisé, il inclina la tête, attendant qu'Alma se décide à parler.
- Je veux que vous citiez la provenance des produits dans chacun de vos brevets. Il y aura aussi quelques interviews qui tomberont, toute personne saine d'esprit sait que vos potions peuvent faire des miracles. Je veux que vous citiez la boutique à chaque fois. Si mes calculs sont corrects, mon investissement sera rentable d'ici les trois prochaines années. Par ailleurs, j'ai une concurrence sévère à Marseille. Les élèves de Beauxbâtons préfèrent s'achalander là-bas.
Le maître des potions nota dans le regard ambré de la jeune femme une envie d'écraser la concurrence à coup d'Avada… Mais portée par la bienséance, Alma Hardi préférait jouer avec les cartes qu'elle avait en main. Elle rappelait à Severus ces caméléons qui savaient s'adapter à n'importe quel environnement et qui jouaient avec celui-ci pour survivre.
- Je souhaite lire un contrat en bonne et dûe forme.
La jeune femme sourit de plus belle et agita sa baguette en l'air. Un parchemin s'en échappa et se déroula, prêt à ce qu'une signature y soit apposée.
Le maître des potions ne put retenir un fin sourire face à ce culot. Il attira lentement le papier vers lui, une lueur de joie brilla aussitôt dans les yeux d'Alma, puis enroula le document d'un coup de baguette.
- Je le lirai au calme et vous ferai savoir ma décision par hibou.
Merlin que c'était bon de prendre le dessus sur la situation. Le regard d'Alma perdit un peu de sa superbe mais son sourire déterminé demeura bien accroché. Severus leva son verre et trinqua avec la jeune femme.
- Je suppose que nous en avons terminé ?
- Mr Rogue, je vais réellement finir par croire que ma présence vous importune ! rigola-t-elle. Je voulais également vous dire que si vous cherchez des informations sur le Feudeymon, vous devriez lire l'article que ma grand-mère avait écrit il y a quarante ans. Oui, j'ai vu vos notes, ajouta-t-elle dans un sourire contrit.
- C'est inapproprié, accusa-t-il.
La jeune femme haussa les épaules dans un signe d'excuse et une moue désolée.
- Avant de vous énerver, si vous n'avez rien trouvé d'ici demain, venez à la boutique. J'aurais l'article avec moi.
- Qu'est-ce qui me prouve votre bonne foi ? demanda-t-il avec une méfiance non dissimulée.
- Pourquoi ne le serais-je pas ? répondit-elle du tac-au-tac. Après tout, je suis potentiellement votre future partenaire.
Severus se raidit. Il répondit à peine à ses adieux et la suivit du regard lorsqu'elle rejoignit sa table. Piquant rageusement dans son croque-madame, Severus moulina les paroles sèches et piquantes qui auraient dû sortir naturellement de sa bouche.
Il avait toutes les raisons de se méfier. D'abord, elle avait lu ses notes. Ensuite, il était un ancien mangemort et grand potionniste, n'importe qui pouvait lui vouloir du mal. A ce propos, avant de signer, il irait faire quelques recherches sur cette Alma Hardi. Un joli minois ne repoussait pas forcément le diable. Lui qui avait déjà tant à faire ajoutait de nouvelles tâches à son emploi du temps chargé.
Mâchant le morceau de croque-madame, il ne put que fermer les yeux de plaisir face à cet art gustatif.
.
Severus analysa jusque tard le contrat d'Alma Hardi, établi au nom de Dr Aziz Branchiflore et filles. Tout paraissait correct. Il lui resta suffisamment d'énergie pour bucher les notes qu'il avait rédigées à la Sorbonne et rien n'en sortie. Découragé, ce fut tard dans la nuit que le maître des potions se laissa aller au sommeil après avoir écrit un courrier à Dumbledore sur les avancées de ses recherches. Il en profita pour demander quelques informations concernant Alma Hardi.
Le vieillard restait un mentor pour lui et la confiance en lui- bien que parfois teintée de rancœur suite aux différents choix de l'homme concernant Harry - demeurait totalement intacte. Aucun doute qu'Albus aurait un avis tranché sur Alma et indiquerait s'il jugeait bon d'entamer un contrat avec elle.
oOo
Des coups de soleil sur les épaules et le ventre plein, Harry et Ron rangeaient les dernières affaires qui traînaient sur les berges du lac.
Les deux amis ne cessaient d'enchaîner fou-rire sur fou-rire tant la journée était exceptionnelle.
- Il manque un souaffle ! annonça Bill.
- Ron, c'est toi qui a joué avec, déclara Percy d'un ton autoritaire.
Effectivement, lui et Harry avaient échangé quelques passes jusqu'à ce qu'on leur annonce qu'un dessert les attendait. Ils avaient abandonné la balle certainement dans ce même coin. Harry mit sa main à l'horizontale au-dessus de ses yeux pour mieux voir au loin.
- Je crois qu'elle est là-bas ! dit-il.
- Allez-y tous les deux, ordonna Percy.
- Arrête de te prendre pour le chef ! grinça Ron.
Harry ne dit rien mais n'en pensait pas moins. Cependant, il valait mieux ne pas gâcher cette belle journée et Harry se dirigea vers le coin où ils avaient joué un peu plus tôt. Il repéra la balle rouge à la lisière du bois. Au moment de s'en saisir , un aboiement attira son attention.
Au loin, de gros yeux jaune apparurent et une masse noir sauta de joie.
Harry ne comprit pas pourquoi Ron plaquait ses mains sur sa bouche, le regard terrifié.
- T'inquiète, c'est mon chien !
- Comment ça, ton chien ? Harry, c'est un Sinistros !
- Un quoi ? Mais non Ron, c'est le chien qui venait toujours chez moi cet été. Comment as-tu fait pour venir jusqu'ici mon ami ? déclara-t-il en s'approchant mais Ron l'arrêta.
Mr Weasley les invectiva au loin, demandant ce qu'ils fichaient. Le chien agitait joyeusement sa queue.
- Ron arrête !
- Tu ne comprends pas Harry ! Ces chiens portent malheur !
L'animal se roula sur le dos et Harry envoya un regard équivoque à Ron, toujours inquiet.
- C'est un amour de chien, répliqua Harry. Ron, réfléchit un peu, il y a des sortilèges de protection partout autour de nous. Si ce chien était un danger, il n'aurait pas pu venir ici. Tu es intelligent mon chien !
- Tout de même, souffla Ron, fais attention.
Voyant que son ami était quelque peu rassuré, Harry passa le couvert des arbres pour approcher le chien s'approcha du chien à l'intérieur du bois et lui caressa le flanc. Un bien-être réconfortant réchauffa ses entrailles et si Mr Weasley n'avait pas hurlé, il aurait pu oublier où il était.
- On doit y aller mon toutou mais je pars à Poudlard dans quelques jours. Tu sauras me retrouver ?
Le chien aboya gaiement en guise de réponse et s'échappa aussitôt.
Harry se tourna vers Ron qui le dévisageait. Croisant les bras sur son torse, il attendit que son ami parle.
- C'est un drôle de chien, dit finalement son ami. Allons-y avant que papa nous étripe. Et t'as intérêt à me raconter cette histoire ! Ne me dis pas que Rogue a accepté d'adopter un animal.
Harry éclata de rire à l'idée d'imaginer Severus Rogue prendre soin d'un animal. A cheval sur l'hygiène comme il était, il ferait une syncope avec les poils de chien.
- Mais enfin les enfants qu'est-ce que vous faites ? demanda Mr Weasley faussement en colère.
- Désolé papa, Harry a eu une envie pressante !
- Ron ! siffla Harry, outré.
Mais le dénommé Ron ricana sous cape tandis que Mr Weasley avait déjà repris sa marche.
- Désolé mon vieux, fallait bien trouver une bonne excuse.
- Tu payes rien pour attendre !
- On dit que les chamailleries sont le signe d'une bonne entente, lâcha Luna Lovegood.
Harry coula son regard vers la blonde puis Ginny Weasley qui regardait ses pieds.
Mrs Weasley accueillit tout le monde avec des orangeades bien fraîches. Luna et les cousines Lovegood s'en allèrent un peu avant le coucher du soleil, suivis par les Diggory. Bill annonça qu'il restait dîner au plus grand bonheur de Mrs Weasley et Ginny qui collait son frère.
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- Ginny était embarassée tout à l'heure, j'ai voulu la détendre en égalisant vos hontes.
Assis sur le lit d'appoint, Harry fronça les sourcils dans une grimace d'incompréhension.
- J'ai jamais entendu une analyse aussi alambiquée.
- Tu ne vois pas qu'elle est amoureuse de toi ?
- Elle n'a que douze ans, elle ne peut pas être amoureuse de moi, répondit Harry avec sincérité.
- Ok, laisse tomber, dit Ron d'un geste nonchalant de la main. De toute façon, fallait trouver une excuse, je n'allais quand même pas dire que tu avais fait ami-ami avec un Sinistros. Fallait trouver quelque chose à dire rapidement !
- Ce n'est pas un ministros mais un chien tout ce qu'il y a de plus normal.
- Sinistros, rectifia Ron gentiment. Tu as peut-être raison, il avait l'air gentil ce chien mais avoue qu'il est impressionnant avec ses poils noirs et ses yeux jaunes ! Aïe Croûtard ! Ça ne va pas non ?
Le rat de Ron avait sauté précipitamment de son épaule pour se réfugier dans sa cage. La bête tremblait de tous ses membres.
- Il n'est pas net depuis quelques semaines, expliqua Ron. Il se fait vieux et ne mange plus rien. Si maintenant il se met à avoir ce genre de réaction c'est que c'est bientôt la fin pour lui, ajouta-t-il en se frottant son épaule griffée par l'animal.
oOo
Les gargouillis du ventre du maître des potions résonnèrent dans les archives au point où Mrs Tremblay rigola franchement.
- Mr Rogue, il y a une cafétéria à l'étage si vous le souhaitez.
Severus ne répondit pas, le nez dans ses notes. Il touchait peut-être quelque chose et son cœur battait beaucoup trop fort.
Le parchemin - en latin - expliquait les risques d'utiliser le feu dans la magie noire. Outre le fait que les cicatrices étaient difficilement soignables, les flammes de magie noire pouvaient vous faire voyager sur "d'autres plans". Il n'était cependant pas certain de cette traduction. Il nota les termes, attendant de voir à Poudlard ce que cela pouvait signifier.
Il se rendit ensuite à l'évidence. Il n'obtiendrait rien de plus.
Saluant et remerciant Mrs Tremblay, Severus s'échappa dans les rues parisiennes. La rentrée approchait également en France. Plus nombreuses qu'à son arrivée, les voitures circulaient à toute vitesse, donnant le tournis au maître des potions.
Il s'arrêta dans une boulangerie au bout de la rue Soufflot et s'installa au cœur du Jardin du Luxembourg, savourant son sandwich jambon-beurre.
Il savait qu'il n'obtiendrait plus rien dans ses recherches mais il ignorait toujours s'il devait se rendre chez le Dr Aziz Branchiflore et filles.
De quelle façon un article de presse pouvait-il bien l'aider ?
Il gardait une certaine méfiance envers les personnes qui l'approchaient de cette façon. Ses pensées coulèrent vers Harry. Le garçon lui avait accordé sa confiance. Tel un chat, même lorsque le maître des potions le repoussait, le Gryffondor était revenu à la charge sans jamais perdre l'espoir d'entrer dans ses grâces. Pour dire vrai, il n'avait pas attendu que la porte soit ouverte, il s'était imposé avec la force de persuasion d'un félin.
Combien avait essayé avant lui ?
Peut-être Dumbledore. Minerva, Filius et Pomona d'une certaine manière.
Certaines personnes avaient recherché son amitié mais sa confiance en ses semblables était mince.
Il ne donnait jamais la chance aux personnes qui souhaitaient l'approcher.
Mais Harry avait réussi à lui ouvrir son coeur et à lui prouver que l'amour, ça pouvait aussi faire du bien. Que les gens n'étaient pas tous des monstres qui voulaient profiter de lui.
Peut-être qu'Alma Hardi méritait qu'il l'écoute.
Et puis, de quoi pouvait-il avoir peur ? Sa baguette était contre lui, prête à être dégainée si nécessaire.
Epoussetant sa chemise et son pantalon noir, Severus se rendit à la zone de transplannage que lui avait montrée Mrs Tremblay à son arrivée.
Après tout, il n'avait rien à perdre.
La Place Cachée grouillait de monde. Le Chemin de Traverse devait avoir la même agitation à cet instant et son cœur se serra en pensant à Harry. Il espérait qu'il achèterait les bonnes fournitures pour ses cours de Soins aux Créatures Magiques et de Runes Anciennes. Il comptait sur Mrs Weasley pour qu'elle garde un œil sur ce que dépensait sa pupille. Il lui avait donné la permission de le freiner si nécessaire. La sorcière avait rechigné quelque peu, arguant que Harry était un gentil garçon et qu'elle ne souhaitait pas le brimer mais Severus s'était montré ferme. Il lui avait aussi glissé quelques fioles de sa nouvelle potion. Officiellement pour Harry si jamais il en avait besoin mais aussi parce qu'il se doutait que les deux derniers Weasley ne devaient pas être en reste quant aux terreurs nocturnes. Il avait bien cru que la petite femme allait l'embrasser sur les deux joues tant elle était reconnaissante. Peu friand des élans physiques, Severus s'était levé précipitamment pour quitter le Terrier. En revanche, il n'avait eu aucune difficulté à prendre Harry dans ses bras. Le geste était devenu totalement naturel pour lui.
La boutique Branchiflore était pleine à craquer et Severus redouta qu'il ne puisse s'entretenir avec Alma.
Une tignasse aux cheveux noirs de jaie et aux boucles joliment dessinées encadrait le visage tendu de la jeune femme. Elle invectivait un adolescent qui touchait maladroitement aux bocaux perchés sur une étagère.
- Pour une boutique qui ne vend plus vraiment, vous avez du monde, déclara Severus derrière le dos de la brune qui se tourna immédiatement.
- Croyez-le ou non, on vendait plus du double il y a encore quelques années.
- Seule l'ouverture d'une autre boutique pourrait vous faire autant concurrence ? C'est que vos produits ne sont peut-être pas aussi qualitatifs que vous le prétendez, ajouta Severus d'humeur joueuse.
Alma marmonna des mots en français d'un ton agacé - Severus distingua les mots "femme" "patriarcat" "triche" et "écrasé"- avant de se diriger vers le comptoir où deux jeunes hommes vendaient à tour de bras différents produits. Severus talonna la femme, bien décidé à lire cet article. Pendant un instant, il crut être invisible mais la sorcière finit par ouvrir une petite porte menant à l'arrière boutique.
- Mr Rogue ! appela-t-elle. Suivez-moi.
Docile, Severus découvrit une arrière boutique sombre où des tas de cartons s'empilaient les uns sur les autres. Un bureau - unique meuble rangé - trônait au fond de la pièce.
- Cela fait des mois que je demande à mes cousins d'aménager un sous-sol pour tous ces cartons.
- Ce sont les hommes au comptoir ?
- Asmar et Adam. Asmar est un potionniste en devenir, il vient de valider son diplôme à Beauxbâtons et va débuter sa formation de potionniste avec maître Rudolphe Quincampoix, vous devez le connaître.
Severus hocha la tête mais se garda de dire de ce qu'il pensait de cet homme. Alma s'installa à son bureau et proposa à Severus de s'asseoir d'un geste de la main. Tout en fouillant dans son tiroir, elle poursuivit l'échange :
- Adam est de deux ans mon aîné. C'est comme un frère pour moi. Il travaille à mi-temps dans une école primaire moldue. Le reste du temps, il m'aide à la boutique.
Severus cacha également sa surprise de savoir qu'un membre d'une famille sorcière aussi influente et puissante puisse travailler dans le monde moldu.
Alma semblait en avoir terminé avec les conversations d'usage et déposa un article de journal sur le bureau.
- J'ai mis un temps pour le retrouver mais on a des archives des écrits de ma Grand-maman.
- Elle écrivait pour Les petites plumes ?
- Elle en était la créatrice.
Ce n'était pas spécialement un bon point. Outre-manche, ce journal avait la même réputation que Le Chicaneur. Un ramassis de bêtises et d'articles loufoques.
Alma avait croisé les bras sur sa poitrine, voyant que Severus n'avait pas encore lu l'article, elle se pencha en avant, le regard décidé.
- Je sais que ce journal à une réputation peu flatteuse mais faites moi confiance, cet article là vaut son pesant de gallions. Je sais que vous cherchez des réponses Mr Rogue. Je ne sais pas pourquoi et dans quel but mais il est de notoriété publique qu'Albus Dumbledore à toute votre confiance. Nous aussi en France nous avons suivi votre guerre et je sais qu'au delà de l'excellent potionniste, une autre réputation vous précède. Je m'en fiche. J'ai su à l'instant même où vous avez pénétré dans ma boutique il y a dix ans que vous étiez appelé à faire de grandes choses. J'ai toujours écouté mon instinct et il ne m'a jamais fait défaut. J'ai vu vos notes hier, je n'ai pas vraiment cherché à les lire. Maintenant vous pouvez faire comme tous ces idiots qui ne m'écoutent qu'une fois sur deux parce que je suis une femme à la tête d'une entreprise familiale et partir, ou me croire et lire ce document. Qu'avez-vous à perdre Mr Rogue ? N'importe quel humain un tant soit peu doté d'empathie saurait que c'est votre vie que vous jouez dans ces recherches.
Severus, abasourdi, resta silencieux, rassemblant toute sa magie pour maîtriser ses émotions à travers l'Occlumancie.
Il n'avait rien à perdre.
Pour dire vrai, il était inutile que la femme lui fasse un discours aussi passionné. Il aurait lu l'article quoiqu'il en soit. Le bagout audacieux saupoudré de cet accent sucré lui retournait la tête plus que prévu.
Il y avait cependant trop d'informations à digérer et il se redressa sur sa chaise. Severus tendit doucement la main vers l'article et l'approcha lentement sous ses yeux. Il dut relire le titre plusieurs fois.
Antioche Martin, soumis au sortilège d'un Feudeymon
Il assure avoir revu sa femme !
Il releva les yeux vers Alma, le regard grave.
Harry disait aussi avoir vu sa mère.
- Voulez-vous un peu d'intimité ?
Quand Severus opina du chef, Alma disparut aussi vite qu'un vif d'or. Le maître des potions put enfin lire l'article, le cœur battant à cent à l'heure.
Antioche Martin a été hospitalisé la nuit du 13 octobre dernier lorsqu'il a reçu le sortilège de Feudeymon. L'agresseur était un fervent partisan de Grindelwald et disait vouloir "terminer la tâche d'un grand homme". Antioche Martin est connu pour avoir inventé un sortilège repousse moldus plus efficace que ses prédécesseurs.
L'homme a réussi à être sauvé in extremis. Cependant, le sortilège semble avoir atteint la santé mentale de l'homme. Il assure avoir affronté le Feudeymon qui avait pris possession de son esprit mais aussi revu sa femme, morte quelques mois plus tôt. Il affirme que sa femme l'a aidé à s'en sortir. Mieux, l'homme est convaincu d'avoir eu accès à son monde intérieur.
On notera que peu de personnes parviennent à sortir intact d'un tel sortilège. Serait-ce une découverte des conséquences du sort ? Si Antioche Martin disait vrai ?
Martina Branchiflore pour Les Petites plumes , décembre 1946
Le souffle court, Severus relut trois fois l'article. L'homme était convaincu d'avoir eu accès à son monde intérieur. L'idée d'un voyage sur "un autre plan" qu'il avait lu plus tôt était-il similaire ?
Il devait interroger cet Antioche Martin. Il se leva brusquement et ouvrit la porte à la volée, cherchant la jeune femme du regard à travers la foule. Le brouhaha le ramena quelque peu sur terre.
Son regard accrocha celui d'Alma qui indiquait des produits à des clients et elle hocha immédiatement la tête.
Un mince sourire satisfait se dessinait sur son visage. Le sourire qui voulait dire qu'elle avait eu raison de faire confiance à son instinct. Nul doute qu'elle était fière de son coup et qu'elle n'éprouvait désormais plus aucune culpabilité - si elle en avait ressenti - d'avoir lu les notes du maître des potions.
- Où est cet Antioche Martin ? Je dois le voir !
Le visage de la jeune femme se décomposa, navrée.
- Il est mort. Je suis désolée, ajouta-t-elle en voyant l'air dépité du maître des potions.
Se reprenant aussitôt, Severus opina du chef et se redressa. Il avait déjà beaucoup avec lui. Il aurait juste apprécié une confirmation.
La confirmation que si cet homme parlait d'avoir été dans son monde intérieur, il parlait bien de l'intérieur de son âme.
oOo
Bruyant et bondé de monde, le Chemin de Traverse annonçait que la rentrée approchait. Harry et Ron cherchaient Hermione au point de rendez-vous, sur les marches de Gringotts. Ils avaient déjà croisé Seamus et Dean ainsi que Neville et sa grand-mère dont l'air revêche ne donnait pas envie d'engager la conversation.
- Là-voilà ! s'écria Ron. Hermione !
Agitant le bras avec joie, Hermione s'approcha de ses amis dans un grand sourire communicatif.
Ils ne perdirent pas de temps pour débuter leurs achats. Harry suivit ses amis, il n'avait plus que ses fournitures de Soins aux Créatures Magiques et de Runes à acheter. Il prit sur lui pour ne pas dépenser sa bourse personnelle dans l'achat de l'Eclair de Feu. Le maître des potions l'aurait étranglé pour ça. De même qu'il avait déjà repéré lors de sa visite début août sur le Chemin de Traverse le magnifique jeu de Bavboules en or, il ne pouvait certainement pas dépenser la moitié de son argent de poche pour l'année scolaire.
- Harry a déjà ses fournitures mais il lui manque ses livres pour ses options, expliqua Ron à Hermione.
- Alors lesquelles as-tu choisies ? demanda-t-elle avec intérêt.
- Runes anciennes et Soins aux Créatures Magiques.
- C'est génial ! J'ai hâte de commencer ces options, cela va être passionnant. Et toi Ron ?
- J'ai pris Soins aux Créatures Magiques et Divination. Mes frères ont toujours pris ces matières alors… Mais j'hésite à changer pour être avec Harry.
- Enfin Ron, on parle de ton avenir !
- Je ne compte pas faire carrière dans les matières optionnelles donc je m'en fiche !
- C'est carrément stupide et puéril, répliqua Hermione. Pour ma part, j'ai choisi toutes les options. Je pense d'ailleurs qu'elles devraient être obligatoires une année et qu'ensuite on puisse choisir de façon éclairée nos deux matières.
- Est-ce que tu as idée de la charge de travail que ça va te donner ? demanda Harry avec prudence.
- Ça ne me fait pas peur, bien au contraire.
Harry et Ron échangèrent un regard équivoque et changèrent de sujet. La santé de Croûtard étant particulièrement fragile, l'animalerie était la prochaine étape après la librairie, Fleury et Bott.
Contrairement à l'année précédente, la foule ne se précipitait pas dans la boutique. En revanche, les différents grimoires gravés de lettres d'or habituellement disposés dans la vitrine avaient été remplacés par une grande cage de fer. Se trouvaient enfermés à l'intérieur des centaines d'exemplaires du Monstrueux Livres des Monstres. Des pages déchirées volaient en tous sens tandis que les livres se battaient dans une lutte acharnée. Le tout était ponctué du féroces claquements des couvertures.
- Il s'agit du livre dont on a besoin pour le cours de Soins aux Créatures Magiques , déclara Hermione en lisant son parchemin. Allons-y !
Le responsable de la librairie leur sauta immédiatement dessus, à peine avaient-ils mis les pieds dans la librairie. Il leur demanda immédiatement s'ils étaient des élèves de Poudlard et enfila des gants et une énorme pince puis déposa les livres qui s'agitaient dans des baluchons en cuir. Les sacs bougèrent quelques instants dans des bruits étouffés avant de revenir à un état de calme apparent.
- Je n'en peux plus ! grinça le libraire. Plus jamais je ne laisse ces horreurs pénétrer dans ma boutique. Aviez-vous besoin d'autres choses ?
Le trio s'échappa de la librairie mi-hilare, mi-tétanisé par le spectacle de ces grimoires, tout en prenant soin de ne pas trop secouer leurs sacs.
Ils firent la queue à la Ménagerie Magique. Ils croisèrent dans la file les sœurs Patil avec qui ils engagèrent la conversation - ou plutôt Hermione fît le pont entre ses amis et les deux jeunes filles. Les jumelles racontaient leurs vacances en Inde et Harry ne put s'empêcher de constater que Ron était fier de raconter ses vacances en Egypte. Après tout, sa famille n'avait que peu de moyens financiers et pour une fois, il pouvait lui aussi partager ses souvenirs de vacances.
Harry resta silencieux, heureux pour son ami.
Submergé par un élan mélancolique, Harry se demanda ce que pouvait bien faire son tuteur à cet instant. Il espérait que les recherches aboutissaient.
Ron avait posé son rat sur son épaule mais l'animal ressemblait davantage à une chaussette ayant trop tourné à la machine qu'à un rat. Une fois dans la ménagerie, Harry et Ron se dirigèrent aussitôt vers le comptoir tandis que les sœurs Patil et Hermione allèrent se perdre dans les rayons afin de trouver un hibou. La sorcière qui tenait la boutique prit l'animal au creux de ses doigts. Les yeux de la sorcière regardèrent l'oreille gauche en lambeaux puis sa patte de devant amputée d'un doigt.
- Il est vraiment mal en point.
- Il était déjà comme ça lorsque mon frère me l'a donné ! se défendit Ron.
La sorcière ne semblait pas vraiment intéressée par les explications du rouquin et préféra lui proposer d'acheter un autre rat. Ron refusa catégoriquement, reprenant son animal dans ses mains. Même s'il se plaignait régulièrement de lui, il était profondément attaché à Croûtard.
- Je peux vous proposer ce Ratconfortant.
- C'est combien ? demanda Ron en se saisissant de la fiole. Ouille !
Ron se plia en deux pour se protéger de l'énorme boule de poil orange qui venait de lui bondir dessus. La bête avait sauté sur sa tête, puis rebondit au milieu du comptoir pour attraper Croûtard.
- Pattenrond ! hurla la sorcière, Reviens ici !
Croûtard avait glissé des mains de Ron dans un couinement apeuré et s'échappa par la porte tandis que le chat, le dos rond, feulait bruyamment.
- Croûtard !
Harry suivit Ron qui s'était lancé à la poursuite de l'animal. Ils mirent dix bonnes minutes avant de le retrouver caché sous une poubelle, tremblant comme une feuille. Ron se frottait encore la tête lorsqu'ils revinrent sur leurs pas. Il gardait la main serrée sur sa poche, là où le rat se remettait de ses émotions.
- Hermione doit avoir choisi son hibou, dit Harry.
La jeune fille était effectivement sortie de la boutique mais à la place d'un volatile, elle serrait contre elle ce même chat orange qui avait attaqué le rat de Ron quelques instants plus tôt.
- Ne me dis pas que tu as acheté ce monstre ?!
Note De l'Autrice : Un chapitre d'entre deux qui en apparence semble inutile mais qui introduit pas mal de choses pour la suite. Retour à Poudlard au prochain chapitre ! Le trajet sera-t-il calme ou est-ce qu'on commande d'ores et déjà une coloration de cheveux noire pour Severus Rogue ? Seul Merlin -ainsi que ma bêta et moi-même - le sait !
On se retrouve au 31 mai !
