(Le Prince de Sang-Mêlé) Retour à Poudlard
Le jour de la rentrée, en plein après-midi alors que les élèves voyageaient par le train, Lily se présenta au bureau du directeur. Le vieil homme sourit, et la regarda par-dessus ses petites lunettes demi-lune.
« Ah, Lily, tu tombes bien… »
« Vous aviez un espion. », lâcha-t-elle, debout derrière les sièges où s'asseyaient généralement les invités du vieil homme.
« J'en ai toujours un. », commenta-t-il.
« Il y a quinze ans, vous en aviez déjà un. »
Il fronça légèrement les sourcils. « De quoi parles-tu, Lily ? »
« Vous aviez refusé de nous dire de qui il s'agissait. C'était Severus Snape. » Le ton qu'elle employait était dur, et aussi empli de souffrance. Il était brisé et sec. « Il travaillait pour vous depuis tout ce temps. Il a donné les informations pour protéger nos familles. C'est ce qu'il a toujours fait. Et vous vous attendez à ce que je m'éloigne de lui ? »
Le directeur devint sévère. « Lily, nous en avons déjà discuté. Tu restes à Poudlard cette année comme assistante de Slughorn, et tu ne dois pas chercher de contact avec Severus. »
« À cause de la situation avec Lord Voldemort ? Albus… »
« Lily, c'est très important : est-ce que des souvenirs te reviennent ? »
Elle se calma, et parla d'une voix plus douce. « Très peu, en vérité. Trop peu pour savoir réellement… qui je suis devenue. »
« Alors, avant d'agir promptement dès qu'un souvenir étrange et perturbant te revient, attends que le reste arrive. Quand tu connaîtras ton histoire, alors tu pourras décider de ce que tu veux vraiment faire par la suite. Pour l'instant, contente-toi de respecter notre accord. »
Elle opina du chef. « Pour l'instant, Albus, j'y veillerais. »
« Avais-tu autre chose à me dire ? »
« Non. »
Elle se dirigea vers la sortie, mais lorsqu'elle eut atteint la porte, la voix âgée du vieil homme reprit.
« En as-tu parlé à Severus ? De ces souvenirs qui reviennent ? »
Elle le toisa sans humour. « Je n'ai pas le droit de l'approcher, directeur. », articula-t-elle froidement.
« Il demeure celui qui s'occupe de ton "état", même si tu vas parfaitement bien à présent. Je pense qu'il serait préférable de l'informer. »
« J'y veillerais. Oh juste, nous verrons nous durant le banquet lui et moi, ou serons-nous placés à des antipodes tels que tous les étudiants de Poudlard vont s'interroger ? »
Sitôt eût-elle terminé de parler, la porte s'ouvrit subitement. Elle se tourna pour se retrouver extrêmement proche d'un Severus surpris et figé. Ils restèrent dans un silence stupéfait un instant avant que Lily ne décide de quitter hâtivement le bureau. Severus réagit assez vite pour s'écarter de son chemin en se plaçant sur le côté, mais guère suffisamment pour qu'elle ne le bouscule pas au passage. Le maître des potions tourna un regard curieux vers le directeur. Ce dernier s'adossa à son fauteuil.
« Entre, Severus. »
Le groupe de Gryffondor se chercha un compartiment pour s'installer tranquillement et éviter tout dérangement. Neville n'apprécierait pas d'obtenir l'attention sur lui avec cette histoire "d'élu". Ils croisèrent Luna, qui marchait dans l'allée du train pour distribuer Le Chicaneur à qui voudrait. Bien sûr, elle demandait tout de même une rétribution pour cela. Neville et Ginny lui en prirent chacun un.
« Il est mignon. C'est un boursoufflet ? » demanda la blonde alors qu'elle donnait un exemplaire à la rousse.
« Oui. Arnold, un cadeau de Fred et George. »
« Ils sont connus pour chanter le lendemain de Noël. », informa la belle excentrique.
« Pourquoi Arnold ? » demanda Ron.
« Pourquoi Ronald ? » rétorqua sa sœur.
Harry et Hermione pouffèrent. Neville les observa sans comprendre ce qui les amusa tant.
« Et voilà pour toi, Neville. », dit Luna en lui tendant une revue.
« Merci Luna. »
« À quoi servent ces lunettes ? » s'enquit Harry. La jeune fille portait de fausses lunettes, magiques, particulièrement excentriques. Elles semblaient même psychédéliques, avec des verres opaques, l'un cyan l'autre magenta, qui se mouvaient avec des ondulations étranges. La monture de carton donnait une allure étrange qui ne pourrait convenir qu'à Luna Lovegood.
« Ça s'appelle des Lorgnospectres. C'est pour voir les joncheruines. Ils entrent par les oreilles, et t'embrouillent le cerveau. »
Luna s'éloigna pour continuer sa vente à la sauvette, et les cinq adolescents se trouvèrent une place. Draco les trouva peu après. Il ouvrit la cabine, et se stoppa à l'entrée. Il attachait son regard sur Neville et Harry.
« C'est quoi, ça ? »
« Des Lorgnospectres. », déclamèrent les deux amis en cœur.
Draco les fixait, impassible. « Des quoi ? »
Hermione expliqua. « C'est pour voir une autre créature imaginaire de Luna. Ils étaient offerts dans Le Chicaneur. »
Draco entra et ferma derrière lui, pour aller s'asseoir entre Ron et l'entrée, dernière place disponible. Vêtu tout de noir, il se tenait avec rigidité, et son regard paraissait sombre. Ses cheveux lisses étaient parfaitement bien coiffés, et sa franche rabattue sur le côté. Il devenait très aisé pour ses amis — à l'exception de Ron — de reconnaître qu'il n'allait pas parfaitement bien, contrairement à l'image qu'il tentait de transmettre. Il avait une expression bien trop froide.
« Tu t'es entraîné à l'occlumancie, récemment ? » questionna Harry.
« En effet. C'est ce qui arrive quand votre tante Mangemort tente de vous donner un entraînement durant tout l'été. »
Harry ne parvint à cacher sa haine de la femme. « Tu vis avec Bellatrix Lestrange ? »
« On ne choisit pas sa famille. On choisit ses amis. », décréta l'adolescent. « Et j'ai choisi de parler de nos résultats de BUSE et de nos cours d'ASPIC. »
Bien qu'Hermione semblait vouloir insister, Neville approuvait pleinement le changement de sujet. Il préférait commencer l'année avec de belles promesses d'avenir, que des histoires de descentes aux enfers. Ils passèrent d'un sujet à un autre durant le trajet, passant par le Quidditch qui intéressait davantage Ginny et moins Neville ou Hermione ; la lecture du Chicaneur se révéla très animée, grâce aux interventions de tous qu'ils apprécient ou au contraire trouvent les discours sur ces créatures imaginaires totalement grotesques ; et, enfin, toute discussion qui pouvait leur passer à l'esprit.
Quand ils arrivèrent à la gare, Neville requit qu'ils attendent que tous soient descendus. Il préférait d'une part éviter d'attirer l'attention, d'autre part ne pas se mêler à toute l'agitation surtout lorsqu'il s'agirait d'arriver à Poudlard pour la fouille des bagages. Il préférait arriver en retard qu'au milieu de tout le monde. Ils s'assurèrent toutefois de ne pas être trop en retard. Aucun ne désirait obtenir une retenue. Luna les trouva encore dans leur compartiment, et leur signifia qu'il n'y avait plus personne dans le train. Ils descendirent donc tous ensemble, avec la jeune blonde, et furent bien aises d'arriver après tout le monde aux portes de la grille. Flitwick leur râla dessus, et leur ordonna de se dépêcher. Il semblait évidemment déçu de voir Hermione, Neville ou même Harry et Draco arriver en retard. Depuis les jumeaux, les Weasley n'avaient plus une aussi bonne réputation que durant les années de leurs frères plus âgés.
Lorsque la fouille commença, Severus arriva pour y soustraire étrangement Draco, se portant garant pour lui.
« Et nous ? » réclama Harry, n'en revenant pas, alors que le maître des potions s'éloignait avec le jeune Serpentard. L'homme s'arrêta et se retourna vers le Gryffondor.
« Et vous, monsieur Potter ? Rien n'est moins sûr quant à ce que vous pourriez transporter dans vos bagages. D'autant avec tout ce que vous pourriez avoir récupéré de votre parrain décédé. Peu de familles possèdent autant d'objets sombres que les Black. »
« Professeur, le "nous" indique aussi mes amis. Je ne suis pas un pluriel. », commenta sarcastiquement le garçon.
L'homme signifia à Draco de partir, et fit demi-tour pour s'approcher des derniers étudiants. « Et bien, Miss Granger est une sorcière au talent indéniable qui pourrait transporter n'importe quoi. Mademoiselle et Monsieur Weasley pourraient se retrouver en possession d'objets déclarés illégaux dans Poudlard par Monsieur Rusard, en la qualité des marchandises de Fred et George Weasley. Pour ce qui est de Mademoiselle Lovegood, nuls ignoreraient la quantité d'artefacts étranges qu'elle transporterait, à commencer par ses lorgnospectres ridicules. Enfin, nous ne pouvons soustraire Monsieur Longbottom à la fouille réglementaire sous prétexte qu'il est "l'élu". Beaucoup en seraient jaloux, et la célébrité des élèves n'est pas un élément pris en compte dans l'enseignement de Poudlard. »
« Pourquoi Draco est abstenu ? »
« Je m'occupe de mes élèves, monsieur Potter. »
« Nous sommes tous vos élèves. »
« Pas lorsque je parle en tant que chef de Maison, aussi regrettable que ce soit, monsieur Potter. Essayez d'arriver à l'heure au banquet. »
Sur ce, le maître des potions partit.
Les cinq Gryffondor et la Serdaigle ne tardèrent pas à pouvoir rejoindre leurs camarades à leurs tables respectives dans la grande salle, après, bien sûr, s'être mis en uniforme. Le Choixpeau chanta une nouvelle chanson, où il conseilla d'user de courage dans ces temps sombres.
« Facile pour lui de dire ça. », grogna Ron. « C'est un chapeau ! »
Harry imita son ton. « Facile pour toi d'en avoir, du courage. Tu es un Gryffondor ! »
« Gryffondor ne se résume pas au courage, et ce n'est pas parce que l'on est Gryffondor, qu'on trouve facilement le courage. », informa Neville.
« Certes, mais nous sommes censés nous en sortir mieux que les trois quarts de l'école. C'est le but de notre Maison, trouver le Courage. C'est comme si le Choixpeau disait à ces premières années : "Je vais vous répartir dans quatre maisons, mais il n'y en a qu'une qui va s'en sortir" ou encore "vous devez tous montrer que vous avez un peu de Gryffondor en vous". Et les autres maisons, alors ? »
Hermione le scruta. « Harry, ce n'est pas à un Gryffondor fier de sa maison de râler là-dessus. Et puis, quel est le problème ? On peut appartenir à plus d'une maison. »
Il la toisa très sérieusement. « La fierté est Serpentard, Hermione. Et je suis fier d'avoir des traits de Serpentard. J'appartiens à Gryffondor, parce que c'est là que je peux rester avec Neville. Et c'est là que sont la plupart de mes amis. Je ne suis pas fier de Gryffondor. Ce qui me dérange n'est pas de valoriser les valeurs de Gryffondor, mais de ne toujours parler que de celles-ci, et d'ignorer les autres. C'est comme s'il n'y avait qu'une Maison, pour les héros, et que les trois autres pouvaient être relayées à l'arrière. Ça ne devrait pas fonctionner comme ça. On met dans la tête de tout le monde que Gryffondor est l'endroit où il faut aller ! Plusieurs fois, on dit même qu'il faut s'éloigner de Serpentard. Même ce fichu Choixpeau a un parti pris sur les Maisons. C'est ça qui m'énerve. Et c'est en faisant ça, qu'on se retrouve avec certaines personnes qui basculent du mauvais côté. »
Neville intervint avec calme et assurance. « Le Choixpeau n'a pas tort, Harry. Et même un Serpentard peut montrer du courage. Nous en connaissons de parfait exemple. Tout comme un Gryffondor peut en manquer. Peux-tu nier, que parmi toutes les qualités de toutes les Maisons de Poudlard, le courage ne soit pas une des, si ce n'est la, plus appropriée étant donné les circonstances ? »
Harry soupira. « Personnellement, je trouve que le courage est une valeur extrêmement importante. Mais elle ne fait pas le sorcier. Elle ne fait pas le vainqueur. »
« Elle fait celui qui peut participer. Sans courage, le plus rusé ou le plus intelligent peut-il vraiment vaincre ? »
« Je ne considère pas Voldemort très courageux. »
« Vous devriez juste arrêter d'en parler, je pense. Ça ne mène nulle part. », coupa Ginny.
Le tri terminé, le directeur s'avança pour son discours.
« Bonsoir à tous. Avant toute chose, je tiens à vous présenter le Professeur Slughorn, qui a accepté de sortir de sa retraite pour redevenir le professeur de potions de Poudlard. »
Harry fixa, blême, le petit homme à la table des professeurs, entre Severus et sa mère. Ce vieil homme à l'air sympathique, qui reçut bon nombre d'applaudissements satisfaits de la part de beaucoup d'élèves qui n'appréciaient pas beaucoup la sévérité ou les sarcasmes du professeur Snape. Il recevait en fait les applaudissements polis que la plupart dispenseraient pour ce genre d'annonce. Harry, pour sa part, n'applaudissait pas. Seul Ron, dans leur groupe, applaudissait, d'ailleurs avec un sourire très heureux sur le visage. Les autres, Neville, Hermione et Ginny, observaient la réaction de Harry avec silence et calme.
« Ça n'arrive pas. », chuchota Harry après un moment, lorsque les applaudissements cessaient, et que Dumbledore s'apprêtait à reprendre la parole.
« Le professeur Snape devient dorénavant le professeur de défense contre les forces du mal. », déclara le directeur.
« Non. », refusa Harry, faiblement mais toutefois assez fort pour que quelques Gryffondor tournent la tête vers lui. Aucun Gryffondor n'applaudissait. La maison rouge et or demeurait obstinément dans un silence de tombe. En fait, seul le professeur Slughorn avait commencé à applaudir, puis s'était ravisé par un coup d'œil de droite à gauche, surpris et peut-être déçu de ce manque d'enthousiasme certain de la part de tous, y compris des professeurs, et même de Severus. Seule la table de Serpentard applaudissait, avec un enthousiasme certain. Lily aussi, mais peut-être aurait-elle dû s'en abstenir, car le rythme lent employé, démontrant son mécontentement, n'aidait guère à motiver les élèves.
Neville entendit un Poufsouffle chuchoter bas, cependant pas assez. « Ils sont pas côte à côte. »
Du côté Serpentard, Théodore se penchait vers Draco. « D'ici demain, la rumeur aura circulé, avec trois versions majoritaires : le professeur Snape et Mademoiselle Evans sont en froid ; ou alors elle aurait préféré continuer de travailler avec lui les potions ; ou encore elle n'apprécie pas la perspective qu'il occupe un poste maudit. »
Draco, maussade, tourna à peine un regard vers son voisin. Il était d'ailleurs le seul de la table verte et argent à ne pas applaudir. « Tu n'aides pas. », chuchota-t-il.
Le directeur reprenait la parole pour son discours. « Comme vous le savez, chacun d'entre vous a été fouillé à son arrivée ce soir. Vous avez le droit de savoir pourquoi. Autrefois, il y avait un jeune homme, qui comme vous s'est assis dans cette salle, a emprunté les couloirs de ce château, a dormi sous son toit. Aux yeux de tous, il semblait être un élève comme un autre. Il s'appelait Tom Jedusor. Aujourd'hui bien sûr, il est connu dans le monde entier sous un autre nom. Et c'est pourquoi ce soir, quand je me tiens devant vous, je me rappelle une chose importante. Chaque jour, à chaque heure, à l'instant même peut-être, les forces du mal essaient de pénétrer les murs de ce château. Mais en fin de compte, leur meilleure arme, c'est vous. Gardez bien cela à l'esprit. »
À la fin du discours du directeur, tandis que le banquet commençait, Harry continuait de secouer la tête.
« Pourquoi il lui a donné le poste ?! »
« C'est ce que tout le monde se demande. », répondit Ron.
« Le poste est maudit. »
Neville tenta de le rassurer. « Tout le monde n'en meurt pas. C'est comme pour Remus. Ça ne t'a pas dérangé quand il était le professeur. Ça nous a même donné une merveilleuse année d'enseignement. »
« Tu as raison, seuls les Mangemorts en meurt. », traîna Harry. « Sinon quoi ? Ce sera sa dernière année d'enseignement qu'importe la matière. Il ne retournera pas au poste de potion après ça, surtout si le directeur s'est donné tant de mal pour sortir Slughorn de sa retraite, il ne va pas l'y remettre tout de suite. »
« Il a obtenu ce qu'il voulait. », protesta Ginny. « Vu pourquoi tu râles, ne devrais-tu pas t'abstenir ? Tu préférerais qu'il reste professeur de potions ? »
« Je préférerais qu'il ne demande pas un ticket d'aller simple vers l'enfer tous les ans à Dumbledore. Et je préférerais que Dumbledore ne cède pas. »
« Dis-toi que par les temps qui courent, il vaut mieux avoir un excellent professeur de défense contre les forces du mal. », déclara Neville.
Harry serra les dents. « D'accord, je le concède. », articula-t-il à contrecœur sans cacher son mécontentement.
L'ambiance au banquet ne fut pas excellente.
