Râ'kan avait été inarrêtable et, à son plus grand désespoir et sa plus grande gêne, Tom s'était retrouvé avec un rencard qu'il n'avait jamais demandé, ni même voulu.

La seule concession du guerrier avait été de ne pas révéler son nom à son « ami ».

Résigné, Tom s'était donc laissé traîner jusqu'à un Dart, dans lequel il avait été embarqué avec Râ'kan – trop bourré pour piloter. Il s'était rematérialisé de l'autre côté de la planète, sur une plage au bord de l'océan, qui reflétait les dizaines de feux émaillant le sable doré.

Râ'kan l'avait emmené avec fermeté jusqu'à un cercle de flammes occupé principalement par des humains paisiblement assis, fumant des pipes odorantes.

Assis parmi eux, trois wraiths qu'il ne connaissait pas. L'un d'eux se leva en les avisant, les rejoignant de quelques foulées souples.
« Râ'kan de Delleb. C'est un plai... (Il fronça le nez avec dégoût en sentant l'odeur avinée du guerrier.) ...sir. »

L'inconnu tourna son regard vers Tom, le dévisageant avec attention. Un peu gris, celui-ci lui rendit son regard, notant que le mâle était grand, presque autant que lui, et bien proportionné, ses cheveux attachés en une natte élégante lui tombant jusqu'au bas du dos.

Ce dernier sourit, visiblement satisfait de ce qu'il voyait.

« Je suis Tiamlymn de Trelimme. Il semblerait que nous ayons une connaissance en commun. Vous êtes ? »

« To... Do... No... Noban... » bafouilla-t-il, ayant manqué révéler son identité.

« Noban ? Voilà qui est original. Un nom sans suffixe. Mais je suppose que vous êtes trop jeune pour avoir déjà gagné un rang. »

« Heu, oui, c'est ça. »

Tiamlymn se tourna vers Râ'kan.

« Il n'y a pas d'alcool ici, malheureusement pour vous. Mais vous devriez en trouver quelque part par là-bas. » nota-t-il, en désignant vaguement un point sur leur gauche.

Râ'kan, ayant compris le message, les salua vaguement de la tête.

« Amusez-vous bien tous les deux ! » lança-t-il en s'éloignant, à la plus grande terreur de Tom.

Avec un sourire carnassier, et d'un geste élégant de la main, Tiamlymn l'invita à l'accompagner.

« Si nous marchions un peu tout en faisant mieux connaissance, Noban ? »

Tom était terrifié, mais pourquoi pas ? Après tout, il pouvait toujours s'en aller s'il le voulait.

Il opina.

Voyant qu'il n'allait pas parler, Tiamlymn se présenta plus avant.

« Je suis commandant de la forteresse numéro trente-sept, que l'on devine sur la colline là-bas. (Il rit d'un air affecté en désignant l'ombre massive de la citadelle organique, à un ou deux kilomètres de distance.) Ce n'est ni aussi impressionnant ni aussi passionnant que ça en a l'air. Mon travail consiste surtout à m'assurer que les inventaires sont bien faits et qu'aucun de mes wraiths n'est assez désœuvré pour avoir le temps d'avoir de mauvaises idées. Et vous, Noban ? »
« Je suis, heu... pilote... Je veux dire... apprenti pilote. »

« Une noble tâche. Qui demande concentration et instinct. » approuva son aîné.

Il opina à nouveau.

Ils marchèrent un moment en silence.

Tom se détendit un peu. Ce n'était pas aussi intimidant qu'il le pensait.

« Je suis curieux. Râ'kan m'a dit que vous avez moins d'un siècle. Comment êtes-vous devenu Ouman'shii ? »

Un instant, Tom envisagea de se faire passer pour un des membres de la dernière couvée de Silla, épargnée par le massacre, mais cette simple idée lui donnait la nausée. Il choisit un mensonge plus inoffensif.

« Un de mes aînés m'a emmené avec lui quand il a trahi sa ruche. »

« Il a eu une excellente idée. » approuva Tiamlymn. « Votre maître ? »
« Heu... non... »
« Un protecteur ? »
« Juste un frère de ruche. »

« Mmmh... C'est une bonne chose. Je ne voudrais contrarier personne en dépassant mes prérogatives. »

Tom se raidit un peu. L'autre le remarqua et s'arrêta pour l'observer.

« Râ'kan m'a dit qu'il avait un jeune mâle de sa connaissance qui cherchait un aîné pouvant l'initier aux accouplements. C'est bien… ce que vous désirez ? »

Tom déglutit. Oui, c'était ce qu'il voulait, en un sens, mais tout ça avait quelque chose de tellement… formel, de tellement artificiel.

Tiamlymn se méprit sur ses réticences.

« Je vous rassure, je ne ferai rien qui ne vous agrée, Noban. Je mentirais en disant que je n'aime pas avoir l'honneur d'être le premier à offrir ce savoir à de jeunes mâles, mais le faire de force n'est guère amusant – et c'est de tout manière proscrit. Si vous ne le voulez pas, dites-le-moi, et nous nous séparerons ici. Ou si vous préférez, nous pouvons retourner auprès du feu et passer une soirée agréable en bonne compagnie. »

« Non. C'est juste… un peu soudain pour moi. »

L'officier sourit.

« Je comprends. Allons-y doucement, alors. Vous alimentez-vous encore de nourriture solide ? Non ? Désirez-vous que nous trouvions un donneur ? Non plus. Alors je vous propose de continuer notre promenade. Discutons encore. Nous ne sommes pas pressés. »

.

Lorsque, l'air de rien, ils arrivèrent devant la grande porte d'os de la forteresse, Tom – à défaut de se sentir détendu – ne se sentait plus en danger. Le commandant avait été rassurant sans être pressant, et bien que le sous-entendu fût évident, c'est sans réticence qu'il accepta son invitation à visiter les installations.

Tiamlymn, clairement fier de son territoire, prit le temps de vraiment lui faire visiter la forteresse, lui montrant l'énorme canon orbital rangé sous sa coupole blindée, mais aussi les canonnières à plasma, la baie à Darts, la salle stratégique, et même les tunnels renforcés courant sous la base et destinés à accueillir la population humaine locale en cas d'attaque ennemie, afin de les protéger des rayons capteurs des chasseurs.

Finalement, il l'emmena devant une porte anonyme parmi d'autres dans un couloir désert.

« Puis-je vous inviter dans mes quartiers ? » proposa-t-il, joignant un geste élégant à ses paroles.

Tom opina et passa le seuil, découvrant des quartiers d'officier similaires à ceux d'une ruche, composés de plusieurs pièces.

Il attendit dans la première, une sorte de petit atrium à trois portes sobrement doté d'une patère garnie de manteaux de cuir et de deux fauteuils, que son hôte lui indique où aller.

Ce dernier, après avoir invoqué un serviteur en appuyant sur une sonnette indiscernable dans le mur organique, invita Tom à passer la porte de droite, qui ouvrait sur une chambre à l'obscurité percée par des éclairages orangés dissimulés dans les moulures du plafond.

La pièce possédait elle-même deux portes, que Tom devina être celles de la salle de bain et de la garde-robe. Mais, fait plus remarquable, presque tout le mur face au lit était une immense baie vitrée donnant sur la côte.

Bientôt, un humain en uniforme de serviteur, dont la relativement petite taille et la couleur de peau claire trahissaient une origine non grinnaldienne, entra en s'inclinant bien bas.

« Monseigneur ? »
« Prépare un bain. Bien chaud. Pas de savon. Et sors l'huile de Kadir et la sève Lakka. Ensuite, tu nous apporteras de l'eau. Fraîche. Et un vêtement d'intérieur pour mon invité. »

L'homme s'inclina à nouveau, et disparut par l'une des deux portes – de laquelle s'échappa aussitôt un bruit d'eau courante.

Tiamlymn se tourna vers Tom, l'air navré.

« Je n'ai pas de serviteur personnel. C'est un luxe que je ne puis me permettre ici. Les Grinnaldiens sont de fabuleux donneurs et des voisins agréables et faciles à protéger, mais ils font de piètres serviteurs, et les reines savent combien un bon servant est précieux de nos jours ! »

Tom offrit un grondement neutre en guise de réponse. Son avis sur le servitorat avait toujours été quelque peu révolutionnaire.

Bientôt, l'homme reparut, seulement pour mieux disparaître à nouveau avant de revenir, portant un plateau de métal embossé de style grinnaldien, sur lequel trônaient une carafe assortie et deux verres.

Il allait le déposer sur une guérite non loin du lit, mais sur un grondement de Tiamlymn qui faisait passer le temps en lui montrant par la fenêtre des repères géographiques, l'emporta à la salle de bain.

L'humain passa ensuite dans l'autre pièce, et en ressortit avec un vêtement gris perle impeccablement plié, dont la trame brillait vaguement à la lumière, et qu'il présenta à Tom en s'inclinant respectueusement.

Un peu gêné par tout ce cérémoniel, ce dernier le prit, manquant de le lâcher tant la fibre était lisse et glissante.

Le commandant, qui avait observé la manœuvre d'un air intéressé, sourit.

« Je vous prête ma salle de bain, allez donc vous mettre à l'aise. L'humain vous aidera. » offrit-il.

Tom se retrouva donc seul avec l'homme dans la salle de bain, envahie des vapeurs s'échappant de la grande baignoire creusée qui se remplissait en son centre.

Voyant son air perdu, l'humain s'inclina et, avançant une chaise de bois, l'invita à s'approcher.

« Si monseigneur veut bien daigner revêtir la tenue donnée par maître Tiamlymn, je prendrai soin de vos vêtements jusqu'à ce que vous les récupériez. »

Un peu mal à l'aise, Tom obéit, l'homme récupérant ses habits à peine les avait-il posés, pour les plier à gestes experts.

Finalement en sous-vêtement, il déploya la tenue soyeuse, découvrant un grand peignoir dont le toucher frais lui évoqua l'eau d'une cascade.

« Désirez-vous que je m'occupe de vos cheveux, monseigneur ? » proposa le serviteur, désignant un plateau d'argent garni de divers peignes et accessoires.

« Je suis mal coiffé ? » demanda-t-il, tâtant son catogan d'un geste machinal.

« Non, bien sûr que non, monseigneur. Mais je peux vous faire une coiffure plus élégante, si vous le désirez. »

Il hocha la tête de gauche à droite.

« Non, merci. »

Le serviteur sembla se crisper un peu à ses remerciements.

« Navré. Je n'ai pas l'habitude qu'on me serve. » Tom se sentit-il obligé de se justifier.

L'humain sourit.

« Il n'y a pas de mal, monseigneur. »

Soudain, une idée traversa l'esprit de Tom.

« Heu... Est-ce que le commandant attend de moi que je me lave ? »

L'homme sourit.

« Vous pouvez le faire, si vous le désirez, monseigneur, mais de vous à moi… je crois que le commandant espère prendre ce bain en votre compagnie... »

Il opina en verdissant. Bien entendu.

« Bon, ben, je crois que je suis prêt alors. »

L'humain approuva et, ses vêtements pliés dans les bras, l'invita à revenir dans la chambre où, nonchalamment installé sur la banquette sous la fenêtre, Tiamlymn attendait, un peignoir du même tissu que le sien – mais d'un blanc immaculé celui-ci – nonchalamment drapé autour de lui, découvrant avec une désinvolture travaillée une clavicule bien marquée et la naissance d'un tatouage noir.

D'un geste, le commandant congédia le serviteur qui, avec une dernière courbette, s'effaça.

Une fois la porte refermée, l'officier se releva, s'approchant de Tom, l'arrière de son vêtement qui formait presque une traîne, murmurant doucement contre le sol.

« Ça vous va bien. » nota-t-il, rajustant délicatement le col de Tom.

« Merci. C'est très confortable. »

Le commandant eut un sourire carnassier. « N'est-ce pas ? Je les ai volés à Trelimme lorsque je suis parti. La soie de Liffelin est sans aucun doute le privilège le plus intéressant des reines. Je ne vois pas pourquoi elles devraient être les seules à se pavaner dans de si confortables étoffes... »

Il opina vaguement, tripotant avec un intérêt soudain l'ourlet de l'habit. Il en avait entendu parler, mais n'en avait jamais vu, ni même touché. La soie de Liffelin était l'étoffe la plus rare et la plus précieuse des wraiths. Extraite des cocons des papillons liffelins, sa récolte était aussi dangereuse que peu gratifiante, les gigantesques insectes vénéneux vivant aux cimes des jungles les plus inhospitalières de la galaxie. La tâche incombait donc aux traqueurs, dont beaucoup ne revenaient jamais de cette mission. Markus lui avait raconté, comment il avait passé quinze ans à récolter des cocons, faute d'ordre de retour, Silla ayant oublié jusqu'à son existence. L'exploit de son aîné avait permis à leur génitrice de se doter de ce qui était probablement la plus vaste garde-robe en soie de la galaxie. Garde-robe que Delleb avait fait mettre sous clé, afin de l'offrir à Ilinka lorsqu'elle serait en âge d'endosser le statut d'impératrice. Maintenant qu'il portait un habit de soie de Liffelin, Tom ne pouvait que constater la valeur du présent projeté par la grande régente.

Dans la salle de bain, le bruit d'eau s'interrompit.

« Notre bain est prêt. » nota Tiamlymn, l'invitant d'une petite poussée dans le dos à s'y rendre.

Tom obtempéra, s'arrêtant à côté de la baignoire, indécis.

Voyant qu'il doutait, le commandant s'approcha, effleurant doucement sa joue, touchant délicatement son esprit, y envoyant une onde rassurante.

Inspirant et expirant à fond pour tâcher de se détendre, Tom opina, plus pour lui-même que pour son hôte.

Ce dernier, avec un petit reniflement, fronça les arcades sourcilières.

« Avez-vous consommé de la nourriture solide ces derniers jours ? »

« Heu...oui. »

Le commandant eut un petit grondement contrarié, puis bien vite, son sourire aimable revint.

« En voilà un vilain contretemps. Mais rien d'irrémédiable. Malheureusement, si nous voulons éviter quelques désagréments gênants plus tard, il va vous falloir procéder à un nettoyage interne. »

« Un nettoyage ? »

De quelques images mentales, Tiamlymn lui expliqua la procédure. Embarrassé par cet aspect peu ragoutant de son amour inconditionnel de la nourriture humaine, Tom verdit.

« Si vous le désirez, je peux rappeler un serviteur pour vous assister. »

« Non ! Non, ça ira. Je vais me débrouiller ! »

Le commandant acquiesça.

« Alors, je vous laisse. La douche est juste ici. A tout à l'heure. »

Resté seul, Tom gémit. Est-ce qu'il pouvait encore reculer ? Bien sûr. Mais en même temps... Tiamlymn était un partenaire plus qu'idéal pour une première fois. Expérimenté, patient, plutôt séduisant. Et pour ce « contretemps », comme il l'appelait, Tom ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Après tout, ne s'était-il pas plaint le matin même de la sortie peu gracieuse de ses agapes précédentes ?

Prenant son courage à deux mains, il largua l'élégant peignoir sur un portant et se dirigea vers la douche dissimulée dans un renfoncement du mur. S'il était honnête avec lui-même, il n'était pas prêt à renoncer au plaisir de manger. Alors autant apprendre dès maintenant comment faire, pour éviter les désagréments humiliants qu'il ne pouvait que trop bien imaginer.

Heureusement, les indications du commandant avaient été claires, et il n'eut pas trop mal à les suivre.

Au quatrième lavement, il jugea en avoir fait assez, et après avoir vérifié avec un soin maniaque que rien de douteux ne restait dans la douche (1), il sortit. Puis, avec une hésitation, ne voyant aucun linge nulle part, il renfila le peignoir qui lui collait à présent à la peau, et alla ouvrir la porte.

Tiamlymn, leva aussitôt les yeux de la tablette qu'il tenait à la main.

« C'est bon. » souffla Tom.

« Tout s'est bien passé ? »
Il opina piteusement.

Le commandant lui offrit un sourire chaleureux, abandonnant l'appareil pour le rejoindre.

« Alors allons-y avant que le bain ne refroidisse, que ce pauvre serviteur ne l'ait pas fait couler en vain. »

Tom hocha la tête une fois de plus, suivant Tiamlymn qui, d'un geste superbe, défit la ceinture de son peignoir et le fit glisser le long de ses bras, l'abandonnant dans un froissement soyeux au sol alors qu'il se dirigeait d'un pas altier vers l'eau fumante.


(1) Il s'agit d'une salle de bain wraith. Il n'y a pas de toilette, juste des installations pour se laver.


Le prochain chapitre, le "18 bis" étant plus qu'explicite, il est publié en tant qu'Eros Pegasus, afin de garder cette fanfic relativement safe. Le 18 bis n'est pas indispensable pour suivre l'histoire.