Ce parfum de nos années mortes

Chapitre 2

oOo

« Puis-je savoir à quoi vous jouez ? »

Postée non loin de la chambre où était enfermée Cersei, Daenerys avait attendu que Sansa en sorte en essayant de contenir le tremblement de ses mains.

Sansa ne sursauta pas.

Elle n'en fut qu'un peu plus contrariée.

« Jouer ? » répondit-elle d'un insupportable air faussement étonné. « Je ne joue à rien du tout, Votre Majesté. »

« Vraiment ? C'est bien curieux. Je ne pense pas vous avoir autorisée à rendre visite à Cersei Lannister. Encore moins à devenir sa dame de compagnie. »

« Et je ne pense pas avoir besoin de votre autorisation pour m'assurer qu'elle ait des conditions de vie décentes. »

Daenerys se souvenait de l'instant où elles s'étaient rencontrées, à Winterfell. Du fossé rempli de givre et de braises qui s'était immédiatement creusé entre elles.

Il n'avait fait que s'agrandir. Elle avait la sensation que c'était à présent un océan de rancœur qui les séparait.

« Dois-je vous rappeler qu'il s'agit de ma prisonnière ? »

Elle fit un pas en avant pour se planter juste devant Sansa. Elle devait lever les yeux pour pouvoir soutenir son regard – une contrariété de plus.

« Dois-je également vous réciter la liste de tous ses crimes ? Elle a causé la mort de centaines d'innocents. Elle nous a presque condamnés à mort en refusant d'envoyer ses troupes au Nord pendant la Longue Nuit. Ceci… »

Elle désigna la porte de la chambre.

« Est bien plus que ce qu'elle mérite. Mais peut-être avez-vous oublié ce qu'elle a fait ? »

L'impassibilité de Sansa lui évoquait un mur de glace.

« Je n'ai pas oublié. »

Un rictus sans joie déforma ses lèvres.

« Je n'oublie jamais rien, Votre Majesté. »

Daenerys eut la sensation qu'elles ne parlaient plus du tout de Cersei.

« Je continuerai de lui rendre visite, » conclut Sansa. « Je ne vois pas ce que vous pourriez faire pour m'en empêcher. »

« Je peux la renvoyer dans sa cellule en un claquement de doigts, » souffla t-elle.

Sansa lui décocha une œillade moqueuse.

« Je suis certaine que votre fiancé appréciera cette initiative. »

La reine la laissa s'éloigner d'un pas triomphant, comme la demi-lionne qu'elle aspirait peut-être à devenir.

Une fois que plus personne ne fut là pour l'entendre, elle laissa échapper un hurlement capable de faire trembler même le mur de glace le plus solide.

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« Comment trouves-tu le livre ? »

Cersei regardait par la fenêtre de son air perpétuellement absent. Tyrion avait tout de même noté que l'ouvrage qu'il avait choisi pour elle dans la bibliothèque était ouvert sur ses genoux, comme si elle s'arrachait de ses sombres pensées de temps à autre pour lire quelques pages.

Pour toute réponse, il n'obtint qu'une question.

« Alors ? Tu as trouvé ? »

« Trouvé quoi ? »

« Ce que tu venais chercher ici. »

Elle s'arracha de la contemplation du ciel et se tourna vers lui. Son regard était si éteint que Tyrion était persuadé qu'il s'agissait de l'exact reflet du sien.

« La reine à qui tu as juré fidélité est montée sur le trône. Vous allez vraisemblablement vous marier dans quelques mois. Tu as tout pour être heureux, et pourtant te voilà encore, recherchant la compagnie du fantôme que je suis devenue – voilà autre chose qui devrait contribuer à ton bonheur, d'ailleurs. »

Tout ce qu'elle venait de dire était d'une justesse terrifiante. Le nœud qui ne quittait plus la gorge de Tyrion se fit plus oppressant.

Comment est mort Jaime ? murmura sa propre voix dans son esprit.

« Elle ne peut pas comprendre, » finit-il par bredouiller, une parfaite parodie de l'éloquence dont il se vantait d'habitude avec l'orgueil propre aux Lannister.

Il fit tourner les bagues qu'il portait à la main gauche. Elles ornaient les doigts de Jaime, autrefois. Il aurait aimé dire qu'il les avait récupérées sur son cadavre, une scène digne des romans tragiques qu'il appréciait tant. La réalité était plus prosaïque : Jaime ne portait aucune bague le jour de sa mort. Tyrion les avait toutes trouvées dans un coffret qu'il gardait dans sa chambre au Donjon Rouge. Il n'avait eu qu'à se servir.

C'était tout ce qu'il restait de son frère. Une poignée de bagues. Un fragment de gloire qui le brûlait comme du fer chauffé à blanc.

Les yeux de Cersei se posèrent sur ses doigts. Elle avait trop souvent contemplé ces bijoux pour ne pas les reconnaître.

« C'est… c'est comme si un morceau de moi avait été arraché, » reprit-il.

Il jugea qu'il n'était pas nécessaire de retenir ses larmes, pas ici, pas devant Cersei. Pas alors qu'elle aussi allait éclater en sanglots d'un instant à l'autre.

Elle s'autorisa à verser deux larmes qu'elle essuya aussitôt, et revêtit de nouveau un masque d'indifférence qui ne pourrait jamais le tromper mais qui était digne de la reine qu'elle avait été – ne cesserait jamais d'être.

Cersei désigna le livre posé sur ses genoux d'un coup d'œil.

« C'est un ouvrage intéressant. »

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« Vous avez passé une bonne journée ? »

Tyrion releva la tête de son assiette, qu'il avait à peine touchée, un air de stupéfaction sur le visage. Daenerys, qui s'était efforcée d'adopter un air affable, se renfrogna. Heureusement, Sansa avait visiblement décidé de dîner en compagnie de Cersei. Ce qui ne la réjouissait guère, mais c'était peut-être préférable à l'obligation de composer avec son air narquois et supérieur.

« Oui, plutôt. Cersei apprécie le livre que j'ai choisi pour elle – nous avons eu une discussion intéressante là-dessus. »

Un dragon de jalousie rugit dans les entrailles de Daenerys. Cersei, encore et toujours Cersei. Il lui semblait que Tyrion n'avait que son prénom à la bouche depuis qu'elle avait conquis le Trône de Fer.

Il lui fallut faire preuve de trésors de patience pour esquisser l'ombre d'un sourire compréhensif.

« C'est… c'est bien. »

Elle n'avait pas envie de se disputer avec lui. Et puis, n'était-ce pas le devoir d'une reine de prendre sur elle ?

« Quel est ce livre ? Je pourrais le lire moi aussi. Comme ça, nous aurions l'occasion d'en discuter ensemble. »

Les livres – une des grandes passions de Tyrion, avec le vin et son frère et sa sœur. Cela lui semblait être un angle d'attaque prometteur pour se rapprocher de lui.

L'espoir resta à l'état d'étincelle qui meurt trop vite quand Tyrion se contenta de hausser les épaules.

« Ce n'est pas un traité politique, c'est un roman – vous trouveriez ça terriblement ennuyeux. »

Et il se concentra de nouveau sur son assiette, ce qui l'empêcha de voir le sourire de Daenerys se changer en cendres.

Aucun d'eux ne prononça plus un mot de tout le repas.

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« Que lisez-vous ? » demanda Sansa en posant le plateau sur la table.

Cersei, qui semblait à peine avoir remarqué sa présence tant elle était concentrée sur sa lecture, releva la tête et fronça les sourcils en l'observant remplir deux assiettes.

« J'ai pensé que je pourrais dîner avec vous, aujourd'hui… si cela vous convient. »

Sans doute trop surprise pour protester ou lui demander si une raison particulière la poussait à fuir la compagnie de Daenerys, elle acquiesça d'un bref signe de tête.

« Alors, que lisez-vous ? » l'interrogea une nouvelle fois Sansa. « Cela a l'air de vous captiver.

« Oh… c'est un roman que Tyrion a choisi pour moi. Cela parle d'une femme chevalier devant encore et toujours voler au secours de son bien-aimé. C'est… une satire d'un roman de chevalerie traditionnel. »

L'enthousiasme de Cersei pour le roman était perceptible, ce qui arracha un sourire à Sansa.

« Oui… je comprends pourquoi il vous plaît autant. »

La lionne semblait à présent mal à l'aise d'avoir laissé transparaître ses émotions de façon si évidente. Sansa n'était pas décidée à laisser cette braise de vie repartir comme elle était venue.

« Cela semble intéressant. Peut-être pourrais-je le lire moi aussi ? Je serais heureuse de pouvoir en discuter avec vous. »

Cersei demeura interdite quelques secondes, comme si elle essayait de détecter un quelconque piège dans sa proposition. Quand elle comprit qu'elle ne trouverait rien d'autre qu'une étonnante sincérité, elle hocha la tête.

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Cersei avait toujours du mal à comprendre pourquoi Sansa Stark s'obstinait ainsi à lui servir de dame de compagnie.

Que Tyrion vienne la visiter n'avait au fond rien de très surprenant. Quoi qu'il ait pu se passer entre eux, le même sang maudit coulait dans leurs veines. Cersei ne voyait plus l'utilité de se voiler la face à propos de l'inexplicable lien qui les unissait et que toutes les trahisons du monde n'étaient jamais parvenues à briser. Elle avait eu le temps de faire preuve de lucidité sur ses sentiments depuis que Daenerys avait fait d'elle une lionne brisée. Penser – dans le noir, cela avait été sa seule distraction.

Penser, et pleurer son amour perdu.

La volonté de Sansa de veiller sur elle était une source d'interrogations sans fin. La louve n'avait plus rien à voir avec la jeune fille effrayée que Cersei avait connue toutes ces années auparavant.

Jadis, elle était de porcelaine.

Elle était devenue d'acier.

Qu'était-elle donc devenue après sa fuite du Donjon Rouge ? Cersei connaissait les grandes lignes de l'histoire, bien entendu, mais pas ce qui l'intéressait vraiment. Les détails qui expliquaient l'apparition de ce feu ardent dans ses yeux.

Un feu glacé, mais un feu tout de même.

Était-ce parce que le même feu brûlait dans les yeux de Cersei, jadis, qu'elle avait été attirée vers elle comme un papillon de nuit à la recherche d'une source de chaleur ?

Elle envisagea de lui poser la question un après-midi, alors que Sansa, installée dans le fauteuil qui lui faisait face, lisait le livre qu'elle avait dévoré quelques jours plus tôt, celui qui parlait d'une femme chevalier nommée Cerenna secourant encore et toujours un damoiseau en détresse.

« Cerenna va devenir reine à la fin de l'histoire, » fit Sansa, interrompant sans le savoir ses réflexions.

« Qu'est-ce qui te fait dire ça ? »

Elle la regarda bien en face, un léger sourire sur les lèvres.

« Elle me fait penser à vous. »

Cersei s'esclaffa légèrement, flattée malgré elle.

Elle ne jugea pas utile de lui rappeler qu'elle n'était plus la reine.

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« Qu'est-ce que vous mijotez ? »

Daenerys savait qu'elle n'aurait pas dû se trouver là, face à deux émeraudes dont le deuil le plus terrible n'avait pas réussi à ternir la haine. Son geste n'avait d'ailleurs pas été prémédité.

Tout était parti de presque rien, à vrai dire. En se promenant seule dans les jardins, elle avait surpris Tyrion et Sansa côte à côte sur un banc, le sourire aux lèvres. Cette simple vision l'avait agacée, mais elle était décidée à prendre sur elle, comme toujours.

Lorsque, tendant l'oreille, elle avait entendu quelques bribes de leur conversation, son sang s'était figé dans ses veines.

Ils étaient en train de discuter d'un roman. Celui que Tyrion avait donné à Cersei.

Celui dont il avait refusé de lui parler.

Daenerys n'avait pas supporté la manière dont elle avait été exclue et, sans davantage réfléchir, s'était dirigée à grand pas vers la chambre de la femme dont l'ombre ne cessait de se faire plus oppressante.

À présent, celle-ci la fixait d'un air narquois qu'on voyait rarement chez une reine vaincue.

« Je ne mijote rien, très chère. »

« Je sais que Sansa et vous préparez quelque chose, » siffla t-elle en faisant un pas en avant.

Cersei croisa les mains sur ses genoux sans cesser de sourire un seul instant.

« Comment se porte Lord Mormont ? »

Le changement brutal de sujet prit Daenerys au dépourvu.

« Je… je l'ignore. Mais là n'est pas… »

« Ne prenez-vous donc pas de ses nouvelles, lui qui vous a tant aidée à vous trouver là où vous êtes ? »

« Je… il ne répond pas à mes lettres. »

L'air triomphal de Cersei lui apprit aussitôt qu'elle en avait trop dit, mais cette mention de Jorah la peina trop pour qu'elle s'en soucie réellement.

Lorsqu'il avait appris qu'elle avait l'intention d'épouser Tyrion, il avait baissé la tête, les yeux mouillés de larmes et, la voix brisée, lui avait demandé la permission de se retirer sur l'Île-aux-Ours. La voir en épouser un autre et régner à ses côtés le rendrait fou de douleur, lui avait-il dit. Alors, le cœur en miettes, Daenerys avait accepté. Jon l'avait repoussée lorsqu'il avait appris leur lien de parenté, et elle en avait été peinée, mais Jorah avait été là pour elle, le fidèle Jorah, celui qui l'accompagnait depuis le temps où elle n'était qu'une jeune fille frêle et terrifiée.

Lorsqu'elle l'avait regardé partir sur son cheval, elle ne se doutait pas que c'était le dernier ami qu'elle avait sur cette planète qui s'éloignait.

« On dit souvent que les monarques ne peuvent pas avoir le pouvoir et l'amour. Que pour avoir l'un, ils doivent renoncer à l'autre. J'avais réussi à avoir les deux… et vous aussi, vous auriez pu. Il vous aurait suffi d'épouser Jorah Mormont – son cœur était littéralement à vos pieds. Malgré cela, vous avez choisi d'épouser mon frère. Pourquoi donc ? »

Daenerys comprit alors que, même en cage, Cersei Lannister restait une lionne dangereuse.

Il était regrettable pour elle que les lions ne faisaient pas le poids face aux dragons.

« Ne pensez pas que vous pouvez monter un complot son mon nez sans que je m'en aperçoive, » conclut-elle, des étincelles dans la voix et au fond du cœur.

Et elle claqua la porte en quittant la pièce.

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Cersei contemplait l'extérieur depuis son lit, où elle était prostrée depuis quelques heures ou une éternité, mais le bout de ciel bleu qu'elle apercevait par la fenêtre ne lui laissait qu'une impression de vide.

Sans Jaime, elle ne voyait plus les couleurs. Elle ne savait pas comment. Elle n'en voyait pas l'utilité non plus.

L'or et les émeraudes appartenaient au passé, et un futur qui ne brillait pas ne valait sans doute pas la peine d'être vécu.

Elle fut distraite de ses pensées morbides par l'arrivée de Sansa, qui fronça les sourcils lorsqu'elle la vit ainsi étendue, aussi immobile qu'un cadavre. Elle s'assit sur le bord du lit.

« Avez-vous envie de quelque chose de particulier, aujourd'hui ? »

Cersei faillit lui répondre que si elle voulait vraiment lui rendre service, elle n'avait qu'à la pousser par la fenêtre, puisque ce dont elle avait envie, c'était d'être avec Jaime.

Sa bouche demeura close.

Elle était même trop lasse pour les sarcasmes.

Sansa recouvrit avec douceur sa main de la sienne, lui offrant un soutien qu'elle n'avait pas demandé. Elle la laissa faire, pourtant.

Sa peau était chaude.

Elle se redressa, un soupir à fendre le cœur au bord des lèvres.

« Un bain, » finit-elle par lâcher. « Un bain bien chaud. »

La dernière fois qu'elle avait pris un bain, la couronne était encore posée sur sa tête. Sansa avait pour habitude de lui apporter une bassine pour qu'elle fasse sa toilette – Daenerys ne lui aurait jamais accordé le luxe d'une baignoire remplie d'eau chaude.

C'était la raison pour laquelle elle s'attendait à moitié à ce que Sansa refuse.

La louve se contenta de sourire.

Moins d'une heure plus tard, Cersei se prélassait dans l'eau chaude, les yeux mi-clos. Des frissons de plaisir fleurissaient sur sa peau.

Sansa, qui était restée à ses côtés, lisait en silence.

« Ça ne va pas plaire à Daenerys, si elle l'apprend, » fit remarquer la lionne.

« Probablement pas, » répondit Sansa en réprimant un bâillement.

Elle ne s'en souciait pas le moins du monde. Le cœur mort de Cersei s'emplit de quelque chose qui ressemblait bien à de la fierté. Après lui avoir jeté un coup d'œil, Sansa referma le livre.

« Je suis désolée. »

Cersei braqua sur elle un regard surpris.

« Pour Jaime. Je ne crois pas vous l'avoir déjà dit. Je… je sais qu'il était tout pour vous. »

Prise au dépourvu, la lionne chercha ses mots pendant de longues secondes. Le jour de la prise du Donjon Rouge défila sans merci devant ses yeux. Jaime était revenu pour elle, bien sûr. Ils auraient pu s'enfuir et commencer une nouvelle vie sous le soleil d'Essos.

Un tas de pierre en avait décidé autrement. Elle se souvenait de sa terreur, du cœur affolé de son autre moitié contre son propre cœur affolé. De son sang sur ses mains, sur son visage, partout.

« Il l'était, » confirma t-elle d'une voix brisée.

Sansa lui donnait la sensation d'une louve avançant avec prudence sur un lac gelé.

« Vous n'avez pas tout perdu. Il vous reste votre bébé. Et… et Tyrion. »

Cersei n'eut pas le courage de la démentir. Elle n'avait pas tort, après tout. Peut-être que son petit lionceau serait salvateur pour elle. Et Tyrion… eh bien, il était vrai qu'il semblait sincèrement se soucier de son sort.

« As-tu déjà été amoureuse, petite colombe ? »

Le changement de sujet prit Sansa au dépourvu. Elle secoua la tête d'un air crispé.

« J'espère que cela t'arrivera, » soupira Cersei. « J'espère que tu rencontreras quelqu'un qui te fera voir les mille couleurs de la vie. »

Un rictus sans joie étira les lèvres de Sansa.

« Avec Daenerys qui prévoit de me marier au premier noble venu, ça m'étonnerait beaucoup. »

Cersei n'eut pas l'audace de lui assurer qu'elle pourrait tomber amoureuse d'un homme qu'elle n'aurait pas choisi.

« Rien ne t'oblige à accepter. Que va-t-elle faire ? Te menacer avec son dragon pour t'obliger à obéir ? »

Sansa ne répondit rien pendant de longues secondes, pensive. Finalement, elle hocha la tête, l'air satisfait, pas mécontente que la lionne la soutienne dans ses idées rebelles.

Cersei observa le soleil couchant illuminer sa chevelure d'un millier de nuances de feu.

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« Daenerys a contacté plusieurs familles nobles du royaume pour leur annoncer que vous recherchiez un mari. »

La voix de Tyrion s'était faite prudente. Sansa garda le regard rivé sur les étoiles qui apparaissaient une à une dans le ciel.

« Il n'est pas dans votre habitude de vous attarder sur des évidences, » finit-elle par répondre.

Constatant que leurs deux verres étaient vides, elle saisit la carafe de vin et s'employa à les remplir. Le liquide rouge rubis lui évoquait une rivière de sang.

Comment est mort Jaime ?

« Je suis déjà au courant, comme vous le savez très certainement. Ce qui signifie que vous avez autre chose à m'annoncer. »

Tyrion baissa la tête, honteux d'avoir été si facilement percé à jour.

« En effet. Un noble a déjà répondu. Symon Santagar, de Dorne. Sa première épouse est morte en couches et il cherche à se remarier. »

Sansa vida son verre de vin d'un trait et se resservit, les doigts crispés sur son verre. Il fronça les sourcils. Pendant quelques secondes, il eut l'impression que c'était à Cersei qu'il s'adressait.

« J'imagine qu'il a au moins le double de mon âge ? »

Son ton était railleur. Il fut gêné de ne pouvoir la démentir.

« Il vient de fêter ses cinquante ans. »

« Et je suppose qu'il a été l'un des premiers à se jeter aux pieds de Daenerys ? »

« Il… il lui a en effet apporté son soutien lorsqu'elle est montée sur le trône. »

Sansa reposa brutalement son verre sur la table, si fort que Tyrion craignit un instant que le verre ne se brise.

« M'avoir à l'œil ici ne lui suffit pas. Elle désire m'enchaîner pour toujours à un de ses laquais pour être certaine que je ne représenterai plus aucune menace pour elle. Je serai prisonnière d'un autre château doré, sans espoir d'un sortir. »

Tyrion se souvenait de la jeune fille qu'elle était, jadis, celle qui rêvait d'épouser le roi et de porter ses enfants. Il n'en restait plus grand-chose, à présent.

Il avait entendu des rumeurs sur son second mari. Sur la façon dont il était mort.

Sur ce qu'il lui avait fait.

Jamais il n'avait eu le courage de lui poser la question.

Il n'aurait pas supporté de croiser un autre regard brisé. Celui de Cersei était déjà autant d'épines dans son cœur.

« Pourquoi avez-vous accepté d'épouser Daenerys ? »

Pris au dépourvu, il se retrouva à court de mots – cela lui arrivait de plus en plus souvent. Comme si son amour pour les tournures de phrases acérées était mort en même temps que son frère.

« Je cherche encore la raison pour laquelle elle a souhaité vous épouser, mais je suis sûre qu'elle avait une idée derrière la tête. Mais vous… pourquoi ? »

« Parce que… parce que je l'aimais. »

Il avait l'impression de réciter un discours appris par cœur.

« Vraiment ? Alors pourquoi fuyez-vous sans cesse sa compagnie ? Pourquoi êtes-vous ici, à boire avec moi, plutôt qu'avec elle, en train de vous réjouir pour votre mariage ? »

Tyrion la dévisagea stupidement, estomaqué. Conclure qu'il n'en avait aucune idée lui prit moins de dix secondes.

Il vida son verre avant de le remplir à nouveau.