Voilà, un petit chapitre, mais on avance :)


Le soleil s'infiltre à travers les rideaux entrouverts, projetant des éclats dorés sur la peau nue de Draco.

Ses paupières battent lentement, s'accoutumant à la lumière qui lèche les angles de la pièce. Tout est calme. Trop calme. Son bras s'étire dans le vide, ne rencontrant que la douceur d'un tapis trop moelleux pour ne pas être enchanté, des coussins abandonnés en désordre, des couvertures aux broderies discrètes. Vestiges épars d'une nuit presque irréelle. L'odeur de cendre et de bois brûlé flotte encore dans l'air, dernier soupir du feu mourant.

Il se redresse, la fraîcheur du matin s'agrippant sur sa peau nue. Il ne frissonne pas. Il n'a jamais été sensible au froid. Pas celui-là, en tout cas. Son regard balaie l'espace, cherchant une silhouette familière, mais elle n'est plus là.

Son cerveau avait cogité jusqu'à l'aube, mais cette dernière avait fini par l'emporter en même temps que la nuit. Il n'avait même pas entendue Hermione se lever.

Sa main passe et repasse dans ses cheveux alors qu'il tente de remettre de l'ordre dans son esprit embrumé.

Tout ça.

Ce n'était peut-être pas la chose à faire. On ne résout rien en cédant à ses pulsions. Mais c'était arrivé. Ça avait existé. Et il l'avait voulu. Désespérément. Mentir en prétendant le regretter serait aussi absurde que de nier l'évidence.

L'adrénaline de la veille dissipée, ce réconfort partagé avait cependant laissé en lui une nuée de craintes, plus insidieuses, qui serpentait sous sa peau.

Celle de la perdre. Celle de lui faire du mal. Celle de tout détruire avant même d'avoir compris ce que c'était.

Pourtant, quelque chose en lui s'était embrasé cette nuit là. Un feu dans son ventre qui lui criait à présent de vivre plutôt que de simplement exister.

Il ferme brièvement les yeux, chasse l'angoisse d'un revers de main et se lève.

L'eau glacée coule sur sa nuque, roule le long de son échine, s'infiltre entre les cicatrices et les blessures refermées trop vite. Il laisse le choc le traverser, sec, impitoyable.

Ses muscles se tendent, puis se relâchent.

Respire, tu es vivant.

Sans précipitation, il attrape une serviette pour s'essuyer. Sur le tabouret, les vêtements que Blaise lui a laissés l'attendent. Une chemise anthracite et un jean noir. Cela ferait l'affaire.

Draco ajuste la boucle de sa ceinture avant de jeter un œil vers le miroir. Pâle, fatigué, mais entier. Au moins, on ne suspecterait pas qu'il se soit fait fracasser les os jusqu'à cracher du sang.

Un coin de sa bouche se tord en un rictus fugace. Parfait, ironise-t-il intérieurement alors que son regard s'attarde une dernière fois sur son reflet.

Et maintenant, que va-t-il advenir ?

Il l'ignore, tout comme il doute qu'Hermione en sache davantage. Quelques minutes plus tard, il rejoint la cuisine de la petite demeure.

Elle est assise sur un fauteuil en rotin près de la fenêtre, plongée dans la lumière du matin. Les jambes repliées contre sa poitrine, ses doigts effleurent les pages d'un livre, son regard perdu quelque part entre la réalité et les contrées de son imagination.

Il la contemple un instant, jusqu'à ce qu'elle lève les yeux sur lui.

"Tu es réveillé. Comment te sens-tu ?" demande-elle à son approche.

Draco s'appuie contre le plan de travail, la gorge sèche : "Ça va."

Et c'est vrai.

Les questions qui l'assaillent n'ont pas disparu, mais elles ne l'écrasent plus. Il avait touché le fond, mais il s'était relevé. Il trouverait un moyen de sauver Misha. Le reste suivrait.

Ne pas vivre selon ses propres choix, c'était mourir deux fois. S'éteindre à petit feu. Il refusait que cela se produise.

Du regard il cherche Hermione, prêt à s'atteler de nouveau à leur enquête, mais l'espace d'une seconde, tout bascule. Son esprit défait les mailles du temps et le souvenir de leur étreinte déferle à nouveau en lui. Leurs souffles mêlés. Sa peau contre la sienne, tendre et brûlante.

Quand il revient à la réalité, elle le fixe. À la lueur qui danse au fond de ses iris, il sait qu'elle y pense aussi. Quelque chose palpite entre eux, mais ce n'est pas encore le moment, pas tout de suite.

"Un peu de thé ?"

En quelques mots, elle dompte la tempête qui s'éveillait en lui, referme la parenthèse et ramène leur monde sur un terrain connu, maîtrisable.

Il s'y accroche. Pour l'instant.

Hermione remplit sa tasse d'un liquide trouble aux vapeurs florales, qu'il porte à ses lèvres avant de le boire par petite gorgées. La chaleur glisse dans sa gorge, le réchauffe de l'intérieur.

Tout deux contemplent les nappes éthérées de la brume flottant lentement au-dehors. Un autre moment de paix. Comme il ne peut en avoir qu'avec elle.

"J'ai remarqué quelque chose sur les illustrations des lames. Regarde."

Elle plaque les feuillets de son ouvrage contre la vitre pour mieux aligner les dessins. Le papier frémit sous ses doigts, froissé par l'impatience.

Accoudé au dossier d'un fauteuil, sa tasse encore tiède entre les mains, Draco observe son visage s'illuminer alors qu'elle lui expose sa théorie.

Ses yeux qui brillent d'un éclat fiévreux. La manière dont elle mordille l'intérieur de sa joue lorsqu'elle réfléchit. Ses boucles échappées qui effleurent le col de son pull.

Un instant, il oublie ce qu'ils sont censés chercher.

"Tu vois ? On a une piste ! On a eu de la chance que ton édition présente cette coquille."

Son sourire brille plus fort que n'importe quelle étoile. Une étincelle dans son monde gris. Il voudrait l'embrasser. Pas seulement parce qu'elle vient de lui ôter un terrible poids de l'estomac avec sa découverte. Pas seulement parce que c'est problème qui s'effrite enfin. Juste parce qu'il en a envie. Parce que c'est là, insistant, brûlant, quelque part au fond de lui.

À la place, il laisse un sourire en coin s'étirer sur ses lèvres.

"Bien vu, Granger. Maintenant il va falloir creuser. Ça a dû te coûter de saccager ces bouquins."

Sa voix est neutre, contenue, mais elle perçoit dans ses yeux un soulagement intense, mêlé à quelque chose de plus sauvage.

"La ruine de mon âme, Malefoy. Surtout un aussi beau livre. Mais ce n'était pas le mien, donc…"

Elle lui adresse une petite révérence exagérée, théâtrale, et il claque la langue dans une fausse réprobation.

Le monde ne s'était pas arrêté de tourner malgré toutes ses erreurs. Un pas à la fois, et peut-être qu'ils s'en sortiraient.

Hermione referme le livre et effleure l'onirophage posé à ses côtés

"Maintenant, je dois préparer un filtre calmant pour faciliter son action."

Elle lève les yeux vers lui.

"Et tu vas m'aider" poursuit-elle en se rapprochant.

"Ah oui ?" Il arque un sourcil, moqueur. "Si ça implique de te supporter une matinée de plus, je ne sais pas trop..."

"Pire encore. Il te faudra traverser l'océan puis escalader une immense montagne pour récupérer l'objet de notre convoitise."

Il la fixe, amusé : "Tu te fiches de moi."

La pointe de sa langue passe entre ses lèvres, arquées en un sourire impertinent:

"Évidemment." Et elle se lève pour attraper un panier, qu'elle lui tend sans vraiment lui laisser le choix.

"Il me faudrait des racines d'Hestia, le plan pousse sur la colline derrière le lac...mais il fait froid dehors, alors…"

Draco plisse légèrement les yeux, encore échaudé par sa dernière mésaventure botanique, avant de s'en saisir.

La sorcière perçoit son hésitation et ajoute, d'un ton solennel :

"Cette plante est parfaitement sans danger. Promis."

Un soupir dramatique plus tard, il repousse sa chaise et se lève et empoigne le panier avec toute la dignité d'un homme condamné à une tâche ingrate mais à laquelle il se plie en réalité volontiers.

Dehors, l'air frais du matin s'infiltre dans ses poumons, court dans ses veines, vif et revigorant. Autour du lac danse encore la brume.

Tout est calme. Seule une biche traverse lentement le paysage avant de disparaître entre les arbres.

L' hestia se trouve exactement où Hermione l'avait indiqué et ses fleurs écarlates vibrent sous la rosée matinale, perlées de minuscules gouttelettes d'eau. Il nettoie rapidement les racines quand son regard est attiré par un autre plant, dressé parmi les herbes hautes. Ses teintes violines se parents de sublimes reflet irisés dans la clarté du matin. Sans réfléchir, il tend la main, la cueille entre ses doigts.

A son retour, un souffle chaud l'accueille dès qu'il pousse la porte de la bâtisse. Sa récolte déposée sur le plan de travail, Hermione s'attèle aussitôt à en trier le contenu. D'un geste familier, elle noue ses cheveux, mordille sa lèvre inférieure, et son regard s'illumine de cette flamme qui l'anime quand elle se consacre à ce qu'elle à quelque chose qui lui tient à cœur.

Draco s'adosse contre le mur, les bras croisés. Il la regarde faire, sans un mot, conscient d'être, pour le moment, parfaitement inutile.

Soudain, elle s'arrête et pince délicatement une tige entre ses doigts.

"Oh, un brin d'hysope." Elle l'examine avec curiosité les petites fleurs violette de la plante puis les porte à son nez. La senteur est douce, herbacée et légèrement camphrée

"Je ne pense pas pouvoir l'utiliser pour la préparation. Ce n'est pas une fleur magique…"

Le cœur de Draco se contracte.

"Celle-ci est simplement pour toi."

Hermione reste interdite une seconde et il peut distinguer le « merci » silencieux qui nait sur les lèvres. Il esquive farouchement son regard, détournant les yeux vers l'évier. Comme si ce geste tendre, plus intime pour lui que n'importe quel contact charnel, menaçait de le décomposer.

Avec une soudaine et impérieuse nécessité, il saisit leurs tasses de thé et entreprend de les laver, concentré sur le clapotis de l'eau, sur la chaleur du savon sur sa peau.

Dans son dos, il sent encore son regard sur lui.


Tandis qu'ils remontent l'allée jusqu'au manoir Nott, un vent morne et sec se lève malgré le soleil pulsant dans l'étendue bleue du ciel. Une lumière froide, sans chaleur.

Hermione referme les pans de son long manteau autour d'elle.

A ses côtés, Draco, insensible à ce désagrément, ajuste son allure pour rester à sa hauteur. Son regard acéré balaye l'immense bâtisse, cartographiant chaque recoin. Blaise lui avait assuré que la situation était sous contrôle, mais il n'avait plus confiance en cette maison. La prudence restait de mise et il limiterait tout contact inutile. Cette fois, la situation ne lui échapperait pas.

Un domestique les introduit dans le grand hall et la senteur capiteuse et collante des lys les enveloppe aussitôt. Draco se crispe.

Il exécrait maintenait cette odeur qui s'infiltrait partout. Il détestait tout ce qu'elle évoquait.

Quelques instants plus tard, Théodore fait son apparition, pâle et fatigué, malgré le soin visible apporté à sa présentation. Ses cheveux bruns mi-longs retombent en mèches ondulées sur ses lunettes, qu'il rajuste sur son nez avant de leur faire signe de le suivre.

"Ma mère est dans la chambre du fond. Venez."

Ils lui emboîtent le pas à travers un long couloir bordé de portraits imposants. Sévères et silencieux, ces derniers posent sur eux un regard lourd de jugement qui arrachent un frémissement à Hermione.

La pièce est plongée dans une pénombre, seulement troublée par le halo diffus des veilleuses. Misha repose sur le lit au centre de la pièce, sa silhouette fragile presque effacée sous les draps.

Près de la fenêtre est assis Ambrose Nott. Rigide, mutique, il ne les salue même pas lorsqu'ils entrent.

Il se tient simplement là, immobile, comme s'il sombrait, lentement mais sûrement, dans la même catalepsie que sa femme.

Théodore lance à Draco un regard entendu avant de murmurer:

"Il ne fera rien."

Draco se raidit avant de hocher brièvement la tête et sa main se place instinctivement dans le dos d'Hermione lorsque celle-ci avance vers Misha.

La sorcière s'arrête au bord du lit, la gorge serrée. Son sang, lourd comme du plomb, bat dans ses tempes alors qu'elle contemple ce corps frêle, presque trop épuisé pour retenir son âme encore bien longtemps. Son teint cireux et la tension dans ses traits trahissent toute la souffrance qui habite son corps et de son esprit.

Sans rien laisser paraître, Hermione dépose son sac de potions sur la table de chevet avant de s'asseoir près d'elle.

"Qu'est-ce que vous comptez faire, exactement ?" lance Ambrose Nott, dont le ton est irrémédiablement tendu et altéré.

Avant qu'elle ne réponde, Draco fait un pas en avant, la soustrayant à son regard inquisiteur.

"Nous allons lui administrer une potion pour amplifier l'action de l'onirophage," déclare-t-elle calmement en fouillant sa besace. "Ensuite, j'activerai celui-ci pour essayer de purger son esprit saturé. Ça ne la ramènera pas, mais je pense que ça la soulagera."

Nott ne contestant pas, elle débouchonne un flacon au contenu ambré. L'odeur piquante de l'hestia se mêle aux effluves de lys.

Avec l'aide de Théodore, elle soulève la tête de Misha et fait couler la potion entre ses lèvres. Son corps décharné réagit à peine malgré le goût, qu'elle sait âpre et intense, du breuvage.

"Ça va prendre un peu de temps."

D'un léger mouvement de baguette, elle effleure l'onirophage qui se met immédiatement à pulser, libérant de tièdes et régulières volutes violacées.

"Je vais le poser juste là, sur la table," explique-t-elle, en s'adressant indirectement à Ambrose. "Il absorbera ses cauchemars et l'aidera à trouver un peu de repos."

Un frisson parcourt le corps jusque là inerte de Misha. Ses paupières tressaillent à peine mais elle semble s'apaiser un peu. En réaction, son époux se lève brusquement, son visage toujours fermé, difficile à lire.

" Voilà. Il faut veiller à ce qu'elle prenne une potion toutes les six heures et laisser observer un temps de repos à l'onirophage d'au moins quatre heures par jour. Les instructions sont dans le carnet, à l'intérieur du sac."

Ambrose garde le silence et Théodore s'approche d'eux.

"Merci," dit-il simplement.

Hermione range ses affaires, se relève, et fait signe à Draco qu'ils peuvent partir. Mieux vaut ne pas s'éterniser.

Théodore les raccompagne jusqu'au hall avant de leur offrir un maigre sourire :

"J'espère que ça ira…"

"On fera tout ce qu'on peut," murmure Hermione avant de franchir le seuil de l'entrée.

Derrière elle, Draco acquiesce en silence, le regard sombre, songeur.

Un instant plus tard, ils transplanent vers l'appartement de Draco.

L'air lourd du manoir disparaît. L'odeur des lys aussi.


Il n'est que dix-sept heures.

Draco referme les volets et allume une lampe d'appoint dont la lueur chaude et tamisée se diffuse dans la pièce.

" Reposons-nous un moment. La journée a été dure. On définira le plan de bataille après."

Il détache distraitement un bouton de sa chemise pour libérer sa gorge avant de s'allonger dans le canapé. Un livre à la main, il feuillète quelques pages, s'attendant à ce qu'Hermione prenne place à l'autre bout.

A sa surprise, elle grimpe près de lui avec une prudence timide, se love entre ses jambes, le dos contre son torse.

Son bras libre se referme sur elle et il relève son ouvrage pour lui laisser la place . Elle glisse un peu plus sur le côté, la tête nichée au creux de son épaule, avant de soupirer, exténuée.

L'odeur des roses.

Draco tourne une page qu'il ne lit plus depuis un moment déjà.

"Reste avec moi ce soir."

Il ne sait guère d'où lui vient cette audace, mais il peut sentir la joue d'Hermione se presser un peu plus contre lui.

"Hmm," se contente-t-elle de murmurer, avant d'ajouter, "Il faudra qu'on parte tôt pour les archives, demain."

Peu enclin à penser à demain, un grognement d'approbation s'échappe des lèvres de Draco.

Et ils restent ainsi, enlacés l'un contre l'autre, dans cette parenthèse ou plus rien ne pèse, à reposer leurs corps et leurs esprits meurtris.


Après le dîner, Hermione fouille dans son sac à main. Une soirée de répit, voilà ce dont ils avaient besoin pour se revigorer, et elle avait trouvé de quoi les divertir.

D'un sac pourtant bien trop étroit pour contenir quoi que ce soit d'encombrant, elle extrait sans mal une boîte de jeu de Go, qu'elle pose sur la table basse.

"Un sortilège d'extension dans un sac à main, vraiment ?" demande Draco en haussant un sourcil, avant de reporter son attention sur la boîte.

Elle hausse les épaules.

"Il faut toujours être prévoyant. Une partie ?"

Draco ricane et la rejoint sur le tapis.

"Si tu es prête à perdre, pourquoi pas."

Les premières minutes sont calmes et Hermione avance méthodiquement ses pièces, tandis que Draco, pourtant fin tacticien, fait montre d'imprudence. Bientôt, l'étau se resserre, et il est acculé. Elle a réussi à grignoter son territoire, à capturer ses positions.

"Bon sang."

"Un soucis ?" Hermione pétille d'une espièglerie satisfaite. Encore un coup, et la victoire serait sienne.

Au moment précis où elle allait poser sa pierre gagnante, Draco se penche au-dessus du plateau. Son regard gris s'ancre dans celui de la sorcière et sans prévenir, il effleure ses lèvres d'un baiser.

Elle se fige, la main suspendue au-dessus du jeu, le corps attiré vers le sien, comme un papillon le serait par une fleur. Elle sourit contre ses lèvres et lui rend son baiser, plus fort encore.

"Tricheur."

Tant pis, ils reprendraient la partie plus tard.

Ou peut être jamais.