Je suis de retour, avec aucune excuse... j'assume ne pas aimer écrire les combats (je préfère les descriptions, par contre...). Dans tous les cas, le combat de boss est enfin là.

Bonne lecture !

[Avertissement : légers jurons]


Chapitre 19 - Le démon de l'eau

Les escaliers en colimaçon grimpaient de telle façon qu'ils formaient une sorte de sculpture de glace au centre du temple désormais ouvert à la lumière extérieure. La chaleur étouffante qu'elle pouvait encore ignorer auparavant jaillissait hors de la fontaine par vagues accablantes, elle pouvait l'apercevoir envelopper l'ensemble du bâtiment dans une brume épaisse et désagréable. Les torches bleues frémissaient sous l'assaut du torrent brûlant. Link elle-même, bien que possédant une certaine résistance aux températures extrêmes et aux changements soudains, vivait mal l'atmosphère soudainement écrasante du lieu. Le reste du pays des Cascades regorgeait d'une fraîcheur bienvenue, tirée directement des ruisseaux et autres courants d'eau traversant le paysage, un parfait contraste avec cette humidité couplée à la canicule, lui rappelant une ambiance tropicale particulièrement horrible.

La mercenaire fronça le nez, secoua les pieds, et tira sur le col de son haut le plus sombre. L'ascension finale la guiderait directement à la tour aperçue plus tôt, là où le monstre se terrait. Peut-être y croiserait-elle l'un de ses adversaires. La Takeih, sinon le mage, peut-être Kohana. Quel qu'il soit, elle espérait juste ne pas avoir à l'affronter en même temps que le démon. Vaincre ce colosse serait déjà une tâche complexe, y ajouter un adversaire ne la sauverait pas.

Surtout si la Takeih s'avérait aussi dangereuse que Laos.

Elle inspira une fois, faisant un dernier tour du souterrain pour être sûre. Rien de nouveau, il fallait monter. Les roches semblaient prendre vie sous l'assaut du soleil recouvert par son voile d'eau, ses pas claquaient contre la glace sculptée. La magie embaumait l'endroit tout entier, le contraste entre la fraîcheur des marches et l'atmosphère torride la surprit, elle se concentra sur ses pieds. Pendant un douloureux instant, elle sentit son pied partir en avant, glisser sur la plaque solide, et achever sa course dans le vide. Une grimace la saisit à l'atterrissage, heureusement n'était-elle pas encore très haut dans sa montée. La chute s'était avérée petite.

Se redressant aussi adroitement que possible, la jeune femme reprit l'escalade. Le sommet se profilait en un plafond bleu scintillant de lumière, comme si une troisième plaque de glace s'était ouverte grâce aux perles récupérées, et avait révélé un chemin vers le toit. Cette fois-ci, elle fit de son mieux pour garder l'équilibre et ne pas précipiter une chute risquée vers un sol de plus en plus éloigné. Quelques glissades furent à déplorer, elle parvint finalement à revenir au rez-de-chaussée. Rien de nouveau ici aussi, juste l'air chaud qui ne cessait d'étouffer l'endroit.

L'ascension pour le toit sembla durer une éternité, alors qu'elle parvenait enfin à atteindre ce lieu. D'une manière ou d'une autre, là, sur la terrasse laissée à tous les vents, avec une vue imprenable sur le lac de Nayru, elle aperçut une ouverture au travers de la cascade dangereuse. Un auvent de glace permettait d'y accéder, la matière semblait la même que celle des marches. De même, à l'intérieur de la tour recouverte d'un linceul aqueux mais sans aucun doute mystique, s'élevait un troisième escalier blanc, entourant cette fois le jet d'eau divin. Un grondement sourd résonnait dans ses oreilles alors qu'elle continuait à gravir les plaques gelées. Son souffle était court, ses mouvements tremblants, elle ne pourrait pas compter sur son ouïe pour l'aider durant ce combat.

Le rugissement des flots lui rappelait, aussi lointain que cela puisse paraître, une tempête déchaînée.

Finalement, après ce qui sembla être une éternité, elle arriva face aux dernières marches. Un auvent fait dans cette même matière froide qui la suivait désormais lui permit de se glisser au travers du jet d'eau pour atteindre le dôme normalement gelé. Son regard étudia son nouvel environnement.

La fontaine se déversait au dessus de sa tête de façon à ne jamais laisser apparaître l'extérieur. Impossible de voir le ciel, d'étudier la position du soleil, voire de découvrir ce qu'il se passait dehors. L'eau tombait drue, lourde, violente, et embourbait le toit entier d'une flaque glissante, profonde en de rares endroits, comme si la créature qui scellait la prophétesse avait creusé des sillons et des fossés pour la piéger. La dite-bête ne se trouvait nulle part dans les environs, du moins n'était pas perceptible en l'état. Seule une femme se riait d'elle.

Grande, titanesque, imposante. Ce furent les trois adjectifs parfaits qu'elle trouva pour décrire la Takeih aux plumes mauves délavées. Un casque à la visière sculptée en forme de bec lui tombait sur le visage, recouvrant ses expressions faciales de façon à ce que seul un sourire carnassier puisse être aperçu. Ce qui troubla Link, alors qu'elle étudiait ses muscles puissants et ses serres acérées, était un fait aussi connu qu'inutile, qui ici, prenait un sens étrange. Les Takeihs se divisaient traditionnellement en deux catégories : les migrateurs et les sédentaires. Leurs couleurs variaient en fonction de leurs habitudes de vie. Ceux préférant la chaleur prenaient une teinte vibrante, chaude, à l'image de Taketi, la Takeih de son enfance, tandis que les autres arboraient un aspect plus terne, froid. La façon dont les plumes les recouvraient jouait également. Les migrateurs en possédaient naturellement moins que les sédentaires.

Ce que la mercenaire trouva étrange, ici, dans l'apparence globale de cette femme terrifiante, était le paradoxe qu'elle représentait. Son manque de plumes était flagrant, sa couleur de peau était riche, elle devait être du type migrateur. Mais la teinte de son plumage était lissé de mauve, un mauve sale, gris, comme pour se camoufler dans les hauteurs enneigées. Il manquait quelque chose, un élément, tout criait qu'elle n'était pas normale.

Son rire était cinglant, aussi tranchant que ses plumes devaient pouvoir le devenir.

- Bah alors, t'as pris ton temps !

La femme inconnue souriait follement, son attitude toute entière était tournée vers le jeu. Comme si la vagabonde n'était qu'une proie de plus, une souris avec laquelle elle pourrait s'amuser jusqu'à l'ennui.

Link ajusta sa prise sur Fay, la gorge serrée d'appréhension.

- Tu veux libérer la prophétesse, c'est ça ? Ça va pas être possible !

Cette conversation ressemblait à une autre, lui soufflait une partie de son esprit, celle qui retenait chaque élément de langage. Néanmoins, pour une raison qui lui échappait encore, elle semblait se dérouler différemment.

- Et pourquoi pas ? Tenta l'Hylienne malgré tout.

La Takeih ricana.

- Parce que nous n'avons pas encore tous ses pouvoirs.

Fallait-il les pouvoirs de Samada pour empêcher le Néant de se révéler ? A moins que le mage n'ait cherché à saboter son propre objectif, elle ne voyait honnêtement pas ce pourquoi ils avaient besoin des capacités des prophétesses. Heureusement pour ses théories compliquées, qu'elle laisserait à Hylia en temps voulu, l'autre n'en avait pas fini.

- Il nous faut le pouvoir des dames élues pour réaliser notre objectif ! Qu'importe ce qui s'écroulera sur ce monde, même s'il s'agit du Néant !

Les objectifs du mage et ceux de la Takeih n'avaient rien en commun. Tout ce que ce fait impliquait était terrible, elle ne voulait pas y penser. Dans tous les cas, il semblait que ce trio d'ennemis cherchait à voler la magie des servantes des déesses, sans doute pour pouvoir appeler la Triforce avec et s'en emparer. Cette théorie semblait prendre forme grâce à tout ce qu'elle avait appris ces derniers mois, mais n'expliquait toujours pas le carnage qui avait eu lieu cette nuit-là.

Elle gronda, prête à combattre. Leur ennemie trilla.

- Déjà ?! Mince alors, on dirait que c'est moi qui ai pris mon temps !

Elle se redressa de son perchoir, la taille grande, les ailes affûtées. La guerrière féroce sourit, l'apparence d'un prédateur prêt à sauter.

- Je suis Hiraclos, se présenta-t-elle après avoir lustré ses plumes d'un geste exercé. Voyons si ta première victoire n'était pas un coup de chance, tu veux ?

Comme en réponse à sa question, un grondement sourd résonna dans la pièce recouverte d'eau. Link sauta en arrière, cherchant frénétiquement l'origine. Le tumulte de la cascade aurait pu en être la cause pour quiconque n'était pas elle. Habituée aux combats contre les monstres, la jeune femme avait depuis longtemps appris à faire la différence entre leur beuglement et la sonorité des éléments.

A l'image de la première fois, une chose jaillit de l'eau. Grande, recouverte d'écailles solides d'un noir profond mais lumineux, trois cornes alourdissant son apparence de titan, le démon du temple de la Sagesse la toisa de son regard grisâtre. Là où la première créature du même genre était trapue, toute en muscles et ligatures, celle-ci, bien plus fine, paraissait également plus agile. La vagabonde ne serait pas surprise de découvrir qu'elle était plus rapide que la précédente.

Testant quelques pas dans la flaque, la mercenaire plissa les yeux, clairement bougonne. Glisser serait un risque réel. De plus, si elle n'y prêtait pas attention, elle pourrait très bien traverser la cascade. Petra possédait de bons réflexes, mais même elle ne pourrait sans doute pas la sauver si jamais cette possibilité survenait. Il fallait donc qu'elle se concentre davantage sur son environnement, ne serait-ce que pour ne pas finir dans la même situation que l'autre jour. Chuter serait fatal.

Il faudrait qu'elle se trouve un moyen de planer.

Un râle échappa à la créature, la mercenaire creusa la distance qui les séparait. Son carquois avait été préalablement rempli, elle pourrait l'attaquer de loin si elle voulait. Néanmoins, son intuition lui soufflait de ne pas utiliser l'arc de manière abusive. Si cette chose s'avérait résistante, ses munitions s'épuiseraient inutilement.

Les deux se jaugèrent un instant, silencieusement, avant que l'un ne décide de se lancer. La bête, comme aspirée par la flaque, disparut sous la surface, la jeune femme resta immobile de surprise. Il n'était nulle part, juste... dans l'eau. Non, il était devenu l'eau. Sachant qu'elle touchait le fond de ses pieds et que la surface atteignait tout juste ses chevilles, il n'y avait pas d'autres solutions.

A force de rester au même endroit, cela lui porta préjudice. Un geyser lui sauta au visage, une corne manqua d'empaler son torse, et toute la force du torrent l'envoya voler contre la cascade virulente. Le souffle coupé, la mercenaire ne se rendit que tardivement compte que non seulement il lui était impossible de tomber hors de l'arène, la force de l'eau servant de tampon douloureux, mais qu'en plus, la créature avait replongé. La douleur la fit grimacer, mais elle ne pouvait pas rester immobile plus longtemps. Ce ne serait que se faire tuer.

Trébuchant loin de sa position d'origine, la vagabonde chercha du regard comment repérer son adversaire. Bien qu'il soit devenu l'eau, il ne pouvait pas avoir complètement disparu, cela lui semblait trop absurde. Non, il devait y avoir un signe, quelque chose. Ce ne fut qu'en s'arrêtant qu'elle remarque une forme floue s'approcher d'elle à toute allure. Elle sauta hors de son chemin, admirant le monstre jaillir, puis se redresser à sa recherche, ce fut par réflexe qu'elle lui asséna un coup d'épée au poitrail.

Le sang gicla, juste assez pour lui permettre de comprendre de quelle façon s'étalait la résistance de cette créature sur son corps, avant que la créature n'achève de sortir pour lui foncer dessus. La charge fut évitée d'une roulade, le monstre disparut à nouveau dans l'eau de la cascade. Elle fronça les sourcils, cherchant à faire le tri dans tout ce qu'elle venait d'apprendre.

Tout d'abord, le démon possédait une défense solide, mais pas inébranlable. Pour le surpasser, il lui faudrait asséner plusieurs coups au même endroit, sinon tenter de toucher un œil. Toutefois, ce que la cicatrice du poitrail lui permettait de comprendre était que le buste était une cible à privilégier. Les écailles y étaient tendres, friables, là où celles de son crâne ressemblaient à une armure sur laquelle se briserait une épée. Par mesure de précaution, il valait mieux s'intéresser à l'endroit qui avait déjà fait ses preuves. Elle devait continuer à viser le plexus solaire.

Deuxième chose qu'elle avait compris, et non des moindres, la première tactique de cette bête était simple, tout en se révélant bêtement complexe. Dans un premier temps, elle se fondait dans l'eau pour pouvoir l'avoir d'en dessous. Une fois au bon endroit, elle jaillirait comme un geyser, pour l'empaler et l'éjecter contre un mur, sinon la cascade. Si cette première attaque ne fonctionnait pas, alors elle en privilégiait une seconde, celle de la charge d'un taureau à l'aveugle. Le seul moment pour la blesser serait entre les deux, quand elle sortait de sa cachette, juste avant de viser. Du moins, elle ne voyait pas d'autre ouverture.

De toute manière, elle n'avait pas le temps pour réfléchir plus en profondeur. La créature commençait déjà ses tours, si elle voulait l'éviter, il valait mieux continuer à courir. Comme en réponse, l'ombre mouvante se déplaçait en rond, un peu comme si son adversaire cherchait à la prendre à revers. Pour faire bonne mesure, elle se déplaça plus loin, reprenant son souffle. Le précédent coup l'avait envoyée voler assez fort, ses membres étaient encore douloureux, et les os de son torse craquaient. A en croire le léger trébuchement dont elle ne se départait pas, il fallait croire que sa tête l'avait également mal-vécu.

Il ne fallait pas se faire frapper une seconde fois. Son corps ne le supporterait pas.

Au bout de ce qui semblait être une longue auto-conférence sur les dangers d'une commotion cérébrale, Link sauta en arrière, juste à temps pour éviter un autre assaut. Le geyser giclait, les gouttes étaient violentes, piquantes lorsqu'elle se les prit au visage, elle rata complètement le moment opportun pour donner un coup avant de devoir s'échapper de la charge. Un grondement résonna dès que la bête rejoignit sa cachette, il semblait perdre patience.

Elle aussi, elle commençait à s'énerver.

Son impatience devait être la raison pour laquelle elle prit autant de risques. S'immobilisant complètement, la jeune femme chercha les ombres du regard, fouillant les recoins à la recherche de la bête mortelle. Les flots se secouèrent, la forme qu'elle espérait trouver apparut. Cette fois, elle s'éloigna plus rapidement, glissa sur le sol, et parvint à peine à couper une fine tranche sur le poitrail.

Le nez froncé, elle se rabroua violemment. Il était plus simple de naviguer sur la terre ferme, même quand celle-ci était balayée par les vents. C'était sans doute pour cela que son premier combat fut plus simple, paradoxalement. La créature profitait allègrement de ses difficultés à se mouvoir pour la surprendre, le manège continua ainsi pendant trop longtemps. Qu'importe comment elle y pensait, elle ne trouvait pas de meilleure façon de la vaincre. Il n'y avait vraiment qu'un seul et unique instant pour frapper, et c'était celui qu'elle avait isolé. Toutefois, la complexité résidait dans le fait que l'eau pouvait se révéler être une barrière quasiment infranchissable.

Maintenant, si elle parvenait à le frapper, cela la soulagerait de beaucoup.

La mercenaire trébucha dans un trou d'eau, un grognement résonna contre les parois aqueuse, ce n'était pas celui de la bête. Le gloussement erratique d'une Takeih très particulière se fit entendre à son tour.

- Quoi, déjà fatiguée ? T'es plus faible que ce que je pensais !

Hiraclos était énervante, décida-t-elle en sautant hors de la course subaquatique de son adversaire. Elle ne faisait que la déconcentrer, rien de plus, elle devrait l'ignorer. Dommage pour la guerrière, la vagabonde avait eu deux ans, voir plus, pour savoir que perdre sa concentration durant un combat pourrait s'avérer fatal. Ce ne seraient pas quelques moqueries qui l'atteindraient.

Qui plus est, ce genre de critiques ne l'atteignait pas réellement. Le combat était dur, elle le savait avant même d'achever sa montée, et sa difficulté à surpasser l'élément principal de ce temple ne faisait que le confirmer avec panache.

(C'était les représentants de la Force qui possédaient une fierté pouvant se montrer handicapante. Ceux de Sagesse acceptaient les critiques, les derniers les ignoraient complètement.)

La bête chimérique jaillit hors de sa protection, elle tenta une nouvelle stratégie. Sautant sur le côté, le forçant à se tourner après que sa protection aqueuse était tombée, elle profita de sa surprise pour le frapper violemment au buste. Une zébrure rouge, le genre qui ferait bien plus que piquer, goutta sur le sol, le monstre hurla de douleur. La jeune femme sourit, se lança hors de sa charge enragée, et recommença à courir. Ne pas perdre sa concentration, répétait son esprit, ne jamais arrêter de courir.

Encore un coup, l'encourageaient ses pensées. Avec cette méthode, sinon une autre.

- Ah merde, t'as réussi à le toucher ?

Et ne surtout pas écouter Hiraclos. Elle, elle resterait un bruit de fond.

Décidant de laisser le risque l'emporter sur la sécurité, sachant que de toute manière, la créature devrait sortir de sa cachette à un moment donné, Link s'arrêta proche d'une paroi solide. Ne manquerait plus qu'il ne sorte de la cascade, elle se prendrait assurément un coup. Et il faisait mal. S'en prendre un second serait le meilleur moyen de ne jamais finir le combat.

Un geyser jaillit du sol, elle se jeta sur le côté. Malheureusement, tout ce qu'elle put faire fut de glapir, puis de rouler loin de la charge violente de son ennemi. Il semblait apprendre de ses tactiques. Sitôt elle en avait essayé une nouvelle, sitôt il changeait la sienne. Preuve en était, il s'était tourné en même temps qu'elle.

Alors qu'il repartait dans les tréfonds des eaux, la jeune femme gronda, cherchant une novelle façon de l'avoir. Elle n'était pas stratège. Même si Marion n'aurait certainement pas apprécié se promener ici en raison du fait que l'eau faisait gonfler ses plumes - comment Hiraclos faisait-elle pour le supporter ? - la Takeih bleue se serait fait un malin plaisir de comprendre tous ses pièges et chercher toutes les solutions pour mettre à terre ce démon féroce. C'était ainsi, son ancienne amie avait toujours été trop intelligente pour son propre bien.

Pas comme Link. La mercenaire n'était pas bête, mais pas stratégiquement viable. Elle réfléchissait sur le coup à comment vaincre un adversaire spécifique, pas à comment prendre à revers un ennemi qui ne cessait d'évoluer, encore moins sur le long terme. Chacune des possibilités qu'elle avait envisagées d'elle-même lui venait d'un coup de génie impromptu, une réflexion étrange qui ne manquait pas de lui être utile dans ces situations-ci.

Elle pensait comme une Juju, avait ri quelqu'un. Elle ne savait plus qui, mais ce souvenir remontait à son enfance, du temps de l'ancienne région. Sa mère avait souri, maladroitement, avant de prendre un air fier. Elle pensait comme un Juju, donc elle pourrait devenir aussi bonne combattante qu'un Juju.

Ce fut cette réflexion particulière qui brisa le dernier bastion de logique qu'il lui restait. D'une manière ou d'une autre, elle avait trop essayé de réfléchir comme le ferait Hylia. Elle était une Hylienne, s'était laissée convaincre que toute leur race fonctionnait de la même manière que la prêtresse, et qu'elle devait essayer de s'y conformer. Elle était parvenue à oublier deux ans de pratique aux côtés de ce peuple guerrier qui ne manquait jamais une occasion pour aller au plus proche du cœur du combat. A force d'expliquer le drame, le massacre à celle venue d'en haut, la locale avait réussi à passer outre le fait que malgré l'ampleur du désastre et le nombre colossal de morts, les Jujus n'étaient pas faibles, bien au contraire. Cette nuit-là, ils avaient été pris par surprise, avaient fait la rencontre de monstres que même eux n'auraient pu imaginer, et s'étaient retrouvés débordés par les bombes, les flammes, et les cadavres.

Elle pensait comme un Juju. Autrement dit, elle pensait comme le peuple Sheikah dont les combats finissaient toujours par une victoire.

Avec cette idée en tête, elle sourit vicieusement. S'il fallait réfléchir comme cela, alors elle avait déjà une idée.

La bête gronda, l'eau trembla, une nouvelle fois, il jaillit hors de sa cachette. Link simula un saut sur le côté, trouvant le regard monstrueux dirigé sur elle, avant de s'arrêter à mi-chemin et partir dans son dos. La créature trébucha, devenue maladroite dans la surprise. Quand il se tourna dans sa direction, cherchant où elle se trouvait, la mercenaire eu tout le temps du monde pour planter sa lame profondément dans son torse découvert.

Soudain, le silence devint pesant.

Hiraclos ne riait plus.

Par mesure de précaution, la vagabonde se recula rapidement, surveillant les mouvements de son adversaire. Il ne bougeait plus, mais elle pouvait très bien sentir son regard lui peser dessus, cruel, vicieux, vengeur, promettant une mort douloureuse. Le sang noir tombait lourdement dans la flaque, entourait ses sabots fendus, et remontait jusqu'à ses écailles solides en un chemin carmin.

Cela ne semblait pas le déranger.

Pendant un instant, la jeune femme se demanda s'il prenait un temps plus long que nécessaire pour comprendre ce qu'il venait de lui arriver. C'était ainsi que les Rosariens réagissaient peu après avoir été arnaqués d'une quelconque façon, généralement Hylia elle-même prenait du temps pour réfléchir à une nouvelle information. En soi, apprendre que les bêtes étaient calquées sur la personnalité de leur élément ne la surprenait pas.

Maintenant, elle craignait juste que la Force soit plus terrifiante que les deux autres. Déjà qu'elle avait du mal à surpasser celle-ci, la suivante n'en serait que cauchemardesque, si elle se fiait à ses connaissances sur Din.

Revenant au combat, la créature avait repris ses esprits. Secouant la tête, une patte posée sur sa blessure béante, elle gronda, les yeux plissés dans sa direction, avant de se jeter en arrière. Link la regarda faire, essayant de comprendre ce qu'elle préparait, pour la voir... jouer avec l'eau.

Elle cligna des yeux.

Jouer avec l'eau. Elle ne rêvait pas. Deux traînes gargantuesques de liquide s'élevèrent en un couloir les enfermant toutes les deux, face à face, le rire de la Takeih résonna à nouveau.

- Tu l'as foutu en rogne !

Ignorer Hiraclos, se répéta-t-elle alors que son adversaire commençait à charger dans sa direction. La mercenaire glapit, voyant les cornes tendues dans sa direction, prête à l'empaler dès l'impact. Elle trébucha, maladroite dans la précipitation, jura un bon coup et opta pour la seule solution qui lui venait dans l'immédiat, sauter par dessus. Il fallut prendre appui sur son museau pour atterrir dans son dos. Là, alors qu'elle reprenait position, glissant dans un autre trou d'eau, elle plissa les yeux, trouvant enfin ce qu'elle attendait.

Le point faible, là, posé sur la colonne vertébrale.

Biologiquement impossible. Farore devait faire une crise existentielle face à cela.

Malheureusement pour elle, la bête arriva rapidement au bout de son couloir. Face à la cascade, elle se retourna vers elle, un grondement sourd faisant trembler son ouïe, avant de reprendre sa position précédente. La jeune femme eu tout le temps de bondit à nouveau pour la laisser passer. Là, elle réfléchit.

Il fallait penser comme un Juju, la rabroua sa conscience bien éveillée. C'était au Courage de comprendre comment se battaient ses adversaires, pas à la Sagesse. Elle devait prendre exemple sur le peuple Sheikah aux yeux jaunes si elle voulait arriver à bout de ce monstre. Le nez plissé, elle chercha une solution qui n'impliquait pas de se prendre une corne dans le ventre.

Pour commencer, il lui fallait comprendre la nouvelle stratégie qu'il lui offrait. Les deux cascades l'empêchaient physiquement d'esquiver sur les côtés, la forçant à regarder droit devant elle la bête qui tentait de la coincer. Le seul moyen de la passer revenait à faire ce qu'elle avait déjà fait, à savoir sauter par dessus. De là, un nouveau problème survenait : comment la blesser ? A la vitesse à laquelle il se déplaçait, le temps qu'elle se retourne pour le toucher, le point faible était déjà loin.

Elle fronça les sourcils. Son adversaire parvenait très bien à la mettre en déroute.

Le monstre beugla, la ramenant efficacement à la réalité - s'il avait été malin, il serait resté silencieux. Clignant des yeux, la jeune femme se recula juste au moment où il prenait de l'élan pour lui foncer dessus, les yeux brillant d'une lueur mauvaise mais déterminée. Elle glapit quand il recommença sa course, elle avait été trop concentrée dans ses réflexions pour penser clairement au combat en lui-même. Une grave erreur, se rabroua-t-elle en sautant à nouveau au bon moment. Par réflexe, elle tenta de toucher son point faible avec son épée, mais le rata de plusieurs mètres.

Prévisible, elle le savait déjà.

Au moins, elle avait essayé.

- Bah alors, t'y arrives plus ?

Il fallait ignorer Hiraclos, se répéta-t-elle en se remettant en place. La Takeih ennemie avait clairement décidé de se rendre la plus énervante possible, et de profiter très clairement du combat pour se changer les idées. En ce sens, Laos lui manquait presque, le mage ayant eu le tact de rester silencieux.

Link trébucha dans un trou d'eau, le même que plus tôt, mais se repositionna vite, les yeux plissés à la recherche d'une solution viable. Impossible avec l'épée, elle l'avait déjà essayé, à moins de parvenir à se renverser pendant son saut de façon à donner un coup au bon moment. Hors, elle ne maîtrisait pas ce geste, et était peu désireuse de le tenter alors qu'elle risquait très clairement de se faire empaler. Pour survivre à ce combat, il lui fallait un geste qu'elle connaissait, le genre qui viendrait directement des réflexes.

Elle sourit, un main sur son arc.

La créature s'ébroua de frustration, les yeux ensanglantés de colère tournés dans sa direction, elle était encore assez intelligente pour cacher son dos à sa vue. Plus pour longtemps, si sa théorie s'avérait correcte. La chimère tapa du sabot dans l'eau, gronda un son ignoble, et reprit sa course.

La mercenaire l'imita, elle aperçut, durant ces brèves secondes, la surprise défigurer sa face déformée. A son honneur et sa perte, il ne s'arrêta toutefois pas. Elle sauta à nouveau, banda son arc, visa. La flèche perfora la marque mauve. Un mugissement de douleur remplaça son grognement.

Hiraclos ne parlait pas.

Elle le prit comme une victoire.

Le sourire aux lèvres, la vagabonde attendit que la créature cesse de gémir pour la regarder à nouveau, une lueur folle de colère ayant remplacé son choc. Une seule flèche n'était pas suffisante pour remplacer la force qu'elle pouvait mettre derrière un coup d'épée, il en faudrait une deuxième pour en finir. Si elle visait mieux, elle pourrait sans doute toucher des points sensibles plutôt que de se fier au hasard. Malheureusement, l'arme lui était encore peu habituelle.

La créature cessa de fouiller son dos à la recherche de la tige en bois pour revenir sur elle, la bave à la gueule. Ce fut à ce moment-là qu'elle sut avoir gagné.

Les ennemis énervés faisaient toujours des erreurs.

Une ultime parade l'amena dans le dos du monstre. Là, alors qu'il fonçait à nouveau vers la cascade, un rugissement terrible résonnant contre les parois aqueuses comme un son infernal qu'elle ne pourrait nommer (des millénaires plus tard, quelqu'un pourrait le comparer à un train. Peut-être, personne ne savait vraiment), elle visa une seconde fois.

La créature cessa de bouger.

Un instant solennel prit place sans qu'elle ne s'en aperçoive. Le silence s'installa, laissant place aux trombes d'eau s'étouffant peu à peu sous le craquement qu'elle parvenait à attribuer à de la glace en formation, le monstre ne la regardait même pas. La cascade s'arrêta lentement mais sûrement, comme si la chaleur s'estompait enfin, comme si l'eau de la fontaine cessait de se déverser dans la nature. L'air se fit plus respirable, la flaque dans laquelle elle marchait jusqu'alors disparut sous une couche de verglas, elle eu tout juste le temps de ramener ses pieds à l'abri.

Dans un nuage sombre, le démon qu'elle avait eu tant de mal à vaincre disparut, ne laissant de son passage que le saphir volé.

Un rire maniaque ressemblant à la trille d'un oiseau en colère résonna.

- Il semblerait que je t'ai sous-estimée, gamine !

Hiraclos était là, perchée sur l'auvent de glace qui lui avait permis d'entrer, le sourire carnassier n'annonçant que de futures promesses de violence. Link fronça les sourcils, armée de son épée, prête à parer des plumes, esquiver un coup.

Quelque chose lui disait que cette femme était forte, terriblement forte, à un point tel que même la race la plus puissante ne pourrait rien contre elle. Elle n'en avait pas encore eu la preuve, si ce n'était ce qu'elle avait fait à son compatriote et à la grotte des joyaux, mais la petite voix alarmée de sa conscience analysait ses muscles puissants, sa colère injustifiable, l'énergie mauvaise qui se dégageait d'elle.

Cette femme était puissante, comme si la déesse rouge en personne lui avait accordé ses bénédictions. Rien que cela ressemblait à une énigme de plus, quelque chose qu'elle ne comprenait pas.

- Tu n'as pus rien à dire, je rêve ?

La vagabonde grogna, les membres fébriles.

- C'est quoi votre but, bon sang ?

La femme puissante ricana, fort et raide, ses pieds commencèrent à percer la glace. A cette vue, la plus jeune se recula, la crainte revenant vite en elle. Tout criait danger, que ce soit son attitude nonchalante, ses propos aussi mystérieux qu'inquiétants, son assurance infaillible, ses gestes calculés. La glace sur laquelle elle s'était perchée était ancienne, magique voire divine, conçue par la grâce d'une déesse de bleu immaculée. Les sorts de Nayru étaient réputés puissants, certes pas infaillibles, mais quasiment parfaits.

Tout comme le mage avait fait preuve d'une maîtrise diabolique, la guerrière féroce démontrait une force tout simplement mystique.

- Notre but ? La Triforce évidemment !

Elle le savait déjà, l'avait appris d'Hylia, puis de Samada. Néanmoins, en avoir la confirmation ne fit que la rendre plus suspicieuse encore, le germe d'un sentiment encore méconnu commença à creuser son cœur. Pourquoi voulaient-ils la Triforce au point de provoquer des conflits, massacrer des innocents, détruire Juju ? Cela n'avait aucun sens, le seul indice était cette phrase mystérieuse que la prophétesse qui savait tout n'avait su expliquer.

Ce n'était pas de la peur, ce sentiment qui la faisait trembler. C'était une émotion intense, celle qui marquerait à jamais l'histoire de la Bravoure.

- Ça ne peut pas être tout !

L'autre grinça méchamment.

- Évidemment que c'est pas tout ! Mais tu crois que j'ai envie de te raconter ma vie ?

Sur ces derniers mots, le monstre à l'apparence d'une Takeih se souleva de son perchoir détruit, le roucoulement d'un oiseau annonçant une tempête imminente.

- Viendra un jour où tu comprendra tout, petite. Mais tu sais quoi ? Ce jour-là, tu sera morte.

Dans un rire, une tornade dévastatrice, celle qui s'était illustrée comme l'alliée de Kohana s'envola, perçant la glace primordiale de Nayru dans un sinistre craquement. Le monde trembla, il fallut de longues minutes avant que le temple ne retrouve son calme. Link resta silencieuse, incapable de rassembler ses pensées en une ligne cohérente.

Hiraclos, qu'elle avait dit s'appeler. La Takeih qui, une nuit de fête, avait tué une guerrière puissante à la présence rassurante.

Cette nuit-là, Taketi était morte, assassinée par cette femme si terrifiante.

La mercenaire se contenta de fixer le ciel dévoilé par son passage, hypnotisée par la glace qui se reformait lentement mais sûrement, le couvercle silencieux laissa entendre des bruits de pas.

Derrière elle, une femme s'était penchée sur le saphir. Elle se tourna vers elle, son sourire était sage.

- Je salue les honneurs, je prêche et je prie. Je suis Himari, la grande prophétesse de la Sagesse.

Quelque part, au loin, un homme préparait son entrée en scène.


A Courage je souhaite bon voyage,

A Courage je donne mes hommages.

La déesse bleue t'accueille dans ses dédales,

Suis son chemin gravé à même les dalles.

Mais enfant, malgré tes exploits pittoresques,

Voici le champion grotesque.

La guerrière féroce a conçu le démon,

Courage s'élance à cette vision.

Enfant, jamais ne renonce face à l'usurpateur,

Et abats le d'une flèche dans le cœur !

Elimine le diable ennemi,

Mais méfie-toi, la guerrière se rit !

Impossible de savoir le véritable but de la guerrière,

Mais enfant, cette lutte n'est pas la dernière !

Prépare-toi, enfant de ma sœur !

Le Néant prépare son heure !


Pourquoi faire des combats de boss aussi longs... je me désespère toute seule, c'est grave. Par contre, j'aime bien Hiraclos. C'est un agent du chaos, fondamentalement.

En dehors de ça... le prochain chapitre sera entièrement tourné vers la prophétesse de la Sagesse.

A la prochaine !