Chapitre 1

Le Holly Days était bondé à cette heure et je sentais déjà l'intérêt de plusieurs personnes à mon égard. Je ne les regardais cependant qu'à peine une seconde car les regarder plus longtemps sera pour eux le signal pour venir m'aborder. Désir, désir, désir, désir... il n'y avait que ça. J'écoutai les conversations plus ou moins éloignées de moi, je pouvais élargir le champ de mon écoute sur plusieurs mètres autour de moi quand je le voulais. Au vu de ce que j'entendais, l'endroit n'était pas très bien fréquenté. Drogue, sexe, argent étaient les sujets principaux.

Laura essayait de me dépraver, ça ne pouvait être que la seule raison pour laquelle elle m'avait dit que je trouverai un ancrage ici. Elle ne comprenait pas que je n'accepte pas les relations plus intimes, ça faisait partie de la nature de toutes les espèces animales de cette planète, qu'elle disait. Elle n'avait aucun mal à profiter des plaisirs de la chaire mais moi, je ne pouvais pas. Je ne voulais pas profiter d'eux, ils ne savaient pas qu'ils se faisaient juste avoir par ma nature.

Désir, désir, inquiétude... inquiétude ?

Je laissai mon regard traîner sur l'homme en question, il s'agissait d'un homme au teint mate et aux cheveux longs grisonnants d'une cinquantaine d'années qui me regardait effectivement avec de l'inquiétude et un sentiment protecteur. L'inquiétude n'était qu'une émotion de surface, plus profondément, il était anéanti. Son besoin de protéger le fit venir vers moi, il s'installa de l'autre côté de la table à laquelle j'étais installée.

« Bonsoir, me dit-il. Je m'appelle Jack.

« Jamie, me présentai-je.

« Je... mince, tu dois penser que je suis un pervers, je ne suis pas venu pour te draguer ou pour quoi que ce soit de mauvais, ne t'inquiète pas à ce propos.

Je lui souris.

« Je sais, je n'ai pas pensé cela. Vous avez...

Je m'arrêtai, jaugeant si je pouvais mettre son émotion sur le tapis.

« L'air inquiet.

Il me sourit.

« Oui, c'est que... c'est que cet endroit n'est pas très bien fréquenté et je voulais m'assurer que tu étais en sécurité. J'aurais aimé que quelqu'un fasse la même chose pour ma fille.

Je posai ma main sur les siennes qui étaient croisées sur la table.

« Je suis désolée, lui glissai-je. À vos paroles, j'ai l'impression qu'il est arrivé quelque-chose de mal à votre fille.

C'était pour cela, la douleur qu'il ressentait.

« Oui, elle est morte à présent mais je préfère ne pas y penser, c'est trop difficile.

Je serrai ma main sur la sienne en réconfort.

« Tes parents savent que tu es ici ?

« Je suis orpheline.

Il retira l'une de ses mains de sous la mienne et la posa au-dessus, prenant ma main en sandwich.

« J'en suis navré. Tu as été recueillie par de la famille ? Un foyer ?

« Non, rien de tout ça. Je n'ai plus de famille et les foyers ne me conviennent pas.

« Où vis-tu, alors ?

« Chez une amie, pour l'instant, mais je ne peux plus rester chez elle alors, je ne sais pas.

Il allait falloir plusieurs rencontres avant qu'il ne me fasse totalement confiance et que le lien d'ancrage se forme totalement mais c'était bien parti. Je n'avais pas autant de mal à laisser mon ancrage avoir ce besoin de protection pour moi, ce n'était pas pareil, car ceux qui développaient ce besoin avait toujours quelque-chose au fond d'eux de brisé. C'était alors un échange de bons procédés. Ils me permettaient de survivre et j'apaisai leur âme en échange. Une fois qu'ils allaient mieux, je pouvais les laisser construire leur nouvelle vie.

« Tu n'es pas une simple humaine, n'est-ce pas ?

Je relevai les yeux vers lui, retirant ma main. Il ne pouvait pas savoir ?

« Comment ça ? Lui demandai-je, sur la défensive.

« Je la ressens, la magie qui t'habite.

« C-comment est-ce possible ?

« Je fais partie d'une tribu amérindienne, nous croyons à la magie, c'est probablement pour ça.

Il remarqua mon agitation intérieure. Jamais un humain n'avait découvert que je n'étais pas humaine, du moins pas simplement humaine sauf celui que j'aimais toujours, parce que je le lui avais dit mais il avait emporté mon secret dans la tombe.

« Ne t'inquiète pas, je ne dirai rien à personne, tu peux me faire confiance. J'ai simplement envie de t'aider.

« Je ne le suis pas totalement, en effet, avouai-je. Je suis devenue ce que je suis par la magie mais ce n'était pas de ma volonté. Mais je vous promets, jamais je n'ai et ne ferai de mal à quelqu'un. On a justement été créées dans le but d'apaiser les âmes.

Je préférai éviter de lui révéler qu'en premier lieu, il s'agissait d'apaiser celles des lycans, ça rendrait les choses bien plus effrayantes et les humains ne croyaient plus aux loups-garous, de toute façon. Enfin, peut-être que lui me croirait.

« Je comprends, je me rends compte maintenant que tu me le dis, que mon esprit ne tourne plus uniquement autour du mal que je ressens.

Je lui souris.

« Nous avons besoin de nous attacher à quelqu'un pour survivre, lui expliquai-je. On appelle cette personne notre ancrage et en échange, nous lui donnons ce dont il a besoin ou envie.

Il fronça les sourcils.

« C'est affreux, vous êtes obligée de... d'avoir des...

Il était horrifié et je devinais rapidement pourquoi.

« Non, on n'est obligée à rien. Je ne le fais pas, ils peuvent seulement obtenir ma compagnie, par exemple. Certaines oryns répondent à un autre besoin que le désir, qui est changeant selon les oryns. J'ai toujours besoin d'être protégée, peut-être parce que j'ai été changée trop jeune.

Il hocha la tête.

« C'est pour cela alors, que je suis venu à toi.

« Vous avez perdu votre fille, ça a dû provoquer ce besoin de protéger les autres.

Il hocha la tête de compréhension.

Il fallut une balade au parc et un déjeuner au Mcdonald's pour qu'il en vienne à me proposer d'emménager chez lui. Je serai la fille d'amis à lui récemment décédés, il dirait à ses amis qu'il s'était proposé de m'accueillir jusqu'à ce que je sois en âge de voler de mes propres ailes. Un père adoptif, en somme. Je lui avais dit avoir 16 ans parce qu'à 18 ans, j'étais censée pouvoir vire par moi-même.

Ce fut ainsi que deux semaines après notre première rencontre, j'emménageai chez lui, dans la réserve Quileute.

J'étais en train de sortir mes valises de son véhicule quand une jeep se gara derrière moi. Un homme, d'environ 25 ans, au même teint mate que Jack, sortit du véhicule. Ses yeux bruns étaient sérieux, ses cheveux courts étaient noirs, il était grand et musclé et ne portait qu'un short et avait oublié de mettre des chaussettes avant d'enfiler ses baskets. Non pas que je l'examinai des pieds à la tête... bon, si je l'avais fait.

Il ne me parla pas mais il m'avait jaugée lui aussi. Il me mettait mal à l'aise, il avait un côté animal dans son esprit et ça me rappelait les loups-garous. Seul le fait que ses émotions ne partaient pas dans tous les sens comme je l'avais vu chez les lycans me rassura sur le fait qu'il n'en était pas un. Il se dirigea vers son coffre et en sortit un fauteuil-roulant qu'il emmena de l'autre côté de sa voiture. Je remarquai alors qu'un autre homme, du même âge que Jack, se trouvait sur le siège passager. Celui-ci ouvrit sa portière et se hissa sur le fauteuil-roulant que le plus jeune tenait.

« Jamie, je t'ai parlé de Billy, l'un des trois chefs de la tribu, je lui ai évidemment parlé de ta venue, et voici Sam, il est en quelque sorte responsable de la sécurité des habitants de la réserve.

« J'ai été surpris de découvrir que Jack s'était lié d'amitié avec des visages pâles. Désolé pour tes parents mais je ne te cacherai pas que cela me paraît bien étrange, surtout maintenant que je te vois.

Je fixai mon regard au sien, il était suspicieux, méfiant. Étant supposée avoir perdu mes parents récemment, je gardais une expression triste. Ce n'était pas difficile, j'étais toujours triste, il ne pourrait seulement pas en savoir la raison.

« Je te prierai de garder tes méfiances pour toi, s'agaça Jack. Je comprends que cela te semble bizarre mais non, elle n'essaye pas d'obtenir mon argent. Il n'y a pas d'argent à prendre, de toute façon.

« C'est de cela dont vous avez peur ? Demandai-je à Billy. Mes parents m'ont laissé beaucoup d'argent comme héritage, je ne manque de rien.

Avec 149 ans d'existence en tant qu'oryn, j'avais pu obtenir quelques héritages de certains de mes ancrages, ils m'avaient mise sur leur testament, estimant que je l'avais mérité ou parce qu'ils n'avaient aucune famille. Et cet argent fructifiait chaque année, j'avais dû me le léguer à moi-même en tant que ma propre fille quand j'étais censée être assez vieille pour mourir.

« C'était ma crainte, oui, mais plus maintenant.

Il était toujours méfiant et j'imaginai qu'il sentait lui aussi la magie dans mes veines. Jack changea de sujet en mettant une future partie de pêche avec un certain Charlie, je lui en étais reconnaissante car Billy se laissa détourner de mon cas. Finalement, les visiteurs s'en allèrent non sans que Billy me jette un regard qui signifiait probablement qu'il m'avait à l'œil.

« Ne t'inquiète pas, me dit Jack quand on se mit à table le soir, ils finiront par voir que tu n'es pas maléfique.

« Je n'ai jamais été confrontée à autant de méfiance de la part d'une personne, avouai-je. Sam non plus ne me fait pas confiance, même s'il n'a rien dit, je l'ai senti.

« Ils finiront par s'y résoudre, me rassura-t-il.

Le lendemain, je passai la journée à me promener dans la forêt et j'avais fini par tomber sur une plage. J'avais croisé d'autres Quileutes mais ils se méfiaient tous de moi et aucun ne voulait m'adresser la parole, même quand je les saluais. Ils avaient tous les cheveux longs, même les gars et j'imaginai que c'était habituel chez eux, il n'y avait que Sam qui dérogeait à cette règle.

Je finis par remonter de la plage par un petit chemin, il y avait une femme qui étendait le linge près d'une maison en bois. Je reportai mon regard sur le sol et continuai sans la saluer, je ne savais pas si elle m'avait remarquée parce qu'elle était occupée avec son linge mais je sentis finalement son regard sur moi.

« Bonjour, me salua-t-elle.

Je relevai le visage vers elle, étonnée qu'elle m'adresse la parole. Je fus également surprise par les cicatrices qui traversaient sa joue mais repris contenance parce qu'elle commençait à se sentir gênée par mon regard.

« Tu dois être la petite protégée de Jack, me sourit-elle.

Je lui rendis son sourire.

« Bonjour, oui, Jamie. Désolée de ne pas t'avoir saluée, tout le monde semble vouloir m'éviter alors j'ai pensé...

Je haussai les épaules pour terminer ma phrase.

« Ils sont méfiants par nature, ils n'aiment pas beaucoup ce qui sort de l'ordinaire et ce qu'ils ne comprennent pas.

« Mais pas toi ? M'enquis-je.

« Eh bien, tout le monde est innocent jusqu'à preuve du contraire, non ? J'ai dit à Sam de te laisser le bénéfice du doute, puis si Jack te fait confiance, alors c'est probablement que tu en es digne. J'espère qu'un jour, tu nous expliqueras ce que tu es.

« Jack sait mais... je ne suis pas habituée... à en parler.

J'espérais qu'elle n'insisterait pas, ma nature immortelle était un secret qu'il valait mieux taire. Elle hocha la tête et m'invita à prendre une boisson chaude, j'acceptai volontiers. Emily était la fiancée de Sam et elle m'expliqua que ses cicatrices avaient été causées par un ours.

Quand je rentrai, Jack me demanda comment s'était passée ma journée, je lui racontai ce que j'avais fait, parce que ça lui faisait plaisir, il n'était pas content que tout le monde m'évite, mise à part Emily. Il était d'ailleurs ravi qu'elle soit devenue mon amie et s'inquiétait de la réaction de Sam quand il le saurait. De ce que Jack me disait, j'avais conclu que Sam aussi avait ce besoin de protection envers sa fiancée, surtout depuis qu'elle avait été attaquée par cet ours.

« Je t'ai inscrite au lycée de Forks, la rentrée est lundi et je suis allé t'acheter les fournitures scolaires dont tu auras besoin.

« Il n'y a pas de lycée ici ? M'intéressai-je.

« Si mais... ils ne prennent plus les inscriptions.

Il était gêné, il ne me disait pas la vérité. Je n'y étais peut-être pas la bienvenue. Je hochai la tête.

« Tu me diras combien ça t'a coûté, je rembourserai.

« Inutile, balaya-t-il.

Je voulus insister, il le devina.

« C'est le rôle que j'ai pour toi, maintenant, tu as oublié ?

« Non, tu as le rôle d'un père pour moi, rétorquai-je.

« Les pères payent les fournitures d'école de leur fille, adoptive ou non.

« Je capitule, cédai-je en levant les mains.