Chapitre 21:
— Votre petit mot était charmant, Albus, lança Rogue d'un ton sarcastique, sortant un bout de parchemin froissé de la poche intérieure de sa robe. Très utile, vraiment. Mais cela ne répond pas à ma question principale : comment suis-je censé repousser Bellatrix Lestrange? Je lui dis quoi? "Bella, ce n'est pas toi, c'est moi"? "Tu es une femme formidable, mais je ne suis pas assez bien pour toi" ou encore "Bella, j'ai réfléchi et Rodolphus est mon ami. Je ne peux plus m'envoyer sa femme dans son dos, il serait dévasté s'il l'apprenait" ?
Dumbledore esquissa un sourire amusé, mais son regard, derrière ses lunettes en demi-lune, brillait d'une gravité sereine.
— Vous savez aussi bien que moi que Bellatrix est dangereuse, Severus. Elle est instable et dangereusement possessive. Si elle perçoit votre mariage avec Brittany comme une menace, elle pourrait vouloir l'éliminer – et je ne parle pas seulement d'un sens métaphorique.
Rogue croisa les bras, son expression se fermant davantage.
— Je n'ai pas besoin d'une leçon de psychologie sur Bellatrix Lestrange, répliqua-t-il sèchement. Ce que je veux, c'est une solution, un moyen de m'en débarrasser sans que cela n'envenime la situation. Bellatrix…
Il s'interrompit, ses mâchoires se contractant légèrement.
— Bellatrix est un problème que je gère seul depuis des années. Mais aujourd'hui, avec ce foutu mariage, les choses se compliquent.
Dumbledore le regarda attentivement, comme s'il cherchait à sonder les tréfonds de son esprit.
— Vous êtes troublé, Severus, dit-il finalement, une lueur malicieuse perçant dans sa voix.
— Troublé? rétorqua Rogue avec un mépris calculé. Non, je suis exaspéré. Fatigué. Fatigué de devoir jongler avec des rôles impossibles, de jouer double, voire triple jeu. Vous me demandez de courir dans les bras de Bellatrix, je m'exécute. Le Seigneur des Ténèbres m'ordonne de courir dans les bras d'une autre et de l'épouser, je le fais. Est-ce que cette comédie va durer longtemps? Je ne suis pas une prostituée! Et en plus de ça, on me demande de gérer les états d'âmes de tout le mondeet de garder tout ça secret. Je vais devenir dingue, Albus!
Il cracha ces derniers mots avec amertume, avant de détourner les yeux, fixant un point invisible au-delà de la pièce.
— Je vais prévenir Brittany au sujet de Bellatrix, reprit-il après un instant de silence. Je ne veux pas d'esclandre le soir de la fête. Et je vais demander à Bellatrix de se montrer plus discrète à l'avenir.
— Non.
Le mot, prononcé avec calme mais fermeté, fit l'effet d'un couperet. Rogue tourna brusquement la tête vers Dumbledore, son regard sombre se rétrécissant.
— Non? Et pourquoi pas, au juste?
Dumbledore prit quelques secondes pour réfléchir, son expression se durcissant imperceptiblement. Il choisit soigneusement ses mots.
— Brittany n'a pas besoin de connaître les… détails de vos interactions avec Bellatrix. Cela ne servirait qu'à la déstabiliser inutilement. Elle pourrait croire que vos… relations sont plus significatives qu'elles ne le sont réellement, et cela fragiliserait son rôle auprès des Mangemorts.
Rogue plissa les yeux, clairement insatisfait par cette réponse.
— Brittany se fiche bien de savoir si j'ai des sentiments ou non pour l'autre folle. Elle veut juste sortir vivante de la petite fête de samedi et ne plus entendre parler de moi une fois cette mascarade terminée.
Dumbledore haussa légèrement un sourcil, une lueur malicieuse brillant derrière ses lunettes en demi-lune.
— Vous savez très bien que son rôle ne s'arrêtera pas samedi, répondit-il calmement. Elle doit avoir confiance en vous.
Rogue lui jeta un regard acéré, mais poursuivit, sa voix s'abaissant en un murmure tendu :
— Et si Brittany apprend la vérité autrement? Vous ne pensez pas qu'elle se sentira trahie si elle découvre que je lui ai caché cela?
Dumbledore posa une main légère mais ferme sur le bord de son bureau, son ton devenant presque paternel.
— Severus, Brittany comprend que votre mariage est avant tout stratégique. Mais il y a une différence entre savoir cela et être confrontée à la réalité crue de vos… sacrifices. Ce que vous faisiez était nécessaire, mais elle n'a pas besoin d'en porter le poids émotionnel. Il serait préférable que Bellatrix disparaisse de l'équation, et vous seul êtes en position de le faire.
Un silence pesant s'installa. Rogue croisa les bras, ses doigts tambourinant nerveusement contre sa manche.
— Si je résume, commença-t-il d'un ton mordant, jusqu'à présent, il était crucial que je soutire des informations à Bellatrix Lestrange, en jouant son petit jeu. Maintenant, je dois la dégager parce que mon mariage doit rester crédible. Et comme il s'agit probablement de la plus folle et imprévisible sorcière en vie – à égalité avec notre cher maître vénéré –, je dois m'assurer de ne pas la froisser, car sinon ma très chère épouse et moi-même risquons de finir dans un fossé.
Il marqua une pause, ses yeux noirs perçant Dumbledore avec une intensité glaciale.
— Ajoutez à cela que Brittany ne doit rien savoir, pour "la préserver", et que le Seigneur des Ténèbres ne doit pas non plus découvrir que je viens de larguer ma maîtresse, sous peine de remettre en question l'authenticité de ce mariage. Ai-je bien saisi la subtilité de votre plan?
— Exactement, confirma Dumbledore, un sourire presque imperceptible sur les lèvres.
Un silence lourd s'installa, ponctué uniquement par le tic-tac de l'horloge ancienne sur le mur. Rogue finit par secouer légèrement la tête.
— Vous me rendez la vie tellement simple, Albus.
— Je sais que c'est difficile, Severus, répondit doucement Dumbledore. Mais vous êtes l'homme le plus qualifié pour cette tâche.
Rogue se redressa, les mains croisées dans son dos, et tourna les talons sans un mot de plus. Dumbledore resta immobile, le regard fixe sur la porte de son bureau. Il savait qu'il ne l'avait pas aidé, il savait qu'il y aurait des retombées à cela, mais c'était nécessaire. Bellatrix devait être écartée. Brittany et Severus devaient avoir le champ libre. Il voulait gagner cette guerre contre Voldemort. Mais il voulait désormais surtout que ces deux-là se mettent ensemble. Pour de vrai.
oOoOo
Rogue rentra dans ses appartements d'un pas lourd, le claquement de ses bottes résonnant sur le sol de pierre. La conversation avec Dumbledore tournait en boucle dans son esprit, chaque mot aiguisant un peu plus sa frustration. Il referma la porte derrière lui avec un soupir, s'appuyant brièvement contre le bois froid.
Dans la lumière tamisée de la pièce, Brittany était assise près de la cheminée, un livre ouvert sur ses genoux. Les flammes dansaient sur son visage, accentuant les courbes de ses traits. Elle releva la tête à son entrée, mais il détourna immédiatement les yeux, comme pris en faute.
Il s'avança lentement, ses pensées s'agitant avec une intensité inhabituelle. Une part de lui, celle qu'il avait depuis longtemps muselée, lui criait qu'il devait lui parler. Lui dire la vérité. Tout. À propos de Bellatrix, des attentes absurdes de Dumbledore, de la tension insupportable qui pesait sur lui.
Il s'arrêta à quelques pas d'elle, fixant les flammes. Sa main effleura machinalement le rebord du fauteuil, ses doigts crispés contre le bois. Pourquoi est-ce qu'il voulait lui parler? Cette question le déstabilisait plus qu'il ne voulait l'admettre. Il n'avait jamais voulu être proche de Brittany. Ce mariage n'était qu'un stratagème. Pourtant, il ne pouvait nier qu'elle occupait une place différente dans son esprit, une place qu'il n'avait pas prévue.
— Tout va bien? demanda-t-elle doucement, refermant son livre pour poser sur lui un regard interrogateur.
Sa voix le tira de ses pensées. Il se tourna légèrement, croisant son regard. Quelque chose dans son ton – une pointe d'inquiétude, peut-être – fit naître en lui une chaleur inattendue. Il ouvrit la bouche, hésita. La tentation de tout lui avouer, de se délester de ce poids, était presque écrasante. Elle le comprendrait, il en était sûr. Peut-être même trouverait-elle un moyen de l'aider.
Mais alors, une autre pensée s'imposa. Tu es idiot. Ce n'est pas ton amie. Elle ne t'a jamais demandé de l'impliquer dans tes tourments.
Il détourna brusquement les yeux, serrant les poings.
— Oui, tout va bien, mentit-il comme il pouvait.
Elle le fixa un instant, un soupçon de scepticisme dans les yeux, mais elle n'insista pas.
Rogue se détourna, se dirigeant vers son bureau pour échapper à cette proximité dangereuse. Cette femme le désarmait d'une manière qu'aucun sortilège n'avait jamais pu. Pire encore, elle faisait naître en lui une lueur d'espoir qu'il ne savait pas gérer. Un espoir ridicule, inutile. Il redressa les épaules, son masque de froideur solidement remis en place. Elle n'est pas ton amie. Elle n'est rien d'autre qu'une alliée temporaire. Et pourtant, au fond de lui, une petite voix qu'il essayait de taire lui chuchota qu'elle pourrait être bien plus que cela.
Il ouvrit un tiroir et sorti un livre de potions rares qu'il venait de recevoir. Il allait prendre cinq minutes pour lui, juste pour lui. Ils reprendraient les entrainements plus tard.
