Voilà! un gros chapitre alternant points de vue, ambiance nostalgique et révélations.
Un nom de jeu qui prendra peut-être tout son sens.
On espère qu'il vous plaira!
Sora se réveilla tôt ce matin là, ce dont il fut le premier étonné, compte tenu de ses récurrents passages narcoleptiques de ces dernières semaines. Il ne savait pas s'il avait été réveillé par le bruit de mouettes chahutant sur le débarcadère proche, par l'étroitesse inconfortable de son ancien lit d'enfant ou encore par les bruits de sa mère à travers le parquet, s'activant à l'étage en-dessous.
Toujours est-il qu'il releva son moutonneux duvet par-dessus ses cuisses, s'assit au bord de son petit lit et bailla à s'en décrocher la mâchoire, avant d'admirer les rayons rosés de l'aube déposer leurs pétales scintillants à la surface de l'océan, visible par la fenêtre de bois bancale de sa chambre.
Après un passage rapide à la salle d'eau pour se débarbouiller, il descendit quatre à quatre les marches le menant à la cuisine, d'où s'échappait la délicieuse odeur d'oeufs brouillés, de poisson grillé et ce qui devait être des crêpes ou des gauffres à la vanille. Yoko s'affairait au-dessus de la poêle, qui brûlait d'un chaleureux feu de bois crépitant qui laissait planer dans la pièce une discrète odeur d'aulne.
Sora lâcha un "bonjour" éclatant, sentant comme un léger poids en moins dans son estomac depuis hier au soir, et s'approcha de sa mère pour se pencher sur la gargantuesque poêle remplie d'oeufs aromatisés au basilic, à la ciboulette et à l'ail.
"Whaaahh, s'exclama-t-il. Tu en as fait pour tout un régiment!"
Yoko rit, ce qui fit plaisir à Sora car il avait l'impression qu'elle affichait moins cet air abattu de la veille. Puis elle plaisanta, en touchant un biceps de son fils de la pointe de sa spatule en bois:
"Il faut bien donner à manger à tous ces muscles! Et tu n'as pas fini ta croissance!"
"J'espère en tout cas…", grimaça Sora qui eut une fugace image de son père, plutôt petit dans son souvenir comparé à celui de Riku.
Yoko, qui s'était à nouveau armée d'un concombre (était-ce le même qu'hier?!) le pointa en direction de son fils et changea brusquement de sujet, au grand dam de Sora:
"Au fait jeune homme… Tu ne m'as toujours pas tout dit ce que toi et ta petite copine avez fait ensemble…"
Sora rougit, fit volte-face et grommela, agacé:
"Haya est pas officiellement ma petite copine… Je te l'ai déjà expliqué, c'est super compliqué."
Feignant d'ignorer la menace du légume vert dans son dos, le jeune homme se dirigea vers le vaisselier, en sortit deux assiettes qu'il disposa sur la table ronde de la cuisine, au moment même où l'on tambourinait à la porte d'entrée. Yoko et Sora s'échangèrent un regard interloqué, après quoi sa mère retira les plats du feu et alla ouvrir la porte.
Tout d'abord, Sora crut qu'un nuage particulièrement noir venait de cacher le soleil. Mais lorsque la carrure massive de Riku se baissa pour passer la chambranle, un éclat de lumière réapparut brièvement tout autour de son pourtour musculeux. Il avait une petite mine, les yeux cernés et quelque chose de coincé dans les cheveux… du sable? La surprise passée, Yoko plissa les yeux pour observer le géant aux cheveux argentés et finit par s'écrier, faisant de ce fait sursauter ledit jeune homme:
"Oh par les dieux de l'océan c'est toi Riku! Mais tu es si GRAND! Qu'est-ce que tu as mangé!? Une autre personne?!"
Yoko plissa à nouveau les paupières, prenant un air suspicieux. Elle jeta un rapide coup d'oeil dans le dos de Riku et demanda, à voix basse, tout en pointant le concombre (qui semblait ne plus la quitter) sous son menton:
"Où est Kairi?"
Comprenant que sa mère venait d'insinuer que son meilleur ami aurait pu dévorer Kairi, une vague de honte submergea Sora, qui laissa aller sa nuque vers l'arrière tout en gémissant:
"Mamaaaan…"
Riku, ayant vraisemblablement saisi l'humour excentrique de la femme depuis longtemps, se contenta d'esquisser un fin sourire et déclara, comme si tout cela était particulièrement normal, tout en abaissant le légume qui menaçait son visage d'un doigt :
"Ravi de vous revoir aussi, Mme Yoko."
Sans crier gare, Yoko se laissa tomber dans les bras de Riku (ou plutôt quelque part entre son torse et son ventre), ce qui eut pour effet que le jeune homme leva les bras au ciel, peu préparé à ce contact. La femme s'exclama encore:
"Sora m'a tout raconté! Je suis si contente que tu n'aies rien de grave, et en même temps je suis si triste de savoir aussi tout ce qui t'es arrivé! Oh Sora j'ai besoin d'un double câlin!"
L'ancien élu de la Keyblade vit les yeux horrifiés de son meilleur ami, et ne put alors s'empêcher de courir rejoindre l'étrange étreinte au milieu du corridor d'entrée. Pour achever le jeune Maître, semblait-il, Yoko commenta alors, après avoir lâché un petite rictus de contentement:
"Je me sens toute petite! J'ai l'impression d'être en sécurité dans un sandwich et d'être le salami le plus heureux du monde!"
Après quelques secondes, la femme de pécheur se recula, reprit son air sérieux et fixa les iris turquoise de Riku en réitérant sa question de tantôt, comme si un doute ne parvenait pas à réellement la quitter:
"Sérieusement, où est Kairi?"
Sora fut surpris d'entendre quelqu'un pouffer derrière Riku, son discret suivi d'un rapide commentaire:
"Elle doit être au manoir du maire."
Sora et sa mère se penchèrent simultanément dans la direction du bruit et reconnurent alors la mère de Riku, qui arborait la même couleur et le même désordre de cheveux que son fils, qui l'avait jusque-là cachée de son imposante stature.
"Saori! rugit Yoko en tirant la dame par le bras, l'amenant à elle sans le moindre signe de respect dû à son rang. ça me fait tellement plaisir de te revoir! Mais il ne faut pas rester dans l'entrée voyons! Vous avez l'air d'avoir besoin d'un bon café! Venez, entrez manger avec nous!"
"Oh! lâcha Saori, confuse. Nous… nous ne voulons pas vous déranger. Nous pourrions revenir une fois que vous aurez terminé…"
"Ne dis pas de bêtise, la gronda sans ménagement Yoko en la traînant de force au salon. Les garçons! Amenez les assiettes, services et tasses au salon, je vais dresser la grande table! Et toi ma belle, tu aimes le lait ou le sucre dans ton café? Ou les deux? Ah non je crois que c'était du lait, sans sucre, n'est-ce pas?"
Yoko se figea quelques instants dans le couloir et, regardant Riku de haut en bas, elle lâcha, juste avant de retourner dans la cuisine:
"Je vais devoir faire plus d'oeufs…"
L'accueillante hystérie de la mère de Sora fut étrangement contagieuse, et la maison jadis vide se remplit de vie en quelques minutes. Va et vient entre la cuisine et le salon se changèrent en adroite esquive alors que des plats chauds passaient au-dessus de chaises supplémentaires ramenées, croisant une carafe pleine de jus frais et bientôt, une cafetière bouillante et diverses alléchantes victuailles se passaient du bout à l'autre de la table tandis que les conversations allaient bon train.
…
Deux bonnes heures plus tard, les quatre insulaires s'étaient installés au salon, Sora et Riku sur des sièges, ayant offert les deux places disponibles sur le canapé à leurs mères respectives, sous le tableau encadrant la photo figurant Minato et sa famille. Yoko venait de revenir de la cuisine avec une nouvelle cafetière pleine, comprenant que l'ex-femme du maire et son fils manquaient cruellement de sommeil et d'énergie. Une fois l'allégresse des retrouvailles retombée, un étrange calme enveloppa la petite assemblée, seulement dérangé par le tintement des cuillères de sucre se reposant sur la coupole de leur tasse. Sora vit distinctement Riku échanger un regard avec Saori avant que celle-ci ne s'adosse contre le sofa et ne lève élégamment sa tasse à ses lèvres, tout en déclarant:
"Yoko, très chère… Tu l'auras sans doute saisi, mais nos enfants ne peuvent malheureusement pas prolonger leur séjour sur l'Île…"
Un nuage de tristesse voila le regard de la mère de Sora, avant qu'elle ne se contente d'opiner du chef et d'incliner la cafetière dans sa propre tasse.
"Ainsi, poursuivit Saori en reposant méthodiquement sa tasse sur la petite table devant elle, nous devons malheureusement utiliser le précieux temps qui nous est imparti pour aborder un sujet important, mais délicat… avec toi. Et Sora."
Yoko fronça ses sourcils châtain, semblant troublée, alors que la mère de Riku terminait:
"Tu ne lui as jamais parlé des circonstances exactes de sa naissance, je me trompe?"
Sora, le principal intéressé, écarta de sa bouche le cookie qu'il s'apprêtait à mordre et dévisagea sa mère, qui fuit son regard et lâcha, à l'adresse de l'ex-mairesse:
"Saori… Tu penses vraiment qu'il est utile de revenir là-dessus? Le plus important c'est que nos enfants soient tous en vie, tu ne trouves pas?"
Entre sa tentative pour esquiver la discussion et la manière de formuler sa phrase, tous les muscles du corps de Sora se tendirent: il avait un mauvais pressentiment. Qu'il avait déjà ressenti une fois alors que Ventus avait également abordé avec lui le sujet de sa naissance…
Saori, comme douée de télépathie, fixa Riku qui reprit, les coudes posés sur ses cuisses, penché vers l'avant avec sérieux, ses yeux turquoise scrutant le petit groupe:
"Loin de moi l'idée de raviver de douloureux souvenirs, ou de traumatiser Sora, mais vous l'aurez compris: il nous est arrivé beaucoup de choses qu'on peut qualifier d'étranges. Actuellement, nous sommes en quête de réponses à de nombreuses questions et je pense qu'un premier mystère pourrait être éclairé grâce à vous, Mme Yoko…"
La femme de Minato se rembrunit, mais n'essaya plus de fuir la discussion. Elle poussa un long soupir, agrippa sa tasse chaude de deux mains et plongea son regard dans celui de son défunt mari, qui la regardait depuis sa peinture, au-dessus d'elle. Elle raconta alors, comme en transe:
"Minato et moi avions hésité à devenir parents… Pas parce que nous ne voulions pas d'enfants, mais parce que nous ne savions pas si nous aurions le cœur assez fort pour supporter ce que toi, Saori, avait vécu avant la naissance de Riku… Perdre trois fois son enfant… Cela me brisait le cœur de te voir dans cet état, alors, par crainte, je n'osais pas faire le pas…"
Sora profita de la pause dans le monologue de sa mère pour jeter un regard interloqué à l'adresse de son meilleur ami, qui confirma d'une grimace qu'il avait bien compris: Riku aurait dû avoir des frères et sœurs.
"On savait que pour tout le monde, c'était toujours comme ça, reprit Yoko en fronçant ses sourcils châtains et en passant la main dans sa frange en bataille. Je n'ai pas souvenir que quelqu'un ait réussi à avoir un enfant du premier coup, sur l'Île… Je connaissais aussi de nombreux couples qui baissaient les bras, au bout d'un moment. Mais voilà: Sora était une surprise, dans tous les sens du terme."
Le principal intéressé était pendu aux lèvres de sa mère: il n'était pas surpris par la formulation qu'elle venait d'employer cependant; ses parents l'avaient toujours surnommé avec des noms abracadabrants, dont "mon petit miracle". Mais il était intrigué: qu'est-ce qu'elle ne lui avait jamais avoué?
"La grossesse s'est bien passé grâce à l'aide de Saori, résuma Yoko, ce que la mère de Riku approuva d'un signe de tête. J'ai suivi tous ses conseils et il n'y a que les dernières semaines avant le terme où…où il me semblait…"
Les mots venaient moins facilement aux lèvres de la femme de Minato, et ce fut Saori qui se permit de terminer, en posant toutefois sa main sur celle de son amie:
"...que tu ne le sentais plus bouger."
Le cœur de Sora s'arrêta quelques secondes avant de repartir de plus belle. Il voulut attraper son pendentif couronné pour tripoter quelque chose, mais ne trouva que ses clavicules nues. Il se contenta donc de passer une main nerveuse sur sa nuque. Sa mère continua son récit, fixant à présent un point sur le tapis du salon, affichant un air douloureux:
"... Je ne voulais pas en parler… le dire aurait été… admettre. La terrible vérité. Alors je n'ai rien dit. Et j'ai prié. Espéré. Me suis raccroché à de vieilles superstitions et j'ai demandé à Minato de voir avec son grand-père pour retrouver le vieux collier porte-bonheur dont il parlait tout le temps… Je l'ai porté moi-même les dernières semaines. Au fond de moi, je me disais que c'était juste une babiole sentimentale. Mais une autre partie… voulait croire en sa magie. Lors de l'accouchement pourtant…"
Yoko s'arrêta et ne put reprendre, les larmes aux yeux. Sora se permit à son tour de poser sa main sur son avant bras, lui souriant gentiment, comme pour lui dire qu'il était là à présent, que c'était tout ce qui comptait. Elle croisa son regard et deux larmes se détachèrent de ses cils humides déjà, alors qu'elle avouait, enfin:
"... Tu n'as pas crié. Tu étais comme… endormi. Mais tu ne respirais pas… Durant de longues minutes, une éternité… Minato et Saori se sont relayés pour te masser et te faire respirer, mais ta peau devenait déjà bleue… et c'est alors que j'ai compris…
Tu étais mort né."
Sora baissa la tête, ne lâchant pas le bras de sa mère mais ne pouvant supporter les trois regards qui s'étaient fixés sur lui. Il savait que les autres attendaient sa réaction, mais il ne savait pas lui-même comment réagir à la nouvelle. La réalité était dérangeante, voire incompréhensible, et pourtant… pourtant une partie de lui l'avait peut-être toujours su. Il n'était donc pas réellement surpris. Choqué, oui, mais pas étonné.
"Tu t'en doutais, n'est-ce pas?" comprit directement Riku, qui posait sur lui deux yeux à la fois compatissants et scrutateurs.
"Oui… admit Sora dans un souffle, regardant toujours le sol. Trop de gens, déjà sur l'Île, me faisaient des commentaires bizarres quand j'étais petit. Et maman ne m'a jamais caché l'origine de mon nom: un cadeau du "ciel", "Sora". Et depuis que j'ai parlé avec Ven… J'ai compris que c'est seulement grâce à l'arrivée de son cœur dans le mien que j'ai pu vivre. Et c'est sans doute pour ça qu'on est autant liés, même encore aujourd'hui. Qu'on se ressemble tellement. Qu'on "sent" encore la présence de l'autre, ou s'il est en danger…On est toujours connectés."
"A la naissance, confirma Riku qui ouvrit de grands yeux, comme illuminé par une idée géniale. Vos coeurs se sont combinés à la naissance! Une naissance par la mort, par le sommeil, comme l'a dit Ventus… Et si c'était ça…?"
"ça… hésita Sora, en levant un sourcil en direction de son meilleur ami. Quoi?"
"Dans le livre… murmura Riku en se levant d'un geste brusque faisant sursauter son public avant d'entamer des cents pas au centre du salon, une main se prenant le menton. La page arrachée… "le noir secret de son origine"... C'est ça! ça ne peut être que ça!"
Sora se recula légèrement dans son siège pour éviter les grandes enjambées du jeune Maître, décidant de le laisser cogiter tout seul, attendant la réponse qui finirait par arriver dans une phrase dramatique, synthétisant ce qui était encore un ramassis de mots sans queue ni tête aux oreilles de l'ancien élu.
"Sora! s'écria soudain Riku en se tournant triomphalement vers lui, ce qui inquiéta le jeune homme quant à son état mental actuel (insomniaque et sur-caféiné). Et si ton coeur, comme celui de nombreux nourrissons, était "brisé " ou "incomplet " et que c'est ça qui vous empêchait vraiment de vivre? Alors les coeurs des coeurs seraient créés à la naissance en combinant un cœur égaré, mais entier, avec celui d'un bébé mort né!"
Leurs deux mères papillonnèrent plusieurs fois des yeux, semblant totalement perdues face aux termes employés, ou surprises par la soudaine passion du jeune homme, et Riku se tourna alors vers elles, pour préciser:
"Mais oui, ça paraît logique: peut-être, un bébé ne peut survivre hors du ventre de sa mère qu'avec un cœur intact, entier. Or, avec un cœur incomplet ou abîmé – pour une raison que j'ignore – il ne survit pas à l'accouchement et à la séparation d'avec la mère… Donc la "fusion" avec un autre cœur – même incomplet – permet de combler la lacune et donnerait l'énergie nécessaire à l'enfant pour survivre… en d'autres termes: s'il y a autant de mortalité infantile sur l'Île, ou même sur les mondes, c'est peut-être par manque de coeurs "entiers" ? Sora, tu l'as remarqué peut-être toi aussi: il y avait peu d'habitants dans tous les mondes que nous avons visités, et encore moins d'enfants… Et s'il y avait une sorte de "pénurie de coeurs" pour les nouveaux nés? Mais dans ce cas… où sont les coeurs perdus ou pourquoi sont-ils insuffisants? Et pourquoi celui de Ventus est-il parvenu à se réfugier en Sora, contre toute attente, lui insufflant de ce fait la vie?"
Après quelques secondes pensives de la part de l'assemblée, Saori se leva soudain à son tour, faisant de ce fait ruisseler du sable qui tomba depuis sa longue chevelure. Elle leva son index et déclara, avec certitude:
"La babiole sentimentale! Yoko, tu m'avais parlé d'un culte des âmes lié à un symbole de couronne?"
"C'est une possibilité, acquiesça Riku d'un mouvement de la tête en direction de sa mère. Le symbole de la couronne représente forcément Kingdom Hearts ou une ancienne religion liée à celui-ci… Se pourrait-il que les âmes voyagent à travers les cœurs? Sora a toujours utilisé ce collier pour invoquer des alliés: peut-être appelait-il en réalité leurs âmes à lui? Comme un phare dans la nuit, le collier - de par sa nature - aurait attiré à lui le cœur de Ventus lorsque celui-ci a perdu ses ténèbres et avait besoin de compléter son cœur incomplet avec celui d'un autre pour survivre…ça expliquerait aussi les paroles d'Hayate lorsqu'elle a pris le collier de Sora avant de…"
Riku s'arrêta net, hésitant vraisemblablement à continuer son explication alors qu'il jetait un regard inquiet vers son meilleur ami.
"Tu peux le dire… lâcha Sora d'une voix dépitée et avec un regard sans âme. Avant d'exploser."
"Elle a fait exploser le collier de ton arrière grand-père?!" se courrouça soudain Yoko.
"Elle a explosé?! répéta pour sa part Saori, scandalisée, en mettant sa main sur son cœur et en se tournant vers fils comme pour confirmer ce qu'elle venait d'entendre.
"J'ai peut-être omis quelques détails métaphysiques ou rocambolesques de nos péripéties…" s'excusa Riku en se laissant choir sur le canapé aux côtés de sa mère, tout en se massant les tempes.
"Et donc…commença Sora en levant des sourcils pleins d'espoir en direction de son meilleur ami. Le collier nous permettrait de retrouver Haya? Comment?!"
"Je ne sais pas encore, grommela Riku, la tête renversée sur le dossier du sofa, se massant toujours la tête. J'y réfléchis…surtout qu'on l'a perdu ce fichu collier… Je sais pas… Je pourrais me tromper sur toute la ligne… ce ne serait pas la première fois… Peut-être que je devrais reprendre un café…"
"Non, je crois que tu as consommé assez de caféine, s'interposa derechef Saori en fronçant les sourcils. Je ne t'ai encore jamais vu aussi mouvementé…"
"Ah non, ça c'est juste Riku sans filtre, commenta Sora, amusé alors qu'un souvenir d'une ancienne discussion vint résonner dans son esprit. Les filles l'ont poussé, chacune à leurs manières, à faire tomber le masque de placidité qui cachait son brillant esprit incompréhensible…ou alors c'est juste la folie naissante d'un esprit torturé."
"Pour ma part, interjeta Riku en ouvrant un œil complice en direction de son ami d'enfance, je suis heureux de constater qu'Hayate a largement contribué à l'élargissement de ton piètre vocabulaire…et de ton cynisme… mais je te rassure: je ne suis pas fou, juste insomniaque."
Les deux jeunes guerriers en deuil partagèrent un regard nostalgique et Sora ne put s'empêcher d'imaginer, durant un bref instant, Hayate à sa place et le fantôme d'Iwako aux côtés de Riku sur le sofa. Après un certain temps de silence pesant, ce fut la mère de Sora qui osa briser ce moment la première.
"Je pense que vous avez besoin de repos, suggéra-t-elle en posant sa tasse vide sur la table basse du salon. Tous les deux."
"Oui, approuva Saori à son tour avant de se tourner vers son fils. Reste ici pour te reposer, je vais aller chercher ta sœur."
"...tu as besoin que je t'accompagne?" demanda Riku avec un timbre de voix étrangement menaçant.
Après un court silence, durant lequel l'ancienne épouse du Maire observa brièvement la carrure imposante de son fils, elle secoua finalement la tête en souriant et affirma:
"Non…Je crois que je vais m'en sortir, reste ici et dors."
…
Riku marchait en direction du Vaisseau Gummi tout en transportant un nombre impressionnant de boîtes empilées, d'une part, de manières hasardeuses sur une épaule et coincées, d'autre part, entre son aisselle et sa hanche. Sora était parti explorer la grotte de leur enfance après que Riku lui eût raconté l'addition récente de nouvelles œuvres picturales, souhaitant sans doute y apporter sa propre contribution douteuse en termes qualitatifs. Un pile d'une douzaine de caisses remplies de victuailles - noix de coco, bananes, farine, oeufs, et autres aliments plus ou moins exotiques - s'empilaient actuellement à côté de l'embarcadère menant au sas principal du vaisseau Gummi, lequel flottait paisiblement dans l'eau salée reflétant un soleil déclinant. Riku s'apprêtait à retourner au village pour acheter une réserve de produits hygiéniques lorsqu'il sentit une étrange énergie, l'immobilisant dans son geste. Répondant à l'appel de son coeur, le Maître de la Keyblade suivit pendant un certain temps la trajectoire de la plage, avant d'emprunter une porte en bois branlante, qui le mena de l'autre côté de l'île, où jadis les trois amis d'enfance avaient installé leur radeau et leur parcours de course. Passant une nouvelle cabane - vraisemblablement en cours de construction par des mains enfantines maladroites - le jeune homme s'arrêta un instant, plissant les yeux en observant le paysage, avant de s'arrêter sur un éclat semblant se refléter sur une surface granuleuse. S'en approchant d'un pas empressé, le jeune Maître repéra un objet métallique, dépassant d'une dune de sable proche du littoral. Le cœur battant, Riku empoigna le manche argenté d'une Keyblade au relief douloureusement familier. À peine eut-il reconnu l'arme légendaire toutefois, qu'une vague d'images successives foudroya son esprit, son visage se levant en direction du ciel dans un mouvement non contrôlé alors que le reflet de ses visions traversait ses yeux turquoises: en premier, Riku vit le roi Mickey sur une plage de sable noir, qu'il identifia immédiatement comme étant la Marge Noire du domaine des ténèbres. Puis, la souris royale venait de trouver la clé, un jeune homme aux cheveux argentés se tenant à ses côtés, devant la porte des ténèbres. Soudain, l'illusion envahissant l'esprit du jeune homme sembla se focaliser sur une énorme porte noire constituée d'une matière non identifiable, entourées de chaînes dorées cadenassées et dotée d'une multitude de serrures argentées aux styles divergents. Finalement, la porte disparut et Riku vit un pétale de lotus cristallin tomber délicatement sur une paume blanche, après quoi elle prit la forme lumineuse d'une titanesque clé. Avant que celle-ci n'acheva son développement cependant, la lumière se divisa en deux – à l'image d'une cellule mère formant deux cellules filles par mitose – créant ainsi les silhouettes familières de deux clés jumelles. Tombant à genoux et inspirant de toutes ses forces, le jeune homme s'attrapa la tête d'une main tremblante, ses yeux endoloris et subitement photosensibles, aveuglés par la lumière précédant le crépuscule et les couleurs dorées familières de l'Ile de la Destinée. Une fois ses iris à nouveau focalisés et la douleur apaisée, Riku se souvint des paroles de Gaia, proférées quelques heures avant les pires moments de sa vie: "Je t'offre le don de voir ce qui est révolu. Tu trouveras les réponses que tu cherches dans les souvenirs d'objets anciens et vénérés, chéris par des générations d'individus. Que ton cœur…soit la clé qui te guide, jeune héros."
Le manche de Chaîne Royale D encore entre ses doigts, le Maître observa d'un air pensif l'arme du roi, si semblable à celle de l'élu de la Keyblade… et prit une décision. Se levant d'un mouvement déterminé, le jeune homme se dirigea vers l'embarcadère où il devait retrouver Sora. Une fois arrivé à proximité du vaisseau, Riku s'assit par terre, les jambes croisées, et attendit patiemment l'arrivée de son meilleur ami, sur la plage de leur enfance.
…
Sora s'extirpa de la grotte, dégageant des lianes de son chemin d'une main, et essuyant ses larmes de la seconde. Il avança d'un pas machinal en direction de la plage, tête baissée, n'ayant pas besoin de regarder devant lui, ses pas étant trop habitués à parcourir cette île. Alors que ses chaussures crissaient sur le sable dans le silence du crépuscule, il sentit un regard se poser sur lui. Il releva les yeux pour apercevoir la silhouette assise de Riku, le halo du soleil couchant dans son dos illuminant son pourtour et créant un fort contraste avec son visage mystérieux qui restait pour l'instant dans l'ombre. Son meilleur ami se remit sur ses jambes en le voyant arriver à lui, les couleurs pastelles rose orangée du ciel projetant une lumière irréelle et intemporelle sur la scène qui se jouait sous ses yeux. En ce lieu de leur enfance, d'une amitié immature et ternie d'une rivalité inavouée, Sora eut le sentiment que quelque chose avait changé entre eux désormais. Leur lien s'était fragilisé au début de leur voyage, mais il s'était aussi renforcé par la suite, à cause de toutes les épreuves qu'ils avaient partagées et surmontées ensemble ces dernières semaines… mais aussi ces dernières années, depuis qu'ils avaient quitté leur monde natal. Riku s'avança lentement vers lui, dans les derniers rayons du soleil mourant, sans un mot, ses yeux turquoise azuré résolument posés sur lui. Une fois que les deux jeunes hommes, qui avaient tant perdu, furent face à face, Riku se permit un sourire un peu espiègle, en commentant à son adresse:
"J'ai perdu la course. Et j'ai encore une dette envers toi…"
D'un geste lent et solennel, le jeune homme leva son bras devant lui, ses cheveux argentés agités par la brise sérotinale. Un rayon de lumière doré se réverbéra dans les iris océan de Sora alors qu'une Keyblade apparaissait entre les doigts repliés de Riku. Durant un bref instant, le cœur de l'ancien élu crut qu'il s'agissait de Chaîne Royale, avant de noter l'inversion chromatique de sa garde et de sa lame. Il l'identifia cependant rapidement: c'était l'arme du roi.
"Elle m'a trouvée, sur la plage… Mais j'estime qu'elle te revient. Est-ce que tu l'acceptes?"
Sora fronça ses sourcils en V. Son premier réflexe était de la refuser. De quel droit pouvait-il accepter de porter la Keyblade du Roi Mickey? De plus, le monarque avait visiblement choisi Riku pour en être le porteur… L'ancien élu ne s'en sentait pas légitime, surtout connaissant le lien que son meilleur ami avait créé avec le dirigeant de Disney de par le passé. Il aurait l'impression de voler, d'usurper quelque chose. Il avoua, honnêtement, avec une voix lasse.
"Peut-être que je ne suis pas censé être un Porteur... Peut-être que mon élection a toujours été une erreur… Réfléchis: que ce soit Chaîne Royale, Garde du Maître ou encore celle-ci, les Keyblades ont toujours été attirées par toi, en premier lieu."
"Tu as raison sur un point, admit Riku en inclinant la tête sur le côté, une trace d'ironie dansant dans ses iris brillants. Tu n'as jamais été un porteur officiel, à tout le moins selon les traditions que cela implique. Pour ma part, j'ai eu droit à une cérémonie de passation grâce à Terra… avant même que je ne comprenne ce que cela représente. Je suis désormais en mesure de transmettre le titre moi-même, en ma qualité de Maître reconnu. Sora… Le destin a pris beaucoup de décisions pour nous, depuis le début de cette histoire… Tu sais ce que j'en pense. Donc je te pose la question maintenant: qu'est-ce que tu décides, toi? Qu'est-ce que tu veux?"
Malgré le doute qui n'avait pas totalement quitté son cœur, l'ancien élu fut sincèrement touché par la confiance que son ami portait sur lui et par le choix que Riku lui permettait enfin de prendre librement. Prenant son courage à deux mains, le jeune homme hocha la tête en signe de consentement et le Maître de la Keyblade retourna Chaîne Royale D d'un mouvement fluide, tendant désormais le pommeau en direction de Sora. Celui-ci, après une dernière hésitation, glissa sa main sur la poignée sombre de l'arme du roi disparu alors que le soleil terminait enfin son voyage derrière l'horizon, plongeant les deux porteurs dans une pénombre illuminée par les étoiles naissantes. D'une voix qui ne semblait pas entièrement lui appartenir, Riku énonça alors des paroles emplies d'une puissance ancienne:
"Je te fais don de cette clé. Tant que tu en auras l'étoffe, car par cet acte je te l'offre, dès ce jour tu seras son porteur. Ton propre chemin, tu vas te forger et par ce serment, mon ami, nous allons les retrouver."
Tandis qu'une lumière blanche semblait entourer la silhouette de Riku, partant de ses yeux turquoises tel un courant d'électricité, elle traversa le manche de la Keyblade et se transmit à Sora, remontant par son bras avant d'atteindre son coeur et d'illuminer sa personne. C'est alors que l'ancien élu sentit que Chaîne Royale D lui répondrait désormais: elle l'avait accepté comme son porteur.
"Sora, Riku! s'éleva soudain la voix de Kairi dans l'air nocturne alors qu'elle débarquait d'un radeau en compagnie de leurs mères. Vous êtes prêts pour partir?"
"Oui," répondirent à l'unisson les deux garçons, un bref sourire complice illuminant leurs visages, avant que Sora ne continue:
"On est prêt."
Une boucle est bouclée, une page se tourne.
Le tome 3, "Les Chaînes du Destin", peut enfin véritablement commencé.
