Hello!

Je nous offre une petite incursion dans les pensées d'Ezra. Ce n'est pas un chapitre à proprement parler mais un bonus. Ce sont vos commentaires qui m'ont encouragé à écrire ça. Si ça vous plaît, j'en ferais avec d'autres personnages.


Interlude 1: Ezra Fell

Je cours, enfin je crois. Le monde est flou autour de moi. Je cours mais je n'avance pas. Soudainn, une porte, elle apparaît si vite que je la percute, mon nez me lance. Quand je porte ma main à mon visage, je vois du sang. Beaucoup de sang, trop pour un nez qui saigne.

Je passe quand même la porte, je connais le lieu où je me trouve. C'est l'Infirmerie, celle avec un I majuscule. Parce que c'est l'Infirmerie de Bergen-Belsen. La pièce est vide, je ne l'ai jamais vue vide à part dans mes cauchemars. Quand j'ouvre une porte au fond de la salle, des cadavres en sortent, semblables à une vague. Bientôt je me retrouve avec des cadavres jusqu'au cou. L'odeur. Jamais plus je n'ai senti une odeur pareille, c'est celle des charniers. Je suffoque, l'odeur reste dans ma gorge et l'air ne passe plus. Je sens presque les mouches qui accompagnent l'odeur me bloquer la respiration.

Quand je suis persuadé que je vais mourir, je me réveille.

Je suis chez moi, à Belgravia. Je fais le point dans ma tête, nous sommes le 9 août 1984, je travaille comme chirurgien urgentiste à St Pancras et j'habite au 7 rue Eaton à Belgravia, Londres. Ça me calme de faire le point, la force de l'habitude j'imagine. À côté de moi le lit est vide, Anthonia doit encore travailler. Malgré les rideaux tirés je vois qu'il fait encore noir dehors. Le réveil annonce 1h29 du matin, je pousse un profond soupir. Je sais qu'aujourd'hui sera une journée sans. Comme pour confirmer mes pensées, mon bipeur sonne. Je ne suis pas de garde mais je suis le chef de service. Si l'hôpital m'appelle c'est que le pauvre patient doit déjà avoir un pied dans la tombe. On ne m'appelle que quand tous mes subordonnés ont échoué à trouver une solution.

Malgré l'urgence de la situation je reste à contempler le plafond de ma chambre sans parvenir à m'extraire de mon lit. C'est comme ça, les jours sans, le moindre mouvement me demande toute mon énergie. Je me fais violence pour sortir de mon lit, enfiler le premier pantalon qui me tombe sous la main. Mes clefs et c'est parti.


Les urgences sont bondées, comme toujours. Je regarde tout le personnel courir comme des poulets sans tête, ça s'agite, ça remue, ça court. Il y a eu une fusillade, enfin c'est ce que me baragouine un interne paniqué.

"-Docteur bloc numéro 1. L'homme s'est fait rouler dessus et traîner par une voiture."

C'est Carlie qui m'aborde avec les scanners du patient. Je l'aime bien Carlie, elle garde son sang-froid en toutes circonstances. Mais les jours sans je supporte à peine la présence d'autres humains autour de moi. À part Anthonia, c'est la seule que je voudrais à mes côtés en ce moment. Sans un mot, je passe au bloc, le pauvre gars sur la table ressemble à un steak tartare. Probablement pris dans le mouvement de foule qui à suivi la fusillade.

Le calot, la blouse, les gants, le masque, tout est en place. Je commence, je tranche les lambeaux de chair sanguinolente que je ne peux pas raccrocher. Je nettoie du mieux. Le sang commence à s'accumuler sur le sol du bloc. Je le sens s'infiltrer dans les chaussures puis mes chaussettes. C'est une veine hépatique qui saigne, le foie est foutu. Je demande que l'on bipe les chirurgiens chargés des transplantations. Le gars n'est toujours pas mort, il s'accroche fort. Pour le moment, il est stable, je le laisse entre les mains d'Adam. Il va le garder en vie le temps qu'un foie arrive, moi je sors. Les patients ne manquent pas dehors mais c'est le doyen flanqué de deux policiers qui m'aborde en premier.

"- Comment va votre patient, docteur Fell ?"

Le doyen ne prend jamais de nouvelles des patients, à part quand il y a des caméras. Ou des policiers visiblement. Ils attendent probablement un résumé, détaillé mais je ne suis pas d'humeur.

"- Stable, en attente d'un foie.

-Il peut répondre à des questions ?"

Le policier qui vient de parler a un calepin, prêt à se jeter au chevet de mon patient pour lui extorquer des réponses.

"-Non.

-Ce serait lui le tireur."

Je hausse les épaules pour moi ça ne change rien. Serment d'Hippocrate oblige. Je retourne dans la salle de triage, Carlie me met dans les mains un scanner et un dossier. C'est une femme qui a reçu plusieurs balles dans l'abdomen, aucune n'est ressortie. Au contraire, elles ont volé en éclats et se sont dispersées, donc un petit calibre. Dans le box, la femme est toujours consciente, l'un des AS – aide-soignant –lui rase une partie de ses dreadlocks. Le reste de l'équipe la prépare pour la chirurgie. En tombant, elle s'est fait une sacrée estafilade au crâne en plus des balles, mais pas de commotion. C'est déjà ça de pris.

"- Et le sédatif ?" L'AS sursaute en m'entendant. La politesse attendra un autre jour.

-"Elle est allergique. L'anesthésiste dose pour une péridurale."

Un hochement de tête, voilà ce que mérite l'anesthésiste pour ne pas l'avoir fait plus tôt.

"-Il faudra ajouter du lorazépam."

Évitons une crise de panique pendant l'opération. C'est une journée de merde, une opération avec une patiente consciente n'est pas ce que j'aurais choisi pour le programme.

On l'amène enfin au bloc, elle supplie qu'on lui épargne la vie. Je ne dis toujours rien parce que pour être honnête elle ne passera probablement pas la nuit. L'une des balles est trop près du cœur pour que tout se passe bien.

En état de choc, la patiente essaie de raconter tout ce qui s'est passé. Le personnel et moi-même finissons par comprendre que l'homme a tiré sur la foule car c'était une réunion d'étudiants noirs. Le tireur était probablement défoncé avec une drogue quelconque, il leur est tombé dessus, s'est énervé et a sorti son arme. La femme ne tient pas le choc longtemps, sa tension monte trop et son cœur ne le supporte pas.

Le reste de la matinée passe avec une suite d'opérations qui se mélangent dans mon esprit. Vers 7 heures, Carlie m'annonce que le foie est arrivé, honnêtement je suis surpris que le patient soit toujours en vie. Je lui dis de voir avec les transplants et de le passer en soins intensifs. Son cas ne relève plus de moi alors autant qu'il parte loin.

"-Ils vous demandent quand même au bloc, Docteur. Des lésions au niveau des poumons posent problème."

Je repars donc au bloc, encore. Adam est toujours là, du sang jusque dans les sourcils. Le pauvre semble aussi mal en point que certains patients.

"-Je prends le relais, Adam."

Sans un mot je le vois partir dans un coin du bloc, puis s'asseoir ou s'effondrer. Je ne sais pas trop. Je crois que ça fait deux jours qu'il est à l'hôpital

"- Carlie sortez-le." Le gamin n'a pas dû dormir depuis un moment. Carlie hésite à me laisser, elle se croit discrète avec ses coups d'œil. Elle pense que je n'ai pas vu le tatouage. Celui du patient, une croix gammée dans le cou.

Les poumons du patient sont dans un état lamentable, mais ce n'est pas entièrement dû à l'accident de voiture. Les drogues quelles qu'elles soient ont créé des perforations. Il se noie dans son sang, littéralement, alors je travaille pour réparer son merdier. Une partie de moi ne serait pas dérangée du tout de le voir mourir, au contraire. Mais le médecin, celui qui a juré de soigner et guérir ne laisserait pas cela arriver. Il sort vivant du bloc, parce que je ne suis pas le meilleur chirurgien de St Pancras pour rien.

Je vais au même endroit d'Adam pour m'effondrer, une journée sans. Celle-ci semble ne pas vouloir en finir.


En début d'après-midi je peux enfin quitter l'hôpital. Je me rends à la librairie, celle qui appartenait à la famille de ma mère, Daphnée. Sur le chemin je ne peux pas m'empêcher de penser à elle, les cauchemars la font revenir dans mon esprit. Je dois dire que je n'en garde pas beaucoup de souvenirs. Je me rappelle de ses cheveux blonds, de sa voix douce mais surtout de ses derniers instants. Tellement amaigrie qu'elle ressemblait à un squelette, le crâne rasé, le teint jaune. Morte avant même d'avoir trente ans, loin de l'Angleterre, ce pays dont elle nous parlait avec tant d'amour.

La librairie, je l'ai donnée à Anthonia mais elle a laissé les livres. La boutique est vide, même le laboratoire de ma femme. Alors je retourne comme un automate à Belgravia. Les enfants sont là, ils jouent bruyamment à l'étage.

Je suis dans la bibliothèque et je peux dire précisément quand les enfants apprennent ma présence. Il y a un bruit de cavalcade et la porte s'ouvre violemment sur Dani.

"- Papa! C'est trop bien que tu sois rentré. On va pouvoir aller au parc comme promis.

-Où est ta mère?

- Avec Pandora, je crois. Elles devaient récupérer des cheveux de Kelpi pour leur expérience."

Je garde mon thé dans les mains, sans bouger. J'attends qu'elle reparte parce que s'il y a bien une chose que je ne ferais pas c'est d'aller au parc.

"-Papa?

-Va-t'en"


Le temps passe, les enfants sont partis. Je reste assis à regarder le temps défiler sans parvenir à bouger. J'ai une chape de plomb sur les épaules, je revois des horreurs défiler sous mes yeux. Sans bouger du fauteuil, je retourne à Bergen-Belsen, mais aussi à l'incendie de l'école de Buenos Aires, dans cet accident de voiture qu'on a eu avec Anthonia à Moscou et les bombardements à Téhéran. Daniella étendue dans une mare de sang, piétinée par la foule. Et lui… mort.

C'est Anthonia qui me ramène dans le monde des vivants. Ses bras autour de mon cou, son front contre le mien. Dehors, il fait nuit mais je vois enfin clair car Anthonia est là.

"-Mon ange... "

C'est une journée sans mais avec Anthonia je pourrais en supporter une de plus si je peux rester avec elle.


Alors, votre avis?