"Quand on ne sait pas ce qu'on veut, on finit par perdre ce qu'on a." — Chuck Palahniuk

La fraîcheur de la nuit caressa immédiatement la peau d'Elizabeth lorsqu'elle franchit la porte de la terrasse, suivie de près par Jane. Loin du tumulte du bar, du brouhaha des conversations mondaines et des regards perçants qui semblaient la suivre à l'intérieur, elle inspira profondément, cherchant à chasser la tension qui s'accrochait à elle depuis le début de la soirée.

Mais Jane n'était pas venue pour admirer la vue.

À peine la porte refermée derrière elles, sa sœur se tourna vers elle, les bras croisés et les yeux pétillants d'une curiosité mêlée d'accusation à peine voilée.

"Alors," commença-t-elle sans préambule, "veux-tu bien m'expliquer ce qui se passe exactement ?"

Elizabeth ferma brièvement les yeux. Elle aurait dû voir venir l'interrogatoire.

"Il ne se passe absolument rien," répondit-elle, anticipant déjà les prochaines questions.

Jane arqua un sourcil, sceptique. "Vraiment ? Parce que, vois-tu, j'ai quelques interrogations."

Elizabeth roula des yeux, mais Jane poursuivit sans lui laisser le temps de protester :

"D'abord, tu as refusé de m'accompagner ce soir en me donnant l'impression que tu voulais rentrer tranquillement chez toi après ta journée. Et maintenant, je te retrouve ici, dans ce bar précis, au bras de Richard. Hasard ? Je n'y crois pas une seconde."

Elizabeth soupira. "Ce n'était pas prévu. Richard m'a proposé de boire un verre en sortant du travail, et j'ai accepté. Il n'avait aucune idée que vous seriez là."

Jane plissa les yeux. "Vraiment ? Tu es sûre que ce n'était pas une façon détournée de rendre cette soirée plus... intime ?"

Elizabeth croisa les bras à son tour. "Jane. Richard est mon patron. Il n'y a rien d'intime entre nous."

Jane la fixa un instant, jaugeant sa sincérité. "Oh, Lizzie... Je veux bien te croire, mais lui ?"

Elizabeth souffla d'agacement et détourna le regard. "Je t'assure qu'il n'y a rien."

Jane haussa légèrement les épaules, comme si elle laissait volontairement ce sujet en suspens.

"Très bien," concéda-t-elle, avant d'enchaîner sur un autre front. "Mais il y a une autre chose qui m'intrigue encore plus."

Elizabeth pinça les lèvres. "Bien sûr qu'il y en a une autre..."

Jane esquissa un sourire malicieux. "En entendant ton échange avec ce cher monsieur Darcy, j'ai immédiatement fait le lien avec notre conversation téléphonique de cet après-midi."

Elizabeth cligna des yeux. "Quel lien ?"

Jane prit un air faussement innocent. "Oh, ne fais pas semblant de ne pas voir. Lorsque tu parlais avec moi plus tôt, cet homme t'a interrompue, et votre échange avait déjà ce même ton… disons… électrisant."

Elizabeth grimaça en se rappelant leur altercation dans l'après-midi.

Jane lui donna une petite tape sur le bras. "Alors, dis-moi tout. Quelle est ton impression sur Fitzwilliam Darcy ?"

Elizabeth hésita une fraction de seconde avant de répondre, cherchant les mots justes pour décrire l'énigme qu'il représentait.

"Il est..." Elle fronça légèrement les sourcils. "Arrogant. Suffisant. Exaspérant."

Jane éclata de rire. "Oh Lizzie, tu es incorrigible."

Elizabeth secoua la tête. "Je t'assure que c'est la vérité. Il passe son temps à analyser les gens comme s'ils étaient des dossiers à examiner, et il parle comme s'il détenait la science infuse."

Jane inclina légèrement la tête, son sourire s'adoucissant. "C'est drôle, parce que Charles le décrit très différemment."

Elizabeth leva un sourcil. "Ah oui ?"

Jane hocha la tête. "Il lui porte une très haute estime. Il dit que derrière son apparence froide, c'est un homme loyal et d'une intelligence remarquable. Il n'accorde pas facilement sa confiance, mais quand c'est le cas, c'est un allié infaillible."

Elizabeth ne répondit pas immédiatement. Une part d'elle était prête à contester cette image bien trop flatteuse, mais une autre se surprenait à se demander si Charles ne voyait pas quelque chose qu'elle-même n'avait pas encore discerné.

"Et toi ?" demanda-t-elle finalement. "Quel est ton avis ?"

Jane sourit doucement. "Je l'ai trouvé charmant, en vérité. Il est réservé, certes, mais il a une prestance naturelle. Et puis, lorsqu'il a parlé de Charles, j'ai senti une réelle affection. Je crois que, sous ses airs austères, il tient sincèrement à ceux qu'il apprécie."

Elizabeth détourna légèrement les yeux, fixant un point invisible devant elle.

Charmant ? Elle n'aurait jamais utilisé ce mot pour décrire Fitzwilliam Darcy.

Intriguant, peut-être. Déstabilisant, sûrement.

Mais charmant ?

Elle n'en était pas si sûre.

Jane posa une main légère sur son bras. "Et toi, Lizzie... Es-tu certaine de ne pas le trouver au moins un peu intéressant ?"

Elizabeth tourna la tête vers elle, prête à nier catégoriquement.

Mais dans son esprit, l'image du regard intense de Darcy, quelques minutes plus tôt, s'imposa à elle.

Elle revit l'échange de défis silencieux, la tension qui s'était installée entre eux, la manière dont il l'avait défiée sur ses propres mots.

Un frisson imperceptible lui parcourut l'échine.

Elle pinça les lèvres, refusant de se laisser troubler.

"Je pense que tu devrais vraiment arrêter d'écouter Charles," déclara-t-elle finalement avec un sourire en coin.

Jane rit doucement, mais son regard resta empreint de malice. La porte de la terrasse s'ouvrit doucement, laissant passer un courant d'air frais. Elizabeth et Jane levèrent la tête en même temps, découvrant Charles qui s'avançait vers elles avec son sourire chaleureux.

Sans un mot, il retira sa veste et la posa délicatement sur les épaules de Jane, qui frissonna sous le contact du tissu encore empreint de sa chaleur.

Elizabeth observa la scène avec attendrissement. Il y avait chez Charles une attention sincère, une tendresse évidente qui contrastait avec l'agitation et les calculs du monde qui les entourait. Jane, quant à elle, baissa légèrement la tête, comme si elle voulait cacher son sourire ravi.

Mais ce ne fut pas Charles qui capta le regard d'Elizabeth à cet instant.

Derrière lui, à quelques pas de distance, se tenait Fitzwilliam Darcy.

Toujours aussi imposant dans son costume impeccable, il se tenait légèrement en retrait, observant la scène avec cette posture maîtrisée, calculée. Ses yeux sombres se posèrent sur Elizabeth et, malgré elle, elle sentit son cœur accélérer.

Elle se redressa, s'obligeant à détourner les yeux, à reprendre contenance.

Charles, inconscient de la tension subtile qui venait de s'installer, se tourna vers elle avec un sourire légèrement gêné.

"Lizzie, je voulais m'excuser pour Caroline," dit-il avec sincérité. "Elle peut être… un peu rude."

Elizabeth haussa un sourcil amusé. "Oh, un peu ? Charles, si c'est ta façon d'édulcorer les choses, je crains pour ta carrière diplomatique."

Jane lui lança un regard d'avertissement, mais Charles rit doucement, secouant la tête.

"Disons que Caroline a un sens de la territorialité… prononcé."

Elizabeth prit une inspiration avant de répondre, son ton teinté d'une ironie mordante :

"Elle n'aime simplement pas que son terrain de chasse soit partagé."

À ces mots, elle sentit un mouvement imperceptible à sa droite.

Darcy.

"Que voulez-vous dire par là ?" demanda-t-il d'une voix posée, mais tranchante.

Elizabeth tourna lentement la tête vers lui, et l'espace d'un instant, leurs regards s'accrochèrent avec une intensité troublante.

Elle savait exactement ce qu'elle sous-entendait.

Et lui aussi.

Un sourire étira lentement ses lèvres, mais son regard restait acéré.

"Voyons, monsieur Darcy," dit-elle d'un ton faussement innocent, "vous savez très bien ce que je veux dire."

Un silence tendu s'installa.

Jane retint discrètement sa respiration. Charles, lui, observa la scène avec une pointe de perplexité, comme s'il sentait que quelque chose se jouait mais n'en comprenait pas encore toute la portée.

Darcy, en revanche, ne détourna pas le regard.

Un éclat passa fugacement dans ses yeux. Était-ce de l'agacement ? De l'amusement ? Une ombre d'autre chose, peut-être ?

Elizabeth sentit un frisson lui parcourir l'échine, mais elle ne baissa pas les yeux.

Elle venait de lancer un défi.

Darcy eut un sourire en coin, ce genre de sourire infime, presque imperceptible, mais qui trahissait un amusement qu'il ne daignait pas exprimer pleinement.

"Dans ce cas," dit-il d'une voix posée mais au tranchant calculé, "êtes-vous la chasseuse… ou la proie, mademoiselle Bennet ?"

Elizabeth ne s'attendait pas à cette réplique.

L'espace d'un instant, elle resta figée, cherchant à décrypter s'il s'agissait d'une provocation ou d'un simple constat. L'éclat dans les yeux sombres de Darcy laissait entendre qu'il attendait sa réponse avec une curiosité bien trop évidente.

Elle ne lui donnerait pas ce plaisir.

Se redressant légèrement, elle haussa un sourcil et croisa les bras, reprenant contenance.

"Tout dépend du point de vue," répondit-elle calmement. "Certains pensent que la proie est celle qui est traquée… mais parfois, c'est elle qui attire volontairement le chasseur dans son piège."

Darcy inclina la tête, appréciant visiblement la réponse.

Mais ce fut Charles qui intervint avant qu'il ne puisse relancer la conversation.

"Tu sais, Elizabeth," déclara-t-il d'un ton pensif, "je pense que tu es un esprit de chasseur… tout en étant dans la position d'une proie."

Elizabeth tourna la tête vers lui, les sourcils froncés. "Et qu'est-ce que cela signifie ?"

Charles haussa légèrement les épaules. "Eh bien… pour être clair, tu es la proie de Richard."

Elizabeth cligna des yeux, interloquée. "Pardon ?"

Jane posa une main sur le bras de Charles, comme pour l'inciter à la prudence, mais ce dernier poursuivit avec son naturel désarmant.

"Je veux dire," expliqua-t-il, "je ne savais pas jusqu'à ce soir que Richard était ton patron. Mais maintenant que je mets bout à bout ce que tu m'as raconté sur lui, il semble que Richard a l'air de toujours vouloir t'avoir près de lui. Il te réclame dès que tu t'absentes trop longtemps, il te fait venir au bureau en dehors de tes heures de travail, et ce soir, c'est lui qui t'a entraînée ici… Ce n'est pas vraiment anodin, tu ne crois pas ?"

Elizabeth ouvrit la bouche pour protester, mais avant qu'elle ne puisse formuler une réponse, une autre voix s'éleva.

"Richard n'a jamais été du genre à s'intéresser aux femmes comme ça," déclara Darcy d'un ton neutre, presque distrait.

Le regard d'Elizabeth pivota brusquement vers lui.

Elle sentit une vague de contrariété la traverser.

Non pas parce qu'elle voulait être "le genre" de Richard.

Mais parce que cette remarque était d'une impertinence absolue.

"Vraiment ?" répliqua-t-elle, ses yeux lançant des éclairs. "Et qu'est-ce qui vous fait dire ça, monsieur Darcy ?"

Darcy la regarda avec cette tranquillité implacable qui avait le don de l'exaspérer.

"C'est une simple observation," répondit-il, comme si cela allait atténuer l'impact de sa phrase.

Elizabeth le fixa un instant, la mâchoire serrée, avant de sourire froidement.

"Eh bien, c'est fascinant," lâcha-t-elle avec une pointe de sarcasme. "Vous semblez connaître les goûts de votre cousin mieux qu'il ne les connaît lui-même."

Charles, pris dans la tempête qu'il avait lui-même déclenchée, ouvrit la bouche pour intervenir, mais Jane lui pressa discrètement le bras en secouant la tête.

Darcy, lui, ne se démonta pas.

"Je connais Richard depuis toujours," répondit-il simplement. "Et je sais ce qu'il recherche. Il apprécie votre intelligence et votre efficacité. Mais ce n'est pas une question de… préférence."

Elizabeth sentit sa patience s'effilocher.

"Alors selon vous, je ne pourrais tout simplement pas être le genre de femme qui l'intéresse ?"

Un silence s'installa.

Darcy la regarda longuement, et pour la première fois, il parut hésiter.

Elizabeth ne savait pas exactement ce qu'elle espérait comme réponse.

Mais ce qu'elle savait, c'est qu'elle détestait l'idée que cet homme – cet homme arrogant, suffisant et insupportablement observateur – puisse penser, même un instant, qu'elle n'était pas le "type" de quelqu'un.

Darcy ouvrit la bouche, visiblement conscient qu'il venait de s'engager sur un terrain glissant.

"Je voulais simplement dire que—"

Mais il n'eut pas le temps de finir.

La porte de la terrasse s'ouvrit à nouveau dans un léger grincement, laissant entrer un nouvel invité dans l'air nocturne.

Richard.

Détendu, les mains dans les poches de son manteau, il balaya la scène du regard, notant instantanément l'atmosphère tendue qui régnait entre Elizabeth et Darcy. Un bref sourire en coin se dessina sur ses lèvres, mais il ne fit aucun commentaire.

"Eh bien, voilà une assemblée bien sérieuse," lança-t-il en avançant. "Je venais voir si Elizabeth comptait encore nous abandonner au profit d'une analyse approfondie du ciel étoilé ou si elle préférait rentrer avant de geler sur place."

Elizabeth ne réfléchit pas longtemps.

Saisissant la perche tendue pour mettre un terme à cet échange de plus en plus déplaisant avec Darcy, elle se tourna immédiatement vers Richard avec un sourire qui sonnait presque trop enthousiaste.

"Excellente idée," déclara-t-elle. "Je crois que j'ai eu ma dose d'air frais pour la soirée."

Jane, qui observait la scène avec cette expression à la fois bienveillante et perspicace qu'Elizabeth redoutait tant, intervint aussitôt.

"Tu sais, Lizzie, si tu veux rester encore un peu, je peux très bien te ramener plus tard."

Elizabeth secoua la tête avec un sourire rapide. "Non, ça ira, Jane. Merci."

Darcy, silencieux jusque-là, la fixait toujours.

Elizabeth soutint son regard, refusant de montrer le moindre signe de malaise. Elle voulait partir, et surtout clore cette conversation.

Richard, perceptif comme toujours, haussa légèrement les sourcils mais ne posa pas de questions.

Dans un geste fluide, il retira sa veste et la posa sur les épaules d'Elizabeth.

"On ne voudrait pas que ma précieuse assistante attrape froid," plaisanta-t-il avec légèreté.

Elizabeth leva les yeux au ciel, mais elle accepta la veste, savourant la chaleur immédiate qu'elle procurait.

Elle se tourna vers Jane et Charles.

"Bonne fin de soirée," dit-elle avec un sourire sincère à sa sœur.

Puis, son regard glissa vers Darcy, et son ton changea imperceptiblement.

"Monsieur Darcy."

Une simple salutation. Froide. Détachée.

Darcy, qui n'avait pas détourné les yeux une seule seconde, la fixa encore un instant, comme s'il cherchait quelque chose dans son expression.

Puis, lentement, il inclina légèrement la tête en réponse.

Sans ajouter un mot, Elizabeth pivota sur ses talons et s'éloigna, suivie de près par Richard, qui jeta un dernier regard amusé à l'assemblée avant de refermer la porte derrière eux.

Derrière elle, elle sentit le poids d'un regard sur sa nuque.

Elle ne se retourna pas.