Bonsoir bonsoir :3

Hop, je poste le chapitre deux, j'espère que la suite vous plaira !

Bonne lecture ;)

Chapitre deux

Jayce observa le professeur avec étonnement. Il ne s'était absolument pas attendu à le retrouver ici. Quelque part, il fut heureux de le voir, bien qu'Heimerdinger ne le connaisse pas encore. Il se sentait rassuré en sa présence: si quelqu'un l'avait toujours soutenu et guidé comme il le fallait, c'était bien lui. Il aurait dû l'écouter davantage à l'époque…

«Professeur Heimerdinger, merci de nous honorer de votre visite.», salua Cassandra Kiramman. «Puis-je vous proposer une tasse de thé?»

«Oh ce ne serait pas de refus, je vous remercie Cassandra.»

Il partit s'installer sur le sofa de son pas sautillant. Jayce, ses documents dans les bras, le regarda faire, quelque peu décontenancé.

«Bien.», commença Heimerdinger. «Etant donné votre possible surprise, je tiens à me présenter. Je suis Cecil B. Heimerdinger, doyen de l'Académie des sciences et membre du Conseil de Piltover. Cassandra m'a parlé de votre potentiel lors d'une réunion l'autre jour, et il faut dire que les éloges qu'elle a faites à votre égard ont attisé ma curiosité. Si vous le permettez, j'aimerais donc assister à votre représentation aujourd'hui. D'autant plus que si vous réussissez ce test, il y a de fortes chances pour que nous soyons amenés à travailler ensembles à l'avenir.»

«Ce serait un honneur, professeur. Merci de votre considération.», répondit Jayce.

«Il est poli, ce garçon.», chantonna Heimerdinger. «Mais trêve de mondanités, je pense que vous pouvez commencer, qu'en pensez-vous, Cassandra?»

«Vas-y, Jayce.», répondit la matriarche avec un signe de tête.

Le garçon prit une grande inspiration avant de débuter.

«Tout d'abord, je tenais à vous remercier pour la chance que vous m'avez donnée aujourd'hui. Je m'appelle Jayce Talis et bien que je n'aie que dix ans, j'aimerais intégrer l'Académie de Piltover. Pour ce faire, j'ai l'intention de vous présenter un objet de ma conception. Ensuite, je vous ferai l'exposé d'un projet que j'ai imaginé et qui se trouve être la raison de ma volonté d'intégrer votre école.»

Jayce prit la boîte en étain et la posa délicatement sur la table basse. Les deux personnages se rapprochèrent afin d'en avoir un meilleur aperçu et le garçon l'ouvrit. Il en sortit une jolie montre à gousset en or plaqué.

«J'ai fabriqué cette montre durant ma semaine de préparation.», expliqua-t-il. «Comme vous pouvez le remarquer, si je l'ouvre, elle n'a l'aspect que d'une montre tout à fait ordinaire et se contente de montrer l'heure. Cependant, je me suis amusé à lui ajouter une petite particularité.»

L'objet était assemblé en deux parties, ainsi il activa un petit mécanisme en faisant pivoter sa partie inférieure. A l'intérieur du couvercle s'affichèrent soudain à la fois l'heure, les jours de l'année et les mois. Jayce aperçut les oreilles d'Heimerdinger frémir. Il avait des étoiles pleins les yeux. Cassandra paraissait également impressionnée.

«Ce n'est qu'un banal jeu de lumière. J'ai ajouté une petite lampe au fond de la montre. Une fois allumée, elle reflète les aiguilles sur le couvercle et éclaire des chiffres romains que j'ai gravés à la main. Ils ont tous été recouverts d'un vernis spécial les faisant briller à l'instant où la lampe est activée. En ce qui concerne les aiguilles, elles sont en verre, permettant à la lumière de passer au travers et de les faire apparaître sur le couvercle. Je les ai orientées de sorte à ce qu'elles viennent réfléchir directement sur sa surface. C'est ce qui m'a posé le plus de difficultés, d'ailleurs. J'ai dû les changer d'angle si souvent qu'il est arrivé un moment où j'ai commencé à désespérer. Mais finalement, j'ai réussi après maints essais.»

«Puis-je?», demanda Heimerdinger, qui semblait absolument fasciné.

«Bien entendu.»

Jayce lui tendit la montre avec précaution. Le petit professeur s'en empara et se mit à observer le mécanisme de son œil expert.

«Fascinant, tout à fait fascinant. Regardez, Cassandra, comme son travail est précis. Et cela en une semaine?»

«Oh je vois, oui.», répondit la matriarche.

Mais au grand étonnement de Jayce, elle avait l'air plus pensive qu'impressionnée.

«Continuez.», fit-elle à l'égard du garçon.

Il nota son vouvoiement soudain et s'en retrouva mal à l'aise. Quelque chose avait changé dans son regard, il le voyait. Malgré tout, il ne laissa rien paraître et continua son exposé.

«A présent, si vous le permettez, j'aimerais vous faire part des raisons qui me poussent à intégrer votre école. Je voudrais créer un système d'épuration de l'air dans la basse-ville.»

«Un système d'épuration?», s'étonna Cassandra.

«Exactement. La pauvreté règne à Zaun, et les gens là-bas sont exposés à des gaz toxiques les tuant à petit feu. A l'avenir, j'aimerais faire construire de nouveaux conduits qui filtreraient la toxicité des gaz et permettraient aux habitants de respirer normalement. Dans un même temps, je voudrais étudier le sang des personnes malades et tenter de leur trouver un remède approprié.»

«Pourquoi ce soudain intérêt pour la basse-ville? Ne me dites pas que vous vous amusez à y pénétrer sans autorisation.»

«Je…»

«Asseyez-vous, Jayce. Votre représentation se termine là.»

«Hein?»

«Asseyez-vous, je vous dis.»

Jayce sentit l'angoisse monter en flèche. Malgré tout, il n'insista pas et s'installa dans un des fauteuils. Cassandra lui jeta un regard pénétrant.

«Comment vous appelez-vous?», demanda-t-elle alors.

«Jayce Talis.»

«Ne me mentez pas.»

«Je ne vous mens pas.», se défendit-il. «Je suis Jayce Talis.»

«Je connais Jayce Talis depuis qu'il a fait ses premiers pas. Je l'ai vu grandir et me suis occupée de lui à de nombreuses reprises. Vous êtes en tout point différent. Qu'êtes-vous? Un démon qui a pris son apparence? Répondez!»

Jayce, qui se sentait pris au piège, tritura ses doigts tremblants. Il commença à réfléchir à toute vitesse. Il devait trouver un moyen de prouver sa bonne foi à la matriarche d'une quelconque manière. Soudain, une idée lui vint. Il remonta la manche droite jusqu'à son coude et montra une petite brûlure dans le creux de son bras.

«Quand j'avais cinq ans, ma mère m'a déposé un jour chez vous. Vous m'avez gardé tout l'après-midi. Mais j'étais un petit garçon turbulent qui n'écoutait pas grand-chose. Aussi, je me suis amusé avec une bougie que vous m'aviez défendue de toucher. Sans doute ai-je joué avec précisément pour cette raison, parce que je n'aimais pas beaucoup qu'on m'interdise de faire ce dont j'avais envie. Mais je me suis brûlé en la faisant tomber. Je me souviens encore de la douleur… Vous m'avez alors grondé si sévèrement que j'ai eu peur de revenir pendant plusieurs semaines.», raconta-t-il. «Je ne vous mens pas quand je vous dis que je suis Jayce Talis.»

«Dans ce cas-là, comment se fait-il que vous ayez changé à ce point? Que s'est-il passé ce jour-là, sur la montagne?J'ai l'impression de parler à quelqu'un d'autre depuis plusieurs jours.»

Jayce passa une main dans ses cheveux. Il était extrêmement nerveux. Il ignorait complètement quoi faire. De toute manière, il ne serait jamais cru s'il racontait la vérité.

«Je…»

«Si vous permettez, Cassandra, peut-être prenez-vous le problème à l'envers.», avança Heimerdinger.

«Et de quelle sorte?»

«J'ai vu un nombre assez étonnant de particularités au cours de ma longue vie. Des personnes qui changent du tout au tout du jour au lendemain, ça n'a plus rien d'étonnant pour moi. Le plus souvent, la magie en est la cause première. Aussi, la capacité créative et les raisonnements de ce garçon m'interpellent quelque peu. Si nous avons effectivement Jayce Talis en face de nous, la question à se poser n'est peut-être pas qui est-il, mais quel âge a-t-il?»

Heimerdinger lui fit un sourire. Jayce baissa la tête et tritura un peu plus ses doigts. Bien entendu, il avait fallu que son professeur tape juste. Sa jambe se mit à bouger frénétiquement. Il ne pouvait pas retourner en arrière, il devait leur dire la vérité. Bien qu'il doutât qu'ils ne le croient.

«Je vais sur mes trente-deux ans.»

«Ah oui?», fit le professeur.

«Mais comment…?»

«Je doute que vous ne me croyez si je vous dis la vérité, mais…»

«Dites toujours.»

«Je ne sais pas vraiment pas où commencer… Disons que cette période de ma vie, je suis en train de la revivre une seconde fois. Pis, je peux vous prédire avec quasi-certitude que dans trois mois, le Conseil de Piltover se verra rejoint par un nouveau membre du nom de Salo. La Conseillère Amara, actuellement en poste, sera arrêtée pour fraude fiscale. Vous n'avez qu'à vérifier ses actions dès aujourd'hui, si vous ne me croyez pas. Elle a détourné des fonds pour s'acheter son nouveau palace, dont elle vous bassine depuis des mois. On en a parlé, une fois. Vous détestez les gens malhonnêtes.»

«Veuillez cesser cette mascarade.»

«Je suis on ne peut plus honnête, madame. Si vous ne me croyez pas, faites ouvrir une enquête au sujet de cette Amara. Ou alors… attendez une semaine, rien qu'une petite semaine. Si je ne me trompe pas, nous sommes le 19 janvier de l'an 986. Le 27 de ce même mois, le Journal des Défendus prendra le nom de Gazette de Piltover. Cela provoquera des tensions entre Zaun et Piltover, car il s'agit de l'unique journal étant diffusé dans les deux villes.»

«Monsieur Talis, vous…»

«Si vous pensez qu'un démon ait pu prendre possession de mon corps, alors pourquoi cette possibilité-là vous paraîtrait-elle inenvisageable?Après tout, elle n'est pas moins crédible que votre première hypothèse.»

Cassandra n'ajouta rien. Elle se frotta la tempe, l'air pensive.

«Je vous dis la vérité.», continua Jayce.

«Donc, si je comprends bien, vous auriez remonté le temps?», demanda Heimerdinger.

«Oui, c'est exactement ça.»

«Prodigieux.»

«Je ne pense pas que ce soit exactement le terme, professeur. Ce n'était qu'un accident, je ne l'ai pas fait de manière volontaire. J'ignorais même totalement que c'était possible.»

Heimerdinger et Cassandra se consultèrent du regard.

«Expliquez-nous ce qu'il s'est passé.», avança la Kiramman.

«Alors vous me croyez?»

«Ce n'est pas le terme exact, non. Mais je suis curieuse de savoir ce que vous avez à ferai ouvrir une enquête, que ce soit pour Amara ou le journal. Si ce que vous dites s'avère faux, vous serez automatiquement envoyé à la prison de Stillwater pour tromperies et appropriation du corps d'autrui. On devrait pouvoir vous faire parler, là-bas.»

Jayce ne flancha pas. Il savait qu'elle essayait de l'intimider et de voir s'il lui mentait. Mais il n'avait rien à cacher, et donc rien à craindre. Il était sûr de lui. Voyant que sa menace ne faisait pas effet, Cassandra soupira. Elle ajouta alors:

«A partir de maintenant, nous allons faire comme si ce que vous avancez était une vérité accomplie. Je ne vous interromprai pas.»

«Merci.»

«Parlez, maintenant.»

Jayce croisa les doigts et prit bien garde à les regarder dans les yeux afin de paraître le plus crédible possible.

«Comme l'avançait le professeur Heimerdinger, j'ai remonté le temps à cause de la magie.»

«Mais il n'y a pas de magie à Piltover.»

«Pas encore. C'est moi qui l'ai amenée ici avec mon partenaire de recherches. Par un procédé audacieux, nous sommes parvenus à maîtriser la magie par la science. Nous l'avons nommé Hextech.»

Cassandra Kiramman et Heimerdinger restèrent bouche bée.

«Mais c'était notre plus grande erreur.», continua Jayce. «Le professeur Heimerdinger nous avait bien fait comprendre qu'on ne devait pas créer de magie, qu'elle était dangereuse, mais nous ne l'avons pas écouté… Je… je vous ai trahi, professeur. Vous avez été chassé du Conseil par ma faute, et j'en suis désolé. Notre création a fini par détruire Piltover et… actuellement, je ne sais absolument pas ce qu'il est advenu du monde dans lequel j'ai vécu. Mon partenaire et moi avons décidé de mettre un terme définitif à l'Hextech mais en faisant cela, j'ai remonté le temps sans le vouloir. Je ne peux pas rentrer chez moi au risque de remettre tout le monde en péril, je suis bloqué ici et… je ne sais absolument pas quoi faire…»

«Reprenez votre souffle, mon garçon.»

«Je suis sincèrement désolé… Bien que tout ça ne se soit pas encore passé, j'ai une peur bleue du jour où l'Hextech réapparaitra ici. Parce que je sais que quoi qu'il arrive, il y a un risque que l'un d'entre nous en soit le créateur. Il est arrivé tant de malheurs par notre faute. Il y a eu tant de morts inutiles.»

Jayce prit sa tête dans ses mains. Il se frotta les yeux, tentant tant bien que mal de retenir ses larmes.

«Que s'est-il passé, exactement?»

«On voulait… on voulait améliorer le quotidien des gens. Mon partenaire et moi, nous avons réussi à créer des choses fantastiques. Les Hexgates, notamment. C'étaient des portails magiques permettant de voyager en quelques minutes à l'autre bout du monde. Mais l'Hextech a attiré des gens mal intentionnés. La cheffe du clan Medarda venue de Noxus notamment. Elle a manipulé le Conseil et profité de nos recherches pour en faire des armes. A la fin, l'Hextech n'était plus devenu qu'un nouveau prétexte pour faire la guerre. Nous avons échoué à faire le bien, comme nous l'avions prévu au départ… Sans compter les nombreuses tensions entre Piltover et Zaun. Une déséquilibrée de la basse-ville a volé un cristal Hextech et a fait sauter le Conseil. Et là… vous… vous…»

Ses mots se bloquèrent dans sa gorge, mais quand ses yeux se posèrent sur Cassandra, elle n'eut pas à l'entendre pour comprendre. Elle pinça le haut de son nez de ses doigts. Malgré tout, elle garda son calme. Cette fois-ci, Jayce sentit les larmes dévaler ses joues.

«Que s'est-il passé, ensuite?» demanda-t-elle tout de même.

«Après de l'explosion du Conseil, Ambessa Medarda a pris le contrôle de Piltover. Je ne connais pas vraiment les détails, car je n'étais pas là, mais de ce que j'ai compris, elle s'est servie de votre fille pour parvenir à ses fins. Mais je ne pense pas qu'il faille nous en inquiéter. Après tout, elle n'est venue à Piltover que parce qu'elle était attirée par l'Hextech. De mon côté, j'ai tenté de sauver la vie de mon partenaire et entamé un processus de fusion avec l'Hexcore, un objet Hextech créé par accident dont nous avions du mal à comprendre la nature. Quand il s'est réveillé, il n'était plus le même. Sa conscience s'est retrouvée directement liée à l'Arcane et il s'est mis en tête que pour faire disparaître les souffrances de ce monde, l'humanité devait se défaire de toute émotion. Il a commencé à embrigader des innocents à sa cause. Ce sont devenus des sortes de robots dénués de sentiments. C'était effrayant. Nous nous sommes battus, lui et moi. Finalement, j'ai réussi à lui faire entendre raison en me connectant à son esprit et… j'ai remonté le temps.»

Il fallut un instant à Cassandra et Heimerdinger pour assimiler toutes ces informations.

«Vous disiez tout à l'heure qu'il y avait eu des tensions entre Piltover et Zaun? De quelle sorte?», demanda le Yordle.

Jayce se rendit soudainement compte qu'il n'avait fait aucune mention au Shimmer ou à Silco. Ils avaient pourtant dévasté la basse-ville durant de nombreuses années et la guerre qui avait suivi était en grande partie de leur faute.

«Les gens de Zaun se meurent. On croit naïvement qu'ils sont des nôtres, mais à leurs yeux, Zaun devrait devenir indépendante. Un puissant industriel du nom de Silco s'est servi d'une drogue appelée Shimmer pour asservir la population. C'était affreux. Certains ont fini complètement défigurés. Ça a déclenché une guerre. Il faut à tout prix venir en aide à ces gens et prendre conscience de leur situation. Il faut les accompagner et leur montrer qu'ils peuvent nous faire confiance. Actuellement, ils nous haïssent au plus haut point. A leurs yeux, nous sommes la source de tous leurs problèmes. Si vous ne me croyez pas, rendez-vous là-bas par vous-mêmes et parlez avec eux.»

«Savez-vous comment a été créé ce Shimmer dont vous nous parlez?»

«Je ne tiens l'information que de sources tierces. Il me semble qu'il a été créé par un alchimiste au service de Silco. Zinged? Songed? Je ne me souviens pas de son nom. Mais j'ignore complètement où il se cache.»

«Et ce Silco? Vous avez des informations à son sujet?»

«Non, je ne l'ai rencontré qu'une fois. Il cherchait l'indépendance de Zaun et n'est monté en puissance que tardivement. Je ne connais rien de son passé.»

«Donc, vous n'avez d'informations ni sur l'alchimiste, ni sur ce Silco?»

«Tout ça ne se passera que dans vingt ans.», répliqua Jayce. «Rien n'est encore écrit aujourd' est mort il y a un an, je vous avoue qu'il n'était plus ma priorité ces derniers je pense qu'avant de partir à sa recherche, la meilleure chose à faire serait d'améliorer nos rapports avec la basse-ville et de créer un monde où les Zaunites seraient en sécurité. Si nous faisons ça, il n'y a aucune raison pour que Silco monte en puissance comme il l'a fait. Je tournerais plutôt mon inquiétude vers l'alchimiste, puisqu'il est à l'origine du Shimmer. C'est lui que nous devrions retrouver en premier lieu. Il y avait un bar du nom de La Dernière Goutte, à mon époque. Peut-être qu'il existe déjà aujourd'hui. Il est tenu par un homme du nom de Vander, c'est le protecteur de Zaun, il sait peut-être quelque chose.»

«Ce serait sûrement la première piste vers laquelle nous devrions nous tourner, dans ce cas.», raisonna Cassandra.

«En effet, il nous faudra le contacter le plus rapidement possible.», soutint Heimerdinger.

«Autre chose.», ajouta la matriarche à l'égard de Jayce. «Ces informations que nous venons de partager, vous devez nous promettre de ne les répéter à personne d'autre. La situation peut être prise à temps si on parvient à manipuler le Conseil comme il faut. Si les gens apprennent l'existence d'un homme venu du futur annonçant la fin du monde, cela provoquera un vent de panique, ce dont nous n'avons nullement besoin.»

«Je ne comptais le révéler à personne, au départ.», riposta Jayce.

«Dans ce cas, apprenez à mieux jouer la comédie. Qu'un enfant de dix ans parle et raisonne comme un adulte attire les soupçons. La preuve, vous aviez bel et bien quelque chose à cacher.»

«Vous m'en voulez?»

«La question ne se trouve pas là, Jayce. Que comptiez-vous faire? Endosser toutes les responsabilités et attendre patiemment que tout recommence? Si nous ne vous avions pas fait parler, qui sait ce qui aurait pu advenir. Une telle responsabilité ne peut être portée par un seul homme.»

Jayce s'enfonça un peu dans son fauteuil en soupirant.

«Je le sais. Mais je ne savais pas quoi faire.»

«L'important, c'est que vous ne soyez plus seul, à présent.», lui dit gentiment Heimerdinger. «Nous ferons en sorte que la situation s'améliore.»

«Qu'est-ce que je peux faire, maintenant? J'intègre l'Académie quand même?»

Ses deux supérieurs échangèrent un regard. Finalement, Heimerdinger répondit:

«Oui. Oui, vous le devriez. Sans vous, protéger notre avenir deviendrait impossible.»

«Si vous dites la vérité.», fit remarquer Cassandra.

«Je suis sincèrement désolé pour vous, mon garçon. Mais je crains que vous ne deviez attendre quelques années encore avant de connaître un semblant de paix.»

Jayce ne répondit rien. Le fait que le destin de la ville repose sur ses épaules était une charge si lourde qu'il aurait préféré se terrer dans un coin et ne plus jamais en sortir.

«J'avais une question.», dit soudain Cassandra. «Qu'est-il advenu de ma fille?»

«Elle est vivante, si c'est ce que vous sous-entendez. Du moins, elle l'était la dernière fois que je l'ai vue. Mais c'est une forte tête, elle tient énormément de vous. Je suis certain qu'elle va bien. De même que votre mari.»

«Bien.»

«Je voulais ajouter autre chose. Concernant mon partenaire, c'est pour l'aider lui, que je cherche à épurer l'air de la basse-ville. Il vient de là-bas et il souffre d'un mal incurable. Il était mourant bien avant sa fusion avec l'Hexcore. Permettez-moi de le retrouver et de le sauver, je vous en prie. Il est ce que j'ai de plus précieux.»

«Comment s'appelle-t-il?»

«Viktor, seulement est à peine plus âgé que moi. Il est estropié à cause de sa maladie et doit se déplacer avec une canne.»

« Ça nous fait très peu d'informations.»

«Je sais… Mais les gens de la basse-ville n'ont pas de nom de clan comme à Piltover.»

«Je vais voir ce que je peux faire.», dit Cassandra. «De toute manière, il nous faudra le mettre sous étroite surveillance. Il ne peut rester libre et faire ce que bon lui semble. Ce garçon est une bombe à retardement.»

«Vous voulez le faire enfermer?», s'alarma Jayce.

«Je doute que nous ayons le choix.»

«Quoi?!»

«Ne prenons pas de décisions si hâtives, Cassandra. Actuellement, ce garçon est innocent.»

«Exactement.», renchérit le plus jeune. «Et si nous parvenons à améliorer le quotidien des défavorisés et à guérir sa maladie, il n'aura aucune bonne raison de créer de l'Hextech.»

«Ce qui fait beaucoup de si.», fit remarquer la matriarche. «Je pense que vous ne comprenez pas bien la situation, Jayce. C'est pourtant vous qui avez traversé le temps, non? Ce Viktor est dangereux.»

«Oui, et actuellement, il n'a même pas conscience de l'être! Il ne nous connaît même pas!»

«Ce n'est pas la question.»

«Bien sûr que c'est la question! Depuis quand accuse-t-on les innocents par suppositions? Pour vous, la sécurité justifie de sacrifier une part de notre humanité?»

«Vous devenez sentimental.»

«Sentimenta… Mais enfin!», s'offusqua Jayce en se redressant sur son fauteuil.

«Peut-être devrions-nous chercher une solution plus douce.», proposa Heimerdinger afin d'apaiser les tensions. «Comme le dit si bien Jayce, ce Viktor n'est actuellement aucunement coupable de quoi que ce soit. Cependant, nous ne pouvons nier que ce qu'il adviendra de lui à l'avenir nous concerne tous. Et si Viktor rejoignait l'Académie en même temps que Jayce? Je suis certain qu'il pourrait être bénéfique pour chacun d'entre eux de grandir et de trouver des solutions ensembles. Et dans un même temps, nous autres professeurs pourront veiller à ce que tout se passe bien. Qu'en pensez-vous?»

«Et lui donner accès à une éducation scientifique?», s'indigna Cassandra. «C'est hors de question, cet enfant ne doit jamais approcher ce domaine.»

«Ah parce que vous cherchez à l'empêcher de faire des sciences, en plus?»

«Ne recommencez pas, Jayce.»

«Je comprends votre inquiétude, Cassandra.», dit calmement le Yordle. «Mais je pense que ce serait une grave erreur de lui refuser l'accès à l'Académie.»

«Et en quoi?»

«Le cœur humain peut être plein de passion, mais le jour où la haine naît en son sein, il devient presque impossible de l'endiguer. Si on lui refuse tout accès aux sciences, il est possible que Viktor cherche à en faire en cachette. Que se passerait-il, s'il se ramenait un beau matin après avoir inventé l'Hextechet qu'il s'en servait pour se venger ? Je reste sur ma position quant à son intégration à l'Académie en même temps que Jayce. Cela nous permettrait de surveiller étroitement ses travaux, et qui plus est, de développer chez lui une aversion pour la magie. Il suffirait de la lui inculquer proprement, sans avoir à contrôler ses faits et gestes.»

«Je vous remercie de vos efforts professeur, mais en toute sincérité, c'est du pareil au même… Dans tous les cas, il ne pourra pas grandir normalement et ne sera pas libre. Et puis, comme il vient de la basse-ville, il en avait déjà bavé à l'Académie à l'époque. Je n'imagine pas ce qu'il en sera aujourd'hui, alors qu'il est jeune et vulné va devenir une proie facile pour les autres élèves.»

«Alors que proposez-vous? Que nous laissions la situation en l'état?», s'impatienta Cassandra.

«Attendons simplement qu'il intègre l'Académie une fois adulte. Après tout, c'est moi qui avais entrepris les recherches sur l'Hextech, au départ. Viktor n'a fait que me rejoindre.»

«C'est impossible. Si son but était de venir en aide aux gens au départ, il cherchera très certainement un moyen détourné pour en créer. Nous devons l'éduquer pour être certains que cela n'arrive pas.»

Jayce et Cassandra se fusillèrent du regard. Heimerdinger, lui, semblait calmement chercher une solution.

«Ne me regardez pas comme cela, et rendez-vous compte de l'impact que peuvent avoir vos caprices sur le destin de la ville.», ajouta la matriarche.

«Mes caprices… Donc pour vous, souhaiter le meilleur à nos proches relève du caprice? Il… il ne sait même pas qu'on existe.», sa voix se brisa. «Nous sommes là, à parler en son nom et à décider de son avenir sans qu'il ne s'y attende. Nous n'avons aucun droit sur lui, c'est un être humain, pas un objet! Vous ne vous rendez donc pas compte de l'absurdité de vos attentes?»

«Et vous, vous ne vous rendez pas compte des vôtres? Vous ne pouvez pas comprendre que ce vous nous demandez est infaisable? Qu'attendez-vous? Qu'il crée de nouveau l'Hextech et que la ville soit mise à feu et à sang? Reprenez-vous!»

«Je pense que les esprits se sont quelque peu échauffés.», dit soudainement Heimerdinger. «Dans l'état actuel des choses, il sera impossible de trouver une solution de manière efficace. Vous devriez rentrer chez vous, mon garçon. Nous en rediscuterons plus tard, si vous le voulez bien.»

Jayce se leva hâtivement, frustré et en colère. Il partit sans dire au revoir, laissant là la montre pour laquelle il avait mis tant d'efforts. Une fois sorti, il inspira un grand bol d'air frais afin de se calmer. Il n'arrivait pas à se détourner de sa frustration. Aussi ne se rendit-il pas compte que sa réaction, bien que naturelle, était excessive. Il rentra chez lui la boule au ventre.

Arrivé devant son appartement, il fut étonné de voir la porte fermée à clefs. Il n'y avait personne? Heureusement, il était parti avec le double. Il put donc pénétrer sans problème. Vide, l'appartement lui apparaissait comme mort. Il se réfugia automatiquement dans sa chambre. Il n'aurait jamais dû quitter son cocon. Silencieux, il s'assit sur son lit et se cala contre le mur. Il venait de ruiner un peu plus sa vie. Plus qu'elle ne l'était déjà, tout du moins. Et dans sa stupidité, il avait certainement entraîné Viktor avec lui. Viktor, qui n'avait rien demandé. Qui était devenu comme une cible à abattre à onze ans à peine. De nouveau, ils allaient devenir les jouets des puissants. Ils étaient «des bombes à retardement», après tout.

A cet instant, Jayce ne ressentit rien d'autre qu'un profond dégoût de lui-même. Il avait de plus en plus de mal à voir en lui une quelconque qualité. On lui avait toujours reproché d'être égocentrique, et plus le temps avançait, plus il comprenait pourquoi. Quelque part au fond de lui, il savait que le discours de Cassandra sonnait juste, bien qu'il fût extrême sur certains points. Elle n'était pas responsable de ce qui risquait d'arriver. Lui, cependant, l'était. Il aurait préféré ne jamais avoir cette discussion. Que personne ne sache jamais qui il était vraiment. Peu à peu, il sentit l'accumulation des derniers mois briser ses dernières barrières. Lui tuant un enfant, la destruction du Conseil par Jinx, le départ de Viktor, l'anomalie, son séjour dans un monde apocalyptique, la guerre, et aujourd'hui son voyage dans le temps, sa solitude, et le fait de faire face aux conséquences de ses actes passés. Il était à bout.

Il ferma les yeux et une larme unique roula le long de sa joue. De rage, il se cogna violemment la tête contre le mur.

«Putain!»

Consumé par la colère, il prit son coussin et hurla dedans, pleurant à chaudes larmes. Il jeta avec frénésie sa lampe de chevet qui alla se briser contre la porte, et détruisit à peu près tous les objets décoratifs sur ses étagères. Il quitta l'appartement en laissant sa chambre en l'état, sans même penser à ses parents qui rentreraient quelques heures plus tard. Il sortit dans la rue et laissa l'air passer entre ses cheveux. Il y avait du monde, mais Jayce ne s'en soucia guère. Naturellement, ses pas le menèrent jusqu'au canal. Zaun était juste là, de l'autre côté. Et Viktor aussi. Il voulait le voir. Actuellement, la seule personne avec qui il voulait rester, c'était son meilleur ami.

Il aperçut le pont reliant les deux villes un peu plus loin. Il ne s'en rendit pas vraiment compte, mais ses pas le dirigèrent vers la structure métallique. Des Pacifieurs étaient postés là, jouant aux cartes et l'alcool coulant à flot. Ils avaient même découvert leurs visages. Jayce leur jeta un regard mauvais.

«Qu'est-ce qu'il nous veut, ce mioche?»

«Rentre chez toi, petit. Ta mère va s'inquiéter.»

Voyant que le garçon restait stoïque, l'un des Pacifieurs se leva pour le chasser de là. Jayce sauta sur l'occasion. Il se rua sur l'homme et le bouscula de toutes ses forces. Surpris, le soldat ne réalisa pas que la bombe fumigène située sur sa ceinture avait été dérobée. Quand il se retourna, ce fut pour être aspergé par un écran de fumée. Il fut pris d'une violente quinte de toux et ses yeux le brûlèrent, à l'instar de ses camarades. Quand il parvint à recouvrer la vue, l'enfant avait disparu.

Jayce courait à en perdre haleine. A vrai dire, il ne se rendait pas vraiment compte de ce qu'il faisait à l'instant présent. Il se contentait de suivre ses émotions primaires sans penser aux conséquences. Il traversa le pont à toute vitesse jusqu'à atterrir à la frontière de la basse-ville. Il pénétra sans hésitation, mais ne savait pas où il allait. Il parcourut les rues au pas de course en espérant désespérément croiser Viktor par hasard. Il courut de longues minutes ainsi et s'enfonça profondément au cœur de Zaun.

Soudain, il entendit un sifflement. Jayce s'arrêta net. Deux hommes baraqués s'approchaient de lui. Le garçon recula.

«Où tu vas comme ça, gamin?», demanda l'un d'entre eux, particulièrement laid.

Jayce ne répondit pas. Il lui jeta un regard noir, lui faisant bien comprendre qu'il ne voulait en aucun cas être approché. Cela ne fit qu'amuser l'homme, qui révéla une bouche édentée dans un sourire mauvais. Les deux caïds l'encerclèrent. Jayce, cette fois-ci, sentit la peur lui vriller les entrailles. Il se rendit soudain compte de l'endroit dans lequel il se trouvait et ce qu'il venait de faire.

«Celui-là vient de la haute-ville, regarde ses vêtements. On va pouvoir le revendre à bon prix au marché noir.», dit le monstre à son acolyte.

Jayce fut pris d'un vent de panique. Désespéré, il tenta de s'enfuir, mais l'homme le retint par le col.

«Où tu comptes aller comme ça, petit?»

«Lâchez-moi!», hurla-t-il en se débattant.

«Mais c'est qu'il a de la force, le p'tit démon!», s'égosilla l'autre.

Quand il sentit qu'il se faisait entraîner, le garçon comprit que c'était la fin. Une fin égale à sa stupidité.

«Je peux vous aider?», fit soudain une voix masculine.

«Hein?»

«Je vous propose mon aide.», répondit la voix.

«Qu'est-ce qu'il nous veut celui… oh merde.»

Le caïd s'était brusquement figé. Il était comme paralysé par la peur. Tout d'un coup, Jayce le vit se prendre un énorme poing sur le visage. Il voltigea quelques mètres plus loin.

«Gros connard!», s'écria l'autre.

Il se précipita sur l'homme mais fut mis au tapis en une fraction de secondes. L'inconnu, le regard furieux, se tourna vers le plus jeune.

«Tout va bien, gamin?»

Il lui apparut flou. Jayce sentit l'adrénaline redescendre brutalement. Il tenta de reprendre ses esprits, mais le monde se mit à tanguer sous ses yeux. Il vacilla et sentit à peine l'homme le rattraper. Puis ce fut le noir.

Le ciel était d'un bleu éclatant, ne laissant apparaître aucun nuage à l'horizon. Jayce, paisiblement allongé dans l'herbe fraîche, dévorait Mel du regard. Elle était vraiment magnifique. Elle lui toucha les lèvres du bout des doigts avec tendresse. L'homme embrassa l'intérieur de son poignet avec douceur. Il ne pouvait la quitter des yeux. Intelligente, bienveillante, diplomate, Mel Medarda représentait pour lui l'incarnation de l'idéal humain.

«Ce n'est qu'un rêve.», chuchota l'homme.

«Alors c'est un très beau rêve.», lui répondit Mel avec sérénité. «Endors-toi.»

«J'ai si peur de m'endormir. Je ne veux pas que tu disparaisses.»

La jeune femme caressa sa joue. Elle déposa un baiser sur ses lèvres. Puis, elle colla son front contre le sien.

«Où que tu sois, quoi qu'il t'arrive, je serai là.»

Alors, il s'autorisa à fermer les yeux. Quand il les rouvrit, le cadavre de Viktor avait remplacé Mel. Un filet de sang coulait le long de sa bouche.

«Tu m'as trahi.», dit Viktor.

Jayce se réveilla en hurlant. Il se redressa brusquement. A côté de lui, un grand homme aux cheveux châtains tenait un petit flacon empestant le sel de pâmoison. Le garçon en avait l'odeur plein le nez. Surpris, il éternua.

«Sssht, sssht, tout va bien. Calme-toi. Tu ne risques plus rien.», tenta de le rassurer l'inconnu.

Mais Jayce, en proie à la panique, le repoussa avec violence et s'éloigna comme il put. Quand son dos rencontra la surface d'un mur, il sentit le désespoir s'emparer définitivement de lui. Il ne savait pas où il était, ni ce qu'il faisait là. Il frotta fébrilement ses mains pour tenter vainement d'en faire taire les tremblements.

Comprenant qu'il amplifiait son mal-être, l'homme s'écarta, lui laissant la voie libre pour s'enfuir. Jayce tenta de profiter de l'occasion, mais ses jambes ne suivirent pas et il ne parvint pas à se relever. Constatant que l'enfant ne s'en sortait pas, l'inconnu fronça les sourcils et décida de s'asseoir contre le mur lui aussi, mais à une distance suffisante pour lui faire comprendre qu'il n'était pas un danger. Il attendit que la situation se calme un peu avant de demander:

«Mauvaise journée?»

Jayce, encore fébrile, sursauta. Silencieux, il ramena ses jambes contre son torse et se recroquevilla.

«On a tous ce genre de passe. Mais laisse-moi te dire une chose, un gamin de la haute dans ton genre n'a rien à faire ici. C'est dangereux, dans le coin. Il y a pas mal de voleurs d'enfants.»

«Je m'en peuvent bien faire ce qu'ils veulent, ma vie est fichue de toute façon…»

«A ton âge? Permets-moi d'en douter, t'as toute la vie devant toi.»

«Je veux mourir.»

«Ah. Et pourquoi?»

«Qu'est-ce que ça peut vous faire? Vous ne me connaissez même pas.»

«Simple curiosité.»

Jayce ricana.

«Je n'apporte rien de bien autour de moi... A part blesser les autres, je ne sais rien faire.»

«Et toi, pourquoi tu me dis tout ça?»

«Parce que j'ai déjà tout perdu, alors après tout, pourquoi pas?»

«Tu as des parents?»

«Oui.»

«Tu les aimes?»

Jayce hocha la tête entre ses genoux.

«Dans ce cas, ils doivent sûrement être inquiets. Tu as la chance d'avoir des parents qui t'aiment et prennent soin de toi, ce dont ne bénéficient pas la moitié des enfants ici. Tant qu'ils seront avec toi, tu ne risqueras rien.»

«Ce n'est pas eux, le problème. Il ne s'agit pas de quelque chose que je peux régler, de toute façon. J'ai l'impression d'être face à une équation insoluble, mais dont la bonne réponse décidera du cours des choses.»

L'inconnu ne répondit rien. Le silence s'installa entre eux un moment.

«Au fait, je m'appelle Vander.», annonça l'homme en allumant sa pipe.

Jayce sursauta.

«Vander? Le tenancier de La Dernière Goutte?»

«Eh ben… Il doit avoir un sacré succès mon bar, si même un mioche de la haute en a entendu parler.»

Jayce le fixa un instant. A regarder de plus près, il était vrai qu'il ressemblait énormément à la statue érigée en son honneur sur la grande place de Zaun. Il n'arrivait pas à croire qu'il était tombé sur le père de cœur de Vi. Il était l'homme qui avait assuré la sécurité à Zaun des années durant.

«Et toi? Comment tu t'appelles?»

«Jayce Talis.»

«Talis? Le constructeur de marteaux?»

Jayce hocha la tête.

«Ne révèle ce nom à personne d'autre. Tu risques d'avoir de sérieux problèmes, si les gens d'ici apprennent qu'un gamin d'un clan aussi important se balade à Zaun sans protection.»

«Je vous ai dit que je n'en avais rien à faire.»

Vander fronça les sourcils, commençant à réaliser l'ampleur des problèmes auxquels l'enfant faisait face. Lui qui avait pensé à une banale fugue et des mots lancés en l'air se demandait si ce garçon n'avait pas eu affaire à de sales histoires. Mais il n'y pourrait pas grand-chose, de toute manière. Et ce n'était pas son problème.

«Vous pourriez m'y emmener? A votre bar, je veux dire.», demanda soudain Jayce.

«Ah ouais, t'es quand même sacrément suicidaire, toi. T'as pas idée du genre d'individus qui viennent chez moi.», plaisanta tout de même le tenancier.

«J'aimerais juste voir à quoi ça ressemble...»

Vander fixa l'enfant un instant. Il soupira avant de s'emparer d'un vieux tissu trouvé par terre qu'il tendit à Jayce.

«C'est comme tu veux, mais mets ça par-dessus tes vêtements. Un p'tit gars aussi richement habillé, ça court pas les rues par ici. Tu risques d'avoir des problèmes.»

Le garçon s'empara des guenilles et s'enroula dedans comme dans une cape. Vander l'aida à se relever. Jayce sentit que ses jambes étaient assez faibles à la suite de ses émotions passées, mais il tint debout.

«Suis-moi.», dit Vander.

Jayce lui emboîta le pas. Ils traversèrent les rues du niveau de la Promenade jusqu'à accéder à un ascenseur leur permettant d'accéder au niveau inférieur.

«Dites-moi, connaîtriez-vous un certain Viktor?», interrogea Jayce dans la cabine.

«Viktor? Il me semble pas. A quoi il ressemble?»

«Mon âge, brun, il se déplace avec une canne.»

«C'est un ami à toi?»

«Pas vraiment.»

«Tu sais, les avantages quand on tient un bar, c'est que l'information fuse à bon train. Je peux me renseigner pour toi, si l'envie te prend.»

«Vous feriez ça?»

«Ouais. Ici, on se serre les ! Nous sommes arrivés.»

L'ascenseur venait d'atteindre le second niveau de Zaun, l'Entresol. Tous deux sortirent dans une avenue bondée. C'était une rue commerçante, comprit le garçon. Mais ici, on ne vendait pas vraiment de bijoux ou de livres. Jayce détourna le regard quand un homme sortit d'une maison de passe les fesses à l'air. Sa réaction fit pouffer Vander.

«Nous y voilà.», annonça-t-il.

Jayce jeta un regard à la nouvelle bâtisse. Il était déjà venu ici, il s'en souvenait très bien. Mais ça n'avait pas été pour prendre un verre. Le tenancier ouvrit la porte du bar.

«Après toi.», l'invita-t-il.

Le garçon pénétra les lieux. A cette heure-ci, le bar était entièrement vide. Il n'y avait qu'un homme s'occupant de nettoyer les tables. Le garçon ne lui prêta pas plus d'attention que cela.

«Bienvenue à La Dernière Goutte. Tu veux un jus, quelque chose?», demanda Vander. «Tu peux aller t'asseoir au bar, si tu veux.»

Jayce s'installa sur une chaise haute, mais ne commanda rien.

«Tu nous ramènes un nouveau chien errant, Vander?», interrogea l'homme qui nettoyait les tables.

«On peut dire ça, ouais. Celui-là a fugué.»

«Oh.»

L'homme s'approcha, curieux. Jayce le fixa un instant. Il lui semblait l'avoir déjà vu, mais il était incapable de mettre un nom sur son visage. Son regard pénétrant sembla perturber l'inconnu, qui lui fit un petit sourire gêné.

«Oui?»

Jayce baissa le regard. Qu'est-ce qui lui prenait, tout à coup, de fixer les gens de la sorte? Finalement, voyant qu'il n'obtenait pas de réponse, l'homme haussa les épaules et se tourna vers Vander.

«Felicia passera dans une dizaine de minutes.», lui annonça-t-il. «T'as les réserves?»

«Attends, je les ai laissées en bas. Je reviens, petit. Tu peux taper la discute avec Silco en attendant, si tu veux.»

Jayce sursauta. S'il avait un verre en bouche, il aurait sûrement recraché le contenu de surprise.

«Tout va bien?», demanda le dénommé Silco.

Il paraissait inquiet. Inquiet… Décidément, le garçon aurait tout vu, ce jour-là. Il porta sa main au visage.

«Attends deux secondes.», lui dit l'homme.

Silco se rendit derrière le bar. Là, il commença à presser des fruits jusqu'à obtenir un jus qu'il versa dans un shaker. Il ajouta des glaçons et secoua le tout. Sa mixture terminée, il la versa dans un verre et y déposa une paille.

«Cocktail spécial Silco. Crois-moi, tu n'auras jamais rien bu d'aussi bon.»

Jayce jeta à peine un regard au verre, suspicieux. Silco soupira, s'empara de la boisson et en but une gorgée.

«C'est sans danger.», dit-il avec agacement.

Le garçon prit le cocktail entre ses doigts fébriles et aspira un peu du liquide par la paille en silence.

«C'est bon?»

Jayce hocha la tête. C'était même délicieux.

«N'hésite pas si tu en veux un deuxième.»

«Merci.»

«Oh, mais tu parles!»

Il haussa les épaules.

«Qu'est-ce que tu fais là? Tu ne ressembles pas aux enfants de Zaun. Tu viens de la haute-ville?»

Jayce n'eut pas besoin de répondre, à son grand soulagement. La porte du bar s'ouvrit sur une femme de la trentaine, un bébé dans les bras.

«Bonjour tout le monde.», annonça-t-elle d'une voix joyeuse.

«Salut, Felicia.»

«Vander n'est pas là?»

«Il arrive. Il est allé chercher le lait.»

La prénommée Felicia s'assit sur un tabouret, juste à côté de Jayce. Elle lui jeta un regard.

«Tiens, salut toi.», lui dit-elle avec un clin d'œil.

Le garçon lui fit un signe de tête.

«Je t'ai jamais vu par ici. Qu'est-ce que tu fais là?»

«Euh…»

«Il ne restera pas longtemps.», répondit Silco, voyant que Jayce ne parvenait pas à trouver ses mots.

«Encore un chien errant.», rit la jeune femme. «Mais pas de chez nous, apparemment. Je peux voir tes mains?»

«Euh…»

«Laisse-le tranquille, tu vas lui faire peur.»

«Mais je veux voir ses jolies mains de riche! C'est incroyable de ne pas avoir une seule ampoule.»

«T'es incorrigible.»

Jayce baissa la tête, intimidé. Il avait l'impression d'être dans un autre monde, tant la scène lui paraissait surréaliste.

«Comment tu t'appelles?»

«Il a pas de nom!», déclara la voix de Vander depuis l'escalier.

L'homme sortit de la cave, un bidon d'eau et un boîtier à la main. Il les déposa sur le bar.

«Tu peux bien nous le dire, à nous!», se plaignit-elle.

«Il a pas de nom.», répéta Vander avec insistance.

Alors Felicia ne demanda plus. Le tenancier tapota les objets qu'il venait de ramener.

«Tu auras de quoi nourrir Vi pendant quelques semaines, avec ça.»

«Merci, Vander.»

Jayce jeta un regard surpris au bébé. C'était Vi? Mais à y regarder de plus près, il était vrai que Felicia lui ressemblait beaucoup. Et elle finirait tuée par un Pacifieur quelques années plus tard… Vi s'agita un peu, alors Felicia la posa par terre. La petite se mit à déambuler à quatre pattes en gazouillant. Sa mère garda un œil attentif. Elle avait le regard tendre. Vi et sa sœur avaient eu la chance d'être aimées… Mais leur mère avait péri bien trop vite. Il s'attrista sans s'en rendre compte.

«Tout va bien?», s'alarma Felicia.

«Laisse-le tranquille, t'as une tête si effrayante qu'il va en cauchemarder toute la nuit.», la taquina Vander.

Elle lui tira la langue.

«Sers-moi un mojito, plutôt que de dire des âneries.»

«Bien m'dame.», dit-il en s'attelant derrière le bar. «Mais plus sérieusement, le prix du lait en poudre a sérieusement augmenté ces dernières semaines. Ça va devenir difficile de t'en procurer.»

Felicia, qui ne lâchait pas Vi des yeux, adopta une expression inquiète. Remarquant le regard interrogatif de Jayce, elle expliqua:

«Ici, c'est difficile de nourrir un bébé. Beaucoup de mères meurent de faim et n'ont pas les ressources nécessaires pour produire du lait, ou il arrive que le nourrisson refuse le sein, ce qui a été le cas de Vi. Le plus souvent, les gens achètent de la poudre périmée par manque d'argent, et les nourrissons meurent en quelques semaines. Par chance, Vander parvient à m'en procurer de qualité et à me le revendre moins cher. J'imagine que ce n'est pas un problème qu'ont les gens de Piltover.»

Jayce baissa la tête, toujours silencieux. L'espace d'un instant, il tourna le regard vers Vi, avec qui il avait combattu quelques fois.

«Oh!», s'exclama-t-il alors.

Les trois adultes suivirent son regard. La petite essayait de se lever. L'espace d'un instant, elle parvint à se hisser sur ses deux jambes, à faire un pas, avant de perdre l'équilibre et de retomber sur les fesses. Felicia se précipita vers elle et la prit dans ses bras.

«Bravo ma chérie!»

Elle la harcela de bisous sur la nuque, mais cela ne parut pas plaire à Vi qui fit vite comprendre qu'elle voulait réessayer. Felicia la laissa faire, tout en restant avec elle.

«C'est le genre de moment qui remonte le moral, pas vrai?», dit Vander à Jayce.

Le garçon approuva d'un signe de tête. Il était fasciné par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Elle lui faisait du bien. Au bout d'une dizaine de minutes, la petite Vi fatigua de son escapade et Felicia la reprit dans ses bras.

«Tu veux la porter?», proposa-t-elle à Jayce.

«Je ne sais pas comment on tient un bébé.»

«Il a parlé! Il a parlé! Deuxième victoire de la journée! Vander, mojito!»

«Hein? Mais je viens de t'en faire un, c'est quoi cette descente? Il faut que tu puisses rentrer chez toi!»

«J'ai un lit ici. Mojito!»

Vander soupira d'un ton faussement exaspéré et s'attela à sa tâche. Pendant ce temps, Felicia montra à Jayce comment porter correctement un bébé. Puis, elle l'installa avec délicatesse dans ses bras. D'abord un peu empoté, le garçon finit par trouver une position convenable. Vi, sur le point de s'endormir, l'observait de ses grands yeux gris.

«Elle est mignonne, hein?»

«Oui.»

Jayce fit un sourire.

«Toi aussi, t'es trop mignon.», dit Felicia en lui pinçant la joue.

«Au fait, tu recherchais pas quelqu'un, toi?», demanda soudain Vander.

« ne connaîtriez pas un garçon qui s'appelle Viktor? Il a mon âge, il se déplace avec une canne.»

Silco et Felicia réfléchirent un instant.

«Oh mais! Je crois savoir de qui tu veux parler!», s'exclama la mère de Vi. «J'ai entendu dire qu'un garçon qui vendait ses créations, très ingénieuses apparemment, marchait avec une canne.»

«Où est-il?»

«Au même niveau que nous, ici dans l'Entresol. Mais je ne pourrais pas t'en dire plus, je suis désolée.»

«Tu veux que j'entreprenne des recherches pour toi?», lui demanda Vander. «Ce garçon ne devrait pas être bien difficile à trouver.»

«C'est gentil, mais je ne sais pas si nous nous reverrons de sitôt… Je n'ai pas le droit d'être ici.»

A peine ces paroles furent-elles prononcées que la porte s'ouvrit à la volée. Une troupe de Pacifieurs entra dans le bar. Jayce reconnut aussitôt la femme à sa tête: il s'agissait du shérif Grayson, décédée des années plus tôt. Elle avait énormément participé à entretenir les liens entre Piltover et Zaun, à l'époque. Il l'avait croisée quelques fois. Vander fronça les sourcils.

«Que me vaut l'honneur de votre visite?», demanda-t-il tout de même.

Il était sur la défensive. Silco et Felicia s'étaient eux aussi crispés. D'ailleurs, cette dernière venait de reprendre Vi sur ses genoux, la sentant en danger. Les Pacifieurs ne lui prêtèrent aucune attention.

«On est à la recherche d'un enfant. Le petit Jayce Talis a fugué de chez lui. Cassandra Kiramman est dans tous ses états. J'ai entendu dire que votre bar était un lieu où l'information circulait beaucoup, je me demandais si vous n'aviez pas vu quelque chose.»

Jayce fixa le fond de son verre avant de tourner les yeux vers Vander. Ce dernier lui jetait un regard appuyé. Finalement, le garçon se résigna.

«C'est moi.», dit-il en se levant.

Il se dévêtit du drap et le tendit à Vander, dévoilant par la même occasion ses vrais vêtements.

«Monsieur Talis! Qu'est-ce que vous faites ici? Ces brutes ne vous ont pas fait de mal, j'espère.»

«Non. Ils m'ont sauvé la vie.»

«Qu'importe, tant que vous n'avez rien…Qu'est-ce qui vous a pris, de venir vous aventurer dans la basse-ville? C'est malfamé, par ici.»

Jayce resta silencieux. Avant de partir, il se tourna vers les trois amis.

«Merci pour tout.»

«Reviens quand tu veux, gamin. Mais sans fuguer, la prochaine fois.»

Le garçon lui adressa un sourire avant de suivre la troupe. A présent, il devrait s'expliquer avec ses parents et faire face à Cassandra Kiramman… Les jours qui suivraient s'annonçaient particulièrement pénibles.

Eh voilà, fin du chapitre deux ! N'hésitez pas à laisser un commentaire, à jeudi prochain :3