Lisbon avait cette impression étrange que son monde venait de basculer. Ce sentiment de vertige qui survenait soudainement, sans crier gare, comme si elle était montée dans un manège qu'elle n'avait pas vu venir. Tout était devenu tellement flou, comme si elle n'avait jamais eu prise sur sa propre trajectoire. Elle n'avait pas encore trouvé le moment exact où tout avait changé. Mais là, dans cette salle d'embarquement bondée, assise sur l'un de ces sièges inconfortables aux accoudoirs trop rigides, serrée contre Jane, avec Sarah installée dans son porte-bébé, elle en était certaine : elle avait perdu le contrôle. Elle aurait pu être plus précise et dire qu'elle l'avait perdu bien avant, peut-être même dès l'instant où Sarah était née, mais ce n'était pas le moment de réfléchir à tout ça.
Le regard de Lisbon se posa sur Jane. Il semblait aussi calme que d'habitude, ce calme un peu insupportable qui le suivait partout. Mais ce n'était pas ce regard trop tranquille qu'elle voulait observer à cet instant précis. C'était la façon dont il manipulait Sarah, aussi naturellement qu'il manipulait des cartes dans un tour de magie. Il glissa le petit sac de leur fille sur son épaule avec une aisance qui la rendait à la fois jalouse et fascinée. Elle avait vu des tas de choses impressionnantes de Jane au fil des ans, mais là, il était en train de l'épater à nouveau. Il n'avait pas l'air d'un père, pas même d'un parent, juste un homme qui faisait une activité aussi ordinaire que de porter un bébé. C'était presque insultant. Comme si tout ce qu'il faisait était tellement simple.
Lisbon détourna les yeux et croisa les bras, sentant la montée de stress lui nouer l'estomac. Autour d'eux, les passagers allaient et venaient, certains jetant des coups d'œil impatients aux écrans d'affichage, d'autres ajustant leurs bagages à main ou cherchant nerveusement leurs passeports. L'ambiance était bruyante, saturée d'annonces au micro, de conversations indistinctes et du cliquetis des valises roulant sur le sol carrelé. Son esprit commença à divaguer, anticipant déjà le pire scénario. Si Sarah pleurait dès l'embarquement, si elle avait une crise de nerfs en attendant de monter à bord, ou pire encore, si les autres passagers les jugeaient avant même qu'ils aient atteint l'avion. La situation était déjà assez compliquée sans qu'ils aient à jouer aux parents inquiets sous les regards réprobateurs. Lisbon détestait l'idée d'être le centre de l'attention, surtout dans un endroit où il était impossible de fuir.
— Je le sens pas, Jane, dit-elle dans un souffle, sa voix se brisant légèrement. L'idée de se retrouver coincée dans un avion pendant des heures avec un bébé qui pouvait potentiellement transformer le vol en cauchemar la mettait dans un état de panique dont elle ne voulait même pas parler.
Jane leva à peine les yeux de Sarah, le sourire en coin qu'il arborait chaque fois qu'il trouvait une situation un peu trop sérieuse à son goût. Mais il savait bien que Lisbon n'aimait pas être dans cette position, qu'elle préférait avoir le contrôle.
— Lisbon, on a affronté des tueurs en série. On a survécu à des explosions. On a connu Red John.
Il tapota doucement le dos de Sarah, qui était assise calmement dans son porte-bébé, ses grands yeux curieux scrutant son environnement. Elle n'avait aucune idée de l'angoisse qui se lisait sur le visage de sa mère. Lisbon observa sa fille, une bouffée d'amour chaud envahissant son cœur malgré la situation. Sarah était si calme, si innocente. C'était un contraste frappant avec son propre tourment intérieur.
— Rien de tout ça ne m'a effrayé autant que ce petit bout de chou de six mois enfermé dans un avion, murmura Jane, son ton à la fois léger et surprenant.
Lisbon ferma les yeux et inspira profondément. Si Jane avait l'air si détaché, c'était un stratagème. Il faisait toujours semblant d'être implacable, mais elle savait que sous cette façade se cachait un homme qui avait, tout comme elle, des angoisses enfouies. Peut-être que ce n'était même pas l'avion qui l'effrayait, mais bien la responsabilité de cet enfant.
— Si elle pleure tout le vol, je veux disparaître de la surface de la Terre, dit Lisbon en essayant d'apaiser un peu sa respiration rapide. Elle n'aimait pas cette idée, mais elle devait l'admettre. Si Sarah commençait à pleurer, tout le monde allait le savoir.
Jane, implacable, haussa les épaules comme si ce n'était qu'un détail à gérer. D'un geste facile, il ajusta le porte-bébé, comme s'il s'agissait d'une simple tâche du quotidien.
— Dans ce cas, on dira qu'elle n'est pas notre bébé, répondit-il, l'air décontracté. Il ne semblait pas plus perturbé que ça par la situation.
Lisbon écarquilla les yeux. Elle ne savait pas si elle devait rire ou le détester pour sa suggestion farfelue.
— Pardon ?!
— On fait semblant d'être un couple sans enfant, totalement innocents dans cette histoire. On feint l'indignation, on regarde les parents fictifs avec mépris, et on demande même à changer de siège pour nous éloigner d'eux.
Lisbon le regarda un moment, incrédule, ses lèvres légèrement pincées. Mais derrière sa façade impassible, elle sentait une pointe de reconnaissance pour cette proposition absurde. L'idée de s'échapper de l'attention d'une manière aussi… théâtrale avait son petit côté irrésistible. Mais elle n'allait pas se laisser séduire si facilement.
Elle ferma les yeux un instant, essayant de se détendre. Puis elle se massa les tempes, sentant la tension s'installer au creux de ses épaules.
— C'est ça, ton plan ? lança-t-elle d'un ton fatigué, bien consciente que cette situation, aussi amusante soit-elle, n'était pas vraiment la solution qu'elle attendait.
Jane lui répondit avec son sourire espiègle, un sourire qui, pour une fois, semblait un peu trop calme pour qu'elle le prenne au sérieux.
— Tu as une meilleure idée ?
Lisbon roula les yeux. Il était incorrigible. Cela ne l'étonnait même plus. Mais son cœur se serra un peu, un mélange de tendresse et de frustration. Elle aurait tellement aimé qu'il lui offre plus que de simples solutions farfelues. Elle voulait le rassurant, le concret, quelque chose qu'elle pourrait réellement accepter. Mais de toute évidence, c'était trop demander.
Elle se tourna vers lui, son regard se durcissant légèrement.
— Tu aurais pu dire "ne t'inquiète pas, Lisbon, tout ira bien", murmura-t-elle. Un petit rappel qu'ils étaient une équipe, que tout se passerait bien.
Jane haussa les épaules une nouvelle fois, un léger sourire en coin.
— Oh, mais je mens déjà beaucoup trop pour toi au quotidien, répondit-il avec une malice tranquille.
Lisbon ne put s'empêcher de sourire malgré elle. Elle savait qu'il avait raison, que ses faux-semblants et ses illusions faisaient partie du quotidien. Mais cela ne signifiait pas que cela la calmait.
Elle suivit Jane sans un mot, ses pensées tourbillonnant en une tempête silencieuse alors qu'ils s'approchaient de la file d'embarquement. Les portes vitrées donnaient sur la passerelle qui menait à l'avion, et le bourdonnement ambiant de l'aéroport était presque hypnotisant. Elle attrapa le sac de Sarah, le glissant sur son épaule d'un geste automatique, puis inspira profondément.
Peut-être que tout irait bien, après tout.
Tout se passa étonnamment bien jusqu'au moment de s'installer, ce qui, dans le cas de Lisbon, n'avait rien de rassurant. Dès qu'ils arrivèrent à leur rangée, l'implacable réalité de l'espace confiné de l'avion les frappa tous les deux. Le passage étroit, les sièges alignés les uns contre les autres, et cette impression que tout avait été conçu pour rendre le voyage aussi inconfortable que possible. Lisbon se pencha légèrement en avant pour laisser passer Jane, qui avait cette démarche tranquille, presque exagérément calme, comme si l'univers entier s'était mis d'accord pour rendre son existence aussi paisible que possible.
Mais dès que Jane aperçut les sièges exigus, son masque de calme se fissura, laissant place à un regard perplexe. Il se tourna vers Lisbon, l'air complètement incrédule, avant de jeter un coup d'œil aux sièges. Puis il tourna son regard vers elle, une moue de déception se dessinant sur son visage.
— On a vraiment payé pour cet espace ridicule ? demanda-t-il, une exagération dans sa voix qui fit presque sourire Lisbon malgré la situation.
Elle souffla, déjà prête à répliquer à la fois sérieusement et avec un peu de sarcasme.
— Oui, Jane, c'est un vol commercial, pas un jet privé. Ce n'est pas un vol de luxe.
Il se laissa tomber sur le siège avec une certaine mauvaise grâce, l'air de quelqu'un qui venait de se retrouver dans un fauteuil bien trop petit pour lui. Il se redressa instantanément, le regard toujours aussi mécontent. Il se pencha en avant, observant les rangées avec une profonde désapprobation.
— L'avion entier va entendre quand je vais devoir me lever pour aller aux toilettes, marmonna-t-il en tapotant le bord du siège avec une agitation qui tranchait avec son air habituellement calme.
Lisbon roula les yeux, cette fois-ci un peu amusée malgré elle, et secoua la tête.
— Ou alors, tu n'y vas pas, rétorqua-t-elle, une lueur taquine dans les yeux. Ce n'est pas comme si tu n'avais pas d'autres priorités.
Il leva les yeux au ciel avec un sourire qui aurait pu presque être sincère.
— Lisbon, soyons réalistes. Je vais devoir y aller à un moment donné.
Lisbon haussait les épaules, une lueur d'énervement bien cachée derrière son calme apparent. Il n'y avait pas de raison de s'inquiéter, non ? Pas encore, du moins. Mais l'ambiance à bord commençait à l'écraser. Chaque petit bruit, chaque mouvement autour d'eux, les gens qui s'installaient, la voix annonçant les consignes de sécurité, tout cela semblait se resserrer autour de son esprit, l'angoissant de plus en plus
Sarah, quant à elle, semblait totalement indifférente au tourbillon de pensées qui agitait sa mère. Elle était confortablement installée contre Jane, ses petits bras agitants de temps en temps dans une danse joyeuse. Elle babillait joyeusement, sans la moindre idée de la tension qui régnait dans l'air autour d'elle. Il y avait quelque chose d'absolument déconcertant dans sa tranquillité.
Lisbon tourna le regard vers leur fille. Elle était là, toute petite, la tête penchée sur le côté, observant tout avec des yeux pleins de curiosité, mais son monde était encore si pur, si simple. Aucun souci. Aucun stress.
Pourquoi suis-je la seule à me sentir aussi… piégée ? Lisbon n'avait pas de réponse à cette question, et encore moins à l'angoisse qui commençait à se frayer un chemin dans son ventre. Le vol n'avait même pas encore commencé, et elle se sentait déjà envahie par cette sensation de claustrophobie, ce besoin de fuir, d'échapper à cette situation.
Mais Jane, lui, semblait totalement détendu. Presque trop détendu. Comme s'il avait pris une profonde inspiration et qu'il était prêt à affronter l'avion avec toute l'aplomb d'un homme qui ne se laissait jamais submerger par les imprévus. Lisbon, en revanche, n'avait même pas le luxe de se sentir aussi insouciante.
Elle le regarda de biais, un sourire qu'elle tenta de dissimuler. Comment pouvait-il être aussi à l'aise ? Était-ce de l'arrogance ou juste une confiance incroyable ? Quelqu'un d'autre que Lisbon aurait pu le qualifier d'irritant, mais elle savait qu'il n'agissait jamais sans raison. C'était là sa manière de la rassurer. Et peut-être que, sous cette couche de tranquillité, il essayait de lui dire que tout allait bien se passer. Mais même dans ces moments-là, Lisbon se retrouvait souvent à douter de ses propres capacités à se détendre.
Alors que l'avion commençait enfin à bouger, Lisbon se tourna vers Jane, lui lançant un regard un peu plus inquiet.
— Tu sais, on est encore loin du décollage…
— Et alors ? Il ne faut jamais se presser, répondit-il en lui adressant un sourire radieux. Si tu veux, on peut même prendre notre temps à y aller. Mais d'ici là, tu vois, Sarah et moi, on va juste continuer à respirer tranquillement.
Lisbon roula les yeux. Bien sûr. Comme toujours.
Durant le décollage, Lisbon sentit son cœur battre plus fort qu'à l'ordinaire, comme un bruit sourd qui semblait se synchroniser avec les moteurs de l'avion. Elle prit une inspiration trop profonde pour être naturelle, la gorge serrée, et jeta un coup d'œil furtif vers Sarah. La petite, jusqu'ici calme, commençait à bouger un peu plus que d'habitude. Ses bras et ses jambes agitaient lentement l'air, comme si elle sentait quelque chose que Lisbon n'arrivait pas à saisir.
Un léger pressentiment, ce frisson étrange au fond du ventre, lui serra la poitrine. Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait ce genre de sensation, mais jamais dans une situation aussi banale qu'un vol en avion. Elle n'aimait pas ce pressentiment.
— Jane… Tu es sûr qu'elle est bien ? demanda Lisbon, un peu nerveuse, sans pouvoir s'empêcher de se concentrer sur la petite silhouette de Sarah, qui se tortillait doucement dans les bras de son père.
Jane hocha la tête, une confiance tranquille dans ses yeux, comme s'il n'avait jamais eu de doute.
— Elle est parfaite, répondit-il simplement.
Lisbon chercha à se rassurer dans sa réponse, mais elle n'arrivait pas à échapper à cette petite voix intérieure qui ne cessait de répéter que quelque chose n'allait pas. La vitesse de l'avion augmentait, et la piste s'étendait sous eux, l'horizon se déformant, mais Lisbon sentait que ce moment serait un tournant.
Et soudain, l'avion toucha la vitesse maximale. Le grondement des moteurs sembla envahir tout l'espace. Puis, sans prévenir, ce fut la fin de la tranquillité.
Sarah, jusque-là d'un calme absolu, ouvrit grand la bouche. Un cri perça l'air, un hurlement aigu qui fit sursauter Lisbon. Ce n'était pas un simple pleur, non, c'était un cri primal, terrifiant, presque inhumain. Un cri digne d'un film d'horreur, tranchant et désespéré. Lisbon sentit son estomac se nouer, son souffle se couper, et la panique monta en elle comme un nuage noir.
Elle se tourna rapidement vers Jane, son cœur battant la chamade.
— Jane ! Elle hurle ! souffla-t-elle dans un souffle, son visage défiguré par la panique.
Jane, lui, cligna des yeux, un peu surpris par l'intensité du cri, mais sans céder à la panique. Il la fixa un instant, le regard qui ne cillait presque pas. Puis il tourna son regard vers leur fille, avant de les poser sur Lisbon.
— J'ai des oreilles, Teresa ! répliqua-t-il, un peu sarcastique, mais aussi complètement désemparé par la situation.
Le cri de Sarah s'intensifia, montant en crescendo, plus fort, plus perçant. Les têtes autour d'eux commencèrent à se tourner. Lisbon sentit le regard des autres passagers peser lourdement sur elle. Elle aurait voulu disparaître dans le sol. Mais l'enfant qu'elle portait en elle, l'amour qu'elle lui portait, la culpabilité qu'elle ressentait de ne pas pouvoir la calmer, tout cela faisait qu'elle se sentait coincée, piégée dans cette cabine étroite, sans échappatoire.
Sarah continuait de hurler à en percer les tympans. Elle semblait inconsolable, un petit être perdu dans cet environnement hostile, dans ce monde qui changeait trop vite pour elle. Lisbon n'arrivait plus à réfléchir clairement. Elle regarda Jane, qui semblait encore plus déstabilisé qu'elle ne l'était.
Une hôtesse passa près d'eux, son sourire crispé trahissant l'inconfort général. Elle s'arrêta un instant, tentant de ne pas sembler trop mal à l'aise, avant de proposer, d'une voix un peu trop enjouée pour la situation :
— Peut-être qu'elle a mal aux oreilles ?
Lisbon tourna la tête vers l'hôtesse, désemparée, mais un instant plus tard, elle comprit. Les oreilles. C'était vrai. Elle se rappela des conseils qu'elle avait lus avant le vol. Les changements de pression pouvaient affecter les bébés. Elle serra les poings sur ses genoux, frustrée par son incapacité à agir de manière efficace.
— Mais on lui avait donné le sein juste avant, ça ne devait pas arriver ! lança Lisbon, son ton accusateur mais plus inquiet que furieux.
La panique commença à se glisser dans ses mots. Elle saisissait n'importe quel détail qui pourrait expliquer cette crise.
Jane jeta un coup d'œil à Sarah, une petite lueur de désespoir dans ses yeux, mais il réagit rapidement. Il fouilla dans son sac pour sortir un biberon d'eau. Il le tendit à Lisbon avec une expression mi-perplexe, mi-désespérée.
— Donne-lui ça, dit-il simplement, espérant que l'eau pourrait au moins apaiser la situation.
Lisbon le regarda, incrédule. C'était ça, la solution ? De l'eau ? Elle tourna le biberon entre ses mains comme si c'était un objet exotique. Sarah hurlait encore plus fort, et l'idée que de l'eau pourrait suffire semblait ridicule.
— Jane, tu penses vraiment qu'un bébé qui hurle à la mort veut boire de l'eau ? répondit Lisbon avec une touche de désespoir. Elle n'arrivait même pas à comprendre comment il pouvait proposer cela.
Un silence lourd s'installa entre eux, amplifié par le cri de Sarah, qui n'était toujours pas près de se calmer. Lisbon baissa les yeux sur l'enfant, puis, dans un sursaut de frustration, lança une question qui semblait être à la fois une prière et une supplication.
— Tu as une meilleure idée ?!
Jane se tourna à nouveau vers Sarah, qui pleurait maintenant en étouffant de petits sanglots désespérés, son petit visage crispé par la détresse. Lisbon sentit son propre cœur se serrer, mais elle n'eût pas le temps de se laisser submerger par l'émotion, car Jane semblait avoir pris les choses en main d'une manière qu'elle n'avait pas anticipée.
Il se pencha légèrement en avant, berçant doucement Sarah, et la regarda droit dans les yeux avec un sérieux qu'elle n'avait pas vu venir.
— Ok, écoute-moi bien, dit-il calmement, sa voix presque rassurante.
Il continua en lui parlant comme si Sarah pouvait comprendre chaque mot, une technique qui, il fallait l'admettre, semblait un peu décalée dans une situation aussi chaotique.
— Respire, Sarah. Inspire. Expire. On est dans un avion. Un super avion. Tu aimes les avions. Tu n'as aucune raison de hurler.
Lisbon roula des yeux en entendant ses paroles, son regard se posant sur Jane avec un mélange de consternation et de perplexité. Ce n'était même pas le genre de méthode qu'elle aurait envisagée, mais il était évident qu'il ne se laissait pas abattre aussi facilement.
— Jane, elle a six mois. Elle ne comprend pas ce que tu racontes, répliqua Lisbon d'un ton exaspéré, bien que la scène devant elle soit en quelque sorte… irrésistible.
— Tu serais surprise, répondit-il avec un petit sourire énigmatique.
Et avant que Lisbon n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit de plus, Jane se lança dans une nouvelle tentative pour apaiser Sarah, mais cette fois, il sembla vraiment prendre cette situation comme un défi personnel. Dans un mouvement désespéré, il se mit à chanter, à voix basse mais avec une passion sincère.
— "Fly me to the moon, let me play among the stars…"
Lisbon se figea. Elle n'avait pas vu venir ça. Le choc de la situation la rendit presque immobile, incapable de comprendre si elle était en train de rêver ou si Jane venait réellement de commencer à chanter Sinatra à leur fille en plein vol.
— Tu es en train de chanter Sinatra à notre fille en plein vol ? demanda-t-elle, incapable de masquer l'étonnement dans sa voix.
Jane haussait les épaules, l'air un peu trop décontracté pour une telle situation.
— Tu as une meilleure idée ?
À ce moment-là, comme par magie, le cri de Sarah commença à s'apaiser. Le hurlement intense se transforma en de petits gémissements, puis en un silence étrange, seulement brisé par la voix de Jane qui continuait de chanter. Lisbon cligna des yeux, comme si elle essayait de comprendre ce qu'il venait de se passer.
— Ça marche ?! s'étonna Lisbon, le regard passant de Jane à Sarah, qui semblait presque fascinée par la voix de son père.
Jane esquissa un sourire triomphant, visiblement satisfait de lui-même.
— Évidemment que ça marche. Elle a du goût.
Lisbon secoua lentement la tête, son sourire qui ne pouvait s'empêcher de se dessiner malgré elle. La situation avait pris une tournure tellement absurde qu'elle en perdait son calme habituel.
Sarah, les yeux grands ouverts, fixait son père avec une attention fascinée, comme si elle était complètement hypnotisée par la musique. Ses pleurs étaient devenus un vague souvenir. Elle s'endormit lentement, apaisée par les douces notes chantées par Jane.
— "Let me see what spring is like on Jupiter and Mars…"
Lisbon soupira de nouveau, un peu exaspérée, mais touchée par la scène. Elle observa Jane et Sarah avec un sourire plus tendre qu'elle ne l'aurait voulu, tout en secouant la tête avec amusement.
— C'est insupportable que tu sois aussi bon en improvisation, dit-elle d'un ton faussement boudeur.
Jane la regarda, l'air faussement innocent, avant de répondre avec son sourire éclatant.
— J'espère que tu réalises que je vais devoir chanter ce morceau en boucle pendant tout le vol.
Lisbon soupira, mais cette fois, elle se laissa aller contre son siège, fatiguée mais d'une certaine manière rassurée par la scène de calme qui s'était installée autour d'eux.
— J'accepte ce destin, répondit-elle, la voix pleine de résignation.
Jane embrassa tendrement le front de Sarah, qui, désormais, s'était endormie paisiblement contre lui. Elle semblait aussi sereine qu'un bébé pouvait l'être, son petit corps détendu dans les bras de son père.
— Tu vois, ma chérie, c'était rien du tout. Un simple décollage. Tu as affronté ça comme une championne, murmura-t-il, un sourire amoureux flottant sur ses lèvres.
Lisbon croisa les bras, ses yeux fixant à la fois son mari et sa fille, le cœur en paix malgré la turbulence intérieure qui avait secoué son esprit plus tôt.
— Rappelle-moi de filmer la prochaine fois que TU as mal aux oreilles, lança Lisbon, un sourire en coin, une nouvelle idée de chantage venant à l'esprit.
Jane lui adressa un sourire éclatant, sans se laisser démonter.
— Oh, Lisbon… J'attends ton chantage avec impatience.
Puis, il reprit son chant, et Sarah, toujours hypnotisée par la douce mélodie, s'endormit profondément contre lui, la scène qui s'installait à bord devenant aussi paisible qu'un rêve.
Lisbon posa sa tête contre l'appuie-tête du siège, exhalant lentement, les yeux fermés.
Finalement…
Ils allaient peut-être survivre à ce vol.
