Petit chapitre bonus, car un peu court pour faire un chapitre hebdomadaire.

Bonne lecture.


Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 269, an 14.

Liu dirait sans doute que le destin est une garce. Je dirais juste qu'il est taquin.

Il a fallu que j'autorise cette chasse pour qu'on fasse une nouvelle découverte intéressante...

Enfin bref, on va faire un rapport, et ce sera à Delleb de décider si ça vaut la peine de s'y intéresser plus avant ou pas. Même si mon équipage ne risque plus de rage de faim dans l'immédiat, je ne me sens pas de continuer cette campagne d'exploration, maintenant que j'ai découvert cette faille organisationnelle.

Je veux rentrer et réparer cette erreur.

Tom Giacometti, fin d'enregistrement.

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« Capitaine, on a trouvé quelque chose qui devrait vous intéresser. »

L'appel télépathique de Jer'kan lui fit l'effet d'un choc électrique qui le sortit de ses sinistres considérations.

« Où êtes-vous ? Avez-vous un problème ? »
« Dans une grange, au sud du village. Et tout va bien, Capitaine. On est capables de gérer une sélection sur un si petit groupement humain. »

Ignorant la fin de la phrase du guerrier, Tom fit pivoter le Jumper, scrutant le village. Il ne tarda pas à voir la petite silhouette en cuir noir qui agitait les bras devant un bâtiment de planches.

« Je vous vois. J'arrive. »

Posant le vaisseau sans le désocculter, il sortit, non sans avoir vérifié que son blaster était bien dans son holster de cuisse.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-il au guerrier qui l'attendait.

« Il n'y a pas que des humains dans ce village. » expliqua Jer'kan, en lui faisant signe de l'accompagner dans la grange.

« Des Jaffas ? »
« Négatif, Capitaine. Regardez. » expliqua laconiquement le guerrier en désignant l'intérieur, dont le premier niveau était divisé en plusieurs stalles lourdement grillagées.

Curieux, Tom s'avança, ses bottes crissant sur la paille répandue partout.

Certains boxes étaient vides, mais d'autres contenaient une ou deux créatures, parfois entravées par un collier ou de lourdes menottes d'acier.

« Bonjour ? » hasarda-t-il à l'encontre d'un des êtres, qui le fixa craintivement et recula un peu, l'air soumis.

« Est-ce que vous me comprenez ? » demanda-t-il sans se décourager.

La créature émit un petit rauquement pitoyable.

« On dirait des bêtes, Capitaine. » nota Jer'kan.

« Mais ils portent des vêtements. » objecta-t-il, désignant les espèces de robes de toile grossière qui pendaient sur les hautes silhouettes silencieuses - à sa connaissance, aucun peuple ne s'amusait à habiller de simples animaux.

« Vous en avez trouvé d'autres dans le village ? »

Jer'kan eut un grognement vague, tandis qu'il le sentait interroger télépathiquement les autres.

« Quelques-uns. Malgré leur taille, ils semblent lâches et faibles. Ils se cachent et n'essaient même pas de se défendre. »

« Les créatures sont comestibles. » nota Veril, son esprit tout scintillant d'une curiosité rassasiée.

« Ne les videz pas ! On ne sait même pas ce qu'ils sont ! » hurla-t-il aussitôt sur la Toile.
Quelle bande de crétins ! Peut-être que ces êtres étaient les seuls de leur espèce. Et même si ce n'était pas le cas, peut-être leur consommation était-elle dangereuse pour les wraiths. Ils ne savaient rien de leur métabolisme.

« Est-ce que quelqu'un d'autre a vidé une de ces créatures ? »
Quelques dénégations télépathiques lui répondirent.

Il soupira. C'était déjà ça.

« Veril, jusqu'à nouvel ordre, vous êtes sous observation médicale. »

L'auxiliaire de pont grogna vaguement.
« A vos ordres, Capitaine. »

Se massant la tempe, Tom réfléchit. Son équipage devrait avoir bientôt fini sa chasse.

« Jer'kan vous êtes rassasié ? »
Le guerrier opina.
« Alors trouvez-moi un humain qui puisse nous expliquer ce que sont ces créatures. »

Dans un claquement des pans de son manteau, Jer'kan s'exécuta.

Resté seul, Tom prit le temps d'examiner d'un peu plus près les occupants des cages. Les créatures étaient grandes, larges et musculeuses. Leur peau, brunâtre et imberbe, semblait presque écailleuse. Certains arboraient deux petites cornes sous le menton, et tous avaient des crêtes osseuses sur les arcades sourcilières et les joues. Une des créatures, sous son regard, feula, découvrant des dents jaunâtres mais aussi effilées que les siennes.

Doucement, il s'approcha des barreaux. Il avait déjà vu des gens être ainsi réduits à moins que leur propre ombre. Privés de tout, troupeau impuissant derrière des grilles infranchissables. Ce genre de traitement pouvait briser même les plus grands guerriers. Même les atlantes et les fils de Silla finissaient par déchoir, quand on les traitait moins bien que des bêtes.

La créature le fixait par en dessous. Les yeux jaunes étaient farouches. Et intelligents. C'étaient les yeux d'un fauve qui se sait enchaîné et à la merci de ses adversaires.

Ses wraiths lui avaient dit que ces créatures étaient dociles et soumises. Qu'avaient-elles subi pour être ainsi ?
« Hé. Je vais pas te faire de mal. Je m'appelle Tom. Tom. Tu comprends ? » dit-il doucement, sur un ton paisible, en se désignant du doigt.

Que la créature l'ait compris ou pas, il l'ignorait, mais en tout cas, elle avait compris qu'il s'adressait à elle.

« Tom. » répéta-t-il en se désignant à nouveau.

L'être se redressa un peu, le dévisageant plus ouvertement, avec un genre de grondement interrogatif.

« Tom.» martela-t-il en se tapotant encore le torse, avant de désigner la créature du doigt tout en imitant son grognement interrogatif.

Cette dernière sembla hésiter un peu, puis se désigna du doigt.

« Arak. »

Tom sourit.

« Salut, Arak. »

Ce dernier eut un rauquement content.

Jetant un regard alentour, il ne vit aucune clé qui aurait pu permettre d'ouvrir la grille. Pas grave.

D'un geste de la main, il fit signe à Arak de s'approcher.

Voyant qu'il n'avait visiblement pas compris, il fit lui même un pas, tendant prudemment la main à travers les barreaux. Un contact télépathique faciliterait sans doute les choses, mais il n'avait aucune envie de se faire arracher le bras par la créature – ce qu'elle semblait tout à fait capable de faire si l'envie lui prenait.

« Allez viens, Arak. Je veux juste te toucher. Viens. » tenta-t-il de l'encourager.

Des bruits de pas lui firent tourner la tête, et voyant ses wraiths revenir accompagnés de prisonniers, il se détourna pour les accueillir.

Se retenant de grogner, il ne put s'empêcher de les tancer.

« Un enfant. C'est tout ce que vous avez trouvé ? »
« Il se cachait dans un coffre. On a aussi trouvé cette créature dans un placard à côté. » répondit Jer'kan en agitant son blaster en direction d'un autre être, ridiculement affublé d'un genre de robe bleue à fleurs.

Se tournant vers le jeune humain de douze ou treize ans à l'air terrifié qui lui faisait face, Tom tâcha de se donner un air avenant.

« Bonjour, jeune homme. Est-ce que tu me comprends ? »

« Vous allez me tuer? »
Il soupira.

« Tu me comprends. »

« Vous allez me tuer ? »

« Non. Personne ne va te tuer. » répondit-il, en appuyant sur le « personne ».

L'adolescent ne sembla guère convaincu.

Il aurait voulu s'excuser. Pour le malheur qu'il avait apporté sur son village, sur sa famille. Mais ce n'était pas le sujet. Il fallait qu'il se concentre.

« J'ai des questions à te poser. Plus vite nous aurons des réponses, plus vite nous repartirons. »

L'adolescent ne répondit pas, le fixant sans oser cligner des yeux.

« Que sont ces créatures ? » demanda-t-il donc, désignant celle en robe à côté du jeune homme.

« Quelles créatures ? Oh, les esclaves ? Ce sont justes des esclaves. »

Un sifflement mauvais lui avait échappé, faisait frémir de peur l'humain.

« D'où viennent-ils ? Quel est leur nom ? »
« Je ne sais pas. Ils sont juste là. C'est comme du bétail. On les fait se reproduire et ils nous servent. Ils n'ont pas besoin de nom, c'est des esclaves. »

Serrant le poing, il se retint de le gifler.
« Où sont les clés des cages ? » gronda-t-il tout bas, les dents découvertes en un rictus menaçant.

« C'est monsieur Luissier qui les a. »
« Où est-il ? »
« Il habite la maison jaune, juste là.» trembla l'adolescent en désignant un bâtiment de la main.

Il allait ordonner à Jer'kan de laisser l'humain partir, mais ce dernier l'interpella.

« On ne veut pas de problèmes. Si vous voulez nous voler nos esclaves, allez-y. On en achètera d'autres. C'est pas grave, ils ne valent pas grand-chose. »

Sa main avait jailli presque de son propre chef. Le temps qu'il réalise son geste, il avait soulevé par le cou l'adolescent. L'humain se débattit, la pointe de ses pieds effleurant à peine le sol. Il le tira à lui jusqu'à ce qu'il puisse sentir son souffle étranglé sur son visage.

Écoute-moi bien, petite raclure de primate. Je m'appelle Tom Giacometti, et tu as une chance infinie d'être tombé sur moi et personne d'autre. Ma race, les wraiths, traite les tiens avec le même dédain que vous traitez ces créatures. Pour mon peuple, les humains sont avant tout de la nourriture. Au mieux, des esclaves sans importance. Mais je ne suis pas comme la plupart des wraiths, et j'ai appris à respecter et estimer les humains. Toutefois, il y a un type de personne que je ne pourrai jamais respecter : les tortionnaires, les esclavagistes, qui se croient meilleurs que les autres. Mais tu as de la chance : mon sens de l'honneur m'interdit de te tuer alors que tu n'es qu'une larve qui n'a en rien nui à mon équipage ni à moi. Et mon équipage a interdiction de se nourrir sur des enfants. Donc, tu devrais survivre.

Tels auraient pu être les mots qu'il aurait prononcés. Ceux qu'il aurait aimé dire. Mais la rage l'étouffait trop, et seuls quelques grondements haineux lui échappèrent alors qu'il balançait dans l'esprit de l'adolescent un terrifiant pêle-mêle d'images de salle des cocons, de fiers guerriers se transformant en quelques instants en momies décharnées, des quartiers sombres et surpeuplés des adorateurs de sa ruche natale, des millions d'abus et de violences envers des humains dont il avait été le spectateur au cours de sa courte vie. Son dégoût viscéral pour ces gens, et pour tous ceux, quelle que soit leur race, qui se comportaient de même.

Avec la même rapidité qu'elle s'était embrasée, sa colère retomba et il le lâcha. L'humain s'effondra à terre, vomissant dans des tremblements compulsifs sous le traumatisme de l'assaut télépathique.

La créature en robe, qui jusque-là n'avait pas bougé, se jeta à genoux, tentant vainement de rassurer et consoler l'humain avec des gestes maladroits.

Il eut envie de lui cracher dessus. De la rouer de coups. De la secouer de cette docilité révoltante.

Il n'en fit rien et, tremblant, se détourna.

« Trouvez les clés des cages, libérez les prisonniers, et détruisez cet endroit. Ensuite, on s'en va. » cracha-t-il.

Ses wraiths opinèrent, alors qu'il retournait au Jumper, et s'asseyait en tremblant derrière les commandes.

Ils pouvaient briser le joug de ces esclaves. Ensuite, à eux de choisir la liberté ou la servitude.

Il le savait d'expérience. Impossible de libérer quelqu'un qui ne veut pas être libre.

Moins de cinq minutes plus tard, ils s'élevaient dans le ciel alors qu'une fumée noire commençait à monter de la grange maudite.

« Maintenant, on rentre. »

Pour la première fois depuis qu'il avait commencé à faire ces voyages annuels dans la Voie lactée, il n'avait qu'une envie : quitter cette galaxie, et retrouver la sienne.