Ni la chambre, ni l'armoire n'avaient la moindre importance, et pourtant…

Après avoir lancé un sortilège pour faire venir le chariot de Drago comportant son repas du soir et avoir partagé un dîner sans intérêt mais agréable, Potter avait commencé à réduire l'éclairage des lieux tout en augmentant la chaleur et le crépitement du feu de cheminée. L'ambiance commençait dangereusement à tirer sur le romantisme et Drago attendait, au milieu du salon, mal à l'aise dans des vêtements qui n'étaient pas les siens.

Sa récente décision de laisser une chance à leur histoire donnait une lecture nouvelle à ce genre d'éléments. Il escomptait et craignait tout à la fois que Potter n'aille trop ou pas assez vite. Il frémissait d'anticipation au moindre regard, à chaque geste. Il se sentait bêtement fébrile.

Ni la chambre, ni l'armoire n'avaient la moindre importance. S'il avait accepté, c'est parce qu'il croyait en Potter.

« Ooookay, souffla Potter, une fois satisfait en revenant vers lui. Ferme les yeux et mets-toi en position. »

Drago obéit, gauche au possible.

Il l'entendit venir face à lui et sentit une pleine bouffée de son parfum et de sa chaleur quand il s'immobilisa à deux pas de lui.

« Je vais devoir te toucher. Dis-moi si ça va pas. »

Drago hocha nerveusement la tête et Potter précisa :

« Je veux dire : dis-le-moi avant que ça n'aille pas, okay ? »

Drago gloussa et hocha de nouveau la tête, un sourire stupide collé aux lèvres. Des doigts chauds effleurèrent son poignet pour le redresser un peu, puis pour déplacer son auriculaire qu'il avait la mauvaise habitude de garder trop tendu.

Heureusement, il s'agissait de la main droite. Celle aux doigts propres et droits.

« Arrête ça, gronda Potter. Détends-toi et arrête de penser à ce genre de truc. »

Drago rouvrit les yeux, paniqué, et tomba immédiatement sur les pupilles chaleureuses et sévères de Potter qui se rivèrent dans les siennes.

« Non, je suis pas entré dans ta tête. Je suis très mauvais Legitimens. Je te connais juste bien. »

Il afficha un sourire rassurant, puis s'intéressa de nouveau à l'inclinaison du bras de son élève. Drago relâcha son souffle et rabaissa ses paupières.

« Okay, souffla Potter. Respire doucement et ne prononce la formule que quand tu te sentiras prêt. Tu as dix ans. »

Sans trop y réfléchir, Drago calqua le rythme de sa respiration sur celui de Potter.

« Tu as dix ans et c'est l'été. Tu es assis par terre, dans le jardin de ton manoir. Tu attends ta lettre pour Poudlard. Tu portes un pantalon mais tu as remonté le tissu le long de tes mollets. L'herbe chatouille ta peau. »

Drago laissa Potter parler, raconter, décrire… C'était plus facile de se concentrer ici, dans cette pièce sombre et chaleureuse où il n'avait aucun ennemi. La voix basse de Potter ressemblait au murmure régulier d'un cours d'eau. Il avait un don pour les histoires, pour mettre le ton, pour emmener les gens avec lui. Drago se représentait parfaitement la scène, entendait le chant des oiseaux et les appels prétentieux des paons. Si bien qu'il fut surpris quand Potter annonça :

« Tu es si fier… Il faut que tu montres l'enveloppe à ton père. Et il est là. Il te sourit. Il te sourit, et il te dit, avec sa voix toute traînante : Vif-Eclair t'a amené ta lettre d'admission, Scorpius ? »

Drago ouvrit les yeux, joyeusement étonné.

« Scorpius ?! »

Potter le gronda du regard.

« Ferme les yeux, exigea-t-il, et Drago laissa échapper un petit rire incrédule avant d'obéir.

– Oui : Scorpius. Tu es le fils aîné du célèbre Drago Black Malfoy, le Sorcier qui…

– À quoi je ressemble ? coupa Drago, amusé.

– On s'en fiche. L'important, c'est la joie et la fierté que tu…

– De quelle couleur sont mes cheveux ?

– Tu n'essayes pas. Hors de question que je t'emmène là-bas si…

– Peu importe. De quelle couleur sont mes cheveux ? Blonds ? Bruns ? »

Il sentait bien que sa concentration avait faiblit, que la Magie avait reflué, mais il s'en moquait. De toute façon, la récompense ne l'intéressait qu'à moitié. Ici, il était au calme, à l'abri. La voix basse et enveloppante de Potter était plus agréable que l'exploration de la penderie d'un mort.

« Blonds, lâcha finalement Potter. Tu as de superbes cheveux blonds, comme ton père. Tout le monde te dit toujours que tes cheveux sont magnifiques et…

– Qui ça, tout le monde ? Il y a d'autres gens ? »

Potter soupira, mais Drago entendit l'amusement dans son souffle. Une main rectifia de nouveau la position de son auriculaire et la voix reprit :

« Arrête de m'interrompre. Si tu recommences, je change d'histoire. Oui, il y a d'autres gens. Ta grand-mère, Narcissa Black, vit avec vous. C'est elle qui s'occupe de la roseraie et qui te cuisine des gâteaux, le mercredi. »

Drago gloussa en imaginant sa pauvre mère, vêtue d'un tablier et occupée à la cuisine, mais ne fit pas de commentaire. Rien de ce que racontait Potter n'avait la moindre crédibilité, mais l'exercice était agréable.

Ça fonctionnait, tout de même : Il sentait la Magie se former, un peu plus puissante et extraordinairement moins stable que lorsqu'il puisait dans la certitude simple qu'une vie paisible l'attendait dès sa sortie de prison. Pas vraiment un espoir, mais une utopie. Parfois, Potter cessait de parler, laissait planer un silence confortable à peine troublé par le bruit blanc de la cheminée et celui, plus lent, de sa respiration.

Drago avait craint une histoire d'amour dans laquelle il aurait été incapable de se projeter, mais Potter était un excellent professeur, attentif aux difficultés de ses élèves.

Au bout d'un moment, il se sentit suffisamment en confiance pour faire apparaître le vague nuage de brume qu'il était capable de convoquer. Il souffla la formule puis entrouvrit un œil pour confirmer ce qu'il savait déjà : Le brouillard obtenu était à peine plus opaque que le contenu d'un verre d'eau, à mille lieues de la flamboyance opaline du Patronus de son professeur. Il rabaissa la paupière et tâcha de rester concentré sur la régularité de son flux magique, comme Potter le lui répétait souvent lors des cours groupés.

Après quelques nouvelles minutes, il crut pouvoir saisir une opportunité d'insuffler plus de force à son sortilège.

Il ouvrit la bouche une seconde trop tard et n'eut pas le temps de prononcer la première syllabe de la formule que le fil de sa Magie céda. Il eut l'impression – comme à chaque fois – qu'on claquait un élastique directement sur son âme. Il se retrouva un peu hébété, surpris par la pénombre de la pièce quand il avait encore la sensation que le soleil de l'été chauffait sa peau et brûlait ses paupières.

Il baissa le nez, pas loin d'être honteux. Il n'avait pas envie de croiser le regard de Potter, peu pressé d'écouter un énième debriefing supposé être encourageant.

Plus que tout, il regrettait de ne pas avoir pris l'exercice avec plus de sérieux. Il avait été à deux doigts de progresser mais, à cause de sa négligence, ils n'avaient fait que perdre du temps.

Un index replié se glissa sous son menton et lui releva le visage.

« C'était bien », assura Potter avec un sourire compatissant.

Drago émit un reniflement éloquent.

« Si. C'était bien, répéta Potter, un peu plus moqueur avant de prendre ce ton enthousiaste et horripilant que Drago avait anticipé : Tu dois arrêter de focaliser sur la visualisation et laisser les émotions prendre le dessus. T'écoutes jamais tes émotions, c'est pour ça que ça coince. »

Drago songea que s'il laissait des émotions le submerger, il passerait probablement la plupart de son temps à pleurer et à se laisser aller. Peut-être à hurler au monde que le destin était injuste et qu'il n'avait pas mérité grand-chose de toutes les crasses que l'univers avait mises sur son chemin.

Un pouce rejoignit l'index pour lui caresser le menton et le ramener, une nouvelle fois, au temps présent.

Un moment où Potter se trouvait à quelques centimètres à peine de lui, si proche qu'il pouvait sentir son souffle sur sa peau.

Le pouce de Potter marqua une pause et ses sourcils exprimèrent une hésitation, puis le doigt remonta par à-coups minuscules jusqu'à la lisière de sa lèvre inférieure. Les iris verts suivirent son déplacement et s'enflammèrent d'un coup. Puis ils se fixèrent de nouveau dans les siens, pleins d'une exigence attentive.

Drago ferma les siens, inspira doucement et s'approcha à nouveau. Il embrassa Potter du bout des lèvres, comme la fois précédente. Il avait l'impression d'être empoté, maladroit, peu naturel. Il ne savait pas comment positionner son visage pour éviter que leurs nez ne se heurtent ou que les lunettes de Potter ne lui rentrent dans les yeux. Ses lèvres étaient trop sèches et malhabiles. Elles produisirent, malgré lui, un son de bise qui n'avait rien de sensuel.

Il avait maintes fois embrassé des hommes qui le répugnaient, et pourtant ce baiser là n'était pas loin d'être le plus mauvais de sa courte vie. Il sentit la poitrine de Potter s'agiter sous les effets d'un rire contenu. Il frappa sur son torse, par réflexe.

Il voulut reculer, mais Potter enroula ses bras autour de lui et il se retrouva pris au piège d'une étreinte solide. Il eut à peine le temps d'entrouvrir les paupières, de voir l'éclat moqueur, et Potter avait de nouveau fondu sur lui.

Lui ne chercha pas à picorer ses lèvres. Sa langue exigea le passage de sa bouche et Drago obéit en gémissant. Il perdit l'équilibre et s'accrocha aux avants-bras, puis au cou de Potter. Potter qui plaqua ses mains dans son dos et contre ses reins pour le maintenir si serré contre lui que Drago aurait pu sentir le relief de ses abdominaux s'il l'avait voulu. Potter fit un pas, en avançant sa cuisse entre ses jambes, et Drago se retrouva forcé de reculer, jusqu'à sentir son dos heurter en douceur un mur quelconque de l'appartement. Rassuré par l'idée qu'il ne risquait désormais plus de s'effondrer, il cessa de simplement s'accrocher à son amant pour s'y arrimer. Pour planter ses ongles dans la peau et obtenir les grondement appréciateur en récompense. Pour onduler le bassin et sentir le pantalon déformé par le désir.

Le genre de baiser qui rendait fou.

Il savait ce qu'il aimait, le rythme, la charge, la douceur et la fermeté.

Quand le souffle commença à lui manquer, il n'eut même pas besoin de rentrer le menton ou de détourner le visage : On quitta ses lèvres pour aller enflammer son cou, torturer ses mastoïdiens, jouer avec sa pomme d'Adam, mordiller ses clavicules.

Il entrouvrit les yeux et fixa le plafond, déjà haletant, maintenu debout à moitié grâce au mur dans son dos et à moitié grâce à la cuisse solide sur laquelle il s'appuyait sans vergogne. Une main se plaqua sur sa fesse et il gémit de plus belle, et laissa encore plus volontiers porter par cette nouvelle prise. La main malaxa sa chair, pinça presque, à la limite du douloureux, et Drago étouffa un sanglot extatique.

Il ne se rappelait pas avoir jamais été embrassé avec tant de ferveur. C'était ce genre de passion qui lui avait manqué. Ce genre de besoin qu'il n'avait trouvé que chez une seule personne…

Et à peine se fut-il souvenu qu'il s'agissait de la bouche de Potter contre son cou, de la main de Potter sous ses fesses et de la bite de Potter contre la sienne, qu'une terreur indicible, couplée à un dégoût terrible et à une douleur foudroyante, l'immobilisa.

Il ouvrit grand les yeux et le repoussa brutalement.

Il le maintint en arrière, aussi éloigné que le lui permettraient ses bras tendus et tremblants, aveugle à son visage blessé… Il était essoufflé, terrifié. Ses respirations ressemblaient aux râles sifflants et rapides que produisait son Détraqueur, quand il était blessé.

Après quelques secondes, il réalisa que Potter lui parlait. Il remarqua son son expression confiante et concernée, et cette vision le rassura. Il laissa tomber ses bras le long de son corps, ferma les yeux, leva la tête vers le plafond, et tâcha de reprendre son souffle.

Les mots commencèrent doucement à faire sens :

« … va bien, Drago. Écoute ma voix, ne t'inquiète pas, essaye de respirer lentement et de… »

Des paroles calmes et réconfortantes.

Quand il s'en sentit capable, il ouvrit de nouveau les yeux pour constater que Potter était resté à sa place et que, sur le balcon, trois albatros le fixaient d'un air sérieux. Chacun leur tour, et au fur et à mesure qu'il reprenait ses esprits, ils se désintéressèrent de lui.

« Tu veux que j'ouvre la fenêtre ? Tu as besoin d'air frais ? »

Il hocha la tête et, dans trop y penser, attrapa la manche et le bras de Potter pour se laisser guider vers le balcon.

Le vent glacial et piquant le frappa comme une vague, mais il se trouva aussitôt plus alerte. Il lâcha Potter pour s'accroupir parmi les oiseaux et grattouiller le cou de l'un d'eux. Les deux autres se dandinèrent vers Potter pour réclamer des caresses qu'il ne leur accorda pas, trop concentré sur Drago.

« Désolé, marmonna celui-ci. Je crois que j'ai pani…

– Ça allait, au début, non ? » le coupa Potter d'un ton inquiet.

Il fit apparaître quelque sphères lumineuses autour de lui, ilots dorés au milieu de la noirceur de la nuit.

« Oui, ça allait », assura Drago. Après une hésitation, il précisa, d'une voix basse et hésitante : « Ça allait jusqu'à ce que je me souvienne que c'était toi. »

Potter soupira, puis se laissa tomber à ses côtés.

Ils restèrent silencieux un moment.

« On pourrait… tenta Drago d'une voix lente. On pourrait essayer avec de l'Amortensia, ou un filtre de ce genre. »

Potter lui répondit d'un rictus moqueur.

« Ou bien un filtre de confusion qui…

– Oui, ou bien du Polynectar. Je pourrais prendre l'apparence de quelqu'un d'autre.

– Oui, je suppose.

– Non, décréta Potter en lui adressant un regard sévère. On va prendre notre temps et voir où nous mènent les choses. »

Drago fourragea nerveusement dans les plumes de l'albatros. Il n'osait pas rappeler à Potter que ses jours sur l'île étaient comptés. Il osait encore moins le torturer en lui assénant qu'aucun sentiment ne subsisterait entre eux une fois que ses pieds auraient de nouveau le loisir de fouler le sol Anglais.

Potter marmonna quelque chose dans sa barbe. D'une voix si basse que Drago l'entendit à peine. Une voix qui ressemblait aux murmures de l'océan.

« Cette fois, on va faire les choses bien. »