Oznela : Ah ben oui, il est toujours pas guéri de sa relation malsaine avec son père (il l'est à peine de celle avec Harry, donc bon...)
Et oui, pauvre petit Harry à qui Drago avait dit qu'il ne le laisserait pas seul ;.;
En passant : Mais non, voyons, y-a pas de lien, c'est juste du hasard :D
Guest : Faut pas être triste, c'est la vie qui se poursuit :)
Et ici, on parle d'une question posée dans le chapitre 98 ! Ça date tout ça ! (et de thé, et d'albatros, et de couleurs, et de poésie : Tout ce que j'aime !)
Tous les regards se tournèrent d'un coup vers l'autre côté de la salle, et celui de Drago ne fit pas exception à la règle.
C'était Monsieur Temrah qui venait de prendre la parole. Le vieil homme était installé au premier rang, entre Madame Johnson et Fleur Delacour, et tenait une tasse fumante entre ses mains parcheminées.
Après sa douce insulte, il y porta les lèvres avant de grimacer et de redescendre les bras et la boisson au niveau de ses genoux.
« Pardon ? » finit par demander le Professore Kenaran d'un ton plus surpris qu'outré.
« Je dis, répondit le vieillard, que ces élucubrations sont fantaisistes et tout à fait dignes d'un intellectuel n'ayant jamais fréquenté un réel Détraqueur de sa vie. Enfin, il est vrai que la plupart des Legitimens ayant pénétré l'esprit d'un Non-Être sont dans des états de décrépitude pires que le mien, et il n'est pas étonnant que vous n'ayez jamais eu l'idée d'aller en interroger un seul. Je ne doute pas que le jeune Malfoy soit bien plus charmant que la majorité d'entre nous. »
Le brouhaha s'éleva de nouveau, et certains Sorciers se redressèrent pour mieux voir l'homme qui resta aussi imperturbable qu'il l'était toujours.
« Dois-je comprendre, reprit le Professore, que vous avez déjà utilisé un sortilège de legilimancie sur un Détraqueur ?
– Par Merlin, non. Je n'oserais pas vous contredire si c'était le cas. » Les murmures grimpèrent d'un cran, puis : « Sur sept Détraqueurs. J'ai cessé cette pratique quand j'ai perdu la vue. »
·
Drago était en train de préparer le thé.
Par tous les Sangs, il était en train de préparer un fichu thé pour un fichu vieux fou qui avait refusé d'en dire plus tant qu'il n'aurait pas une tasse d'un breuvage correct entre les mains.
Il ignorait à quel point le vieillard avait imposé cette condition à cause de sa sénilité ou si, au contraire, il appréciait de faire mariner le public et savourait son effet. Son intervention avait bien entendu sauvé Drago : Le vieux faisait un meilleur spectacle que lui, avec ses yeux blancs, ses dents noires immondes, sa verve et son impertinence.
Drago s'était douté que le Sorcier avait déjà dû tenter l'expérience une fois. Il l'avait pressenti dès le premier jour, quand celui-ci lui avait demandé « combien ? » avec son air vaguement intéressé, mais puisque le sujet n'avait pas été réabordé, il s'était convaincu s'être trompé.
Quand il revint dans le Hangar, l'aménagement des lieux avait encore changé : Monsieur Temrah avait été installé dans un fauteuil confortable, et à ses côtés se trouvait une petite table basse, encombrée d'un nombre incalculable de mugs, de tasses, de gobelets de liquides encore fumants qu'il avait refusé un par un. Ils étaient une dizaine à s'activer autour de lui comme une nuée de mouches, cherchant à l'amadouer, à lui soutirer au moins une information complémentaire.
Le vieux souriait affreusement, comme s'il était heureux que l'on s'occupe enfin de lui.
Quand il parla, Drago sursauta en arrière et failli s'ébouillanter avec les tasses qu'il transportait : Un sonorus avait été posé sur sa gorge, et sa voix résonnait plus fort que d'habitude. Probablement par égard pour la surdité de Madame Johnson à qui il alla porter la première tasse.
« Merci beaucoup, mon petit Malfoy, papillonna la vieille. La jeune Fleur a fait de son mieux pour s'occuper de nous en votre absence, mais elle n'a pas votre doigté, j'en ai bien peur… Je ne suis pas difficile en matière de thé, mais enfin, il faut bien avouer que le vôtre m'avait manqué. »
Quand Drago amena la seconde tasse à Monsieur Temrah, le vieux huma ses arômes avant d'affirmer : « Ah. Voilà qui est mieux. Un Darjeeling First Flush ? Bonne idée, bonne idée : Le thé noir me maintiendra éveillé. L'avez-vous sucré comme je l'aime ? Avez-vous offert une tasse à ma chère amie Madame Johnson ? Oui ? Bien. Brave garçon. Je vous remercie mon petit Malfoy. Vous pouvez vaquer à vos occupations. »
Drago retourna à sa place au dernier rang. Il entendit Potter l'alpaguer, mais il ne se retourna pas, trop inquiet à l'idée de ne pas pouvoir anticiper le regards qu'il aurait alors. Il se réinstalla aux côtés de Carrow, que Ginny Weasley avait rejoint.
Pendant ce temps, Monsieur Temrah goutait son thé et faisait claquer sa langue, satisfait.
« Je suis né il y a 172 ans cette année, commença-t-il, et il y a 155 ans, je posais pour la première fois le pied sur cette île. Bien sûr, je n'ai pris la direction de l'établissement que bien plus tard. Je ne me rappelle plus l'âge que j'avais alors… J'étais jeune encore. Je voyais toujours les couleurs… »
Le silence se fit presque immédiatement quand le vieillard se mit à parler. On retint les respirations, il n'y avait plus un geste.
« Les couleurs… Les couleurs… Je me rappelle les couleurs. Il m'a fallu des années pour réaliser que je ne voyais plus les couleurs. Il faut dire que ces nuages gris permanents, ce sol nu, cette mer noire, les albatros évidemment, et puis les Détraqueurs… L'île et la mer n'ont jamais su accrocher les couleurs par ici, mais le ciel, parfois, y parvenait. Il n'y avait rien de plus beau que les couleurs du ciel qui dansaient et chantaient et…
– Monsieur Temrah, le coupa doucement Kenaran, pouvez-vous nous parler des Détraqueurs ? »
Le Professore s'était accroupi devant le fauteuil du vieillard, et ses yeux étaient écarquillés, fixes. Ses paupières semblaient avoir été arrachées tant il ne cillait pas.
« Bien sûr, bien sûr, mon petit, j'y viens, affirma le vieux. Mais enfin, comprenez qu'un bon récit ne peut se faire sans un peu d'amour ou de poésie. »
Le « petit » en question était probablement plus que centenaire, et sa longue barbe blanche frémit quand ses lèvres faillirent protester. Temrah poursuivait cependant :
« Et je n'ai jamais connu l'amour. Les couleurs font une belle introduction à mon histoire. J'ai toujours eu un côté poète, voyez-vous. Il le faut pour venir vivre ici. Être soit poète, soit misanthrope. Peut-être suis-je un peu les deux… Quoi qu'il en soit, la première fois où il me fut permis d'admirer les Lumières du Nord, comme on les appelle, je… »
Drago jeta un coup d'œil inquiet vers Ginny Weasley. Elle lui retourna une expression abasourdie. Il observa le reste de l'assemblée, et vit beaucoup de regards incompréhensifs ou déconcertés. Temrah continuait de soliloquer sur les aurores boréales, et Kenaran finit par se lever et partir s'entretenir à voix basse avec son Dottore spécialiste de la legilimancie.
« Ainsi, la solitude et l'ennui finirent par me peser, même à moi. Je tentais bien de lier connaissance avec quelques détenus, mais leur parler équivalait à parler avec les morts. Ces vies auxquelles les Détraqueurs avaient déjà ôté toute notion de bonheur avaient bien peu d'intérêt. Je m'entêtais, cependant : J'espérais trouver un être avec lequel communiquer. Je croisais bien quelques insolites capable de… »
Finalement, Kenaran cessa son conciliabule secret et revint vers Monsieur Temrah. Il s'accroupit à nouveau, et ses lèvres articulèrent un sort de legilimancie. Les deux Sorciers se figèrent aussitôt, et le discours s'interrompit au milieu d'une phrase.
Il y eut quelques secondes de flottement dans la salle, puis des cris et des exclamations choquées s'élevèrent. Du mouvement aussi : Tout le monde ou presque bondit de sa chaise.
Drago recula en panique, sentant venir l'affrontement. Il vit confusément Ginny Weasley se lever également, saisir le dos de la robe de Carrow d'un geste vif, puis brandir sa baguette comme si elle s'apprêtait à les défendre tous deux : Les deux seuls hommes en gris de l'assemblée.
La voix de Mullan – que pourtant Drago n'avait pas aperçue parmi les spectateurs – résonna plus fort que toutes les autres :
« COMMENT OSEZ-VOUS ?! SUR UN INFIRME, EN PLUS ! »
Et puis la voix de Monsieur Temrah, amplifiée par le sonorus, recouvrit le vacarme à nouveau :
« Ah oui, pauvre enfant. La fougue de la jeunesse, sans doute… Il restera dans cet état un moment, je le crains… Voyez-vous, je suis né il y a 172 ans, mais j'ai vécu un peu plus de treize siècles, si l'on compte toutes les vies que j'ai parcourues. Oh, et si l'on ne parlait plus de vies mais d'existences, alors je serais probablement vieux de quelques millénaires, oui… J'ai eu de la chance. Beaucoup de chance. »
La voix était aussi calme et tranquille que quand il évoquait ses poèmes, presque monotone. Il tapotait gentiment la main du Maléfistinien, crispée sur l'accoudoir de son fauteuil, absolument pétrifié, le visage figé, la bouche ouverte, les yeux exorbités. Juste à côté de lui, bien sûr, Harry Potter était là, la baguette brandie, prêt à en découdre. Ses yeux verts parcoururent rapidement la salle, se fixèrent sur Drago, et il sembla aussitôt soulagé en constatant la présence de Weasley qui le protégeait. Soulagé, mais sur le qui-vive.
« Quoi qu'il en soit, il y eu tout de même un jour cet homme. Un Gallois. Ah, j'ai oublié son nom… Griffin, je crois ? Un esprit dérangé, bien sûr. Un sadique. Ce fou riait quand les Détraqueurs approchaient. Oh, il n'a jamais été le seul, simplement le premier à m'intriguer. D'ailleurs, il y a quelques années à peine, j'ai eu la garde d'une Sorcière avec un comportement semblable. Elle, je me souviens bien son prénom : Bellatrix. Bien sûr j'étais déjà aveugle à l'époque, mais je ne doutais pas un instant qu'elle fut aussi belle que la nuit. Aussi admirable. Aussi puissante et intimidante. Elle dansait. »
Pour la première fois depuis le début de son récit, Monsieur Temrah porta son mug de thé à ses lèvres, but une gorgée, et compléta dans un soupir :
« Ah… Mais encore une fois, l'amour ne s'est jamais présenté à moi. Pardonnez mes divagations : Il est vrai que celle-ci était tout à fait personnelle. »
Le Professore n'avait pas bougé. Plusieurs de ses gardes s'étaient approchés pour lui venir en aide, mais un nouveau conciliabule avait lieu dans la délégation Européenne : Ils ne prenaient plus garde de parler à voix basse, puisque leur charabia Italien était de toute façon incompréhensible pour les Britanniques.
Drago comprit tout de même quelques mots et phrases : Le Dottore Legilimens déconseillait d'arracher le Grand Élu à son voyage mental, et prétendait le Sorcier tout à fait apte à se sortir de ces méandres cérébraux par lui-même.
D'un autre côté, Harry Potter avait rangé sa baguette et s'était accroupi de l'autre côté du fauteuil de Monsieur Temrah :
« Monsieur. Vous n'êtes pas obligé d'en dire plus. Cet affront ne restera pas impuni, je vous le promets, et…
– Bien sûr, bien sûr… Quoi qu'il en soit, le jour du Baiser de Griffin arriva sans que j'eus trouvé l'occasion de discuter avec cet homme. Peut-être avais-je perdu le sens du temps, déjà ? J'ai perdu celui-ci bien avant de perdre les couleurs, je le crains. Laisser disparaître la psyché de cet individu me sembla une perte incommensurable, aussi décidais-je d'utiliser ma legilimancie pour extraire de lui tout ce qui faisait son histoire, sa personne, et sa personnalité.
« Dans quel engrenage n'avais-je pas mis le doigt ! Enfin, je retrouvais la vie. Enfin pouvais-je à nouveau observer le monde évoluer, changer, les sentiments naitre et mourir, enfin avais-je de nouveau l'impression diffuse de ne plus être seul.
« Je devins un collectionneur avide. Chaque jour, je déambulais dans les corridors, et récoltais les souvenirs, les regrets, les désespoirs. Les vies s'accumulaient en moi et je les chérissais. Bien sûr, toutes étaient sombres, violentes et douloureuses, mais enfin : On se contente de ce qui s'offre à nous, parfois. C'est à cette époque que je réalisais que je ne voyais plus les couleurs. Les lumières dansaient toujours dans le ciel, mais elles n'étaient que langues grises sur vagues grises. Torrents cristallins au milieu de courants d'air insaisissables.
« Oui, j'ai des souvenirs, ici. »
Le vieux but une nouvelle gorgée, puis reprit :
« Et puis un jour ai-je eu l'idée de pimenter les choses. Ah, j'étais jeune encore. Je le pense, en tout cas ? Je songeai sans cesse à ces Baisers que les Détraqueurs distribuaient, et qui aspiraient bien plus que je n'en étais capable. Je voulais savoir ce que l'on ressentait à se faire arracher l'âme. Aussi, lors d'une exécution, je décidais de pratiquer le legilimancie durant le Baiser. Et pendant quelques secondes, je vis les couleurs, à nouveau.
« Je compris aussitôt qu'à l'intérieur de l'esprit du Détraqueur, je trouverai les couleurs et les émotions qui me manquaient tant.
« J'y plongeai immédiatement, et quelle ne fut pas ma déception : Au lieu de siècles de vie, je ne découvris que des siècles de non existence : Pas de vision, pas de son, pas d'odeur… Rien que la faim permanente et insatiable… La faim dévorante qui se nourrit de vous. La faim et l'attente et le vide. »
Monsieur Temrah poussa un nouveau soupir, à fendre le cœur, et but doucement une énième rasade de thé.
Ce fut à ce moment-là que Kenaran sembla reprendre vie : Il s'éjecta soudain de l'esprit du vieux, et tomba en arrière, essoufflé, les yeux toujours aussi écarquillés. Il bégaya en semblant réaliser où il se trouvait, ses yeux parcourant l'assemblée, paniqué.
« Ah, vous voici déjà de retour parmi nous. Bien, bien. Vous êtes plus doué que patient. Combien en avez-vous parcourues ? Une dizaine, je suppose ? Pardonnez cette approximation : Comme je l'ai déjà dit, j'ai rapidement perdu le sens du temps qui passe. »
Les gardes et assistants de Kenaran s'étaient précipités pour l'aider à se relever, et l'homme avait crispé ses doigts sur l'épaule de l'un d'entre eux, comme s'il avait peur de chuter s'il ne s'accrochait pas fermement à quelque chose. On voyait bien qu'il tentait de dissimuler son état, mais son expression était hagarde, son souffle trop rapide.
« Notre petit Malfoy également est doué. Je ne doute pas qu'il ait été capable de les distinguer dès son premier essai, n'est-ce-pas ? Est-il encore là, ou bien est-il de nouveau parti ? Malfoy ? Je ne me rappelle plus si vous m'aviez répondu, à l'époque ? Ou bien je ne me rappelle pas votre réponse. Combien d'âmes avait arraché votre Détraqueur ? »
