Chapitre 8 : L'Ombre et la Lumière
Depuis plusieurs jours, Cameron avait l'impression de marcher dans un brouillard épais. Chaque pas semblait l'entraîner un peu plus loin dans un labyrinthe d'incertitudes. Son travail, autrefois si limpide, lui échappait. Les cas qu'elle traitait quotidiennement, des diagnostics complexes qu'elle aurait autrefois résolus en un clin d'œil, semblaient aujourd'hui insurmontables. Son attention s'éclipsait au moindre bruit, et son esprit était perpétuellement absorbé par une pensée obsédante qu'elle tentait en vain d'étouffer.
Dans son service, ce comportement inhabituel ne passe pas inaperçu. Cameron était une cheffe méthodique, toujours à l'affût du moindre détail. Mais ces derniers jours, elle semblait étrangement éloignée de la médecine de précision qui était sa marque de fabrique.
— « Dr Cameron, êtes-vous sûr de ce cas ? » exigea David, un interne méticuleux et sérieux, en consultant le dossier qu'elle avait annoté. « Vous avez constaté une arthrite réactive, mais les tests indiquent plutôt un syndrome de Sjögren. »
Cameron relève la tête, ses yeux bleus brillants d'une lueur fugace de réalisation. Elle avait complètement oublié de vérifier les dernières analyses.
— « Vous avez une raison. C'est une erreur de ma part, merci. Rectifiez le dossier et programmez un test des anticorps SSA/SSB, » dit-elle rapidement, en espérant étouffer l'incident.
David hésite un instant, scrutant le visage de son fils. Elle avait l'air épuisé, presque hantée. Puis il acquiesça et quitta la pièce. Derrière lui, les autres internes échangèrent des regards furtifs.
— « Tu crois qu'elle va bien ? » murmura l'une des internes à David. « Elle n'a même pas touché à son café et elle tourne à la tisane maintenant. »
— « Peut-être qu'elle est juste stressée par le boulot », proposa David, bien que lui aussi était troublé par l'attitude inhabituelle de leur cheffe.
Cameron, de son côté, feignait l'indifférence, masquant son trouble derrière des sourires rapides et des phrases précises. Mais en son pour l'intérieur, elle se sentait vaciller.
Le poids des révélations
En fin de journée, Cameron s'enferma dans son bureau, espérant trouver un peu de répit dans la solitude. Pourtant, la pièce silencieuse semblait amplifiée par le tumulte de ses pensées. Les lumières tamisées du crépuscule filtrant à travers les magasins dessinaient des ombres vacillantes sur les murs, un reflet de son esprit tourmenté.
Sur son bureau, elle regardait l'email qui contenait le résultat de la prise de sang qu'elle avait fait quelques jours plus tôt. Positif. Une confirmation brutale et inéluctable.
Un bruit la fit sursauter. La porte s'ouvrit sans qu'elle ait donné la permission. Elena, entre avec un dossier sous les bras. Son regard se pose immédiatement sur Cameron, son expression passant de la surprise à l'inquiétude.
— « Tu vas me dire ce qui ne va pas, ou je dois continuer à te regarder te noyer dans ta tisane ? » demanda Elena avec un sourire moqueur mais doux.
Cameron sursauta, laissant échapper le stylo qu'elle triturait nerveusement entre ses doigts.
— « Je vais bien », répondit elle rapidement, en faisant mine de consulter un dossier.
Elena plissa les yeux, son expression devenant plus sérieuse.
— « Allie, je te connais bien désormais je vois bien que quelque chose te perturbe. Tu peux me le dire, tu sais. »
Cameron sentit sa gorge se nouer. Pendant une brève seconde, elle hésite, puis tente de masquer son trouble sous une autre excuse.
— « C'est juste un peu de fatigue… Rien de grave », murmura-t-elle en inévitable son regard.
Elena ne céda pas. Elle posa le dossier sur la table et croisa les bras, adoptant un ton plus ferme.
— « Allison, regarde-moi et dis-moi la vérité. Tu sais que tu ne peux pas me duper. »
Les épaules de Cameron s'affaissèrent. Elle inspire profondément avant de murmurer d'une voix presque inaudible :
— « Abaisse les stores, s'il te plaît. »
Intriguée, Elena s'exécute, fermant les magasins avant de s'asseoir face à son amie. Cameron attrape un stylo, le fit tourner nerveusement entre ses doigts, puis finit par le poser. Son regard se perd dans le vide.
— « Je… je suis enceinte », murmura-t-elle finalement.
Un silence lourd s'abattit sur la pièce. Elena resta immobile, abasourdie, imposait de digérer l'information.
— « Oh… » fut tout ce qu'elle réussit à dire. Puis, après un moment qui semble une éternité, elle esquissa un sourire. « J'imagine que les félicitations sont de rigueur. Non ? » tenta-t-elle doucement.
Cameron baissa les yeux, sa voix brisée par l'angoisse.
— « Je ne sais pas », murmura-t-elle enfin, la tête enfouie dans ses mains. « Je ne sais pas quoi faire… » Elle enfouit son visage dans ses mains.
Ses épaules s'affaissèrent, trahissant son épuisement. C'était un aveu lourd, un mélange de peur et de vulnérabilité qu'elle osait pas partager. Cameron, toujours si méthodique, si sûre d'elle, se retrouvait désarmée, seule face à un choix qu'elle n'était pas prête à faire.
Elena, assise sur le bord du bureau, s'était penchée légèrement en avant, cherchant à capter l'attention de son amie. Ses doigts effleurèrent les bras de Cameron dans un geste d'encouragement.
— « Hé, je suis là, Allie. Tu n'as pas à porter ça toute seule. »
Elena lui parlait avec cette douceur propre à leur amitié, mais Cameron n'osait toujours pas lever les yeux. Elle avait quitté Princeton-Plainsboro pour fuir un passé trop lourd, mais cette fois, aucun changement de poste ou nouvelle ville ne pourrait l'éloigner de ce qui grandissait en elle.
Elena fronça légèrement les sourcils, scrutant le visage caché de son amie. Elle cherche les bons mots, quelque chose qui pourrait percer cette carapace de silence.
— « Tu en es sûr ? Tu l'as confirmé par une prise de sang ? Depuis combien de temps tu le sais ? »
Cameron inspira profondément avant de répondre, sa presque tremblante.
— « Une semaine. J'ai fait une prise de sang, et… » Elle s'interrompit, sa main glissant sur la surface froide de son bureau, cherchant un point d'ancrage. « La grossesse est estimée à huit semaines. »
Un silence se pose entre elles, lourd mais nécessaire. Elena, toujours attentive, hocha lentement la tête, ses yeux cherchant à percer les pensées tourmentées de Cameron.
— « D'accord », dit-elle enfin, sa voix calme et posée. « Écoute, Allie, tu as le droit de te sentir perdu. Personne ne peut te blâmer pour ça. Mais tu ne peux pas porter ça toute seule. Si tu veux… on peut faire une échographie. Juste toi et moi. Pas de jugement, pas de pression. Peut-être que ça t'aidera à y voir plus clair. »
Cameron relève enfin les yeux, et Elena y vit une peur presque enfantine, mêlée d'une gratitude qu'elle ne parvenait pas à exprimer.
— « Et si quelqu'un nous surprend ? » Souffla Cameron, comme si l'idée même de se dévoiler la terrifiait. « Je ne veux pas que ça se sache… Pas ici. Service pas dans ce. »
Elena lui sourit, son regard s'illuminant d'une chaleur réconfortante.
— « Allie… Tu oublies à qui tu parles. Personne ne le saura. Je te le promets. Fais moi confiance. »
L'Échographie
La salle d'échographie était enveloppée d'une pénombre apaisante. Les magasins étaient tirés, et seules les lumières tamisées des appareils médicaux projetaient des ombres dans la pièce. Cameron s'allongea lentement sur la table d'examen, ses doigts crispés sur le drap blanc.
Son regard était rivé au plafond, mais ses pensées dérivaient bien au-delà. Et si elle avait tort de vouloir savoir ? Et si cette échographie ne faisait que rendre tout encore plus compliqué ?
Elena, concentrée sur les réglages de l'appareil, pose un regard furtif sur son amie. Elle a reconnu ce silence. C'était le silence des doutes.
— « Tu es sûr de vouloir le faire ? Est-ce que tu es prête ?» demanda-t-elle d'un ton patient, tout en s'approchant avec la sonde.
Cameron inspire profondément, ses mains nouées sur son ventre.
— « Oui. Vas-y, » dit-elle finalement, même si sa voix tremblait légèrement.
Le gel froid appliqué sur son abdomen lui arrache un léger frisson. Elena posa la sonde avec délicatesse, ses mouvements professionnels trahissant cependant une certaine émotion qu'elle avait du mal à contenir.
Le silence dans la pièce était presque palpable, jusqu'à ce qu'un son vienne briser l'attente. Un battement rapide, régulier, occupe l'espace.
Cameron a ouvert grand les yeux, son regard se dirigeant immédiatement vers l'écran. Son cœur s'accélère, et ses mains tremblent légèrement.
— « C'est… » Sa voix s'étrangla, incapable de prononcer le mot.
Elena pointa doucement l'écran, un sourire réconfortant éclairant son visage.
— « Voici le cœur. »
Sur l'écran, une petite silhouette floue, presque irréelle, semblait pulser au rythme de cette vie naissante. Cameron porte une main tremblante à sa bouche, des larmes roulant silencieusement sur ses joues.
— « C'est… le bébé… » murmura-t-elle, le souffle court.
Une vague d'émotions contradictoires l'envahit : la peur, la joie, l'émerveillement, et quelque chose qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. Une infime lueur d'espoir.
— « Tout va bien ? » exigea-t-elle, sa voix brisée par l'émotion, sans oser détourner les yeux de l'écran.
Elena hocha la tête, un sourire chaleureux illuminant son visage.
— « Oui, tout va bien. Tout semble parfait. Il mesure environ deux centimètres et il est bien positionné. »
Cameron écoutait à peine. Ses pensées dérivaient à nouveau, mais cette fois, elles s'accrochaient à une image plus claire : un futur qu'elle n'avait pas envisagé.
— « Et si… » Elle s'arrête, hésitante. Puis elle reprit, presque dans un murmure : « Et si je décide de le garder ? »
Elena pose une main ferme mais douce sur l'épaule de Cameron, l'ancrant dans le moment présent.
— « Alors on s'assurera que tout se passe bien », répondit-elle simplement, mais avec une conviction qui fit naître un sourire timide sur les lèvres de Cameron.
Elle absorbe le gel du ventre de Cameron et sort un bloc de prescription. Pendant que Cameron réajustait sa blouse.
— « Je vais te prescrire des vitamines prénatales. On fera une autre échographie dans quelques semaines. Ça te va ? »
Cameron acquiesça, s'essuyant une larme qui venait de couler avec un sourire timide.
— « Merci, Elena. »
Alors qu'elle réajustait ses vêtements, Elena, assise sur le tabouret prêt de l'échographe toujours son carnet à la main, lancée avec un sourire en coin :
— « Dis-moi… c'est qui le père ? »
Cameron roula des yeux, un sourire amusé sur les lèvres.
— « Bonne nuit, Elena. »
— « Oh non, ne pars pas comme ça ! C'est David l'interne, n'est-ce pas ? Stp dis moi que c'est lui. Vous feriez des bébés magnifiques ! »
Cameron éclata de rire en franchissant la porte.
— « Bonne nuit ! » répéta-t-elle, s'éloignant dans le couloir.
Elena, toujours dans la salle, croisa les bras en soupirant.
— « T'es pas drôle! »
Après l'Échographie
De retour chez elle ce soir-là, Cameron se surprit à poser une main sur son ventre, un geste instinctif mais chargé d'émotion. Elle savait que son chemin serait long, mais pour la première fois, elle entrevoyait une lumière au bout du tunnel.
Et dans son esprit, une résolution naissait : peu importe les doutes, elle avancerait, pas à pas, vers cette nouvelle vie qui grandissait en elle.
Dans les jours qui suivent, Cameron retrouva peu à peu son équilibre. Ses internes remarquèrent un regain de sérénité chez elle, bien qu'elle restât discrètement sur ce qui l'avait troublée. Mais lorsqu'elle croisa un miroir, ou sentit une principale effleurer son ventre par réflexe, elle savait que quelque chose avait changé.
Ce n'était pas seulement l'enfant qui grandissait en elle. C'était la promesse d'un futur qu'elle commençait enfin à embrasser.
