Bonjour à tous ! j'avance pas trop mal sur l'écriture, d'ici la fin du mois, j'espère avoir fini la partie 3, et j'ai déjà fait pas mal de corrections et d'ajustement, donc la mettre en forme et la chapitrer devrait être rapide... j'en reviens pas qu'on arrive bientôt à la fin de la partie 1 en publication ! Et je me dis que même si le rythme bimensuel de publication est lent et frustrant, j'ai bien fait : nous en serions bientôt à la fin de la partie 2, sinon, et je me sentirais complètement angoissée et stressée par l'imminence de la 3 alors que j'ai pas fini. Bref, je sais, c'est lent, mais croyez moi, on y gagne tous, au final ^^'
Résumé : John vient de finir sa 1ere année de médecine à l'Imperial College of London, fac très réputée. Il s'y est fait des amis, Judith, Peter, Mike, Caitlin et Alec, et a rencontré Sherlock Holmes, lycéen s'introduisant illégalement sur le campus, qui est devenu son meilleur ami depuis l'automne. John a rompu avec sa petite copine, Neil, avant l'été, et s'aveugle très profondément sur ses propres sentiments... Après avoir passé l'intégralité des vacances à St Neots, pas très loin de Cambridge, chez les parents de Sherlock, John et Sherlock reviennent à la capitale. Le premier rentre en 2e année de médecine, Sherlock en 1ere (du moins, l'équivalent anglais). Ils ont aussi retrouvé Leandro, le vieux restaurateur italien aveugle, qui leur a confié les problèmes de son fils Angelo.
Bonne lecture !
Chapitre 20
Sans avoir trouvé de solutions, John reprit le chemin de l'Imperial le lendemain, ayant fait jurer à Sherlock que lui retournerait au lycée et irait sérieusement en cours. La promesse ne vaudrait sans doute que pour quelques jours, mais c'était déjà ça.
John était toujours préoccupé par le problème du vieil italien, mais aussi excité de retourner à la fac. Nerveux, également. Même s'il avait vérifié plusieurs fois son emploi du temps, révisé ses cours, et couché tôt, ça lui faisait bizarre de reprendre le chemin qui menait au campus, de le traverser comme s'il était chez lui, et de rejoindre son amphi.
En chemin, il croisa des tas de gosses qui avaient l'air perdu, effrayés de se retrouver là pour la première fois. Il n'avait qu'un an de plus que tous ces ex-lycéens, fraîchement diplômés de leurs A-level et entrant à la fac pour la première fois, et pourtant, il se sentait crânement et bêtement supérieur à eux. Lui n'avait plus besoin du plan pour trouver son bâtiment, prenait les escaliers machinalement, connaissait par cœur le nom des amphithéâtres.
Il avait cependant suffisamment bon cœur pour s'arrêter auprès d'un première année qui avait l'air particulièrement jeune et perdu, et lui demander s'il pouvait l'aider. Le gosse faillit fondre en larmes, sous l'effet de l'angoisse, et se détendit quand il réalisa que John ne lui voulait rien de mal.
Le cœur de John se serra. Sherlock déteignait sur lui. Il ne déduisait pas, pas comme son meilleur ami, parce qu'il en était incapable. Mais il devinait des choses. Comme le fait que le gosse avait vraiment l'air jeune, et qu'il avait dû probablement être terrorisé et persécuté par ses camarades de lycée, à cause de son jeune âge et de son intelligence supérieure, sinon il ne serait pas là. Une version de ce que Sherlock aurait pu être, s'il n'avait pas été aussi arrogant et indifférent aux autres.
Il indiqua son chemin au nouvel étudiant, lui sourit, et essaya de le rassurer au mieux. Le jeune homme s'éloigna en le remerciant. John espérait que ça irait pour lui.
Il n'eut pas le temps de se poser la question longtemps. Il approchait de son amphi, et ses amis étaient déjà là et l'avaient aperçu. À grands renforts de mouvements de bras, il lui faisait signe, et John eut un immense sourire en les rejoignant. Ils lui avaient beaucoup manqué !
À grands renforts de cris, ils se saluèrent, se demandèrent des nouvelles, lançant des « putain t'as bronzé » entrecoupés de « t'es parti où ? », et autres « et toi ? » et « comment ça va ? ». C'était bruyant et désordonné, ils se tombaient dans les bras, et John adorait cette ambiance, la cohésion de groupe, le sentiment d'appartenir à un tout qu'ils formaient ensemble.
— Putain les mecs, mais vous piaillez pire que des gonzesses ! râla Caitlin alors que Mike montait un peu trop dans les décibels pour échanger à propos de Dieu savait quoi avec Peter.
— Gonzesse toi-même, lui répliqua Peter avec un immense sourire canaille.
Leurs mains étaient jointes, et c'était le seul signe tangible du fait qu'ils étaient toujours ensemble. Ils n'avaient pas fait d'annonce, s'étaient simplement contentés d'être, et personne ne leur avait rien demandé. Tout comme personne n'avait demandé à John de nouvelles de Neil, conscients qu'il n'y avait aucune chance qu'ils se soient rabibochés durant les vacances.
Sara n'était pas encore arrivée, mais une question pas du tout anodine de Cailtin, qui aimait mettre les pieds dans le plat (« Puisque t'aimes les ragots comme une meuf, Mike, fais tourner les infos, t'es toujours avec Sara ? ») et avait la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, quand ça ne la concernait pas, leur avait appris que Mike était toujours en couple avec sa jolie brunette.
John trouvait rassurant que ses amis aient réussi à faire fonctionner leur couple avec le temps et la distance, même si ce n'était que les vacances d'été. À leur âge, deux mois pouvaient sembler être long pour des couples récents. Il n'était pas certain que Peter et Caitlin, et Mike et Sara resteraient ensemble toute leur vie, mais ils semblaient sincèrement tous heureux, et John trouvait cela réjouissant.
Et puis, l'arrivée de Sara dans leur bande ne pouvait pas faire de mal. Caitlin et ses airs masculins qui jurait comme un charretier se plaignait souvent du manque de parité dans leur petit groupe. Judith ne semblait pas mal s'en porter, mais Sara rééquilibrerait un peu la balance.
Et un jour beaucoup trop prochain, John en avait parfaitement conscience, leur bande de copains serait parfaitement paritaire.
Rapidement après leurs effusions, ils entamèrent leur nouveau semestre de médecine, par un cours d'anatomie avancée, qui les laissa groggy et bizarrement euphoriques.
— Merde, les gars, grogna Alec en sortant de cours et faisant fi du coup de poing de Caitlin, j'suis toujours maso, vous croyez ? J'ai adoré ça et pourtant j'ai mal partout !
Ils massaient tous leurs poignets endoloris par la prise de notes, et pourtant ils étaient tous dans le même état : passionnés, et ravis de retourner s'abrutir encore et encore sous les milliers de notions à apprendre.
— On en est tous là ! s'amusa John. Tous maso, pour une nouvelle année ! Ça n'a pas changé depuis l'année dernière ! C'est le pré-requis pour les études de médecine.
— Mais cette année, ça va être cool ! On va aller sur le terrain ! J'ai hâte ! lança Mike.
— C'est un stage infirmier, t'emballes pas hein ! le rabroua Peter.
Ils poursuivirent la conversation sur ce sujet, ravis à l'idée d'aller passer quelques semaines ou quelques mois en milieu hospitalier, pour apprendre les gestes de bases, comme les perfusions et prendre les constantes. Ce stage-là arriverait en début d'année prochaine, pendant quelques semaines, avant qu'ils ne reprennent le chemin des bancs de la fac. Puis, à la fin de l'année scolaire, ils retournaient à l'hôpital pour un stage de sémiologie, et ils en étaient déjà excités. La première année était celle qui avait le plus haut niveau d'échec, et maintenant qu'ils avaient écrémé une grande partie des étudiants, ils entraient dans le vif du sujet. À l'Imperial, il était impossible de doubler sa première année, comme cela pouvait se faire ailleurs : la faculté était trop réputée pour ses études de médecine et de sciences pour se permettre d'accepter des échecs. Ceux qui ne réussissaient pas étaient purement et simplement exclus, quel que soit le niveau du portefeuille des parents de l'étudiant.
Ils étaient contents d'avoir tous réussi leurs partiels sans difficulté majeure, et retrouver leur bande, et voyaient déjà leur avenir, tous ensemble, se dessiner pour les années à venir, fantasmant leurs futures carrières de brillants chirurgien.
John se tut pendant toute la durée de la conversation, se plaçant en retrait. Il n'avait pas envie de discuter de tout ça avec eux. Ça lui faisait trop de mal à imaginer.
— Ça va ?
— Bien sûr que ça, pourquoi ça n'irait pas ? sourit John.
Le regard sévère de Judith ne fut pas dupe une seule seconde de la bonne humeur de façade de John. Après leurs premiers cours, et le déjeuner, ils s'étaient naturellement tournés vers la bibliothèque universitaire pour reprendre immédiatement leur rythme de révisions, et ils s'étaient dispersés entre les tables pour travailler en silence.
Judith s'était installée à côté de John, ce qui n'était pas une surprise pour aucun d'entre eux. Après John et son honneur de major de promo de l'année dernière, elle était la plus brillante de leur petit groupe, et il leur arrivait fréquemment de travailler ensemble, du moins quand John n'était pas fourré avec un certain génie trop brillant pour son propre bien.
— Tu as eu l'air absent toute la journée, chuchota-t-elle avec fermeté. Tu peux abuser Mike, mais pas moi.
John grimaça. Elle avait raison. Mike était facile à berner. Il était sincèrement inquiet de John, parfois, mais un simple sourire appuyé suffisait à le rassurer.
— J'étais concentré, répondit-il.
— À d'autres. Sherlock va bien ? J'ai vu son frère, la semaine dernière. Une réception encore plus barbante que celles de début d'été. Celles de fin d'été marquent la fin d'une saison, elles sont toujours encore plus sinistres.
John était surpris qu'elle lui en parle, mais ils avaient échangé quelques lettres, cet été, et la jeune femme se livrait davantage sur la réalité de son existence. Ce n'était pas vraiment par choix qu'elle était la moins bavarde de leur bande, en concurrence avec Alec. Son éducation lui avait appris à sourire et se taire, être jolie et intelligente dans ses propos, sans jamais parler de trop. Bien que John n'ait absolument rien en commun avec ce monde dans lequel elle évoluait, contrainte et forcée du simple fait de son nom de famille, le lien que représentait Sherlock les avait rapprochés.
— Sherlock va très bien. Il a repris le lycée ce matin... enfin normalement. J'ai pas vu Mycroft depuis des semaines, moi. Je n'étais pas à Londres.
— Oui, d'ailleurs, c'est quoi cette adresse bizarre que tu m'as donnée ?
— Quoi ?
— Cet été. Les lettres. Tu m'as dit que pendant l'été, tu étais logé chez les Holmes, et tu m'as donné l'adresse à laquelle t'envoyer mes courriers.
— Oui, et ? Tu l'as fait, je les ai reçus, je t'ai répondue. A part la dernière, tu l'avais envoyée à Londres puisque je t'avais dit que j'allais pas tarder à rentrer.
Elle lui jeta un regard exaspéré, qui n'était pas sans rappeler Sherlock.
— Ce n'est pas l'adresse des Holmes que je connais.
John fronça les sourcils. Ce qu'elle disait n'avait aucun sens. Il était absolument impossible qu'ils ne parlent pas des mêmes personnes. Holmes n'était déjà pas un nom courant, mais elle avait reconnu Sherlock, et ils parlaient épisodiquement de Mycroft, qui était un prénom encore moins répandu. Il était absolument improbable que ça soit une coïncidence.
Un bref instant, des hypothèses plus ou moins folles traversèrent l'esprit de John, comme la possibilité que les gens rencontrés cet été aient été des acteurs, payés par Sherlock, et non ses vrais parents, mais il paraissait improbable que Mycroft marche dans une combine pareille. Et l'intelligence féroce de Violet Holmes, qui concurrençait ses fils, ne se simulait pas.
— Comment ça ? C'est bien leur adresse, je t'assure. J'y vivais.
— Ce n'est pas Musgrave, leur domaine, insista Judith. J'en suis certaine. C'était leur résidence secondaire, peut-être ?
John se mordit la lèvre. Il savait que les parents Holmes avaient de l'argent, mais ça avait été un concept relativement nébuleux tout le temps de son séjour là-bas. Violet et Sieger vivaient simplement, travaillaient réellement pour gagner leur vie et pas pour passer le temps, et n'avaient du tout l'air d'être des gens à posséder une résidence secondaire.
D'ailleurs, la maison tout entière ne faisait pas résidence de vacances. Elle était habitée, et vivait toute l'année. Sherlock avait annoncé y avoir grandi, et la chambre portait les stigmates de son enfance et de son adolescence, entre le papier peint qui avait brûlé à cause d'une expérience, et les notes de musique gravées dans le cadre en bois du lit, un jour d'ennui.
— Je ne sais pas, répondit-il poliment et toujours à mi-voix, pour ne pas gêner les quelques étudiants révisant. Je n'ai pas posé la question. De toute manière, je n'y suis plus, donc bon, tu peux oublier cette adresse.
Elle haussa les épaules, manifestement peu convaincue, mais n'ayant plus d'argument à opposer sur le sujet. Elle ne savait pas non plus pourquoi son ami avait eu l'air aussi maussade toute la journée, puisque la conversation avait dévié, mais il semblait aller mieux et être plus présent, et cela lui suffisait.
Ils se replongèrent dans leurs cahiers.
Il ne s'écoula pas une demi-heure avant que John tapote sa page du bout de son crayon pour attirer son attention.
— Plaît-il ? interrogea-t-elle poliment.
— L'adresse, murmura John. Celle que tu connais. Tu pourrais me la donner ? Je demanderai à Sherlock, quand même...
Elle n'avait aucune raison de le lui refuser. John n'était pas un parfait inconnu pour la famille Holmes, de cela elle était certaine. Connaître l'adresse de leur domaine familial ne pouvait faire de mal à personne. Elle hocha la tête, et fouilla dans son sac, pour en retirer son carnet d'adresses. Entre autres obligations pénibles, ses parents tenaient à ce qu'elle conserve tous les adresses et contacts de personnes « utiles », ceux qu'elle voyait depuis toujours évoluer dans les soirées où elle était contrainte d'aller pour sourire comme une jolie poupée.
Elle tourna les pages jusqu'à la lettre H, et lui griffonna dans un coin de cahier : Holmes' Manor - Musgrave - Forest Hill - Oxford - UK.
— Hey Génie, comment as été ta première journée ?
Le regard exaspéré de Sherlock répondit à la question de John. Il éclata de rire. Pour une fois, il était certain que son ami était allé au lycée. Étendu de tout son long sur son lit, comme en proie à une intense souffrance, il avait toujours le blazer au blason de son lycée. Il était rentré depuis longtemps, pourtant. John avait passé une longue journée à la fac, et il n'était passé chez son ami que pour dire bonjour. Il repartait quasiment immédiatement, pour rentrer chez lui et se remettre dans le rythme des cours.
— Tu crois que quelqu'un remarquera quelque chose, si je n'y retourne plus jamais de ma vie ? se lamenta Sherlock.
— Probablement que oui.
— Mais ce sont tous des idiots, gémit Sherlock. Le simple fait d'être dans la même pièce qu'eux fait baisser mon QI !
— Je suis à peu près certain que c'est impossible.
— Ils rendent ça possible.
— Il y a quand même les profs, philosopha John.
— Tu plaisantes ? Ce sont les pires !
John éclata de nouveau de rire. Sherlock était totalement sérieux, c'était ça le pire.
Puis Sherlock lui demanda comment s'était passé sa propre rentrée, et mentionna qu'il avait une nouvelle expérience à faire pour laquelle il aurait besoin de l'assistance de John, et ce dernier oublia de lui parler de Musgrave. Ce n'était pas comme si c'était vraiment important, de toute manière.
Assez naturellement, ils reprirent le rythme de leur vie, et leurs habitudes. John révisait beaucoup, passait du temps avec ses copains de fac, et beaucoup trop avec Sherlock. Ce dernier allait globalement en cours, assez pour que Mycroft ne soupire plus dès qu'il voyait son frère, mais suffisamment peu pour lui laisser le temps de vaquer à ses occupations, diverses et variées.
L'été indien ne s'attarda pas longtemps sur la capitale, et pour l'anniversaire de John, à la fin du mois de septembre, il faisait de nouveau gris et humide sur l'Angleterre.
John le prit avec philosophie. Pour la première fois de sa vie, il avait des amis qui connaissaient sa date d'anniversaire, et qui le lui souhaitèrent avec joie. Pendant toute son enfance, John avait préféré ne pas ébruiter la date, pour ne pas avoir à organiser de fêtes avec ses copains chez lui. L'idée que ses camarades viennent dans sa maison était insupportable, inimaginable pour l'enfant. Il était plus simple de prétendre ne pas souffrir durant cette journée où personne ne lui souhaitait rien, que d'avoir des copains enthousiastes et l'impossibilité de pouvoir organiser une fête. De deux maux, l'enfant avait choisi le moindre : il ne disait rien.
Cette année, c'était différent. Mike et Judith s'étaient ligués contre lui, et avaient mis tous les autres dans la confidence. Sans avoir eu le temps de dire ouf, ils l'avaient kidnappé à la sortie des cours, et emmené dîner au restaurant, dans la joie et la bonne humeur.
John avait failli culpabiliser de ne pas voir Sherlock, comme il le faisait pourtant tous les soirs, mais il s'était rappelé quelques commentaires sibyllins de son ami, lui faisant prendre conscience qu'il était certain que Sherlock avait déduit qu'il serait occupé ce soir-là, et qu'il ne l'attendrait pas en vain.
Ses copains avaient également prévu des cadeaux, simples mais qui lui réchauffèrent le cœur (et le corps, considérant qu'il y avait une paire de gants et un bonnet dans le lot), et il passa une excellente soirée.
Comme il l'avait compris, le lendemain, Sherlock ne lui reprocha pas son absence de la veille, et se contenta de lui offrir ses propres cadeaux.
— Tu aurais pu venir, non ? proposa timidement John après l'avoir remercié une douzaine de fois de ses présents, parce que Sherlock le connaissait par cœur et qu'il avait tapé dans le mille sans difficulté, entre les romans, les livres de médecine, et une grande variété de thé, que John adorait tous sans exception et qui coûtait bien trop cher pour son budget.
— Où ça ? répliqua Sherlock, jouant les idiots.
— Hier soir. Au resto, avec les autres. Fais pas genre, même s'ils t'avaient pas invité, t'avais forcément déduit où on allait.
Le sourire de Sherlock trahissait sa fausse modestie.
— Tu n'aurais pas apprécié m'y voir, John, répondit-il cependant. Et je n'aurais pas aimé y être.
— Pourquoi tu dis ça ? Évidemment que j'aurais apprécié de te voir !
— Non. Tu me supportes, John. Mais tu ne me supporterais pas s'il y avait d'autres gens en jeu. Tes amis.
John s'indigna. Il n'appréciait pas le terme qu'employait Sherlock, parce qu'il ne pouvait pas imaginer sa vie sans cet énergumène, et qu'il ne le « supportait » pas. Il aimait sa compagnie au-delà du raisonnable.
Il avait cependant raison sur le fait qu'il était imbuvable avec le reste du monde.
— Si tu avais déduit tout et n'importe quoi à haute voix, en te comportant comme un abruti, évidemment que ça m'aurait énervé, mais tu as vachement progressé pour savoir quand te taire, maintenant ! Ça n'aurait pas été si terrible.
Sherlock leva un sourcil désabusé. Lui n'était pas aussi certain que John de sa capacité à endurer une foule sans faire d'écart. Il avait conscience de ce que John lui reprochait régulièrement, mais c'était parfois impossible de faire autrement. Ce qui était dans son cerveau était trop, trop fort, trop souvent. Il avait besoin de le laisser exploser.
— En tout état de cause, je n'aurais pas voulu m'y trouver, répondit-il. La foule... pas mon truc.
John abandonna, et la conversation fut close, sans que l'étudiant n'ait conscience que Sherlock venait de lui mentir. Se retrouver au milieu de trop de gens n'était certes pas dans ses préférences, mais ce n'était pas la raison principale de son refus : il s'était habitué à n'avoir John que pour lui, en permanence. Quand ils passaient du temps ensemble, c'était forcément eux deux contre le reste du monde. Et il n'était pas prêt à devoir partager John Watson avec une bande d'étudiants décérébrés qui n'avaient aucune idée de la valeur que représentait John.
Épisodiquement, au hasard du campus, il arriva que John croisât Neil, de loin. À chaque fois, il la salua, d'un signe de tête, mais elle détourna le regard, sans lui parler. Il n'essaya pas de forcer la conversation, conscient que cela ne les mènerait nulle part. Il regrettait la manière dont leur histoire avait finie, et espérait que les choses s'étaient améliorées, surtout avec sa sœur, et que cette dernière allait bien.
John n'avait toujours pas de nouvelles de Harry, du moins pas davantage qu'un mot laconique, adressé par la poste, disant qu'elle allait bien. Il n'y avait pas d'adresse d'expéditeur, et il ne chercha pas à en trouver. Tant que sa sœur se portait bien, et que John ignorait où elle se trouvait, ils étaient en sécurité.
Début octobre, son père eut de nouveau une phase avinée de grande ampleur, où il appela son fils pour gueuler, se plaindre, râler et le menacer, entre deux hoquets bourrés. Cette fois, John n'en fit pas grand cas, ni n'en fut terrifié. Son père était simplement soûl, ce dont il avait eu l'habitude toute sa vie. L'alcool avait tendance à le rendre verbalement (et physiquement) agressif, mais uniquement avec ce qu'il avait sous la main. John était loin, au centre de la ville, et ne risquait rien. C'était quand son père était en colère avant de boire, et que l'alcool amplifiait sa fureur qu'il était dangereux.
Il trouva même le moyen de demander à John s'il viendrait à Noël, preuve qu'il n'allait pas si mal, à ceci près qu'il avait plusieurs mois d'avance. John promit d'y réfléchir alors qu'il savait pertinemment qu'il n'en avait aucune envie.
Fin octobre, Mycroft s'absenta plusieurs jours de Londres, et il y avait un jour férié qui leur permettait d'avoir un très long week-end, que John passa intégralement avec Sherlock, chez lui, dans le bazar de sa chambre, à parcourir Londres, à s'introduire sur des bâtiments abandonnés ou en construction et jouer aux Uchronies, sur les toits. Ils dormirent ensemble, comme ils l'avaient fait tout l'été. Ça aurait dû être un retour à la normale. Ils avaient fréquenté la même chambre et le même lit pendant toutes les vacances, et avant cela, il arrivait régulièrement que John s'endorme chez Sherlock, dans son lit encombré de bazar.
Depuis deux mois que les cours avaient repris, ils ne l'avaient plus fait, et John n'osa pas parler à Sherlock du malaise qu'il ressentit. C'était indéfinissable, et pire que tout, ça ne lui paraissait pas nouveau. Comme si cela avait toujours été là, sans qu'il mette un mot dessus. Mais pourtant, il ne se souvenait pas d'avoir déjà ressenti ça un jour, ce qui n'avait vraiment aucun sens.
Il ignorait si Sherlock, de l'autre côté du matelas (du moins, pendant au moins cinq heures, il dormait vraiment peu et moins que John) ressentait la même chose, et ne le lui demanda pas. Il passa une nuit épouvantable, mais les journées passées avec son ami étaient si parfaites et joyeuses qu'il oublia son malaise, et dormit aussi la nuit suivante chez Sherlock. Et tant pis pour les questionnements dans son cerveau et les sentiments qui étreignaient son cœur, il les fit taire. Parce qu'il avait envie d'être là. Plus que n'importe où au monde.
Mi-novembre, Leandro leur apprit une très mauvaise nouvelle : Angelo, qui gagnait il-ne-voulait-pas-savoir-comment de l'argent pour rembourser sa dette aux enfants de chœur qui s'impatientaient, avait été arrêté. Pour meurtre.
— Quoi ? balbutia John. Non, c'est impossible... Enfin... Je... C'est impossible, non ?
Il ne pouvait pas s'empêcher de demander confirmation. Angelo traînait toujours avec des gens louches, et Sherlock avait déjà établi que certains des clients du restaurant étaient des meurtriers sans scrupule, mais il n'avait jamais déduit que le fils du restaurateur était de ceux-là.
— Il est innocent ! s'emporta Leandro. J'en suis sûr, et il le dit ! Mais il refuse de dire où il était la nuit du meurtre !
Leandro n'avait pas entièrement renoncé à vendre son enseigne, mais depuis deux mois, il restait ouvert et essayait d'économiser, pour aider son fils à rembourser son dû. Mais, arrêté et mis en prison, le tout prenait des conséquences beaucoup plus graves. Les malfrats à qui Angelo devait de l'argent risquaient nettement plus de s'en prendre au vieil homme, désormais, puisque leur débiteur ne serait plus en mesure de les payer.
Et en plus, Angelo pouvait se retrouver enfermé pour les vingt prochaines années.
— On va prouver qu'il ne l'a pas fait ! déclama Sherlock avec emphase.
John et Leandro le regardèrent d'un drôle d'air, ce qui n'était pas peu dire, considérant que le vieil homme ne voyait rien, justement.
— Pardon ? osa dire John tout haut ce qu'ils pensaient tout bas.
— On va prouver qu'il ne l'a... commença à répéter Sherlock, avec agacement parce qu'il détestait se répéter pour le commun des mortels moins intelligents que lui.
Il ne tolérait de le faire que parce que c'était John, et qu'il aurait fait n'importe quoi pour John, assurément.
— J'ai entendu, je ne suis pas sourd, le coupa John. Mais non seulement ça a l'air d'être une sacrée idée de merde, si tu veux bien me passer l'expression, mais en plus, je vois pas du tout comment on peut faire ça.
— Simple, répondit Sherlock d'un air d'évidence.
Il n'ajouta pas un mot, avec son air d'arrogance « je suis supérieurement intelligent à vous » et John soupira. Il n'avait même pas dix-huit ans, et il aimait déjà poser et se faire supplier pour qu'il explique le fond de sa pensée. À vingt ans, il serait insupportable. À trente encore plus. Et à quarante, John n'osait même pas l'imaginer. Pourtant, son traître d'esprit se représentait un Sherlock plus vieux, un peu plus grand encore parce qu'il n'avait pas tout à fait fini sa croissance, avec des traits plus mûrs, moins adolescents qu'actuellement. Et il aimait un peu trop l'image qu'il avait dans la tête. Sherlock était déjà beau. Il le deviendrait plus encore.
Chassant ses pensées parasites, il secoua la tête, avant d'attraper la main de son ami qui attendait toujours qu'on le supplie d'expliciter sa pensée.
— Viens-là, ordonna-t-il en le traînant hors du restaurant.
Ils étaient dans leur coin habituel quand Leandro était venu leur annoncer la mauvaise nouvelle, et ils passèrent devant les délinquants habituels qui squattaient leur propre coin. Comme d'habitude, ils ne relevèrent même pas le nez. John et Sherlock étaient devenus des éléments du paysage.
Ils sortirent dans la rue, et Sherlock frissonna dans son costume fin. John avait un gros pull, mais ils avaient laissé leur manteau sur leur chaise, et l'automne londonien ne pardonnait pas.
— Qu'est-ce qui te prend, John ? râla Sherlock.
— Je te donne une leçon d'humanité, frissonna John. T'as intérêt à la retenir vite, j'suis autant frigorifié que toi. Tu dois pas dire ce genre de choses devant Leandro.
— Pourquoi ? s'étonna Sherlock.
— T'as déjà entendu parler de Pandore ?
Sherlock leva les yeux au ciel.
— Ce mythe absurde ? S'il te plaît John, je...
— Je me fiche de ce que tu en penses, que ça ne soit qu'un mythe et que ça ne se soit jamais produit dans la réalité. Sais-tu que lorsque Pandore a ouvert la boîte, et laisser échapper la famine, la guerre, et tous les autres maux, elle a pris peur et a refermé la boîte, empêchant un dernier mal de s'échapper ?
Sherlock le regarda intensément, manifestement intéressé, et John poursuivit :
— L'espoir ne s'est pas échappé. Parce que l'espoir est le pire des maux, quand il est déçu. On ne peut pas souffrir davantage que lorsqu'on espère et que cela échoue. Ce que tu as commencé à faire à Leandro, c'est exactement ça : lui donner de l'espoir. Il n'a pas besoin de ça.
— Mais... s'insurgea Sherlock. C'est de l'espoir seulement si c'est incertain. Je suis sûr de moi.
Ce fut au tour de John de lever les yeux au ciel.
— Sûr de quoi au juste ? Qu'est-ce que tu comptes faire ?
— Enquêter ! Prouver qu'il n'était pas sur le lieu du meurtre au moment des faits !
— Mais comment ?
— J'ai des idées, se rengorgea Sherlock. Tu te souviens de cet été ? Ce qu'on a réussi à faire ? C'est pareil ! Ce sera drôle !
John se souvenait parfaitement de l'été, mais il était tout sauf convaincu que ce serait drôle. Durant les vacances, cela avait paru être un évènement anodin, et sans conséquence. Sherlock avait, grâce à sa capacité à déduire les gens, son don de l'observation, et son formidable cerveau qui savait détecter les mensonges et analyser les faits plus vite que tout le monde, résolu une « enquête ». Le village n'était bien grand, et une cliente au bar où travaillait John s'était plainte haut et fort avoir été victime d'un vol dans sa belle et grande maison. Elle avait promis une récompense à quiconque pourrait lui donner une information tangible, une indication sur l'identité du voleur. Sherlock avait été là, et s'il n'avait aucun intérêt pour la récompense, il avait trouvé l'idée intéressante, et surtout stimulante. Le lendemain, il traînait John chez la victime, se présentait comme un enquêteur chevronné — même John avait failli le croire, tant il était convaincant dans son mensonge — et armé d'une loupe trouvée dans le bureau de son père, il avait regardé tous les détails de la maison et du lieu du cambriolage.
John avait classé ça dans la catégorie de l'amusement enfantin, moins grave que les secrets honteux du buraliste que Sherlock devinait pour le faire chanter et obtenir ses paquets de cigarettes, mais le jeune génie avait été très sérieux. Et le pire, bien sûr, c'était qu'il avait réellement trouvé quelque chose. Des traces de chaussures, une histoire de boue spéciale qui ne se trouvait que dans un certain coin de la forêt qui bordait le village, et une pointure qui avoisinait le 42. La dame, surprise, mais ravie, l'avait pressée de faire davantage de recherches. John sur les talons, Sherlock s'était jeté à corps perdu dans ce jeu de piste grandeur nature, qui l'avait excité comme un gosse.
Entre deux réflexions, Sherlock avait avoué à John que cela lui rappelait son enfance, quand Barberousse et lui jouaient aux pirates, et que Mycroft participait à leurs jeux en cachant un trésor et des énigmes que Sherlock devait résoudre. John avait été trop attendri par l'image mentale et le fait qu'un jour, les deux frères Holmes aient été proches, pour seulement penser à demander qui était Barberousse.
Mais contrairement aux jeux de son enfance, où Sherlock savait que s'il échouait quelque part, Mycroft lui donnerait la solution et lui expliquerait ses erreurs, là il n'avait pas le droit à l'échec. Personne ne lui expliquerait la bonne réponse. C'était à lui de la trouver, et d'être certain qu'il s'agissait de la vérité.
John l'avait rarement vu aussi exalté, et il l'avait suivi avec plaisir sur toutes les pistes de son cerveau. Il avait trouvé la solution, et confondu le beau-frère par alliance (John n'avait pas suivi pourquoi), et puis l'adrénaline était retombée, la vie avait repris son cours, et ils étaient rentrés à Londres.
Bien sûr, Sherlock aimait les jeux de piste, mais John avait cru que l'enquête de l'été serait une anomalie, une chose unique. Et il ne s'agissait que d'un cambriolage, et l'auteur des faits, s'il était cupide, n'était pas violent, ni dangereux. John n'avait pas eu la sensation qu'ils risquaient leur vie, dans l'affaire.
Là, c'était un tout autre niveau. Sherlock proposait clairement de se lancer sur la piste d'un meurtre. Parce que le meilleur moyen de faire innocenter Angelo, c'était bien de trouver le véritable meurtrier. Et ça n'avait rien de drôle.
John savait qu'il devait mettre un frein à l'enthousiasme de son meilleur ami. L'arrêter dans ses projets stupides. Lui ôter cette idée ridicule de la tête.
Mais Sherlock se tenait devant lui, le nez rougi de froid, les poignets mouchetés de chair de poule, là où sa peau était nue, à la merci du froid mordant de novembre, et il avait les yeux brillants. Il était extatique, penché vers John, si lumineux et plein d'espoir à l'idée de se lancer dans cette quête insensée, et John n'arrivait pas à lui dire non. Les mots logiques et rationnels ne parvenaient pas à franchir la frontière de ses lèvres. De nouveau, les pensées parasites sur l'allure de Sherlock, le bleu pur de ses yeux clairs, la pâleur de sa peau, le noir profond de ses cheveux bouclés vinrent se bousculer dans son cerveau.
Pandore avait raison, que Sherlock croit ou non au mythe. L'espoir était le pire des maux. Parce qu'en cet instant très précis, John fondait tous ses espoirs sur Sherlock. Il pouvait très bien y arriver.
— Faudra être prudents, Sherlock, articula-t-il lentement. Pas de conneries, promis ? Ce sera pas aussi simple ni aussi tranquille que cet été. Et par tranquille, j'entends pas risqué. Et pas un mot à Leandro. Ok ?
Sherlock, qui s'était penché vers lui pour mieux tenter de le convaincre, se redressa, un éclat de pure joie faisait luire ses prunelles. Il tremblait, mais ce n'était clairement plus de froid.
— Promis, John ! Je serai prudent ! Et tu seras là avec moi ! Viens, on va interroger Leandro ! J'ai besoin de renseignements.
Dans un beau mouvement miroir à celui de John, qui l'avait traîné dehors pour discuter, il attrapa le poignet de son ami et l'entraîna à l'intérieur du restaurant, prêt à débuter cette nouvelle folie. John l'aurait accompagné jusqu'au bout du monde. Au paradis. Et surtout en enfer.
Prochain chapitre le Me 02/04/2025 !
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