.
LE GOÛT DES RÊVES
.
.
Avant propos
Cette histoire s'inscrit dans la lignée de mes autres écrits sur la Next Gen, dans le sens où on y trouve des personnages en commun (vous avez pu croiser James et Kady dans Avant la fin du monde, Roxanne reviendra dans une histoire qui s'appelle Le Contrat bientôt) mais une fois encore, ces histoires peuvent se lire indépendamment les unes des autres. Le Goût des Rêves est d'ailleurs antérieure à toutes les autres puisqu'elle s'intéresse à James alors qu'il a tout juste dix-huit ans.
Avec cette histoire, c'était l'occasion d'écrire quelque chose de plus léger, de parler Quidditch et de développer des personnages auxquels je me suis attachée. Je l'ai écrite en dilettante pour me détendre de mes projets plus longs et, vous le verrez rapidement, sans autre ambition que celle de passer un bon moment. J'espère que ça pourra plaire quand même à quelques-un(e)s d'entre vous, n'hésitez pas à laisser un petit mot pour dire ce que vous en avez pensé !
Je publie un mardi sur un coup de tête (sinon je risque de changer d'avis), j'en profite donc pour faire une dédicace à toutes les personnes qui ont encouragé l'écriture (et la publication) de ce texte, d'une manière ou d'une autre. Cœur sur vous.
Bonne lecture !
.
(Et pour celles et ceux qui suivent Le Serpent et l'Oiseau, ça arrivera quand ça arrivera mais gardons espoir, je reviens doucement à l'écriture)
.
PROLOGUE
.
— Potter, James !
James sursauta en voyant la porte s'ouvrir sur « Parker, Kady ». Elle était souriante, satisfaite. Que faisait-il devant cette porte, déjà ?
— Bonne chance, souffla-t-elle.
Son nom – Potter ! – répété depuis la salle d'examen, l'empêcha de s'attarder avec elle sur ce qui l'attendait. Trop tard pour s'en préoccuper. Kady avait réussi, bien sûr. Lui, c'était une autre paire de manche. Le regard de compassion qu'elle lui décocha lui fit aussi mal qu'il réveilla son courage ; il avait fait des choix, il devait en assumer les conséquences.
A l'intérieur, deux femmes assez âgées pour avoir connu la jeunesse d'Albus Dumbledore l'accueillirent d'un signe de tête qui dissimulait mal leur curiosité. James sentit leur regard passer sur ses cheveux aux épis incoiffables, ses taches de rousseur, les fines lunettes qui chevauchaient son nez, tout en sachant qu'à la fin, c'était son front qui retiendrait leur attention. Elles le lisaient comme on lit un document historique tout juste découvert, sans doute déçues de constater que contrairement à la myopie, l'âme de Voldemort n'avait rien d'héréditaire.
— James Potter... Vous être le fils d'Harry Potter ?
Dans un contexte d'examen, la question, familière, était presque rassurante.
— C'est bien moi.
Il n'y eut pas de commentaire, et James fut bien obligé de s'intéresser aux différents objets, reliés ensemble par des fils et des pinces métalliques, posés sur la table en face de lui.
— Mon père... Il a vécu toute son enfance chez les moldus. Vous le saviez ?
— Ah vraiment ?
— Bon, dans un placard à balais. Mais... ça compte. Et en parlant de balais...
La chose rectangle était une pile, non ? Ou bill ? Il n'était plus sûr.
— Quand on y pense, les moldus en ont un bien meilleur usage. C'est beaucoup plus ergonomique de balayer que de voler, si vous voulez mon avis. Avec ce bâton qui vous rentre dans le...
— Merci, Mr Potter. Nous allons passer aux questions.
La vieille femme à sa droite pointa du doigt la « pile » (kill ?).
— Trois différentes, pour commencer. Qu'est-ce qu'un circuit électrique, comment fonctionne-t-il, et que peut-on modifier pour le faire fonctionner ?
— Un circuit électrique...
C'était là, on y était. Le miracle (passionnées par son verbiage sur l'utilité du balai, elles en auraient oublié la chose posée devant eux) n'avait pas eu lieu. Paula Radwanska avait pourtant nommé en classe chaque composant d'un circuit électrique. Elle avait parlé de « courant », de charge positive, négative, de volt, de générateur et de récepteur, mais non, il n'était même pas sûr qu'une pile ne soit pas une file, une quille ou une ville, alors expliquer son fonctionnement ? Non, le seul souvenir qui lui venait de Radwanska à cet instant était son cri strident : « Mr Potter, encore une fois, laissez votre voisine tranquille ! ».
En réalité, il avait préparé un exposé sur le sujet avec cette même voisine. Mais c'était en pleine période de match, il ne tenait pas en place et lassée de se répéter dix fois, elle l'avait viré de la bibliothèque en décrétant que c'était dans son cerveau qu'il avait un problème d'interrupteur.
— C'est un circuit... où passe l'électricité ?
— C'est une question, Mr Potter ?
James tenta un sourire.
— Je peux continuer à parler balai, si vous préférez.
— Vous êtes sympathique. Mais vous n'avez pas la moindre idée des composants d'un circuit électrique, n'est-ce pas ?
— Non… Mais je suis prêt à apprendre !
Au moins, il était sympathique.
— Mr Potter, je suis curieuse… Vous n'êtes clairement pas informé sur les bases de la matière. Pourquoi avoir choisi l'Etude des Moldus ?
— Je crois que… je voulais mieux comprendre mes racines.
— Ce que ma collègue voulait dire, c'est pourquoi avoir continué après les BUSE ?
Le désastre de l'examen rendait la question légitime.
— Si je vous réponds sincèrement, vous allez vous moquer.
Les deux femmes échangèrent un regard.
— Si vous nous offrez une une réponse sincère, Mr Potter, peut-être même pourrons-nous monter votre note jusqu'à D.
L'offre était plus généreuse qu'il ne le méritait. Devant le choix des options qui s'offrait à lui, il avait dû en convenir : l'arithmancie était hors de ses compétences, l'Etude des Runes le dépassait complètement, la Divination lui avait été prohibée par sa tante et il fallait bien quelque chose pour seconder les Soins aux Créatures Magiques. Il avait réellement choisie l'Etude des moldus pour partager les références de son père. Mais la mécanique, la technique et les lois moldues – ses racines – s'étaient révélées d'une difficulté et d'un ennui saisissant. Son A obtenu aux BUSE était le fruit d'un miracle qui ne s'était jamais reproduit depuis.
Pourquoi avait-il continué ? Il avait abandonné sans remord des matières plus importantes.
— Mr Potter, le suspense est insoutenable.
« Mr Potter... Je placerais une plante à côté de vous et vous continueriez de lui parler... J'ai tort ? »
Non. Pas complètement. Il parlait aux animaux, aux arbres et saluait même le Baron Sanglant dans les couloirs. C'était probablement la raison pour laquelle Radwanska n'en avait pas voulu à sa meilleure élève, placée là dans l'espoir de le canaliser, de parfois lui répondre.
— Disons que...
James se mordit la lèvre. Au fond, pourquoi mentir ? Il y avait une raison, une seule, qui l'avait fait revenir dans cette salle sur-éclairée par des ampoules magiquement modifiées où se côtoyaient sur les murs le portrait d'un homme nommé Charles Darwin et une affiche publicitaire pour un grille pain deux fentes de 1982.
— J'aimais bien ma voisine de table.
Un silence stupéfait accueillit sa déclaration.
— Eh bien, Mr Potter, j'espère que cette option aura au moins été utile pour la séduire. Je regrette mais ce sera pas ici que vous obtiendrez un ASPIC.
— J'aurai quand même mon Désolant ?
— C'est le moins que nous puissions faire. Bon courage pour la suite, Mr Potter.
— Saluez votre père de notre part.
Au moins avait-il évité à sa mère l'humiliation d'un nouveau T. Reprenant son sac laissé sur la chaise, il s'apprêtait à sortir lorsqu'il la vit, elle, tranquillement postée dans le couloir.
— Tu m'as attendu ?
Kady Parker esquissa un sourire.
— Ce n'était pas très long. Et j'étais curieuse de voir comment tu t'en étais sorti.
— Tu seras fière de moi : j'ai évité le pire.
— Ah oui, comment ?
Elle était bien placée pour être sceptique. Même son sérieux à elle n'avait pu le contaminer. Elle ne prenait jamais la peine de répondre à ses blagues à deux noises. Il créait chez elle plus d'agacement qu'autre chose. Pourtant, il ne l'avait pourtant trouvé ni hautaine ni ennuyeuse.
C'était amusant de la voir soupirer par le haut et faire voler ses épais cheveux noirs, de voir son regard de cendre s'assombrir encore, moue exaspérée et sourcils froncés.
« Tu me soules, Potter. Soit tu te calmes, soit je demande à changer de place. »
Il avait pris l'avertissement au sérieux.
A partir de là, leurs relations avaient été cordiales. Il ne s'autorisait qu'une blague par cours, une seule, choisie avec soin, avec la satisfaction – parfois – d'entrevoir sur ses lèvres l'ombre d'un sourire. Avec le temps, il découvrit que sous ses airs de fille sérieuse se cachait un ennui aussi profond que le sien, en attestaient ses bâillements discrets ou les dessins de chat qui surgissaient entre ses prises de notes. Dans un lent glissement, elle fut bientôt celle qui inaugura leurs jeux moldus, se révélant au morpion et au pendu une adversaire de taille. Pourquoi se soucier des circuits électriques quand on pouvait se faire pendre avec ANTHRAX à la place ?
En réalité, Kady n'était pas juste sérieuse. Elle mettait dans tout ce qu'elle entreprenait un niveau d'implication maximum. James se félicitait chaque jour d'être doté d'une intelligence plutôt moyenne ; si par malheur il lui arrachait la victoire, elle se renfrognait et s'enfermait aussitôt dans un silence têtu. « Bravo, t'as gagné », l'entendait-il lâcher d'une voix maussade quelques minutes plus tard.
— Il paraît que je suis sympathique, s'amusa-t-il.
— Ça t'obtiendra quelle note, la sympathie ?
— Un D.
Kady laissa échapper un rire.
— De quoi rendre ta maman très fière.
— Tu n'imagines pas à quel point !
Rajustant d'un geste son sac sur son épaule, James la suivit à travers le couloir.
— Avoue que ça va te manquer.
— Quoi, Poudlard ?
— Non, moi. Tous ces bons moments passés à mes côtés !
Sa façade extérieure était radieuse ; son cœur, lui, battait beaucoup trop vite.
— Si ta sympathie te vaut un D, alors tu n'es pas si sympathique.
Mais le regard énigmatique qu'elle lui renvoyait lui donna un peu d'espoir.
— Tu as des plans pour la suite ?
— J'adorerais travailler dans les relations internationales. J'ai postulé pour un stage au Ministère. Mais il n'y a qu'une seule place, on verra ce que ça donne.
— Je me fais pas de souci pour toi. T'es la meilleure élève de la classe. Tu l'auras, ce poste.
— J'espère, souffla-t-elle.
La plus bosseuse. La plus ambitieuse. Membre éminente du « gang de la bibliothèque », ainsi que Roxanne aimait appeler les Serdaigle. Peu présente aux soirées, elle semblait avoir toujours mieux à faire que glandouiller dans l'herbe tel l'étudiant moyen.
— Et toi, tiens ?
James ralentit le pas. La question. Après un instant passé à feindre d'être absorbé par son propre reflet dans une vitre, il se décida à lui faire face.
— Tu fais quelque chose, là tout de suite ? Avec Greg et Roxanne, on avait prévu une dernière séance de révision dans l'herbe. Si tu veux te joindre à nous…
— Oh. C'est gentil, mais j'ai promis à Ian que je le retrouverai.
Il hocha la tête, tentant de dissimuler sa déception comme il le pouvait, mais la dissimulation n'avait jamais été son fort.
— Pas de problème. A plus tard, alors.
— Salut James !
L'examen final sonnait le glas du cours d'Etude des moldus. Sans lui, James n'avait aucune raison valable de la revoir. Ils n'étaient pas amis. Rien de plus que des camarades de circonstance. Il avait cru avoir le temps... Ou plutôt, il s'était contenté de profiter de sa présence.
En la regardant partir, il comprit que c'était terminé.
- o -
A l'horizon, le soleil d'été rougeoyait dans un ciel de coton. S'il faisait moins chaud, le crépuscule chargeait l'air d'une moiteur étouffante. James essuya une goutte de sueur son front, sans quitter du regard le corbeau qui, perché sur la plus haute branche du saule, battait des ailes à contre-jour, ses pattes fermement agrippées à l'écorce.
— Il est pas net, cet oiseau.
Une bourrasque écarta la pâquerette jetée dans sa direction. James en arracha machinalement une autre tandis que le piaf, comme pris de vertige, continuait d'agiter ses plumes.
— Vous avez vu ?
Les pétales se froissèrent, puis se détachèrent entre ses doigts.
— Allez décolle...
— Tu parles aux piafs toi maintenant ?
Greg n'avait pas levé les yeux de ses notes. James eut un rictus.
— Mes amis m'ignorent. Tu ne peux pas me blâmer de m'en faire d'autres.
— Quelle drama queen, celui-là, bâilla Roxane. Va voler ailleurs, ça nous fera des vacances.
— T'entends ça, Torquatus ? A quel point ils sont méchants ?
— Torquatus ?
Il désigna du menton son ami volant (ou non-volant) titubant sur sa branche.
— Pas l'air d'être une flèche parmi les siens, ton Torquatus.
— L'écoute pas, Torqui... Elle est jalouse.
Un sourire aux lèvres, Greg avait enfin refermé son livre.
— Au fait, t'as rempli ta fiche de vœux ?
— Je sais pas ce que t'espères, lâcha Roxanne. On connaît la réponse.
— T'es dure.
A l'occasion de la convocation intitulée PRENDRE EN MAIN LES RÊVES DU FUTUR (la nouvelle directrice et son vocabulaire managérial à rallonge), Neville Londubat avait invité James à envisager ses « rêves » pour l'avenir, parce que, avait-il asséné, « vous avez bien des rêves ? » La question ne lui était jamais venue à l'esprit. Un tort, comprit-il devant la pile de brochures.
« Professeur, ça existe les gens qui rêvent de faire la plonge au Chaudron Baveur ?
— Rêver, je ne sais pas mais...
— Moi cette nuit, j'ai rêvé que je mangeais un sandwich jambon-beurre.
— ...
— Vous croyez que ça dénote un manque d'ambition ? »
Londubat, connu pour prendre son rôle de Guide – le nouveau nom des Directeurs de maison – au sérieux, n'avait pas ri. Culpabilisant de le désespérer davantage, James avait trié les prospectus et passé en revue les descriptions barbantes (« Devenez Médicomage, sauvez des vies ! »), désespérantes (« N'oubliez pas que vous pouvez être Oubliator ! ») ou carrément mensongères (« Venez étudier cette créature PASSIONNANTE qu'est le botruc forestier ! ») dans l'espoir de lui remonter un peu le moral, sans rien trouver qui vaille le plaisir doux et simple du sandwich.
Le « monde du travail » lui avait toujours paru être un monde opaque, étiqueté Réservé aux adultes, si bien qu'il avait été parfaitement heureux de ne jamais y songer. Difficile d'envisager que c'était le prochain arrêt d'un train qu'il aurait préféré ne jamais quitter.
« Là. »
Il avait écarté le prospectus sur les botrucs pour saisir celui où s'étalaient un nombre impressionnant de petites cases bigarrées.
« Vous savez, Mr Potter, que c'est un appel d'offre pour entrer chez les Tornades de Tutshill ?
— Oui ! J'ai bien reconnu le logo sponsorisé Mère Grattesec. »
Il les adulait fidèlement depuis l'âge de cinq ans.
« Les Tornades de Tutshill prennent rarement des très jeunes.
— Vous en êtes sûr ?
— Encore plus s'ils n'ont pas d'abord fait leurs preuves en deuxième ligue.
— Ah bon. »
Londubat soupira.
« Faites au moins un second vœu. C'est ce que j'essaie de vous dire.
— Plutôt balayer le terrain que de jouer pour Flaquemare !
— James... »
Même s'il était très différent hors du château – capable d'humour même, à l'occasion –, Neville Londubat conservait à Poudlard avec les enfants Potter la distance réglementaire. Le « James » lâché à mi-voix était un bon indicateur des limites de sa patience.
« En vrai, même les Frelons. C'est un club réputé mais je ne leur pardonnerai jamais la victoire en finale de l'année dernière. Graham a filé un coup de batte en douce à Frankie Sullivan ! Et l'arbitre n'a rien vu parce qu'il avait, je cite, "une mouche dans l'œil" ? Ils sont censés avoir les meilleurs Poursuiveurs du monde et ils trichent ?
— Écoutez...
— Pardon, mais je préfère rester fidèle à mes convictions. »
James sut, aux fêlures qui lézardait les yeux de Londubat, qu'il avait gagné.
« Très bien. Bonne chance, Mr Potter. »
Parmi ses amis, personne ne rencontrait ce problème. Passionné par la musique, Greg pratiquait toutes sortes d'instruments depuis toujours ; rien ne l'amusait plus que d'enregistrer des sons pour les faire surgir de toutes sortes d'objets magiques. Son plan de carrière était déjà tracé : travailler dans les enchantements pour payer son loyer, se mettre à son compte pour la vente d'instruments en tous genres et conduire à la gloire son groupe de musique de chambre composé de deux Poufsouffle et d'un Elfe de maison nommé Champi.
Roxanne étant Roxanne, une multitude de possibilités s'offraient à elle ; son Guide de maison avait insisté sur ce point : avec ses résultats, elle pouvait tout faire. « LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES RECRUTENT, SOYEZ DU VOYAGE ! » Le prospectus dévoilait une bande de quinquagénaires qui posaient mal à l'aise devant un temple Incas, elle avait trouvé l'idée marrante. Elle n'avait qu'un désir, quitter enfin Poudlard et tester sa liberté en s'évadant le plus loin possible.
Allongée dans l'herbe, Roxanne attendait sa réponse d'un air narquois. James lui offrit une grimace.
— La fiche de vœux, tu dis ? Mon hibou l'a mangée.
— Tu n'as pas de hibou.
— C'était un hibou de la volière. On a fait connaissance hier. Très sympa, le piaf. Je l'ai appelé Bob.
— Bob ? Un pote à toi lui aussi, comme Torquinus ?
— Torquatus, marmonna-t-il.
James avait utilisé Bob pour informer ses parents de son projet d'avenir, et de son plan B en cas d'échec de l'option Quidditch. Ginny Weasley ne lui avait pas adressé de Beuglante – petite déception – mais tout de même un NON en lettres capitales.
« Je pensais à Garde-Chasse... » — NON.
— J'imagine que tu n'as pas non plus tenté de trouver un stage ?
— Laisse tomber, Greg. L'ambition de Potter ici présent, c'est de vivre sous un pont vaguement confortable.
Roxanne fit mine de réfléchir.
— L'ambition de Potter... On appellerait pas ça un oxymore ?
— Très drôle, Rox.
— Tu n'as pas la moindre idée de ce qu'est un oxymore, pas vrai ?
— Te connaissant, c'est certainement offensant.
Elle éclata de rire, puis plissa les yeux pour distinguer les silhouettes qui s'approchaient à l'horizon.
— Oh.
Avant de se pencher vers lui :
— Tu sais, mon vieux, c'est pas sous un pont que tu la séduiras elle.
Greg laissa échapper un petit rire.
— Kady Parker... la voilà, ton ambition !
James rajusta ses lunettes, blâmant cette foutue myopie qui n'en finissait pas d'évoluer. Peu à peu, la forme floue s'avançait, se changeait en être humain et pas n'importe lequel. Une fille grande, élancée d'au moins sa taille, un regard de cendre et d'épais cheveux noirs lui coulant sur le dos. Le sourire de James se transforma en grimace quand il réalisa qui l'accompagnait. Ian Davis, le Capitaine de l'équipe de Quidditch de Serdaigle, surnommé, depuis qu'il avait eu la malencontreuse idée d'affubler à tous ses joueurs un qualificatif personnalisé, l'Aigle Crétin par tout Gryffondor qui se respecte – et non « l'Aigle de feu », référence à sa crinière blonde et sa vivacité sur le terrain, plus ridicule encore.
— Hé, James !
Davis ayant remporté la Coupe quelques jours auparavant, leurs relations étaient pour le moins tendues, ce qui n'empêchait pas le Serdaigle d'agiter la main dans sa direction tel le Crétin qu'il était.
— Sans rancune, pas vrai ?
Ce n'était pas tellement que Davis était si doué que ça. Cette année, entre le triangle amoureux qui avait déprimé ses trois meilleurs joueurs et l'intoxication alimentaire de son Attrapeur – un Lion Crétin qui avait trouvé malin d'ingérer des champignons ramassés dans la Forêt Interdite –, les Gryffondor avaient joué de malchance et Davis, qui avait l'avantage d'avoir un Attrapeur au QI plus élevé, avait gagné le match haut la main.
James lui offrit un sourire hypocrite.
— Bien sûr que non. C'était un beau match. Un peu biaisé par notre Attrapeur malade, ceci dit.
— C'est le jeu, on ne peut pas toujours être au top !
Ian chuchota quelque chose à l'oreille de Kady avant de la saisir par la taille – un geste plus que familier qu'elle ne repoussa pas.
— La Coupe est finie, Ian, fit-elle. Arrête de narguer l'adversaire.
James croisa ses yeux sombres alors qu'agacée par le vent, elle rattachait ses cheveux dans un épais chignon. Roxanne lui jeta un coup d'œil à la dérobée.
— Ça s'est bien passé au fait, vos ASPIC d'Etude des moldus ?
— Pour moi, oui, répondit Kady. Pour lui...
James grimaça.
— J'ai eu un D, protesta-t-il, c'est pas si mal. Les examinatrices m'ont trouvé sympa. Je les ai même fait un peu rire.
Roxanne poussa un long soupir.
— D ça veut dire Désolant, James. Pas Désopilant, je te l'ai déjà dit mille fois. Personne ne récompense ton humour.
— Ha, ha.
— N'empêche, cousin, je me suis toujours demandé...
Au regard qu'elle lui adressait, il sut qu'il n'allait pas aimer la question.
— Qu'est-ce qui t'a poussé à continuer l'option malgré ta nullité évidente ? Bizarre, non ?
Il n'osa pas regarder Kady. Non, il fallait continuer à sourire et trouver une vengeance à la hauteur plus tard. Roxanne ne perdait rien pour attendre.
— Je suis un garçon optimiste, répliqua-t-il.
— Ah, c'est comme ça que ça s'appelle de nos jours ?
Le lac. Il la jetterait dans le lac.
Elle souriait de toutes ses dents, bien consciente des mensonges éhontés de son cousin. Malgré le risque de lui confier quoi que ce soit, James n'avait pas secret pour elle, et son béguin pour Kady Parker, qu'ils avaient passé tant de temps à débriefer affalés sur le canapé de la salle commune, ne faisait pas exception.
« Elle a ri à ma blague, cette fois.
— C'est une fille bien élevée, James, elle est polie. Bon, c'était quoi cette blague ?
— Quels sont les films préférés des sorciers ?
— Les films d'Aurors, c'est ça ? (Long soupir.) Merlin, si elle craque sur ça, vous êtes tous les deux des cas désespérés. »
Pourquoi elle ? Tout en s'agaçant de son incapacité à concrétiser quoi que ce soit, Roxanne lui avait souvent posé la question. James n'avait jamais su répondre. Kady et lui n'avaient pas les mêmes centres d'intérêt, n'évoluaient pas dans les mêmes cercles, ne pouvaient pas être plus différents.
— Sinon, intervint Davis, dis-nous Potter, tu entres sur le circuit l'année prochaine ?
— C'est l'idée. J'ai demandé les Tornades.
— Première ligue, déjà ? Enfin, je suppose que ça se tente. Avec ton nom...
— Comment ça, mon nom ?
Davis haussa les épaules.
— Ben ton nom, Potter. C'est ça qui fait vendre. T'as peut-être tes chances !
Son sourire dégoulinait d'une amabilité qui lui donnait la nausée.
— Allez, à plus tard !
Davis avait posé sa main sur l'avant-bras de Kady pour l'inciter à le suivre. Ils s'éloignèrent l'un à côté de l'autre, baignés par la lumière du soleil couchant.
« C'est ça qui fait vendre. »
— Fais pas cette tête, fit Roxanne en poussant son cousin dans l'herbe. Je te rappelle que c'est Aigle Crétin qui parle, tu ne vas quand même pas lui accorder du crédit ! Mais pour le reste... outch.
— Comment ça, outch ?
— Bah, je sais pas. Il la drague ouvertement devant toi. Et tu ne dis rien !
— Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Je ne suis pas la Brigade anti-drague !
James contempla un instant l'armée de pâquerette décapitées qui s'étendaient devant lui. Plus haut, l'oiseau était toujours là, prêt à s'envoler. Ou à plonger, peut-être.
— Non, bien sûr, t'es bien mieux au Département paillasson.
L'agacement de Roxanne était perceptible.
— Ça me rend folle que tu n'aies aucun problème à braver les araignées géantes de la Forêt Interdite, mais par contre, quand il faut déclarer ta flamme à une fille...
— Ma flamme ?
— Oui, ta flamme ! Un peu de romantisme, que diable ! T'es pas d'accord, Greg ?
Le musicien sursauta.
— Rox', laisse-moi en dehors de ça...
— Il est d'accord, conclut-elle. On te traite souvent de crétin quand on discute tous les deux.
— Parce que vous discutez de...
— Bah à part toi, on n'a pas grand chose en commun.
Greg lui tapota gentiment l'épaule.
— Ce que Roxanne essaie de te dire...
— Stop. J'apprécierais qu'on ne dise rien du tout, merci ! Laissez-moi vivre ma vie comme je l'entends. Si Kady préfère sortir avec un Crétin à l'allure de surfeur Australien, je ne vois pas ce que je...
— C'est ça, mon vieux, le coupa Roxanne, continue de jouer l'indifférence. Avec un peu de chance, quand ton manque d'ambition t'aura mené sous un pont, Bob le hibou te tiendra compagnie. Vu comme t'es parti, c'est tout ce que tu mérites.
— Vous viendrez même pas m'apporter à manger ?
Roxanne haussa les épaules.
— Je te jetterais des tomates. Si t'es sage.
— Ah. C'est mort pour les tomates alors.
A côté d'elle, Greg s'étouffa de rire. Un rire contre lui, mais un rire contagieux tout de même. James se laissa tomber dans l'herbe, pensif, observant du coin de l'œil la disparition progressive du soleil. Sur les tourelles noires du château s'affichait une date de péremption de plus en plus rapprochée. A consommer avant sept ans. Une éternité. Un battement de paupière.
Sept ans et des matinées qui s'enfilent, presque identiques, ou se mêlaient sur la table du petit-déjeuner les tartines de marmelade, les fous-rires et les Beuglantes signées Ginny Weasley. Sept ans de retenues diverses et variées, de visites à la cabane d'Hagrid, de chorégraphies improvisées sur des musiques composées par Greg, de vengeances spéciales Roxanne, de glandouille sur la pelouse en si bonne compagnie.
Sept ans, bientôt.
Qu'importait cet imbécile de Ian Davis, son échec au bord de la Coupe, l'oiseau qui déployait ses ailes sans jamais s'envoler ?
Il était si bien, ici. Il n'avait pas envie de partir.
.
(A suivre)
.
Fin du prologue ! Le premier chapitre signera donc l'entrée de James dans la vie active. J'espère que ce début vous aura plu et je vous dis à très bientôt !
