Petite prévention normalement inutile... Je ne suis pas experte en plongée. J'ai théorisé, mais ce que j'ai écrit n'a pas valeur de vérité.
En dehors de ça... bonne lecture !
[Avertissement : crise de panique, juron, mention de massacre]
Chapitre 16 - Retour au pays natal
L'eau était froide et violente, les rochers se rapprochaient et s'éloignaient dès qu'elle osait ouvrir les yeux au milieu de la panique qui la submergeait. Où, quand, elle oublia vite ces questions pour s'inquiéter de son nouvel environnement. Elle n'avait pas sauté, elle en était certaine. Elle ne l'aurait consciemment jamais fait. Pourtant, elle était presque sûre d'avoir senti une pression dans son dos. La réalisation faite, elle ouvrit grands ses yeux, essayant d'émerger quelques secondes avant qu'une vague ne l'avale à nouveau.
Amaris l'avait poussée ?!
Maudissant le Zora, elle reprit vite contact avec la réalité. Elle se trouvait, bien que contre son gré, dans une rivière déchaînée, violente, qui se dirigeait les déesses savaient où. Une partie rejoignait un territoire connu, certes, mais les souterrains étaient profonds, la prudence était de mise. Plusieurs virages étaient à déplorer, elle tenta de se reprendre l'espace de quelques secondes. Le courant la happait sans possibilité de mouvement, elle n'avait pas la moindre idée de comment s'en sortir.
Les dédales sculptés continuaient sans interruption, à l'image d'un décor monotone, les rochers n'en devenaient que plus solides, elle dut plonger volontairement pour éviter de se prendre un plafond bas. Ressortant quelques secondes plus tard, de l'eau s'étant infiltrée dans ses poumons, elle cligna des yeux, cherchant un repaire. Rien, juste des rochers, de l'eau, des poissons filant dans les courants sous-marins avec une fluidité qui la rendit jalouse. Elle essaya à nouveau de nager, peine perdue. L'eau la poussait dans des directions aléatoires, sa jambe cogna un caillou.
Feulant de douleur avant de retomber plus profondément dans les ténèbres mouvantes, Link ferma les paupières, cherchant dans sa mémoire le geste à appliquer dans cette situation. Les Jujus étaient fous, c'était connu. Ils avaient développé des méthodes de survie si hétéroclites que personne en dehors de leur peuple n'aurait l'idée de les réaliser, où tout simplement à chercher à se mettre dans la situation nécessitant ces dites-méthodes. Pourtant, malgré toutes les mises-en-garde qu'ils pouvaient recevoir, le constat était que le peuple aux yeux jaunes n'était toujours pas mort, tué par une de leurs trop nombreuses cascades. Ils survivaient toujours.
Les prendre comme exemple dans une situation extrême semblait être une relative bonne idée.
Fouillant dans ses souvenirs, elle se rappela d'une fois où un vieil homme de la capitale racontait son passé. L'anecdote remontait à son enfance, le jour du procès, juste après que Marion et elle étaient sorties du bunker. Le vieillard parlait de sa jeunesse et des nombreuses fois où il avait volontairement frôlé la mort. Parmi elles, il y avait une histoire durant laquelle il s'était jeté dans la rivière Bel.
Si les informations étaient bonnes, celle-là même.
Bien que les remous soient plus nombreux, sans doute, dans la situation actuelle, elle pouvait prendre pour modèle sa technique. La surface était violente, plonger était le meilleur moyen de retrouver le contrôle de son corps.
Prenant une profonde inspiration, elle alla au plus profond.
Les courants sous-marins étaient toujours forts, impétueux, mais plus praticables que ceux de la surface, il lui était plus simple de reprendre le contrôle de son corps. Link se sentit sourire malgré elle, même avec la violence récurrente des rapides lui fouettant le dos, elle pouvait déjà maîtriser les mouvements de ses membres. Elle alluma sa lumière, et commença à suivre le courant. Le vieil homme l'avait dit, dans une rivière, il valait mieux laisser la direction à l'eau plutôt que de se battre contre elle. Qu'importe comment, tu serais toujours le perdant.
Alors, quitte à nager, autant le faire dans le sens de la rivière.
Sentant qu'elle ne pouvait plus retenir sa respiration, elle activa la perle d'eau, profitant des dernières secondes de calme avant de remonter chercher de l'air. Un nouveau paysage s'offrit à son regard, la grotte ne semblait jamais avoir de fin.
Elle savait qu'elle allait mourir.
Devant elle, se rapprochant dangereusement rapidement, se déversait une cascade. Impossible de déterminer sa taille de là où elle était, il fallait qu'elle essaie de trouver comment ne pas se briser les os au moment de l'inévitable chute. Pas la tête, certainement pas un plongeon, elle opta pour les pieds.
C'était peut-être la bonne méthode, pensa-t-elle en atterrissant au contrebas.
Respirant à nouveau, profitant d'une accalmie bienvenue, elle secoua ses pieds. La chute n'avait heureusement pas été si haute, elle pouvait réfléchir plus ou moins posément à quel embranchement prendre. L'un menait au territoire Rosarien, le second pourrait l'emmener encore plus loin dans les souterrains. Elle n'avait strictement aucune idée duquel il fallait emprunter pour sortir.
Une manœuvre maladroite, elle parvint à se diriger pour la droite.
La rivière commençait à calmer son intensité, ses gestes se firent de plus ou en plus assurés. Elle grimaça. Heureusement qu'aucun monstre n'avait eu l'idée d'apprendre à nager dans les courants violents. Si cela avait été le cas, elle serait sans doute morte à l'heure actuelle.
Néanmoins, toute cette expérience - de mort imminente - conforta sa confiance. Si elle s'y prenait bien, elle avait une chance de survie. Dans tous les cas, elle l'espérait. Il fallait qu'elle retrouve Amaris plus tard pour lui faire entendre ce qu'elle pensait de ce bain forcé.
Passant sous quelques arches spectaculaires de coraux, mousses et formes burlesques, quelques fragments de pierres précieuses tapissant le sol accidenté, elle aperçut enfin une lumière. Se rapprochant du bord et des quelques brins d'herbe commençant à remplacer la roche, elle plissa les yeux, cherchant à reconnaître le paysage qui apparaissait sous un éclat lumineux...
Son souffle se coupa, elle en oublia presque de rester à la surface.
Là, tout autour d'elle, au delà même de la portée de son regard, s'étalaient de grandes plaines verdoyantes entourées de vallons et collines douces. Un vieux moulin dominait une bute si petite qu'elle en était risible, elle était sûre d'apercevoir les restes d'un village au loin. La rivière passait sous un pont démoli, construit en une architecture qu'elle ne connaissait que trop bien...
Juju.
Le vieux Juju.
Sortant du courant bien plus doux qui s'était instauré depuis la sortie des souterrains, Link admira silencieusement un paysage qu'elle avait quitté des années auparavant, le même qui s'élevait toujours, même avec le temps passé, en une gigantesque mer de verdure. Une nuit de fête, des maisons en feu, des hurlements recouvrant la musique, des flammes atteignant le ciel... Une tour de guet qui s'écroulait sous l'assaut de la violence.
La première fois que l'humanité avait été confrontée aux monstres avait eu lieu en ce pays abandonné.
Les herbes hautes et autres plantes folles avaient repoussé en des champs d'émeraude étincelant d'un éclat éblouissant sous l'assaut du soleil, elle pensait revoir ces campagnes dorées dans lesquelles poussaient des cultures diverses, broutaient des vaches, couraient des cocottes...
L'eau coula sur sa joue, elle reconnut tardivement les larmes.
Juju.
Son Juju.
Le vieux pays massacré vivotait par de lourdes couches de verdure et de ruines délaissées, sous le regard pâle d'un soleil qui ne cessait jamais de se lever. Le moulin grinçait, ses pales ne bougeaient plus, figées sous le lierre qui les recouvrait. Plus loin, une éolienne indiquait un lieu de culte sans aucun doute saccagé.
Le vent soufflait sur la vallée de la déesse verte.
Tellement subjuguée par son observation, elle manqua presque le bruit d'éclaboussures derrière elle. Dégainant son langsax après s'être rendue compte que Fay manquait à l'appel, elle fit face à celui qu'elle voulait désormais étriper.
- Eh bien, tu as survécu ? S'amusa Amaris en égorgeant l'eau des quelques tissus qu'il portait.
Il faudrait qu'elle l'imite, mais ce n'était pas ce qui lui passait par la tête en ce moment.
- Tu. Es. Fou. Articula-t-elle difficilement.
Cet homme avait un problème. Elle reconnut tardivement, et ce même après avoir aperçu son épée longue posée à ses pieds, comme s'il l'avait récupérée au moment de sa perte, de quel type de personne il s'agissait. Le genre qui serait capable de faire tuer ses alliés en s'en fichant complètement.
Et le pire ? Ces personnes ne se rendaient même pas compte de ce qu'elles faisaient de mal.
Le Zora ne parut pas s'en offenser car il se contenta de hausser les épaules avant de regarder autour d'eux.
- Il semble que tu ais préféré Juju à Rosa. Pas un mauvais choix.
- Tu penses que je savais où j'allais ?!
Il ne répondit pas, se contentant de marcher plus loin dans la campagne inhabitée. La vagabonde le regarda silencieusement, Fay récupérée et fermement attachée à sa taille, avant de vérifier ses autres affaires. Son pantalon déplorait de nouvelles déchirures, ses tibias étaient en sang. Cela sans parler de ses bras tirant de douleur, ni de sa tête battante, annonçant une future migraine. Ses objets avaient heureusement été plus solidement accrochés que son épée, elle grimaça en apercevant l'état de sa plume vermeille. Ses cheveux devaient être dans un état similaire.
Encore une fois, elle pensa à les couper.
Retirant l'eau du fourreau, elle put enfin rengainer son langsax avant de s'avancer dans la plaine. La rivière coulait joyeusement, seulement stoppée par quelques rochers, vestiges des ponts qui l'enjambaient autrefois, elle put presque oublier la violence de la rivière souterraine. Presque. Ses membres la faisaient encore souffrir.
Epuisée par tout cela, elle attrapa une potion de son sac, le nez froncé par le goût. Aigre. Néanmoins, la douleur se fit plus supportable, elle put continuer à marcher sans risquer de s'écrouler à cause de la commotion cérébrale qu'elle se promenait depuis quelques minutes.
Arrivant au sommet de la bute, juste à côté du vieux moulin, elle retrouva Amaris occupé à admirer un bâtiment en ruines. Ce devait être une grande maison, peut-être un orphelinat, sinon une clinique. Seule la capitale possédait des villas, et ce village ne paraissait pas très grand.
Si elle ne se trompait pas, ce qui était possible étant donné que son orientation avait pâti de la nage difficile, ce devait être le Nord de Juju. Pas l'endroit le plus touché par le massacre, les Rosariens étaient intervenus pour empêcher le pire, tout comme les Bongos au Sud, mais les traces du carnage n'avaient jamais disparu. Néanmoins, certains patelins n'avaient pas bénéficié de l'aide à temps. En soit, c'était parfaitement logique. Jusqu'à présent, personne n'avait eu l'idée de s'en prendre aux Sheikahs. Les trois peuples, séparés, s'illustraient comme des combattants exceptionnels, en particulier les Jujus, mais unis ? Leur armée était sans doute la plus puissante du monde.
Malgré leur lien, la violence et la soudaineté de l'attaque avaient été telles que leurs voisins les plus proches n'avaient sans doute pas suspecté immédiatement ce qu'il se passait. Quand ils comprirent que les brasiers envahissant le pays du vent n'étaient pas normaux, il était trop tard pour les peuplades du centre. La capitale avait été réduite à l'état de gravas, brûlée jusqu'à ce que les fondations disparaissent sous d'épaisses couches de cendres et de corps.
Ce village se trouvait encore trop proche de la frontière Rosarienne pour avoir subi un sort similaire à celui de ses confrères, elle se rappelait des restes carbonisés de son propre hameau avec une clarté traumatisée. Étant le premier touché, le territoire de Juju était devenu celui de ces créatures, à tel point que les expéditions pour la fontaine de Farore, cachée au cœur de la campagne, avaient cessé. Link réfléchit quelques secondes. Prier sur la plus grande statue de sa déesse ne serait sans doute pas une mauvaise initiative.
S'épargnant la vision horrifique de l'intérieur d'une chaumière cabossée, elle continua son exploration des ruines. La vieille fontaine voyait son idole détruite, sans doute cela avait été un renard. Un peu d'eau croupie reposait dedans, sûrement due à l'eau de pluie plutôt qu'aux restes du rejet clair d'il y a dix ans. Il n'y avait tout simplement plus rien de notable, juste des maisons cassées, carbonisées, encore recouvertes du liquide sanglant qui avait coulé, les carcasses avaient été retirées des années auparavant par des courageux venus rendre honneur aux victimes. Une bombe avait explosé non-loin de la place centrale, les quelques pavés avaient été retournés sous la terre et la gadoue.
Elle se souvenait d'une époque durant laquelle elle trouvait ce pays beau, sous l'assaut du soleil, et les sourires ce ceux qui le peuplaient. Elle se souvenait d'un temps où son village ne craignait rien, protégé par des guerriers aux rires éclatants et aux lames si grandes.
Demise était mort, il avait été le premier corps qu'elle avait reconnu.
Elle se rappelait d'un temps antérieur durant lequel elle pensait que tout était bon, où l'innocence des enfants ressemblait en tout point à celle des adultes. Elle se rappelait d'une époque durant laquelle se propre mère marchait encore, blaguait de ses bêtises, et où les seuls ennemis qu'elle croisait n'étaient autres qu'un poulet facilement énervé ainsi qu'un vieillard grognon.
Vaati était mort, elle avait trouvé son cadavre juste au dessus de celui d'une femme qui venait d'enfanter.
Les ruines témoignaient d'une époque similaire, d'une inconscience qui n'aurait jamais dû être mortelle. Des graffitis amusants décoraient un vieux mur d'enceinte, sans doute là plus pour retenir d'éventuelles vaches que pour menacer qui que ce soit.
Taketi était morte, elle entendait encore ses cris.
Un jour, ils avaient eu le malheur d'allumer le monde de leurs frères punis, de rêver d'éclairer une étendue sans soleil. Ils avaient eu l'audace de chanter et de danser, de rire, de s'amuser. Ils avaient attisé des flammes colorées, dans un schéma précis, un souvenir, une promesse sincère de les faire sortir. Ils avaient osé espérer.
Hinné était morte.
En cette nuit d'apocalypse, un homme était venu. Elle s'en rappelait. Marchant dans le sang dégoulinant, l'épée gorgée de ce même liquide suffoquant, la voix profonde et indifférente. Les monstres lui obéissaient, grognant, tuant, massacrant. Elle entendait les suppliques, les enfants appelant leurs parents, les hurlements de ceux qui comprenaient ce qu'il se passait, leur sort prochain. L'incompréhension générale, l'unique question qui résonnait encore, des années après, dans les trois peuples aux cheveux blancs, pourquoi ?
Hylia disait savoir. Au final, la prêtresse était aussi ignorante qu'elle.
En une nuit, Juju s'était écroulé, avait plié genoux à terre, saigné comme il ne l'avait jamais fait, et ne le ferait sans doute plus jamais. Il n'avait fallu qu'une nuit, quelques heures, le temps d'une lune, pour que les chansons se muent en cris, que l'étincelle des étoiles ne disparaisse sous les flammes agressives. Une nuit, une nuit seule, rien que cela, et le monde avait changé à jamais.
Car c'était ainsi. Les monstres étaient apparus, une nuit, commettant le carnage le plus sanglant de l'histoire du monde.
(Des années, des siècles, des millénaires plus tard, on parlerait encore des rivières taries, des corps sanguinolents, des innocents sacrifiés. On chuchoterait la terreur induite par la lune sanguinolente.)
Elle avançait désormais, dans un silence complet, au cœur d'une tombe à ciel ouvert. Les corps avaient brûlé, mais tous ceux qui s'étaient aventurés ici avaient fui. Trop de sang, de souvenirs. Trop de rappels.
Voilà pourquoi cette terre n'était plus habitée.
Ravalant la bile amère qui commençait à prendre sa gorge, Link leva les yeux vers les nuages, espérant se changer les idées. Peine perdue. Juju était mort, ses survivants n'avaient pas osé retourner vivre sur leurs terres. Le peuple du Courage n'avait pas peur, normalement. Les Sheikahs aux yeux jaunes étaient les plus téméraires de tous, normalement. Ils sautaient des falaises abruptes en ne pensant qu'à jouer, plongeaient dans les rapides sans pour autant savoir nager. Ils combattaient les monstres depuis des années, avaient été les premiers à les recenser. Les compagnies mercenaires les plus efficaces étaient composées de Jujus, sinon de ceux ayant été élevés dans leur culture.
Pourtant, face à ce silence mortel et ces ruines immobiles, ils avaient fuit.
Et elle aussi, elle le voulait. Fuir.
Fuir la peluche à moitié pourrie qui traînait dans un creux terreux.
Fuir la maison ouverte par une explosion, révélant un intérieur déchiqueté.
Fuir la place sur laquelle pouvaient encore être vus des restes sanglants.
Fuir un pays tombé.
S'éloignant rapidement du village figé dans le temps, elle laissa son regard balayer les montagnes du Mont Péril s'étendant tout proche, la flore particulière rappelant le pays des Cascades. Il fallait qu'elle parte, qu'elle retrouve Hylia à la capitale, ne serait-ce que pour calmer Petra. Le beau célestrier devait être inquiet depuis l'éboulement, il fallait la chercher le plus rapidement possible. Pour que l'autre ne pense pas, pour la seconde fois, à sa mort, pour lui éviter un deuil inutile.
Oui, elle devait fuir.
Amaris semblait être parti à la recherche d'une rivière à remonter pour rejoindre son propre village, elle se mordit les lèvres jusqu'au sang. Juju avait survécu, reconstruit une capitale en la cité de Magdatéré, dans l'ancien Hyrule. Ils n'étaient pas morts, n'avaient pas disparu sous l'assaut imprévisible des monstres et de leurs maîtres.
Cet endroit était un mensonge, ces ruines ne racontaient rien.
Mais elle niait la réalité.
Cette nuit-là, ceux qui avaient saigné n'avaient pas été les monstres, mais un peuple.
Et ces monstres étaient autrefois des représentants de ce peuple.
Rien n'avait de sens, absolument aucun. Comment des Jujus pouvaient-ils tuer d'autres Jujus, pourquoi massacrer des innocents, inconscients de cet avenir impossible ? Elle ne comprenait rien, cela ne pouvait pas être vrai. Les prisonniers du Crépuscule ne pouvaient pas vouloir tuer leurs frères, la raison pour laquelle ils avaient voulu s'approprier la Triforce était pour les protéger ! Alors qui ? Qui était le coupable ?
Kohana, lui souffla une petite voix. Kohana et ses deux alliés, le mage aux yeux rouges et la Takeih aux plumes mauves.
Elle s'arrêta sur cette pensée, réfléchit.
Kohana.
Celui qui avait décapité sa mère.
Le même qu'Hylia appelait le Destructeur de monde.
L'homme que Samada nommait l'Etranger venu d'ailleurs.
Tout semblait faux.
Comment aurait-il pu transformer puis forcer des Jujus à tuer leurs frères ? Un mage, non, la Takeih, sans doute, en aurait été capable, et même alors, il manquait quelque chose. Cette quête pour la Triforce sortait de nulle part, n'avait pas de fondement précis. Aucune explication jusqu'à présent n'allait dans le même sens, ce n'était pas logique. Hylia en faisait les monstres à abattre. Samada leur cherchait une raison plus obscure.
Tout ce dont elle, elle pouvait se rappeler, était un cadavre tombant sur l'air d'une vieille comptine.
Se reprenant lentement mais sûrement, Link essuya les larmes chaudes coulant sur ses joues. Rien n'était logique, elle était baladée d'un bout à l'autre de la carte sans que personne ne puisse comprendre le début de toute l'histoire. Ce n'était pas juste, elle n'aurait pas à faire tout cela, normalement. Si tout se passait bien, les quatre esprits de Lumière se seraient avancés pour arrêter l'ennemi, sinon auraient appelé les déesses d'or, sans doute ignorantes de ces ennemis. Ils n'avaient pas hésité à punir les Sheikahs, elle ne voyait pas ce qui les retenait en ce moment.
Elle ne devrait pas avoir à combattre des dragons fous, à courir libérer des prophétesses plongées dans cette incompréhension mortifiante, à protéger une prêtresse ne sachant rien du monde actuel. Elle avait dix-sept ans, deux années de voyage à son actif, c'était la première fois qu'elle se retrouvait seule en pleine nature.
Elle ne devrait pas avoir à sauver le monde quand des divinité avaient le devoir de remplir ce rôle.
Et pourtant, elle était là, au cœur d'une nation massacrée, à tourner le dos à l'évidence alors qu'un tombeau à ciel ouvert reposait derrière elle, le corps recouvert de cicatrices, les questions trop nombreuses bouleversant sa réflexion.
Pourquoi avait-elle accepté d'aider Hylia ?
Elle plongeait de plus en plus dans une spirale, incapable de se sortir ses souvenirs de sa tête, à revoir, encore et encore, les scènes se répéter les unes après les autres. Demise, Vaati, Taketi, Hinné. Et maintenant la compagnie mercenaire, abandonnée, complètement anéantie dans une vallée explosée par un dieu devenu fou. Comment un mortel était-il parvenu à commettre un tel crime ? Cela lui échappait, ce n'était pas crédible.
(Des siècles, des millénaires plus tard, ses questions ressembleraient à des excuses. Tellement habituée à combattre des monstres et à faire face à des démons aux motivations douteuses, l'humanité ne comprendrait plus cette incompréhension primordiale, le doute qui paralysait quiconque de cette époque qui y pensait trop. Fay ne serait plus que l'outil d'une guerre sans fin, le diable prendrait un nouveau visage.
Plus personne ne se rappellera de Juju.
Les prophétesses disparaîtront de tout.
Nul ne saurait jamais qui était le premier héros.
Pas qu'à cet instant, elle porte ce titre. A ce moment-là de son histoire personnelle, elle n'était qu'une jeune femme Hylienne abandonnée dans la nation de son enfance, traînant une mission complexe dans son rôle de mercenaire au service d'une femme divinisée, peut-être injustement, personne ne pourrait le dire. Perdue dans ses craintes, Farore n'avait pas encore choisi l'élu pour porter sa marque, la déesse ne pensait sûrement pas à la nécessité absurde de sauver un monde qu'elle et ses sœurs avaient construit si parfait.
Les déesses ignoraient encore tout de ce qui deviendrait plus tard une sombre tradition.)
Un hurlement déchira le ciel, la sortant de sa torpeur malade. Elle leva la tête, la crise passa. Un oiseau rouge, aux ailes étendues cachant le soleil et au cri familier l'accueillit, le soulagement la fit pleurer.
- Petra !
Son amie descendit vers elle, l'entourant d'une étreinte plumeuse. Petra était ainsi, elle aimait les câlins, la bonne entente, les sourires. Elle se ridiculisait pour pousser le rire, se faisait toute petite pour rassurer autrui. Elle laissait les enfants toucher ses plumes, roucoulait d'un son calme à ceux qui hésitaient à l'approcher.
C'était Petra. Son amie. Elle avait survécu au massacre, et était revenue la trouver.
Petra était réelle. Pas le fruit de ses pensées, rien de plus que réelle.
Elle laissa les larmes couler, s'enfonçant un peu plus dans son cou découvert.
Elle n'était pas seule.
Il lui fallut un long moment, sans doute trop long, pour qu'elle retrouve son calme, mais après de profondes inspirations entrecoupées de gazouillis rassurants, elle parvint à sécher ses pleurs. Le célestrier tapota son bec sur sa tête, la faisant glousser.
- Je vais mieux, merci.
Sa voix encore enrouée, elle s'étrangla légèrement, mais son sourire était sincère. Si Petra était réelle, alors les survivants aussi, l'étaient. Jujus n'était pas mort, il avait survécu. C'était une évidence, elle ne savait même pas comment elle avait pu penser le contraire. Le silence de la contrée venteuse les englobait toujours, mais cette fois, c'était supportable.
Parce que Petra faisait bruisser ses ailes, pépiait devant les fleurs, s'enthousiasmait d'un caillou difforme. Elle amenait de la vie avec elle, échappant à l'entrelacement morbide qui prenait le pas sur la conscience de son amie. Elle gloussa légèrement en voyant la grande oiselle paraître surprise quand un papillon se posa sur son bec, avant d'éternuer bruyamment.
Petra était là.
Link respira un grand coup avant de se retourner vers les ruines. Son amie lui lança un gazouillis inquiet, elle tenta de prendre un air confiant.
- Je... Je veux voir s'il y a quelque chose d'utile. Au moins dans les restes de la tour de guet.
Chaque ville et village de ce territoire possédait au moins une tour de guet, surtout ceux aux abords des frontières. Les Rosariens n'avaient pas été un grand problème durant la guerre, au contraire des ennemis provenant du Mont Péril, à une dizaine de kilomètres de là. Pour un village aussi proche des rochers stériles, celui-ci devait posséder une ou deux affaires intéressantes, peut-être des bombes pour remplacer celles dont la poudre avait trempé.
Elle contourna les ruines, Petra lui interdisant consciencieusement le chemin le plus court à renfort de coups d'aile ludiques, pour arriver à celles qui l'intéressaient. Placée en dehors de l'enceinte du hameau, la vieille tour de guet accueillait auparavant la torche censée illuminer le ciel d'un monde de crépuscule. Elle avait été mieux conservée que celle de son propre village. Resté partiellement debout, le nid de pied tombé mais le deuxième étage semblant relativement intact, l'ancien bâtiment de surveillance craquait sous les bourrasques violentes sans pour autant s'écrouler.
Les planches de l'étage, une fois la façade grimpée, avaient pourri, bien pire que ce qu'elle avait vécu des années plus tôt, marcher tenait du problème. L'oiselle rouge s'installa sur la roche, faisant attention à l'endroit où elle posait ses pattes. Link, elle, trébucha entre les lattes endommagées pour rejoindre l'endroit qu'elle jugeait intéressant. Il semblait qu'elles avaient toutes été construites sur le même modèle : un rez-de-chaussée encombré de vieilles fournitures, un premier étage comme lieu de vie, un deuxième pour attaquer, et un nid de pie pour surveiller. Dans celle de son enfance, il n'y avait rien au deuxième.
Quand elle entra dans celui-ci, son sang se glaça.
Peut-être que ces témoignages ressemblaient à ceux que Sauro avait lu, lors de leur exploration. Des récits gravés témoignant d'une violence qu'elle ne connaissait pas, des situations cruelles, des noms notés aux côtés de dates. Tout était là pour raconter une époque où l'animosité faisait la loi. Juju était pacifiste, se rappela-t-elle, mais cela ne voulait pas dire qu'ils s'étaient laissés faire. Surtout pas quand, inévitablement, des Hyliens avaient fui les conflits pour un lieu plus sûr.
Petra l'appela, inquiète.
Elle baissa la tête, laissant son regard explorer le plancher noir. Plusieurs trous jonchaient le sol, certaines planches menaçaient de tomber à tout moment. Le premier étage, lui, apparaissait plus propre, sans pour autant avoir été épargné par le passage du temps.
Descendant prudemment dans les profondeurs de la tour, elle gloussa de surprise en voyant Petra s'agripper à la roche pour continuer à la surveiller. La pièce de vie n'était pas bien grande, tous les meubles avaient été retirés. Quelques armes avaient été déplacées, comme si les habitants de ce village étaient parvenus à rejoindre ce bâtiment et à attraper des arcs et des flèches dans l'espoir de stopper l'avancée inévitable de créatures jusque là inconnues. Elle s'imagina la scène, ce devait être le cas. Des marques brunes tâchaient le sol et les murs.
Pratiquement tous les arcs se trouvaient en mauvais état, sauf un. Elle s'en approcha calmement, curieuse. Il ne semblait pas bien différent des autres, pourtant le temps et les intempéries n'avaient pas eu raison de lui. Cela n'avait pas de sens, mais il était là, abandonné au milieu d'un tas de flèches pourries, son carquois ayant survécu d'une manière ou d'une autre à ses côtés.
Un cri lui échappa quand une lumière soudaine éclata du bois sculpté, les planches s'écroulèrent sous son poids. Vaguement, alors qu'elle tombait, la mercenaire entendit un hurlement indigné et des raclements de serres contre la roche.
Reprenant conscience, elle parvint à éviter une chute abrupte sur le dos. Le niveau n'était pas très haut, elle réussit à tomber sans réelle blessure sur les pieds. Le rez-de-chaussée s'écroula à son tour, cette fois, elle sentit bien ses chevilles souffrir de l'atterrissage.
- Mais putain ?!
S'extrayant du trou plus ou moins difficilement, Link envoya un regard mauvais au plancher sombre. D'un côté, elle l'avait cherché, oui, car qui de sensé marcherait sur un sol aussi instable ? De l'autre, elle en voulait à la gravité. Intérieurement, elle chercha qui avait pu créer ce concept ennuyeux. Din sûrement.
L'arc semblait avoir été épargné de la violence des dégâts, elle l'attrapa enfin. Des runes décoraient le corps principal, de la lumière s'infiltrait dedans. C'était étrange. Comme une résonance, comme si elle était censée le tenir. Il paraissait banal, indubitablement, même avec ces marques. Pourtant, fascinée par ce nouvel objet, elle ne put s'empêcher de l'admirer.
Le bois n'avait pas pourri, ni pris le moindre soupçon d'impact, tandis que les griffures amélioraient très clairement sa puissance et sa résistance. Sûrement était-ce pour cela qu'il n'avait rien, bien que ce ne devait pas être la raison principale. En voyant la corde toujours tendue - un véritable arc se serait brisé depuis des années avec une position pareille - brillant d'un éclat pâle, elle comprit.
L'ancien propriétaire avait eu la merveilleuse idée de le jeter dans la fontaine de Farore.
Gloussant du culot qu'il avait dû falloir pour réaliser un tel exploit, elle finit par se saisir du carquois. L'objet de cuir avait tenu dix ans, il aurait besoin de soin. Contrairement à l'arc, celui-ci paraissait parfaitement normal.
Des peintures rustiques avaient été dessinées dessus, le cordage devait avoir été réalisé avec goût. Elle sourit, contente de ses trouvailles, avant d'empocher le tout. Autant elle voudrait utiliser l'arme, autant elle ne possédait pas de flèches, ni de compétence pour en réaliser. Qui plus est, dans son ancien groupe, ce n'était pas elle, l'archère.
Franchement, dire qu'elle avait besoin d'entraînement ne serait pas faux.
Petra l'attendait près de la porte défoncée - elle ignora le fait que ce devait être les monstres qui l'avaient ouverte - elle lui montra le magnifique objet. Sans être une grande amatrice de chasse, ni de tir à l'arc, Link savait encore reconnaître l'art d'un maître quand elle en voyait un.
Grimpant sur l'oiselle rouge, elle jeta un dernier regard aux plaines verdoyantes. Grands, gigantesques, les vallons herbeux s'étendaient en une mer chatoyante de vert. Les ruines disparaissaient sous l'assaut de la nature, elle sourit.
Farore aimait tellement la vie qu'elle avait créé la mort. Non pas parce qu'elle voulait faire souffrir sa création.
Parce que tout début nécessitait une fin.
(Des millénaires plus tard, descendant d'une île flottante à la recherche de sa meilleure amie, le premier héritier d'un titre brumeux trouverait un arc semblable, porteur de marques étranges paraissant briller. Dans sa main, il jouait d'une familiarité douteuse.
Il faudrait attendre encore plus longtemps pour qu'un à un, chacun des élus d'une déesse au souffle vivifiant trouve celui qui fut l'arme d'un héros oublié.
Toutes leurs quêtes, par contre, sont une autre histoire.)
Prochain chapitre : le roi Zora !
