notes: Bonjour, bonsoir! Ça fait longtemps que je n'avais pas écrit sur les Spectres. Ben voilà, je m'y attèle de temps en temps, comme quand j'ai ce genre d'idées qui me vient et que j'ai écrit avec plaisir. Je vous souhaite une bonne lecture.


Rune - Iceberg droit devant

2012. un nombre parmi tant d'autres. Une année perdue dans la course infinie du temps. Une année importante pour le commun des mortels. La onzième de ce vingt et unième siècle. La dernière avant une prétendue fin du monde. Billevesées ! Ici bas, dans les Enfers, on l'aurait su et on se serait préparé. Que ces humains étaient stupides parfois. Une interprétation d'un calendrier inca, l'intervention des médias du monde entier et on était parti pour une panique générale, à coup de cataclysmes effroyables, de catastrophes naturelles irréversibles et de millions de victimes d'ici la fin de l'année. Les mortels ne savaient plus quoi inventer pour se donner du frisson et se sentir exister. Attendre sagement la mort et le jugement dernier sans créer de vague n'était pas une mauvaise idée non plus. Mais non. Le divertissement, sous n'importe quelle forme était indispensable. Tout comme ces Jeux Olympiques qui se dérouleraient dans la capitale anglaise, cet été. À ce propos, il y n'y avait peu de chance que le seigneur Rhadamanthe se rende sur ces terres natales pour l'occasion. Malgré son attachement à ses origines et son goût pour les compétitions sportives comme le football et le rugby. Il préfèrerait suivre l'événement depuis son tribunal. Surtout pour éviter des excès de violence en rencontrant des civils bien plus alcoolisés et brutaux que lui même.

C'était affligeant à quel point les hommes pouvaient être idiots et pouvaient se comporter de manière si primaire pour la moindre excuse. C'était aussi de la matière à exploiter lors de leur arrivée dans le royaume des morts. Car une fois la traversée du fleuve Acheron achevée, les âmes pénétraient dans la Première Prison, là où leur dernière demeure pour l'éternité serait attribuée. Là où œuvrait Rune du Balrog, Spectre de l'étoile céleste de l'excellence. Procureur du Juge Minos du Griffon. Un homme efficace dans sa tache, à la capacité d'envoyer plus d'un millier de morts au travers des Enfers en l'espace d'une demi journée terrestre. Il savait faire. Il décelait en chacun les crimes les plus sombres, les plus enfouis, quand bien même il s'agissait d'un enfant tristement fauché par un camion ou une petite mamie qui avait vécu jusqu'au bout en aimant sa famille et ses proches. Personne n'était parfait. Chaque être à la surface de la terre avait – s'il osait l'expression – un cadavre dans son placard, peu importe la taille. En parcourant le fil de la vie, Rune trouvait toujours. Un acte anodin restait un acte. Par conséquent, un crime. Et à chaque crime, sa dimension infernale. Il n'y avait pas à tergiverser. En tant que premier Spectre à prononcer une sentence, il se devait d'être intransigeant. Il facilitait alors le travail de ses supérieurs et leur laissait les cas particuliers, ceux qui méritaient une étude plus profonde.

Les trois Juges des Enfers, eux, se répartissaient chaque région du globe et se chargeaient chacun des âmes qui passaient sous un second avis. Rhadamanthe du Wyvern, sévère et impartial, accablait les criminels, ceux qui avaient tué, volé ou bien pire encore. Eaque du Garuda, au contraire, révisait les châtiments, cherchant à rallier les défunts à la cause d'Hadès, afin qu'ils s'établissent un jour à la surface de la Terre et ainsi, étendent leur puissance. C'était aussi parce qu'il aimait tellement manger qu'il voulait se mettre les humains dans sa poche. Un détail sans intérêt pour le moment. Quant à Minos, du Griffon, le supérieur hiérarchique direct de Rune, il s'occupait des dirigeants politiques, rois, présidents, empereurs, tous ceux qui, un jour, avaient mené une nation. Les mortels les plus importants. Au dessus d'eux, Hadès. Le souverain des Enfers. Le dieu gouverneur. Craint, respecté. Un être clément, sûr de ses sujets et de son armée.

Ainsi fonctionnait le royaume des morts depuis la nuit des temps. Ainsi perdurerait l'ordre de l'univers et le cycle de la vie pour toujours.

Rune avait trouvé sa place et une raison à son existence. Il aimait ce rythme pesant, incessant de travail, de dossiers à étudier, d'archives à consulter. Quand il avait accepté ce rôle, il avait de suite pris conscience que cela durerait éternellement. Mort ou ressuscité, il n'arrêterait pas. Aussi, entre deux guerres face aux autres divinités de l'Olympe, il abattait le plus de travail qu'il pouvait. Il en avait la force. Quand bien même les affrontements avec les Chevaliers d'Athéna l'épuisaient. Ceux là...

Un craquement. Il avait brisé la plume avec laquelle il était en train d'écrire. Il ne devait pas céder à la colère. Calmer son cœur qui tambourinait dans la poitrine, assourdissant.

SILENCE!

Il ne tolérait le moindre bruit autour de lui. À peine le grattement sur les parchemins de ses secrétaires fantômes qui l'assistaient. Une voix qui s'élève, un cri qui résonne dans son tribunal et c'était la fin. Un coup de fouet suffisait.

Rune exécrait le bruit, la foule, la folie des hommes. Depuis toujours. Les Enfers, où rares sont les âmes qui criaient de douleur dans les airs, où seuls les plaintes et les gémissements futiles étaient portés par les vents pour repartir aussitôt sans un souvenir, lui convenaient. La mort l'avait apaisé, l'avait révélé. En tant qu'homme de justice mais également en tant que guerrier.

Il n'avait que de faibles réminiscences de ses origines. Quelle importance ? Il ne comptait pas retourner à la surface de la Terre pour y vivre. Le monde changeait, à une vitesse folle, et des centaines voire des milliers d'années le séparaient de sa naissance. Et à chaque résurrection, son identité gardait quelques constantes : naissance en Norvège, sur les côtes occidentales, dans une communauté de pêcheurs ou d'hommes désirant découvrir des terres plus à l'ouest encore. Une volonté de conquérir, un esprit de viking. Et lui, au milieu de tous ces guerriers trop primaires, trop violents, un enfant chétif préférant écouter les légendes orales, cherchant à comprendre les écritures anciennes, refoulant l'idée de combattre pour répandre le sang et la mort. ''L'enfant aux runes'' qui avait réussi à déchiffrer des caractères sans intérêt, un texte sur un monstre démoniaque, géant qui sèmerait la terreur et la destruction. Encore une légende. L'enfant abandonné des siens, qui quittaient les villages vers des contrées plus agréables. L'enfant se laissait mourir au milieu des textes runiques pour se réveiller dans un monde sombre, silencieux et triste. À son chevet, un homme aux longs cheveux mousseux et argenté : Minos du Griffon. Un ancien roi grec, désormais Juge des Enfers. Il lui offrait une nouvelle chance de grandir, et d'accomplir une mission importante : l'aider dans l'accueil des morts dans le royaume d'Hadès. Pas de guerre, pas de violence ni de hurlements. Un travail au milieu des livres et des parchemins, ainsi que de tous les mythes et légendes du monde entier. Et une revanche sur son enfance. Quand la colère le submergeait – fait si effroyable que personne n'osait la provoquer – il devenait la créature de la prophétie nordique. Son aura, tout comme son regard et ses cheveux s'assombrissaient. S'élevant de son siège, il grandissait, absorbait toute source de lumière autour de lui et châtiait de son fouet. On n'osait nommer cet être, de peur de ne plus prononcer un son après. Un auteur de fantasy l'avait fait pour les besoins de son univers littéraire : le Balrog.

Beaucoup parmi les Spectres pensaient que Rune était un homme isolé, plongé dans son travail, et ne vivait que pour cela. C'était vrai. Il aimait cela. Et il ne se mêlait pas aux autres soldats, trop agités selon lui. Par contre, il appréciait la compagnie des Juges, des longues discussions intelligentes qu'ils avaient. Quand l'occasion s'y prêtait, il prolongeait ses entrevues avec le Seigneur Hadès. Le timbre de sa voix divin l'impressionnait, lui imposait du respect. Le tout accompagné des mélodies mélancoliques jouées à la harpe par Dame Pandore. Jamais à la surface ils n'avaient de moments pareils.

Cependant, il lui arrivait de monter vers les mortels. Seulement en la présence de Minos. L'éternité les avait liés bien au delà d'une relation entre un Juge et son procureur. Plus proches encore. Aux Enfers, les âges, les nombres n'avaient plus d'importance. Ce n'était que des futilités administratives de mortels.

Cela ne l'empêcha pas de regarder à nouveau le calendrier posé à l'angle de son pupitre. Simple indication pour les archives. L'année 2012. Les humains aimaient se plaindre et dire ''Le temps passe vite, ça ne nous rajeunit pas'' pour aborder une conversation banale. Pour une fois, Rune était d'accord avec eux : cent ans s'étaient écoulés depuis 1912.

En ce temps là, le monde subissait des changements radicaux. L'industrie s'était imposée, les avancées technologiques fascinaient les uns, rendaient jaloux les autres. Un grand chamboulement allait se produire, si violent qu'il entrainerait un conflit sur la Terre entière. Et dans un second temps, une arrivée en masse de défunts aux Enfers.

Sur cette vision pragmatique, Minos avait proposé à Rune de profiter un peu, avant la gigantesque masse de jugements qui leur tomberait dessus d'ici moins de dix ans plus tard. Ils avaient visité les États Unis d'ouest en est, pour finir à New York. De là, ils prévoyaient de rallier l'Europe et la Norvège, leur pays d'origine commun, par un paquebot qui arriverait bientôt. Selon les rumeurs, un géant des mers défiant les records de vitesse, au confort inégalé. Le summum de la navigation au nom provocateur : le Titanic. Les deux Spectres en civil comptaient le prendre lors du voyage retour, après les honneurs et l'invasion des médias suite au succès du premier trajet. Un caprice du Griffon qui avait réservé une suite en première classe. Selon les informations du voyage, ils passeraient dans les régions les plus froides de l'océan Atlantique, proche des glaciers. Avec un peu de chance, ils auraient pu les admirer de nuit, au clair de lune. Un Spectre pouvait aussi avoir sa part de romantisme.

Malheureusement, ce projet fut annulé. Tout le monde est au courant de la tragédie qu'a connu ce paquebot, la collision avec un iceberg, les milliers de morts, la fascination quelque peu morbide des gens pour ce fait divers. Remis à l'actualité avec une adaptation cinématographie sous fond de romance brisée entre un prolétaire et une demoiselle du grand monde. Le tout bercé par une chanson devenue trop populaire, trop entêtante, trop agaçante, interprétée par une star internationale dont on ne comprenait le succès dans les Enfers.

Rune se rappelait de cette nuit là d'avril 1912, où il avait dû rentrer en catastrophe dans la Première Prison, tandis que Minos restait à New York pour glaner les informations sur les victimes et les conditions véritables du naufrage. Il ne put châtier plus que de raison le capitaine du Titanic, ni l'équipage qui avait fait tout ce qu'ils avaient pu pour le sauvetage. Il avait gardé une attitude intransigeante, un mur de glace face aux nouvelles âmes entrant dans les Enfers. Il contenait aussi de la frustration, de n'avoir pu effectuer ce voyage en compagnie du Juge. Parce que depuis des siècles qu'ils se connaissaient, il était prêt à se laisser aller et dévoiler peu à peu l'affection qu'il éprouvait pour lui.

Une telle occasion ne s'était jamais présentée à nouveau en cent ans. Entre guerres mondiales, catastrophes naturelles ou Guerre Sainte face à l'armée d'Athéna. Certes, il avait l'éternité mais quand même...

Le Balrog sursauta, brisa la nouvelle plume qu'il tenait entre ses doigts.

Qui ose ? Quel est le malheureux qui a claqué la porte du tribunal aussi fort ? Il est mort !

Son cosmos s'intensifia et s'apaisa tout aussi vite. L'imprudent qui se présenta était Minos. S'il ne respectait ni admirait pas autant son supérieur, le procureur l'aurait déjà brisé en mille morceaux avec son fouet. Surtout lorsqu'il arborait ce rictus malfaisant, présageant un de ces caprices digne de l'ancien roi grec qu'il fut.

«Seigneur Minos, veuillez éviter d'entrer dans la Première Prison avec aussi peu de délicatesse, je vous prie.

-Je t'ai fait peur ?

-Là n'est pas la question. Vous savez très bien que...

-Rune, fais une pause dans ton travail. Prépare des vêtements chauds, on va à la surface.

-Mais... Je suis en plein rapport.

-Tes secrétaires servent à ça. Allez, c'est un ordre de ton Juge.»

Le procureur soupira, et se retira à contrecœur du pupitre, songeant au retard immense que prendrait cette sortie imprévue.

Quelques minutes plus tard, les deux Spectres se retrouvaient sur un morceau de banquise, en plein milieu d'une étendue d'eau infinie.

«Seigneur Minos, que signifie cela ?

-A quelle date sommes-nous ?

-Le 12 avril 2012, pourq...

-Il y a cent ans, nous n'avions pas pu faire cette traversée de l'Atlantique à bord du Titanic. Profitons de ce moment de calme sur la Terre pour admirer les glaciers au clair de lune, tous les deux.

-Perchés sur un iceberg ?

-C'est symbolique.

Rune ne répondit pas face à l'ironie de ce ''symbole''. Ce genre de situation était tout à fait typique du Griffon. Et quelque part, ce n'était pas plus mal. Ils n'étaient pas à bord d'un paquebot rempli de monde, au milieu d'un faste exagéré. Juste tous les deux, au milieu de nulle part. Il pouvait se laisser aller à un peu de romantisme petit à petit.

Cependant, il sentit de légers fils translucides lui entourer les poignets sans serrer. Il ne contrôlait plus ses bras qui s'élevaient en croix.

-Seigneur Minos, vous n'avez pas honte ? Faire comme dans ce film ridicule...

-Personne ne nous voit, Rune.

-Je vous défends de chanter la chanson mièvre qui l'accompagne.»

Le Griffon ne l'écoutait pas. Il fredonnait au creux de l'oreille du Balrog cette mélodie connue de la plupart des humains rappelant inexorablement le Titanic.

Rune abandonna toute résistance, toute envie de protester. Toute crispation de son visage. Il souriait tout doucement.


notes de fin: Merci d'avoir lu. L'idée générale de l'histoire de Rune germait depuis un moment, et il fallait que je trouve le bon ordre des choses. J'ai tout simplement adoré l'écrire d'un bout à l'autre.
Je vous dis à la prochaine pour n'importe quel texte sur les personnages de cet univers merveilleux qu'est Saint Seiya. Et je décline toute responsabilité si vous avez une irrésistible envie de chanter une chanson de Céline Dion.
Des bisous.