Tout le reste de la journée, Drago trimbala le carton à chaussures sous son bras sans trop savoir qu'en faire ou où le poser. Il ne voulait le confier à personne, il ne voulait le laisser nulle part. Il ne voulait pas toucher à son contenu.

Quand Weasley s'aperçut qu'il l'avait finalement récupéré, il se disputa avec Potter à voix basse en lui jetant des regards éloquents.

Drago détourna le regard en serrant la boite contre son torse.

Considérant le temps imparti, Drago était relativement satisfait de ce qu'il avait réussi à faire de la patinoire : A droite de la porte, les fontaines étaient toutes restées en place, mais des murs de papier enchanté et légèrement luminescents entouraient l'espace jusqu'à la piscine en créant une atmosphère tamisée. Avec un peu d'imagination, l'ensemble pouvait évoquer un onsen enneigé. A gauche, toutes n'avaient pas disparu : entre celles qui restaient et qui créaient une mélodie apaisante, il avait pu faire construire une demi-douzaine de petites salles d'eau avec douches et toilettes. En face, douze maisonnettes formaient un rectangle compact. Elles avaient été construites en bois colorés et assemblées par magie, avec des porches en tunnel pour protéger les portes du froid. Déjà la glace avait recouvert les murs extérieurs, et l'ensemble ressemblait à un village de igloos carrés. Derrière ces maigres constructions, la salle continuait de s'étendre dans toutes les directions.

Potter poussa un sifflement en voyant le résultat, mais ne put s'empêcher de rajouter sa touche personnelle en déplaçant l'ensemble du village d'un coup de baguette et en faisant surgir à sa place une large table garnie de victuailles.

Drago se demanda un moment d'où provenait tout ce stock avant de reconnaître une bonne partie des cadeaux des admirateurs qu'il croisait à Londres ou qui lui envoyaient des colis. Un buffet excessivement sucré, beaucoup trop alcoolisé, qui heureusement ne fut pas achevé dans la journée.

Après que tout le monde se soit reposé, nourri et abreuvé, on sortit à nouveau pour travailler sur la stratégie à adopter pour combattre le Détraqueur. Encore une fois, on demanda à Potter de raconter ce qu'il s'était passé, et encore une fois, le Survivant prétendit ne pas avoir envie de se répéter et préférer attendre le dernier visiteur. Drago espéra de tout son cœur qu'il s'agisse de Londubat, et non d'un énième Weasley : Peut-être celui-ci aurait-il des nouvelles de Luna à lui apporter.

Quelques Surveillants curieux ou ayant sympathisé avec les invités se joignirent aux exercices.

Potter apprit à tout le monde sa version du Patronus en forme de mur, et Drago comprit enfin la raison de la présence de certains des Sorciers : La petite Weasley maîtrisa la chose encore plus rapidement que ses frères, et leur tira la langue pour les narguer. Potter voulait également que les sorts puissent être lancés depuis un balai en mouvement. Encore une fois, elle surpassa tout le monde.

Drago se souvint que Potter avait eu une relation avec la fille, et il se demanda comment et pourquoi leur histoire s'était terminée. Il devait admettre qu'ils allaient bien ensemble…

Un seul des invités de Potter était incapable de produire un Patronus, et Drago resta à ses côtés la plupart du temps : L'ancien Directeur s'appelait Monsieur Temrah, lui apprit Runcorn lors d'une pause. Il avait le regard fixe d'un aveugle et semblait, la plupart du temps, incapable de se mouvoir seul ou de comprendre ce qu'il se passait autour de lui. Il n'avait cependant pas l'apathie de Carrow, mais plutôt un air lunaire et ailleurs. Drago savait que l'homme avait été torturé pendant des jours et des jours quand les détenus avaient été libérés par le Seigneur des Ténèbres. Il n'avait pas poussé un gémissement. L'île l'avait rendu insensible aux Doloris, aux Détraqueurs, et même à la Légimancie, lui avait raconté Mullan, tandis que le vieillard hochait doucement la tête. Aujourd'hui, il coulait des jours heureux à Kinsale, un charmant village Irlandais, s'il fallait en croire la Surveillante.

« N'est-ce-pas, Monsieur Temrah, demanda-t-elle avec une voix haute et en détachant bien ses mots, que vous êtes heureux de profiter de votre retraite ?! »

Le vieux opina encore…

« Et… demanda Drago mal à l'aise, ça vous plait de revenir ici ? »

Le vieux se figea, et au bout de longues secondes de réflexion, il répondit enfin :

« J'ai des souvenirs, ici. »

Le ton n'indiquait pas s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose.

Ceci dit, Drago comprenait maintenant comment Potter avait pu remplacer aussi rapidement cette espèce de vestige étrange, pourquoi les choses avaient mis tant de temps à évoluer sous sa direction, et à quel point Runcorn et Mullan avaient porté cet endroit à bout de bras après la chute du Seigneur des Ténèbres.

En fin de journée – tout le monde avait bien progressé – apparut enfin le dernier invité du Directeur. D'abord, un éclaireur puis deux gardes, tous trois montés sur de nouvelles créatures cauchemardesques, des hybrides volants de serpents géants et de lynx à dents de sabre, accompagnant un somptueux carrosse d'ivoire et d'argent tracté par de superbes Gronians.

Tout le monde s'écarta pour laisser la place au véhicule d'atterrir, à l'exception évidente de Potter qui alla jusqu'au marchepied sans se soucier des gardes. Les portes s'ouvrirent, et deux Sorcières jumelles aux torses protégés par des armures dorées en sortirent, puis quatre petits pages en robes argentées, un homme à lunettes qui portait une mallette d'érudit, une douzaine d'autres Sorciers et Sorcières, plus ou moins âgés – il devenait évident que le carrosse était doté d'un sortilège d'extension – et encore deux érudits avec des bibliothèques enchantées à roulettes qui s'élevèrent dans les airs avant d'atterrir avec légèreté sur le sol, et enfin, un vieil homme dont l'apparition coupa le souffle à tout le monde.

Il ressemblait à Dumbledore : Même longue barbe blanche, même chevelure, même stature haute et mince… Il possédait toutefois des yeux gris sombre et une peau plus hâlée que celle de l'ancien Directeur de Poudlard. Il était vêtu d'une longue robe blanche et argentée, relevée de fourrure d'hermine, et portait un lourd collier métallique orné d'une étoile bleue foncée à sept branches indiquant sa fonction : Grand Élu du Maléfistinat Européen.

Il écarta ses bras et serra Potter contre son cœur, le jeune Sorcier lui rendant son accolade sans embarras.

« Mon cher Monsieur Potter… Quel plaisir de vous revoir… annonça-t-il ensuite en tenant le jeune homme à bout de bras et en l'observant comme un vieil ami perdu de vue depuis trop longtemps.

– Le plaisir est partagé, Vissarion. Merci d'être venu aussi vite. »

Potter présenta ensuite l'intégralité des personnes présentes sur la plage à la délégation du Maléfistinien : Les Majors, les Surveillants présents, les Aurors, ses amis… ayant à chaque fois un mot gentil pour les décrire ou pour justifier leur présence. Il désignait les gens dans l'ordre dans lequel ils apparaissaient sans trop se soucier de souligner leur rang ou de créer une hiérarchie.

« Et pour finir, voici Drago Malfoy, l'homme dont je vous ai parlé. »

Durant toutes les présentations, le Maléfistinien avait gentiment sourit ou hoché la tête, et n'avait distribué des poignées de mains qu'à quelques rares élus : L'ancien Directeur Temrah, La Major Mullan, deux des trois Aurors, la demi-Vélane Delacour…

A Drago, il accorda un regard insistant tandis que son sourire disparaissait. L'Occlumens sentit une légère caresse à l'intérieur de son crâne, et se rendit compte qu'il faisait face à un Legitimens beaucoup plus avancé que lui. Il repoussa toutefois l'attaque, par réflexe, et recula d'un pas, surpris.

« L'un de nos protégés sur cette île », termina Potter avec une légère nuance d'avertissement dans la voix, peut-être ayant-il été conscient de ce qui venait de se passer.

Le Maléfestinien garda le silence un moment sans cesser de fixer Drago, puis se détourna.

« Et bien à moi de vous présenter mon équipe. S'il y en a parmi vous pour l'ignorer, vous pouvez m'appeler Professore Kenaran, et voici mes collègues : Les Dottori Ardito Vilardo, Desdemona Bonello, et Soav Jakopović, ainsi que nos assistants, les Dottorandi Josiah Massey, Giambattista Guerrero, Lisa Pomeroy, Anna De Cristoforo… »

Drago et Mullan échangèrent un regard désespéré en calculant tous deux la quantité de nourriture à fournir à ces nouveaux-venus, et en fustigeant mentalement Potter de ne pas les avoir prévenus qu'ils attendaient une délégation aussi prestigieuse, que l'on ne pouvait décemment pas faire dormir dans des lits de fortunes à l'intérieur d'une salle commune… Pendant qu'il se faisait cette réflexion, Drago sentit de nouveau la caresse légère du Professore sous son crâne et tourna vivement la tête vers lui, effrayé, en repoussant fébrilement l'intrusion.

« … et Urtza Salvarredi, qui sont nos jeunes élèves les plus prometteurs », finissait Kenaran en détournant le regard à l'instant même où Drago le surprenait, et tandis que la dernière des petites filles exécutait une jolie révérence. « J'espère que notre nombre ne sera pas un poids pour vos équipes », ajouta-t-il en adressant un nouveau coup d'œil moqueur à Drago, lui indiquant par là qu'il n'avait pas été assez rapide à dissimuler ses pensées. « A défaut de certitude, nous avons pris le soin d'aménager le carrosse afin de nous permettre de travailler à l'aise et de nous reposer. Ce serait d'ailleurs un plaisir que de vous inviter à manger à ma table ce soir, Monsieur Potter. »

Tandis que Potter acceptait l'invitation et vantait la cuisine méridionale, les Sorciers les plus informés observaient le carrosse en calculant la puissance du sortilège d'extension nécessaire à faire rentrer vingt-cinq couchettes et autant de bureaux, bibliothèques, fournitures, et autres denrées alimentaires dans l'espace de l'habitacle.

Une démonstration arrogante de puissance, conclut Drago A moins que l'homme ne soit, comme Potter l'était ou comme Dumbledore l'avait été, si redoutable qu'il en devenait idiot au point de ne pas remarquer sa supériorité.

Un nouveau fourmillement sous le crâne et un nouveau sourire moqueur. Dès cet instant, Drago dressa des barrières mentales aussi hautes que possibles autour de sa psyché. L'exercice constant l'épuiserait, mais peu importait. De toute façon, il était capable de dormir à nouveau.

Kenaran fit une nouvelle fois étalage de son pouvoir avant qu'ils ne pénètrent le château : Après avoir demandé son autorisation à Potter, il prononça la formule du Patronus. Drago s'était attendu à voir surgir un phénix, un dragon, une manticore, une licorne… Quelque chose d'éblouissant, en tout cas… Du bout de la baguette blanche ne sortit qu'une libellule, brillante mais si menue qu'elle se voyait à peine, et que les spectateurs les plus éloignés durent se pousser pour apercevoir l'insecte. L'animal bourdonna, tourna doucement autour de l'homme qui l'avait invoqué, puis se posa sur sa joue.

Aussitôt, les yeux gris du Sorcier prirent une teinte et un éclat d'argent, comme si le Patronus avait pénétré ses iris. L'homme tourna doucement sur lui-même, et ses sourcils se froncèrent lentement.

« Je ne le vois pas », annonça-t-il enfin, et pour la première fois, on entendit une nuance incertaine dans sa voix.

« Non, répondit Potter. Il a pris l'habitude de se cacher dans la mer à chaque fois que je m'approche trop de lui. »

Kenaran resta silencieux, mais l'un des Dottori prit la parole, après un raclement de gorge :

« Excusez-moi de vous contredire, Monsieur Potter, fit-il avec un accent italien rauque, mais les Détraqueurs ne se cachent pas. Cette action nécessite une empathie, une capacité à se mettre à la place de leur poursuiveur, dont ils sont dénués. Ils n'ont pas la notion de leur propre corps, et s'il leur arrive de prendre la fuite, il s'agit plutôt de ce que j'appelle une Thigmonastie, autrement dit, d'un réflexe de survie semblable à celui qui fait s'ouvrir ou se fermer les feuilles de certaines plantes. Quant au fait de fuir par voie sous-marine, c'est…

– Vous apprendrez, Dottore Vilardo, le coupa tranquillement Potter, que vos recherches théoriques sur le sujet – que j'ai par ailleurs parcourues avec la plus grande attention – sont loin de correspondre à la réalité du terrain. »