Ce parfum de nos années mortes
Chapitre 4
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« Symon Santagar arrivera à Port-Réal dans environ une semaine. »
Sansa écouta la sentence de Daenerys sans broncher. Faisant mine de ne pas l'avoir entendue, elle reprit sa broderie comme si de rien n'était.
Elle ne lui ferait pas le plaisir de lui montrer que cela l'atteignait.
« Que brodez-vous donc ? »
« Des vêtements pour le bébé de Cersei. »
Si le tissu rouge n'avait dans un premier temps pas mis la puce à l'oreille de Daenerys, elle se rembrunit en remarquant le lion doré que les doigts agiles de Sansa étaient en train de former. Ce rappel de l'existence d'un enfant dans le ventre de celle dont elle avait volé le trône sembla lui déplaire. Elle se recentra immédiatement sur l'arrivée imminente de Symon Santagar.
« Ce mariage serait une excellente occasion de consolider l'alliance entre Dorne et la couronne, ainsi qu'entre Dorne et le Nord. »
« Les alliances sont bien sûr votre unique préoccupation, » ironisa Sansa.
La reine plissa les yeux, tentant de déterminer ce qu'elle insinuait. Cependant, sans doute n'était-elle pas d'humeur pour une nouvelle altercation verbale. Après un bref signe de tête, elle s'éloigna d'un pas raide.
Lorsqu'elle fut certaine que Daenerys ne pouvait plus la voir, elle laissa échapper quelques larmes et les regarda s'écraser sur le sol, comme une pluie de rêves brisés.
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Confortablement installée dans un fauteuil rembourré près de la fenêtre, Cersei était absorbée par le livre qu'elle lisait, ne relevant la tête que de temps à autre pour observer le soleil de fin d'après-midi poursuivre sa descente dans le ciel. C'était Tyrion qui avait déniché ce fauteuil pour elle dans une des nombreuses pièces inoccupées du château, estimant que celui qu'elle utilisait jusqu'à présent n'était pas assez moelleux. Le lui faire apporter par des domestiques avait constitué pour lui une parfaite excuse pour passer la matinée avec elle – non pas qu'il en ait véritablement besoin. Il en avait profité pour lui apporter un nouveau livre, qu'elle n'arrivait plus à quitter des yeux depuis qu'elle avait lu la première page.
Elle commençait à comprendre la passion dévorante de son petit frère pour la lecture. Quand elle était plongée dans un livre, elle ne pensait plus à Jaime, à son trône perdu, à ses enfants disparus. Pendant quelques heures, elle oubliait qu'elle n'était plus qu'une lionne en cage qui avait tout perdu et qui était à la merci d'un dragon qui aurait préféré voir son cadavre rejoindre celui de son jumeau.
Pendant quelques heures, elle était libre.
Le retour à la réalité n'était jamais simple. Tyrion et Sansa parvenaient à rendre les choses plus supportables, lorsqu'ils étaient avec elle.
Justement, Sansa entra après avoir frappé à la porte. Son air sombre frappa Cersei. D'ordinaire, elle lui faisait l'effet d'un soleil d'été. Aujourd'hui, elle était une lune évanescente. Elle s'assit sur le bord du lit et lui tendit quelque chose.
« C'est pour vous. Enfin… pour le bébé, quand il sera né. »
Cersei admira avec une certaine émotion le haut que Sansa avait cousu et caressa du bout des doigts le lion qui y était brodé. Elle imaginait sans mal son petit lionceau aux boucles blondes le porter. Elle offrit un petit sourire à Sansa.
« C'est très beau, petite colombe. Je te remercie. »
Mais Sansa ne l'écoutait déjà plus : les yeux perdus dans le vague, elle avait l'air plus abattue que jamais.
« Symon Santagar sera ici dans une semaine. »
« Je vois. »
Tyrion lui avait fourni quelques détails sur ce seigneur. Il était apparemment plutôt bel homme, mais elle doutait que cela ait la moindre importance pour Sansa. Il avait aussi plus du double de son âge, mais c'était toutefois assez commun pour des seigneurs veufs de prendre une nouvelle épouse beaucoup plus jeune. Officiellement, la raison de la fertilité était avancée, mais Cersei avait côtoyé assez d'hommes dans sa vie pour savoir qu'il y en avait une explication plus officieuse.
Beaucoup étaient attirés par la perspective de mettre une jeune épouse belle et docile dans leur lit.
« Rien ne t'oblige à l'épouser. »
« Je sais. Je n'ai aucune intention d'accepter de me marier avec lui. »
« C'est la réaction de Daenerys qui t'inquiète ? »
Une flamme de mépris s'alluma dans ses yeux.
« Non. Je me moque bien de ce qu'elle dira. »
Elle n'était toutefois pas entièrement convaincue. Cersei la dévisagea d'un air songeur, cherchant ses mots pendant de longues minutes.
« Pourquoi es-tu encore ici, Sansa ? Rien ne te retient, quoiqu'en dise Daenerys. Elle ne pourrait pas t'empêcher de partir. Pourquoi est-ce que tu ne rentres pas chez toi ? »
Sansa plongea son regard dans le sien et lui sourit tristement.
« Vous ne comprenez pas, pas vrai ? »
Elle se leva et s'approcha de la fenêtre. Le soleil couchant embrasa sa chevelure.
« Winterfell… Winterfell était ma maison. Et elle sera toujours dans mon cœur, d'une certaine manière. Mais Ramsay l'a prise, et l'a souillée avec ce qu'il m'a fait subir. Ma famille l'a récupérée, mais qu'en reste t-il ? Arya est partie explorer à l'ouest. Bran n'est plus vraiment Bran. Et Jon… Jon l'a offerte à Daenerys sur un plateau d'argent. »
Lorsqu'elle se tourna de nouveau vers Cersei, ses yeux étaient rouges et pleins de larmes.
« Je n'ai plus de chez moi, » souffla t-elle d'une voix tremblante.
Cersei n'hésita pas une seule seconde.
Sansa accueillit l'étreinte de ses bras avec reconnaissance et l'enlaça en retour avec force.
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Daenerys, plus pour s'occuper l'esprit qu'autre chose, commença à prendre l'habitude d'observer d'un œil attentif les divers chantiers de reconstruction du Donjon Rouge. Les Immaculés faisaient du bon travail, et elle espérait que le château ait retrouvé sa splendeur d'antan pour son mariage avec Tyrion.
Comme toujours, penser à son fiancé la rendit maussade. La nuit dernière, il n'avait même pas pris la peine de visiter sa chambre, préférant rejoindre directement sa sœur. Bien déterminée à ne plus laisser ses idées noires lui gâcher une autre journée, elle dirigea ses pensées vers un autre mariage, à savoir celui de Sansa, tout en observant des Immaculés reconstruire un mur.
Sansa Stark était une menace : c'était pour elle une certitude, et rien ni personne ne serait en mesure de la convaincre du contraire. Elle devait donc être à la fois écartée et contrôlée.
Écartée de Cersei, tout d'abord. Daenerys n'aimait pas les savoir passer de longues heures ensemble. Lorsque venait le soir et que le sommeil la fuyait, il lui arrivait de plus en plus souvent d'imaginer tous les complots qu'elles pouvaient être en train de fomenter pour la renverser et lui voler la couronne pour laquelle elle avait tant sacrifié.
La contrôler en la mariant à un de ses loyaux sujets était selon la reine la meilleure chose à faire. Symon Santagar lui était dévoué, et il avait fait preuve d'enthousiasme lorsqu'elle lui avait proposé la main de Sansa. Même si elle n'avait pas protesté ouvertement, Daenerys savait très bien que celle-ci n'appréciait guère la situation. Peu lui importait, toutefois. Sansa ferait son devoir. Dans quelques semaines, elle partirait pour Dorne et deviendrait la dame du domaine de son futur mari.
Malgré tout l'agacement et la méfiance que la louve lui inspirait, Daenerys n'était cependant pas cruelle. Elle s'était longuement renseignée sur Symon Santagar : c'était un homme honorable qui se montrerait courtois avec sa nouvelle épouse.
Une fois Sansa loin du Donjon Rouge, il lui faudrait sérieusement réfléchir à un moyen d'éloigner Tyrion de Cersei.
Cela ne lui faisait pas peur : Cersei n'était plus qu'une lionne sans défense, maintenant, et Tyrion était son fiancé.
Elle remporterait cette dernière bataille.
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Sansa avait à peine conscience du temps qui passait. Pour oublier l'imminence de sa rencontre avec Symon Santagar, et lorsqu'elle n'était pas avec Cersei, elle se perdait dans les rayonnages obscurs de la bibliothèque du château. Parcourir d'autres vies lui permettait d'oublier ce que la sienne était devenue.
Si elle se cantonnait habituellement aux rayons les plus fournis et les plus proches de l'entrée, elle décida un matin de s'aventurer dans un recoin obscur, se demandant quel genre de livre elle pourrait bien y trouver.
« Vous trouverez ici un bel éventail de livres qui ont été censurés par la Foi des Sept. »
Sansa, qui n'avait pas remarqué que Tyrion était lui aussi dans la bibliothèque, sursauta.
« Censurés ? Mais pourquoi donc ? »
Il avait l'air de bien s'amuser.
« Disons que certains… thèmes abordés n'étaient pas du goût des septons. »
Sansa ne comprenait toujours pas mais n'insista pas sur ce point.
« Comment se sont-ils retrouvés ici, s'ils ont été censurés ? »
« Oh… disons que je me suis… arrangé pour les récupérer avant leur destruction. C'était il y a bien longtemps – la vie au château pouvait être d'un ennui mortel lorsque Robert était sur le trône. »
Sansa pouffa, de plus en plus curieuse. Tyrion désigna les fameux livres censurés d'un geste de la main avant de s'éloigner.
« Amusez-vous bien… »
Ne sachant pas par où commencer, Sansa saisit un livre au hasard et jeta un coup d'œil au titre.
Le Jardin d'Or.
Se demandant si Cersei était au courant de la présence de ces livres dans la bibliothèque, elle prit la direction de sa chambre, l'ouvrage à la main.
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« Je n'étais pas au courant qu'il y avait des livres censurés dans la bibliothèque. Je n'y passais pas assez de temps pour cela. »
Sansa, qui avait déjà lu quelques pages du livre qu'elle avait choisi, semblait à peine écouter la réponse à la question qu'elle avait posée.
« De quoi parle ce roman ? »
« De la Danse des Dragons, apparemment. Plus précisément de Rhaenyra Targaryen et d'Alicent Hightower. »
Cersei se demandait bien ce qui avait valu la censure à ce livre traitant d'un sujet a priori tout à fait classique. Elle ne tarda pas à avoir sa réponse : moins d'une heure plus tard, Sansa écarquilla les yeux.
« Eh bien ? » l'interrogea t-elle.
Le teint de la louve prit la couleur du soleil couchant.
« Voyez par vous-même… »
Cersei haussa un sourcil et prit le livre que Sansa lui tendit.
« Rhaenyra captura les lèvres d'Alicent d'un baiser passionné, » lut-elle à voix haute. « Les yeux brûlants de désir, elle s'affaira à dénouer les laçages de sa robe et la guida vers son lit. »
Elle comprenait à présent la réaction de Sansa. Ce livre n'était ni plus ni moins qu'un récit teinté d'érotisme narrant les amours saphiques de Rhaenyra et Alicent. Elle rendit le roman à Sansa, qui n'osa pas reprendre sa lecture.
« Je… je savais que certaines femmes pouvaient aimer d'autres femmes… » balbutia t-elle. « Mais c'est la première fois que je… »
Elle semblait sincèrement bouleversée. Cersei allait répondre mais fut interrompue par Tyrion, qui frappa à la porte avant d'entrer. Elle ne s'en formalisa pas. Il était désormais courant qu'ils passent des après-midis entiers rien que tous les trois. Parfois, Cersei se demandait si son petit frère ne préférerait pas épouser Sansa plutôt que Daenerys, mais le lien d'affection qui les unissait ne lui évoquait rien de plus qu'une belle et solide amitié.
« C'est le livre que vous avez pris dans la bibliothèque ? » s'enquit Tyrion.
Sans attendre de réponse, il jeta un coup d'œil au titre.
« Le Jardin d'Or… oh. »
Et il éclata de rire.
« Excellent choix. »
« Tu l'as lu ? » demanda Cersei.
« Oui. C'est une version… intéressante de la Danse des Dragons. »
Sansa était parvenue à reprendre contenance. Si elle était toujours troublée par ce qu'elle avait lu, elle le dissimulait bien.
« Pensez-vous que ce qui est écrit dans ce livre est véridique ? »
Il se gratta le menton, pensif.
« C'est difficile à dire. Cependant, quelques sources s'accordent sur le fait qu'il y avait plus que de l'amitié entre Rhaenyra et Alicent lorsqu'elles étaient jeunes. Il est assez probable que les mestres aient préféré effacer toute trace d'une romance entre deux femmes. »
Comme toujours lorsqu'il exposait ses connaissances, Tyrion avait le visage détendu et les yeux brillants. Cersei songea qu'il aurait pu faire un mestre d'exception. Pour ce qui était peut-être la première fois, elle éprouva de la fierté à l'idée d'avoir un petit frère si intelligent.
Lorsque Sansa reprit sa lecture, le trouble recouvrit ses yeux d'un voile d'incertitude.
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Il ne fallut que deux jours à Sansa pour lire Le Jardin d'Or. Elle songea d'ailleurs qu'elle avait été de bien mauvaise compagnie pour Cersei pendant ce temps : complètement absorbée par ce qu'elle lisait, ses paroles s'étaient faites plus rares.
Elle savait qu'elle avait rarement autant apprécié un roman.
En revanche, elle ne savait pas pourquoi.
Ce n'était pas la première fois qu'elle lisait une histoire d'amour impossible – loin de là. Ce fut donc complètement troublée qu'elle donna le livre à Cersei pour qu'elle le lise à son tour.
« Cette romance doit être passionnante, pour t'avoir intéressée à ce point, » avança la lionne.
Comme souvent, elle regardait par la fenêtre en massant l'arrondi de son ventre. C'était le matin – elle venait de terminer son petit-déjeuner et portait encore sa chemise de nuit. Lorsqu'elle s'étira, celle-ci glissa le long de son épaule droite, laissant apparaître le haut de son sein. Sansa, prise au dépourvu par cette vision inattendue, demeura figée, incapable de détourner le regard.
Au bout de quelques secondes, elle s'aperçut que Cersei ne pouvait que remarquer ce qu'elle fixait ainsi. Mortifiée, elle tourna la tête le temps qu'elle réajuste sa chemise de nuit.
« Pardon, » balbutia t-elle.
Cersei ne semblait toutefois pas fâchée.
Un léger sourire se dessina sur ses lèvres.
« Il n'y a pas de mal. »
Comme s'il ne s'était rien passé, elle ouvrit Le Jardin d'Or à la première page et se mit à lire.
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Daenerys regardait les étoiles par la fenêtre de sa chambre, pensive. Elle se souvenait d'une époque lointaine où elle songeait que ces milliers de petites lumières n'étaient que le reflet de celles qui illuminaient son regard déterminé.
Une époque où Jorah était à ses côtés. La seule personne à l'avoir aimée inconditionnellement.
Elle sentit Tyrion se glisser à ses côtés.
« Symon Santagar devrait arriver demain comme prévu, » lui apprit-il.
Daenerys pouvait sentir la note de réprobation dans sa voix.
« Ce mariage est nécessaire, » lui rappela t-elle d'une voix qu'elle voulait douce. « Sansa… »
« Ne représente pas une menace pour vous, quoi que vous en pensiez. »
Elle avait la sensation que cette discussion allait une fois de plus tourner en rond.
« Elle a déjà été mariée deux fois de force. Vous ne pourrez pas l'obliger à le faire une troisième fois. »
Daenerys se garda de répondre, plus lasse que jamais. Elle se perdit de nouveau dans la contemplation des étoiles.
« Certaines légendes racontent que les étoiles représentent tous les vœux exaucés par les Sept. »
Tyrion s'esclaffa, cynique.
« Les Sept se moquent éperdument de notre sort. »
Daenerys songea qu'il avait peut-être raison. Il se pouvait que les dieux ne se soucient guère de ce qui arrivait au commun des mortels. Néanmoins, elle était loin de ce qu'on pouvait appeler le commun des mortels. Récupérer le Trône de Fer avait été sa destinée, et elle l'avait accomplie.
« S'ils décidaient de vous accorder un vœu, quel serait-il ? »
Elle regretta d'avoir posé la question dès que les mots franchirent ses lèvres. Après tout, elle connaissait déjà la réponse, et celle-ci ne lui plaisait pas vraiment.
« Je voudrais que Jaime soit encore en vie. »
La gorge nouée, il ferma les yeux, comme s'il se plongeait dans ses souvenirs, et reprit d'une voix rêveuse :
« Je voudrais qu'il soit encore en vie. Je voudrais assister à son mariage avec Cersei à Castral Roc. Je voudrais le voir prendre son bébé dans ses bras pour la première fois. Je voudrais qu'il m'emmène faire des balades à cheval, qu'il m'ébouriffe les cheveux et qu'il me console de mes cauchemars. »
Il pleurait, à présent. Dépassée par les larmes dont elle avait malgré elle provoqué la chute, Daenerys ne savait comment réagir. Devait-elle le prendre dans ses bras ? L'idée était tentante, mais elle n'était pas sûre qu'il accepte son étreinte après l'avoir fuie avec application pendant des semaines. Elle finit par recouvrir sa main de la sienne, estimant qu'il s'agissait d'un compromis acceptable.
« Je suis désolée, » offrit-elle.
Tyrion ne se déroba pas, acceptant le contact de leurs deux peaux. Daenerys estima qu'il s'agissait d'un progrès.
« Je voudrais m'installer avec Cersei et Jaime à Castral Roc et que nous soyons heureux pour toujours, » avoua t-il dans un souffle.
Daenerys se raidit à l'écoute de cette confession à cœur ouvert qui avait la couleur de l'abandon.
« Et moi ? » ne put-elle s'empêcher de demander.
Elle sut qu'elle avait commis une erreur quand Tyrion battit des paupières, comme s'il était de retour sur terre, et lui jeta un étrange regard.
Il retira sa main.
« Il est toujours possible de trouver des arrangements, » marmonna t-il.
Il lui souhaita bonne nuit et quitta la pièce.
Les étoiles se mirent à lui renvoyer le reflet de sa propre solitude.
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« Je suis véritablement heureux de faire votre connaissance, Lady Stark. »
Symon Santagar déposa un baiser sur la main de Sansa, qui le laissa faire en réprimant une grimace. Daenerys, assise sur le Trône de Fer, avait braqué son regard de flammes dans son dos.
Sansa lui adressa un sourire poli mais dépourvu de chaleur.
« Soyez le bienvenu à Port-Réal, Lord Santagar. J'espère que vous avez fait bon voyage. »
Elle avait l'impression de redevenir la jeune fille polie et bien élevée qu'elle était la première fois qu'elle avait mis les pieds dans la capitale. Il ne lui avait fallu que quelques secondes pour se parer d'un masque de faux-semblants et d'hypocrisie.
Cersei avait apparemment toujours de l'influence sur elle.
« Lord Santagar, » fit Daenerys. « J'espère que votre séjour parmi nous sera… fructueux. »
Sansa frissonna de dégoût à l'écoute de ce sous-entendu.
« Je suis certaine que Lady Stark sera ravie de vous faire visiter les jardins. »
La louve se retourna longtemps et offrit un sourire venimeux au dragon.
« Bien évidemment, » susurra t-elle.
Elle était certaine que son prétendant ne percevait rien de l'animosité qui bouillonnait entre elles. À ses yeux, ceci n'était rien de plus qu'un échange bienveillant entre la reine des Sept Couronnes et l'une de ses proches conseillères.
Ravalant le cri de rage qui enserrait son cœur d'épines depuis une éternité, Sansa offrit son bras à Symon Santagar et l'entraîna à l'extérieur.
Elle en profita pour le détailler plus attentivement. Il avait certes trente ans de plus qu'elle, mais il était objectivement plutôt bel homme. Même sans le savoir, on devinait facilement qu'il venait de Dorne, avec ses cheveux noirs, ses yeux sombres et sa peau dorée. S'il avait conscience qu'elle l'examinait ainsi du coin de l'œil, il n'en montra rien, ce qu'elle trouva délicat de sa part.
Le début de la promenade se déroula sans qu'une parole ne soit échangée, et elle n'éprouvait pas la moindre envie de le briser. Symon, cependant, n'était pas venu à Port-Réal pour observer les citronniers et les orangers.
« Voilà bien des années que je ne suis pas venu ici, » commença t-il.
« Vraiment ? »
Le ton de Sansa était aussi détaché qu'il était possible de l'être.
« Oui. La dernière fois, le roi Robert occupait encore le trône. »
Elle acquiesça sans relever. Ils passèrent près d'un banc en pierre et Symon suggéra qu'ils s'y assoient quelques instants.
« Avez-vous déjà visité Dorne, ma dame ? »
« Non. J'ai bien peur d'être davantage familière de la neige que du sable. »
Il hocha la tête avec un petit sourire. Il se conduisait avec prudence, remarqua Sansa, comme s'il ne parvenait pas à la cerner. Avait-il déjà compris qu'elle n'était pas à l'origine de cette idée de mariage ?
« Je n'ai moi-même jamais vu de neige. En revanche, j'ai grandi les pieds dans le sable. Le château de ma famille se trouve sur la côte sud de Dorne. On peut apercevoir la mer de la plupart des fenêtres. »
Sansa parvint à lui offrir un petit sourire, bien qu'un peu crispé.
« Cela doit être charmant. »
Après avoir échangé quelques banalités supplémentaires, elle lui proposa de le conduire à ses appartements.
« La reine organisera ce soir un banquet en votre honneur, » lui apprit-elle en chemin. « Je vous verrai donc ce soir. »
Et elle s'éloigna avant de lui avoir laissé le temps d'ajouter quelque chose.
