Point de vue Paul

Après la révélation d'Haven, j'ai d'abord prétendu que ça allait, que ça ne changeait rien. Mais c'était faux. Indéniablement, ça a remué quelque chose en moi. Ce n'est pas tant qu'elle soit l'écrivaine derrière la saga à succès que Rachel adorait. Ce qui me hante, c'est de savoir depuis combien de temps Rachel réfléchissait à notre relation.

Rachel.

Rachel, qui panique à l'idée de ne pas réussir à organiser son mariage à temps.

Rachel, qui m'appelle sans cesse.

Pour la déco. Pour la salle. Pour les invitations. Pour des conneries.

À chaque appel, je ressens ce même étau se resserrer autour de ma poitrine. Et moi, je suis incapable de lui dire que ça me fait mal.

Alors, je deviens un putain de volcan ambulant.

Je me referme. Je m'énerve. On évite le sujet. On évite de parler de Rachel. Sam doit me recadrer encore et encore et j'entends Jared glisser à Haven que mon tempérament devient un problème pour la meute.

Comme si elle ne l'avait pas déjà remarqué.

Depuis, Haven et moi… on n'est plus les mêmes.

Je viens la voir moins souvent. Je repars plus vite. Je ne la retiens plus quand elle dit qu'elle doit partir. Je n'ai plus cette énergie. Et elle… elle ne lutte pas non plus. Elle ne dit rien. Elle ne cherche pas à rattraper ce qui nous échappe. Elle se noie dans ses études, dans son écriture et, moi, je la regarde de loin, sans rien faire.

Et pourtant…

Haven est toujours là.

Et je ne sais toujours pas pourquoi elle ne m'a pas quitté

/

Je tire sur le col de ma chemise, agacé par ce foutu costume. Ce mariage me pèse déjà, et pourtant, je suis là, à arpenter les couloirs de l'église à la recherche de Sam ou de n'importe qui d'autres capable de me calmer les nerfs.

Au détour d'un couloir, je tombe sur Haven. Elle me regarde, soulagée.

— Tu es venu.
— Ouais… Elle est où ?

Elle hésite un instant avant de me faire signe de la suivre. Une fois devant la pièce, elle me laisse patienter et entre prévenir Rachel. J'entends la voix d'Haven voix, puis celle de Rebecca et enfin celle de Rachel qui m'autorise à entrer.

Quand je passe le seuil, tout s'efface. La musique, les voix, les odeurs de parfums bon marché. Il n'y a plus que Rachel, en robe blanche, les cheveux encore défaits, les lèvres tremblantes.

Je m'approche d'elle à grand pas et sans réfléchir à nos gestes, elle encadre son visage de mes mains tandis que je la prends doucement par la taille.

— Tu es là, murmure Rachel.

Je hoche la tête. Qu'est-ce que je pourrais dire de toute façon ? Je n'arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens. Je suis là, mais je ne sais pas si c'est une bonne chose.

Rachel me scrute, ses doigts serrent légèrement ma mâchoire, comme si elle voulait graver cet instant dans sa mémoire.

— J'avais besoin de te voir, avoue-t-elle.

Moi aussi.

Soudain, un murmure s'élève derrière nous.

— Je ne la comprends pas, chuchote Rebecca. Je ne comprends pas pourquoi il est là…

Ma mâchoire se contracte. L'agacement grimpe en moi immédiatement. Rebecca ne sait rien, alors je serre les dents et je me retiens de répliquer. Ce n'est ni le moment ni l'endroit. Mon regard glisse brièvement Haven. Elle est restée dans la pièce, à bonne distance à côté de Rebecca. Elle m'observe, sans rien dire. Je ne sais pas ce qu'elle pense et je ne veux pas le savoir.

Enfin, Rachel laisse échapper un rire nerveux, brisant un peu la tension, et me ramenant au présent.

— Quoi ?

— Rien, c'est juste… c'est étrange de te voir dans un costume.

Je secoue la tête avec un sourire en coin. Toujours les mêmes conneries pour alléger l'ambiance. Je pourrais lui dire qu'elle est magnifique, que son fiancé est un mec chanceux. Mais aucun mot ne sort. Je me contente de la regarder.

Rachel inspire profondément, puis elle lève les mains pour replacer un pli imaginaire sur ma veste. Un geste anodin. Pourtant, il me serre la poitrine.

— Tu vas t'asseoir à côté de papa et Jacob, hein ? Tu restes ?

Je n'aime pas la supplique dans sa voix. Je ne veux pas qu'elle ait besoin de me demander ça.

— Bien sûr que je reste.

Ses yeux brillent un instant. Je voudrais me reculer avant de faire une connerie mais Rachel me retient, accrochant un peu plus mon visage.

— Tu prendras bien soin d'elle, d'accord ? me demande Rachel, presque comme un ordre. Promet-le moi, Paul. Vis le reste de ta vie avec Haven, aime-la jusqu'à ton dernier souffle, même si je te réclame.

Je cligne des yeux abasourdi.

— Quoi ?

— A partir d'aujourd'hui, Paul, je t'interdis de la quitter, sous aucun prétexte, même si je te le demande.

— Rachel, je–

— Promet-le moi, Paul, m'ordonne-t-elle.

— Je te le promets.

Je me penche et embrasse son front, comme pour sceller cette promesse. Rachel me sourit et finit par me congédier d'une légère pression sur la joue.

Je sors et Haven me suit dans le couloir.

— C'est bien que tu sois là, dit-elle avec un sourire timide.

— J'aurais pas pu faire autrement, c'est important pour elle…

J'aimerais lui répondre autre chose, lui avoue que je ne sais pas si c'est bien. Que je ne sais pas si tout ça est une bonne idée, en fait.

Finalement, je me rapproche et Haven lève le menton, m'offrant son visage sans la moindre hésitation. J'hésite une seconde, puis je pose mes lèvres sur les siennes. C'est doux. Étrangement apaisant.

— Et c'est important pour toi, murmuré-je avant de m'éloigner. On se voit tout à l'heure.

Elle rougit. Moi, j'ai juste envie de m'éloigner de tout ça.

/

Le mariage est beau. La cérémonie, émouvante. Rachel est heureuse, elle rayonne. Elle est dans son monde, celui qu'elle a choisi. Et moi, je suis dans le mien.

Je reste à l'écart pendant la réception, malgré ma place à la table des mariés. Haven est là aussi, entre Jacob et la mère du marié. Je la sens mal à l'aise et ça me fait chier. Elle devrait être avec la meute, à s'amuser au lieu de subir tout ça.

La soirée avance. Je finis par la voir rejoindre la piste, entraînée par Sam pour une danse. J'aurais déjà pu l'inviter, mais quelque chose m'a retenu. Peut-être parce que je sais qu'à ce moment-là, je n'aurais pas été totalement avec elle…

Pourtant, je ne réfléchis pas longtemps avant d'inviter Emily. Elle accepte avec un sourire amusé, posant ses mains sur mes épaules tandis que je l'entraîne dans un mouvement fluide. Mais mon attention reste braquée sur Haven. Elle suit le rythme imposé par Sam avec une aisance naturelle, se laissant guider sans résistance.

Emily suit mon regard et arque un sourcil.

— Il va lui parler, devine-t-elle à mi-voix.

Je me contente d'un léger hochement de tête. Sam l'entraîne un peu à l'écart. Il ralentit un peu, lui parle à voix basse et, malgré la musique, je capte tout ce qu'il dit.

— Tu sais, Haven, commence-t-il. Avec Billy, on pense que tu devrais avoir une place dans la meute.

Haven fronce légèrement les sourcils.

— Une place ? Je ne comprends pas… Je ne peux pas faire partie de la meute, Sam. C'est impossible pour moi.

Amusé, Sam lâche un petit rire avant d'expliquer l'idée de Billy. Une reconnaissance officielle. Un droit de parole au sein du Conseil.

Emily plisse les yeux, même si elle ne peut pas entendre, elle sait pourquoi Sam danse avec Haven.

— Il lui parle de son rôle, n'est-ce pas ?

Je la regarde en biais.

— Ouais.

— Hm… Ça ne m'étonne pas. Billy l'apprécie vraiment.

Je ne réagis pas. J'observe Haven, absorbé par chacune de ses micros-expressions. Elle acquiesce lentement, comme si elle absorbait encore l'information.

— Tout le monde sait à quel point tu es impliquée dans la vie de la meute, déclare Sam. Tu es là pour nous, pour Paul… mais pas seulement. Tu en sais plus sur nos légendes que certains d'entre nous.

Emily me presse légèrement le bras.

— Dis moi comment elle réagit.

Haven inspire profondément, elle a le dos qui se raidit pendant une fraction de seconde avant de se détendre. Ce genre de détails que personne ne remarque, mais moi il me sautent aux yeux.

— Elle encaisse pour l'instant. Elle dira rien tant qu'elle n'aura pas eu le temps d'y réfléchir. Sam vient de lui dire qu'il a déjà donné son accord de principe pour qu'elle fasse partie du Conseil.

Emily lâche un petit sourire.

— Elle cogite déjà.

— Ouais, confirmé-je.

La chanson s'achève et Sam la raccompagne vers sa place, comme s'il savait qu'elle avait besoin d'une pause. Je la regarde, cherche un indice sur ce qu'elle ressent. Elle paraît perdue dans ses pensées.

Emily me jette un regard en coin.

— Qu'est-ce que tu attends quoi ? Va la voir, me souffle Emily avec un sourire.

— Je vais la laisser respirer un peu pour l'instant, murmuré-je à mon tour avant de relâcher Emily.

— D'accord, mon chéri, mais ne la délaisse pas trop longtemps, conclut-elle en retournant près de Sam.

Je décide d'aller prendre un peu l'air. Malgré tout, l'ambiance commence à me peser un peu et j'ai besoin de souffler. Je sors par une porte latérale et me pose contre le mur, laissant la fraîcheur de la nuit apaiser mon esprit. Pourtant, mon attention ne s'éloigne pas d'Haven.

À travers la fenêtre, je la vois rejoindre la piste avec les autres. Elle continue de profiter de la soirée, entourée de nos amis. Un léger sourire étire mes lèvres. Quelque part, je me sens soulagé qu'elle puisse se laisser aller.

Puis la musique change. Le rythme s'apaise et la salle suit le mouvement. Les premières notes d'un slow résonnent, assourdies par les murs. Mon regard trouve Haven à l'autre bout de la pièce. Elle me cherche.

Je pousse un léger soupir et quitte mon appui contre le mur. Il ne me faut que quelques secondes pour traverser la salle et la rejoindre.

Sans un mot, je lui prends la main et l'attire contre moi. Mes bras se referment sur elle et elle se laisse aller contre moi. La chanson est belle, mais putain… elle fait mal.

Je ferme les yeux un instant, respirant l'odeur réconfortante de Haven. Mais mon regard se pose malgré moi sur Rachel. Elle danse avec son mari, elle rit, elle est heureuse.

Et moi, j'encaisse.

Les paroles frappent comme des coups.

« Je sais que tu l'aimes, mais c'est terminé, mec »

C'est ça, hein ? C'est ça que je dois comprendre ?

Rachel m'appartient plus. Rachel est avec lui. Rachel a choisi.

J'ai un poids sur la poitrine, une pression qui monte, qui serre. Quelque chose se fissure à l'intérieur.

Haven relève la tête, me regarde. Ses doigts effleurent ma joue, essuient une larme que je n'avais même pas sentie couler. Elle sourit, douce, compréhensive.

Je plonge mon regard dans le sien.

Et je l'embrasse.