Note : Si vous recevez une notification pour ce chapitre et que vous ne comprenez pas pourquoi, vous trouverez des explication au chapitre 1 concernant la révision de cette fic.

Je tente de garantir la publication d'un chapitre par semaine. J'ai bon espoir de créer un chapitre supplémentaire et/ou d'écrire un sequel quand ce sera terminé.


4. Le chemin de la grandeur

Je n'ai plus faim.

Serrant mon sac et mes livres contre moi, je fonce vers le sous-sol tel un rhinocéros en furie. (Un rien plus gracieux, tout de même.) Si une personne avait l'imprudence de se mettre sur mon chemin, je la piétinerais sans même m'en apercevoir.

À quoi joue Black, bon sang ? Essaie-t-il de me faire passer un message ? Mais lequel ? Sait-il que c'est moi qui l'ai empoisonné ? S'amuse-t-il à me torturer en attendant de me dénoncer à Dumbledore ? Vais-je finir ma vie à Azkaban ?!

Allons, Severus, respire. Ouvre tes chakras, comme dirait Lily.

…Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est un chakra, mais de toute évidence, les miens sont méchamment verrouillés.

Je dévale les escaliers et m'engage dans le couloir menant à salle commune, dans un état d'énervement rarement atteint chez ma stoïque personne. En entrant dans le dortoir désert, je laisse tomber sans ménagement mes affaires sur ma malle. Un mouvement que je capte alors du coin de l'œil me fait faire volte-face – il ne s'agit en fait que de mon reflet dans le miroir en pied. Bon sang. Le stress d'être découvert commence à me monter à la tête.

Est-ce que je savais que ma potion serait grandiose ? Oui.

Est-ce que je savais qu'elle serait aussi grandiose ? Non, absolument pas. Bravo, ô Prince de Sang-Mêlé. Tu as dépassé tes propres attentes.

Je ne dis pas que j'aurais forcément pleuré la mort des deux plaies de mon existence. Mais tout de même, mon intention était de leur flanquer une bonne frousse, rien de plus. Je repense à mes échanges avec Samael Mulciber au sujet de la potion, ainsi qu'à ses conseils sur son élaboration. C'est lui qui m'a poussé à aller toujours plus loin…

Et c'est toi qui as fait le choix de l'écouter, Severus ! Encore une preuve de tes brillantes capacités décisionnelles ! Te laisser influencer par un sociopathe avéré !

Slughorn m'a déjà interrogé, mais il m'aime bien et n'avait aucune envie de croire que c'était moi. Le dortoir a été fouillé de fond en comble. J'ai pris soin de détruire toute la potion qui me restait et de brûler les lettres de Samael. Donc même s'ils me suspectent, il n'y a aucune preuve qui pourrait leur permettre de remonter jusqu'à moi.

Aucune, vraiment, Severus ?! dit la petite voix de mes angoisses.

Oui, bon, d'accord. Je n'ai pas pu me résoudre à faire disparaître les notes relatives à la création de la potion. J'y ai vraiment passé du temps, et je sais qu'elles me resserviront plus tard.

Sauf si tu finis à Azkaban.

Pour l'instant, elles reposent dans un tiroir sans fond de ma table de chevet, déguisées à l'aide d'un sort connu de moi seul en recette de muffins framboise-citron.

Je prends mes affaires de cours de l'après-midi, les fourre dans mon sac, puis ressors dans la salle commune. Là, contre toute attente, je me retrouve nez à nez avec mon professeur de Défense contre les Forces du Mal. De nouveau, le contenu de mon sac se renverse par terre. Bon sang.

« Mr Snape, vous voilà donc ! Je venais pour vous chercher », annonce calmement Wilkes.

Mon cœur s'emballe malgré moi.

Il sait que c'est toi, il vient pour t'envoyer à Azkaban.

« Pour me chercher, professeur ? dis-je d'un ton qui se veut dégagé, mais qui sonne plutôt étranglé.

– En effet… Vous ne vous sentez pas bien, Mr Snape ? »

Il sait que c'est toi, il vient pour t'envoyer à Azkaban.

« Si si, professeur…

– Alors pourquoi n'êtes-vous pas venu déjeuner avec vos camarades ? »

Il sait que c'est toi, il vient pour t'envoyer à Azkaban.

« Je… je n'avais pas d'appétit.

– Oh, je vois. Il me semble malgré tout qu'un élève aussi studieux que vous a besoin de s'alimenter pour travailler efficacement.

– Vous avez raison. J'y vais de ce pas », dis-je en m'empressant de ramasser mes affaires.

Au moment où je m'apprête à prendre congé, il remarque posément, comme il aurait complimenté un parterre de gardénias :

« C'était très habile de votre part d'utiliser la feuille d'amarante épineuse pour altérer la perception auditive. »

Un poids d'une tonne tombe dans mon estomac et me cloue sur place.

IL. SAIT. QUE. C'EST. TOI.

« Je vous demande pardon, professeur ?

– J'ai passé beaucoup de temps à étudier les résidus de potion que nous avons réussi à isoler. »

Je ne suis pas prêt à finir ma vie à Azkaban. J'ai encore tant de choses à accomplir. Tant de sortilèges à inventer. Tant de chaudrons à faire bouillir.

« Votre travail est… absolument remarquable », commente finalement Wilkes.

Euh. Pardon ?

« Vous possédez un talent extraordinaire, Mr Snape. Dommage qu'il soit si mal employé. N'avez-vous jamais pensé à la façon dont vous pourriez utiliser ce don ? »

Je fronce les sourcils et prononce d'une voix incertaine :

« Je ne vois pas ce que vous…

– N'avez-vous jamais vu plus grand, Mr Snape, que de puériles farces d'écoliers ?

– Plus grand que… ?

– Songez-y, Mr Snape. Vous êtes encore très jeune, vous avez le temps de faire des choix. Sachez toutefois que certaines puissances se réjouiraient d'associer un potentiel tel que le vôtre à leur cause. »

Je rêve ou le mec est tranquillement en train de me proposer un job chez les Mangemorts ?!

Il attend que je dise quelque chose. Mais je ne vois absolument pas quoi dire. Je suis trop décontenancé par le tour qu'a pris cette conversation.

« Qu'est-ce qui vous fait penser que c'est moi ? »

Wilkes sourit.

« Vous avez commis une imprudence, Mr Snape, en testant votre potion sur l'un de vos camarades de chambrée.

– Vous voulez dire…

– Mr Bulstrode s'est soudainement rappelé que sa crise de paranoïa de la semaine dernière avait débuté juste après que vous lui avez fait respirer une certaine "eau de toilette" plutôt malodorante. Il a cru bon de venir m'en parler étant donné ce qui est arrivé à Potter et Black quelques jours plus tard.

– Oh. »

Préoccupé par l'ampleur inattendue de toute cette affaire, j'avais totalement occulté cet incident. Bulstrode est donc moins stupide que je ne le pensais.

« Si cela peut vous rassurer, Mr Snape, j'ai pris soin de… chasser cette idée de son esprit. Tous les professeurs ne seraient pas aussi compréhensifs que moi. »

Il me couvre. Ce qui signifie aussi que j'ai maintenant une dette envers lui. Je ne suis pas entièrement certain que ce soit une bonne chose.

« Je crois que vous devriez rejoindre la Grande Salle, à présent, Mr Snape. »

Je ne me le fais pas dire deux fois.

« Et pensez à ce que je vous ai dit, surtout », lance-t-il dans mon dos où moment où je sors dans le couloir.

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À la table de Serpentard, Gwendolyn me fait de grands signes.

« Sev ! Sev ! Je t'ai gardé une place ! »

Ô joie.

Il n'y a malheureusement pas d'autre endroit où m'asseoir, et je suis trop fatigué pour m'occuper de cela. Tout ce que je souhaite, c'est qu'on me laisse un peu tranquille, pour une fois.

Gwendolyn n'est pas décidée à m'accorder cette faveur.

« Te voilà enfin ! Je me suis inquiétée ! Où tu étais ?

– Je cueillais des champignons », dis-je d'un ton sarcastique. Veux-tu bien me passer les brocolis ? »

Sans amorcer un geste pour satisfaire ma requête, ma cousine me fixe de ses grands yeux ambrés et curieux.

« Menteur. Pourquoi tu mens ? Tu étais avec une fille ? »

Hein ?!

« Gwendolyn, ma vie est suffisamment misérable sans que tu me poses des questions aussi répugnantes. Brocolis, je te prie.

– Répugnantes ? Ah bon ? » s'étonne-t-elle.

Elle réfléchit un instant, puis me lance un regard torve.

« Ooooh. Tu préfères les garçons, c'est ça ? »

De surprise, j'en renverse mon verre. Je la dévisage, profondément choqué.

« Tu plaisantes, j'espère ?

– Oooh allez, ne me dis pas que tu es vieux jeu à ce point-là !

– Moi, vieux jeu ?! »

Bon, admettons.

« Ma chère cousine, sache que je n'ai tout simplement aucun temps à perdre avec de tels enfantillages. Je vise l'excellence et la réussite. Ce sont mes seuls objectifs au sein de cette école.

– Aaaah c'est pour ça aussi que tu n'as aucun ami, c'est ça ? »

Mais quelle petite peste.

Agacé, je finis par me lever pour prendre moi-même le plat de brocolis.

« J'ai mieux que des amis, Gwendolyn. J'ai des connexions. Je suis connu et respecté de personnes qui ont le pouvoir de m'aider à avancer sur le chemin de la grandeur.

– Ah ouais… Des profs, quoi. Ça craint », grimace ma cousine.

Note à moi-même : faire des recherches sur les sorts de mutisme à la bibliothèque.

Balayant du regard la table des professeurs, je remarque que Wilkes est revenu. Est-ce réellement ce type de connexions dont j'ai besoin ? Suis-je décidé à prendre ce chemin-là ? Vais-je donner raison aux inquiétudes de Lily à mon sujet ? J'ai seize ans et encore deux années d'école devant moi. J'ai toujours pensé faire de longues études. Va-t-on vraiment me demander de faire ce choix maintenant ?

Wilkes tourne la tête de mon côté et nos regards se croisent. Grillé. J'ai le temps de voir ses lèvres former les mots « Pensez-y » avant de concentrer bien vite mon attention ailleurs.

Merlin sait pourquoi, il faut que cet ailleurs tombe sur la table des Gryffondors, où certaines personnes se livrent à des activités qui, de toute évidence, ne devraient pas se pratiquer à table. Eurk. Quand on voit Diggory et sa cruche se bécoter, je me demande bien comment on peut désirer les imiter. Non que tout le monde partage mes réticences, à en juger par les regards désespérés que Potter lance à Lily.

Pauvre fou. C'est peine perdue.

Il ne connaît pas Lily comme je la connais. Lily est comme moi : elle sait la chance qu'elle a d'être ici, les portes qui peuvent lui être ouvertes, quelles sont ses vraies priorités. Elle n'ira pas tout gâcher en s'acoquinant avec un sot qui ne voit en elle qu'un vulgaire trophée à ranger à côté de ses coupes de Quidditch.

Mon regard glisse vers Pettigrow, plongé dans l'un de ses romans à l'eau de rose, puis vers Lupin, dont je sais maintenant qu'il n'a aucun scrupule à fraterniser avec l'ennemi. À bien y réfléchir, au milieu de cette troupe d'imbéciles, Black est le seul qui semble se tenir en retrait de ces batifolages absurdes. Bien qu'il n'ait guère d'efforts à fournir pour être l'objet de toutes les attentions avec un physique comme le sien, il n'a pas l'air de vouloir jouer le jeu. Même lorsqu'il a fini par sortir avec la sorcière la plus convoitée de Gryffondor, il avait l'air de s'ennuyer profondément. Aurait-il lui aussi, contre toute attente, des ambitions plus élevées ? Ou est-ce simplement le manque de challenge qui peine à éveiller son intérêt ?

Plongé dans ces considérations, je ne prête pas attention à Lupin qui se penche pour dire quelque chose à Black. Celui-ci pivote aussitôt sur son siège, surprend mon regard et se met à sourire. Et re-grillé.

Je prends mon expression la plus menaçante pour me justifier et, en désespoir de cause, reviens à Gwendolyn. Qui, arborant un léger sourire, regarde Black. Puis moi. Puis Black. Puis moi.

Quelle horrible journée.

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On dira ce qu'on voudra d'Horace Slughorn, mais il faut reconnaître qu'il sait organiser une soirée réussie. Et je ne dis pas cela uniquement parce qu'il y a des chocolats à la menthe dans le buffet garni.

Pour cette première réunion de l'année, il a fait venir de précieuses tentures médiévales représentant des scènes formidables de l'histoire de la sorcellerie. Le plus incroyable est peut-être qu'il ait pu obtenir le prêt de l'une des fameuses tapisseries dites de la Dame à la licorne, que tous les sorciers connaissent comme étant la vie et l'œuvre de Berthilda la Bienveillante. Les recherches zoologiques de cette célèbre sorcière ont fait énormément avancer les connaissances sur les créatures magiques au début de la Renaissance.

« C'est magnifique », murmure Lily, les yeux brillants d'émotion.

Elle a l'air si subjuguée que je ne suis pas certain qu'elle ait conscience de ma présence. M'approchant d'elle, je commente :

« J'ai lu qu'elle avait vécu plusieurs années au milieu de la forêt avant de réussir à approcher des licornes. Elle avait réussi non seulement à se faire accepter, mais aussi à développer un lien profond avec l'une d'entre elles.

– Quand j'étais petite, j'adorais les licornes, se rappelle Lily. Alors que je ne savais même pas qu'elles existaient réellement ! C'est mon rêve d'en rencontrer une pour de vrai.

– Il paraît qu'il y en a dans la forêt interdite. Peut-être que tu pourras obtenir une autorisation pour aller les étudier, lorsque tu auras ton diplôme.

– Oh, tu crois, Sev ? » fait-elle d'un ton plein d'espoir.

Elle plonge ses beaux yeux verts dans les miens, oubliant un instant nos querelles. Puis, comme sortant d'un rêve éveillé, elle se détourne en secouant la tête.

« Pourquoi faut-il toujours que j'aie tant de facilité à parler avec toi ? peste-t-elle. Alors que je suis furieuse contre toi. Pire que furieuse. Déçue. Non, pire que déçue…

– Qu'est-ce qui est pire que déçue ? dis-je tristement.

– Honnêtement, Severus, j'en suis au stade où tu me fais peur. »

Elle remonte son châle émeraude sur ses épaules constellées de taches de rousseur. Le vert a toujours été sa couleur.

« C'est toi qui as fait ça à James et Sirius, murmure-t-elle d'un ton accusateur. Je sais que c'est toi.

– Je suis flatté que tu me croies capable d'un tel degré de génie, dis-je, ne souhaitant ni avouer ni lui mentir.

– Du génie ? siffle-t-elle entre ses dents. Vraiment, c'est ce que tu considères être du génie ? C'est très grave, Severus. Tu prends le même chemin que Mulciber…

– Celui de la grandeur ? »

Tournant vivement la tête, elle me foudroie d'un regard dur que je commence à trop bien connaître. Le pire, c'est que je me fiche un peu qu'elle me méprise, tant qu'elle me regarde encore. Rien ne me fait plus mal que quand elle m'ignore.

C'est le moment que choisit Slughorn pour faire tinter son verre. Lily en profite pour se frayer un chemin à travers la salle et mettre le plus de distance possible entre elle et moi.

« Mes jeunes amis, annonce le professeur de Potions, j'ai souhaité vous réunir en ce début d'année afin de célébrer l'arrivée parmi nous de notre tout nouveau membre : j'ai nommé Regulus Black. »

La main du gros homme enserre l'épaule du jeune Serpentard, qui semble aussi à l'aise d'être au centre de l'attention qu'un bébé lapin à une conférence sur le civet au vin blanc.

« Ce sorcier exceptionnel a plus d'une corde à son arc, puisqu'en plus d'exceller dans toutes les matières, il vient également d'intégrer l'équipe de Quidditch de la maison Serpentard. Je vous fais confiance pour lui réserver votre meilleur accueil. »

Je considère le nouvel arrivant avec circonspection. Voilà donc le fils miraculeux qui doit sauver l'honneur de sa famille. Physiquement, il ressemble un peu à une sous-marque de Sirius Black : tous les ingrédients y sont, mais le résultat est moins convaincant. Là où le grand frère fait l'effet d'une tornade, le petit a plutôt le charisme d'un courant d'air. Malgré tout, il faut croire qu'il ne s'en sort pas si mal, puisqu'il est arrivé au Slug Club.

Je ne peux m'empêcher d'éprouver un pincement de jalousie malvenu en voyant Slughorn le couvrir d'attentions. Pfff.Moi aussi, j'ai été le chouchou. Cette jeune recrue prometteuse dont tous les destins possibles semblent mener à un avenir brillant. Est-ce que j'ai pris la grosse tête pour autant ? … Oui, je me suis inventé le titre de « Prince de Sang-mêlé ». Et alors ?!

Je m'arrache à ces ruminations lorsque mon ventre commence à émettre des gargouillements peu discrets. Je n'ai presque rien avalé au déjeuner et mine de rien, on ne peut pas vivre uniquement d'anxiété paralysante et d'eau fraîche.

Lorsque Slughorn s'approche de moi avec son nouveau protégé, je suis en train de faire une razzia monstrueuse sur les canapés au saumon fumé.

« Mon cher Severus ! Avez-vous déjà fait la connaissance de Regulus ? »

Zut. Ils m'ont surpris la bouche pleine.

Afin d'éviter de postillonner du poisson mort sur mes interlocuteurs, je prends quelques secondes pour détailler le nouvel arrivant des pieds à la tête. Le pauvret semble assez mal à l'aise d'être ainsi dévisagé, ce qui m'emplit d'une satisfaction un tantinet sadique. Je ne compte pas faciliter la vie de celui que je considère déjà comme mon rival.

« Pas formellement, non, dis-je finalement avec une politesse assez dépourvue d'enthousiasme.

– Dans ce cas, laissez-moi réparer ce tort ! Vous deux avez en commun une incroyable soif de connaissances. Je pense que vous pourriez avoir ensemble des discussions tout à fait passionnantes ! »

Des discussions passionnantes. Bien sûr. Comme si j'allais perdre mon temps avec un Cinquième année qui tient plus rat de bibliothèque que d'un futur décideur du monde de demain.

Quelqu'un comme toi, quoi.

Toi, tais-toi, la petite voix !

Je m'apprête à prendre congé lorsque sans transition, Slughorn nous abandonne pour interpeller un autre élève.

« Ah ! Adrian ! J'avais une question à vous poser… »

Et il plante le pauvre Regulus avec son verre de jus de citrouille pétillant. Ses yeux gris sont scrutateurs, ses expressions calculées. Je le devine aussi cérébral et introverti que son frère est exubérant.

« Severus Snape… fait-il avec ce petit air hautain typique des familles de sang pur. J'ai beaucoup entendu parler de toi.

– Vraiment ? » dis-je, un peu étonné.

Ma cote de popularité serait-elle remontée à mon insu ? Se pourrait-il donc que l'on m'admire dans l'ombre ? Aurais-je mon fanclub, moi aussi, chez les Cinquième année ?!

« Disons que tes joutes avec mon idiot de frère et son imbécile d'ami alimentent pas mal les potins de l'école. »

Ha. Évidemment. C'était trop beau pour être vrai.

« Merveilleux, dis-je avec ironie. Ma gloire se résume donc à être la Célèbre Tête de Turc de Black et Potter.

– Je ne dirais pas cela, me contredit-il en penchant la tête. On dit plutôt que quoi qu'ils te fassent subir, tu sais le leur rendre… avec des intérêts. »

Je me rengorge un peu. En voilà un qui sait comment passer de la pommade. Il ira loin, ce petit.

Renonçant à mon hostilité de principe, je lui adresse un sourire compatissant :

« J'imagine qu'il n'est pas facile tous les jours d'avoir un frère comme celui-là. »

Je fais peut-être partie des invisibles, mais moi au moins, je n'ai pas de frangin à qui me comparer sans arrêt. Même si je ne doute pas qu'en famille, Regulus soit l'enfant chéri, il n'en reste pas moins que celui qui accapare toute l'attention avec ses frasques est le fils dissident.

Un peu songeur, Regulus esquisse un pâle sourire.

« Nous n'avons pas toujours été ennemis. Je continue de croire que les liens du sang ne peuvent être totalement rompus. »

Puis, semblant regretter ce bref épanchement, il s'abîme dans la contemplation de la tapisserie au-dessus du buffet.

« Ce sont mes parents qui ont prêté celle-ci, dit-il avec un certain orgueil. Je l'ai au-dessus de mon lit depuis ma naissance. »

Je jette un coup d'œil à la scène d'horreur représentée sur le lourd tissu coloré. Des sorciers au visage tordu par la douleur y périssent de diverses manières : ensevelis sous des pierres, pendus, brûlés ou écartelés. Le tout de la main de moldus pas des plus sympathiques. J'ai beau savoir que ce type de représentations est assez éloigné de la réalité historique, l'image fait vraiment froid dans le dos.

Sympa, la déco, chez les Black.

« Tu avais des sorciers suppliciés au-dessus de ton lit de bébé ? » dis-je, quand même un peu troublé.

Regulus opine du chef :

« Elle est splendide, non ? »

Je m'abstiens de tout commentaire. Chacun ses goûts, hein.

« C'est idiot, poursuit-il avec un léger rire, mais à cause de cette image, j'avais une trouille bleue des moldus quand j'étais petit.

– C'est… surprenant, vraiment.

– Alors que de toute évidence, c'est eux qui devraient avoir peur de nous. »

Sa contenance réservée semble s'estomper en même temps que son ton se durcit. J'ai soudain l'impression d'avoir mal évalué le personnage. Je réponds presque dans un murmure, ne faisant pas confiance à mes émotions sur ce sujet :

« Ils n'ont pas la magie, mais ils ont la barbarie. Ils ne savent que détruire tout ce qui les entoure pour leur propre profit. »

Il se tourne alors vers moi avec une lueur féroce dans le regard :

« Exactement. Tu ne trouves pas ça fou que la caste supérieure des sorciers doive vivre dans l'ombre de ces cloportes, alors qu'on pourrait les décimer ou les asservir sans le moindre effort ?! »

Mmh. Bon. Voilà qui est devenu très intense, très rapidement. C'est officiel : tous les Black sont des tarés. Il faut croire que n'a pas que du bon, la consanguinité.

« Certes », dis-je sobrement. Puis, préférant clore la conversation avant d'arriver sur un terrain trop dangereux, j'enchaîne : « Je te prie de m'excuser, j'ai un mot à dire à Eldred Worple. »

Il hoche la tête, retrouvant sa placidité de façade.

« Ravi de te connaître, Severus. J'espère que nous aurons l'occasion de nous recroiser. »

Ou pas, hein.

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Je ressors du cours de Défense contre les Forces du Mal en soupirant. C'est ma matière favorite, mais voir Wilkes continue de me filer des palpitations. Si je continue à être aussi angoissé, je vais finir par développer un ulcère à l'estomac. Je suis trop jeune pour avoir un ulcère !

Tes chakras, Severus. Ouvre tes chakras.

Je gravis l'escalier menant à mon prochain cours lorsque je décèle devant moi le claquement d'un pas alerte sur les marches. Je lève les yeux et me retrouve soudain face à Black (le grand). Au secours.

Depuis l'épisode des livres, je fais de mon mieux pour l'éviter. Clairement, il tente une manœuvre psychologique pour que j'aie l'impression de devenir fou et que je craque mentalement. C'est la seule explication à son comportement. Je ne l'aurais jamais cru aussi machiavélique, mais il faut croire qu'il n'est pas un Black pour rien.

« Bonjour Severus.

– Oh, pitié. »

Vous savez quoi ? Je connais un autre chemin.

Je fais demi-tour et redescends avec hâte. Mais juste comme j'arrive à la dernière marche, l'escalier s'ébranle brusquement et commence à pivoter. Un pied dans le vide, je commence à tomber en avant.

Avant que j'aie eu le temps de comprendre ce qui m'arrive, je me sens tiré énergiquement en arrière. Je bascule en arrière et pendant une seconde, j'ai l'impression que je vais réussir à me redresser. S'ensuit un instant de flottement, puis une chute brutale sur le dos – partiellement amortie par un étrange matelas qui fait : « Groumpf ! » (ou quelque chose d'approchant).

Ouh là.

Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est quoi ce truc qui m'empêche de bouger ?

Tiens, des bras. Qui ne m'appartiennent pas, au demeurant.

« Eh bien, c'était moins une », souffle une voix pas loin de mon oreille.

Black. Mais c'est bien sûr.

Minute. Je suis dans les bras de Black ?!

« Lâche-moi tout de suite !

– Euh, tu en es sûr ? Je te signale que là, tu as les pieds dans le vide. »

Me redressant péniblement, j'admire la vue, assez impressionnante il faut bien l'avouer, de mes pieds se balançant allègrement sur une absence de sol. Une espèce de piaillement ridicule s'échappe de mes lèvres.

Hum, ce n'est pas le moment de se préoccuper de ma dignité. Parce que dans ce cas, il faudrait aussi prendre en compte le fait que je suis assis en équilibre précaire sur la dernière marche d'un escalier ne menant nulle part, entre les deux jambes de Sirius Black.

D'ailleurs, je vais commencer par me tirer de cette fâcheuse position. Mais c'est facile à dire qu'à faire : les seuls appuis disponibles sont les genoux du Gryffondor – hors de question. Et cet abruti d'escalier qui s'est arrêté en pleine course !

J'envisage assez sérieusement de sauter dans le vide quand Black reprend enfin ses sales grandes jambes et se lève avec – merci Merlin. Puis, tendant la main, il m'attrape par le bras pour m'aider à me remettre sur pied avant même que j'aie eu le temps de dire « bas les pattes ».

Black se passe une main sur le front et souffle un grand coup.

« Tu n'aurais pas dû partir dans l'autre sens, me reproche-t-il. Depuis le temps, tu devrais savoir que cet escalier est particulièrement sensible. Il a bien vu que tu te trompais de chemin et ça l'a complètement perturbé ! Regarde, il est bloqué !

– Je suis parti dans l'autre sens parce que je voulais t'éviter, dis-je en grommelant. Donc techniquement, c'est TA faute.

– Pourquoi tu m'évites ? fait-il, outré. Je fais tout ce que je peux pour être sympa avec toi !

– Et tu crois que je n'ai pas compris que tu fais ça pour que je baisse ma garde ? Tu me prends donc pour un imbécile ?!

– Mais enfin, Severus, tu me connais. Si je voulais te casser la figure, je te casserais la figure. Je ne vois pas pourquoi je me compliquerais la vie comme ça. »

Un bref instant, j'éprouve du doute. Moi non plus, je ne vois pas pourquoi. Ça ne colle pas du tout avec le personnage de Black.

« Tout ce que je sais, c'est que plus je me tiens loin de toi et moins j'ai d'ennuis. Et cesse de m'appeler par mon prénom ! Je ne t'y ai pas autorisé.

– Tu préfères vraiment Servilus ?

– Sincèrement, je préfèrerais que tu m'oublies, Black. »

Il soupire et se passe une main dans les cheveux.

« D'accord, Snape. Mais toi, si tu veux, tu peux m'appeler Sirius. »

Hein ? Quelle idée ridicule.

Je m'apprête à lui envoyer une répartie bien sentie quand l'escalier s'ébranle de nouveau. Comme je manque de perdre l'équilibre et tomber vers une mort certaine, je ne peux que m'agripper désespérément à la robe du Gryffondor pour ne pas être happé par le vide.

« Wow, je ne pensais pas que ça te ferait un tel effet, rigole l'autre attardé.

– Tais-toi, Black. Mime un réverbère et tout le monde sera content.

– D'accord, d'accord… Un réverbère allumé ? »

Sa plaisanterie est si stupide, si spontanée et si entièrement dénué de sous-entendus tordus que, pour une fois, j'ai presque envie de rire. Et ça, c'est vraiment anormal.

Heureusement, l'escalier rejoint enfin un palier et je m'écarte vivement de Black en battant mes mains l'une contre l'autre.

« Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi, chaque fois que je te croise quelque part, ça tourne à la catastrophe ? dis-je en lieu et place de remerciements.

– J'ai tendance à faire beaucoup d'effet aux gens », répond-il avec un sourire plein de dents.

Ne trouvant aucune répartie digne de ce nom, je me contente de rouler les yeux et le planter là dans un regard en arrière.

⊹────────────༺༻────────────⊹

Les hurlements s'élèvent dans les gradins tandis que les joueurs entrent sur le terrain. Beaucoup de braillements pour bien peu. Un match sans Serpentard a selon moi autant d'intérêt qu'un rhume sans pastilles mentholées. Poufsouffle contre Gryffondor, il n'y a pas de quoi se ronger les ongles, l'issue du jeu est courue d'avance. Ce n'est pas cela qui va me consoler de cette nouvelle semaine de cours harassants qui vient de s'écouler.

Je contemple le terrain qui se remplit, à l'avance ennuyé. Dans la tribune des Gryffondors, d'immenses bannières affichent en lettres de feu le nom que tout le monde crie.

« POTTER ! POTTER ! POTTER ! »

Qu'est-ce que ça peut me taper sur les nerfs.

Le poursuiveur gryffondor lève la main pour saluer son public, un sourire conquérant sur les lèvres. Rasant les gradins, il envoie un baiser à Lily, qui l'ignore superbement. Mouahaha. Non, je ne jubile pas !

Le match commence. Guère différent des matchs habituels, si ce n'est que Potter se pavane peut-être encore plus ostensiblement, profitant du moindre prétexte pour effectuer un looping ou un piqué. Il prend un malin plaisir à éviter les cognards à la dernière seconde pour entretenir le suspense. Mais s'il fait cela dans le but d'impressionner Lily Evans, c'est pour le moins raté. Elle a l'air de plus en plus renfrognée à mesure que s'écoulent les minutes, ce qui ne laisse pas de me réjouir.

« J'ai raté quelque chose ? demande Gwendolyn, sortie de je ne sais où, en s'asseyant à côté de moi.

– Encore toi ! Tu vas me coller longtemps ?

– Excuse-moi, cette place était réservée pour ton ami imaginaire ? » rétorque-t-elle avec fourberie.

Mais quelle peste.

« Ouah, ce poursuiveur est vraiment doué ! » s'exclame soudain la chose qui me sert de cousine au moment où Potter survole nos bancs à une telle vitesse que nos cheveux s'envolent.

Plusieurs visages outrés se tournent vers elle.

« Gwendolyn, on ne complimente pas Potter ici ! je lui chuchote sèchement.

– Pourquoi ? » s'étonne-t-elle.

Elle me fait honte.

« Tu vois bien qu'il est dans l'équipe adverse !

– Mais Serpentard ne joue pas aujourd'hui ! proteste-t-elle.

– Il n'en reste pas moins un Gryffondor, et de la pire espèce.

– Je ne vois pas ce que ça change au fait qu'il est doué…

– Il n'est pas doué, il fait le clown. Et si cela ne te suffit pas, chère cousine, sache que ce type est aussi mon pire ennemi. Son plus grand plaisir dans la vie est de m'humilier.

– Ah mais oui, James Potter ! C'est lui qui t'a poussé dans le lac, le mois dernier ! »

Grrr.

« Oui. Entre autres.

– Et qui a cet ami absolument craquant ! »

Ce genre de remarques se passe de commentaire.

« Évite également d'admirer Sirius Black en ma présence, je siffle.

– Sirius Black ? Oh, non, moi je parle de Remus Lupin ! » rit Gwendolyn.

Ha ha ! Là, elle t'a bien eu.

Tout à coup, une vague d'excitation parcourt le public. Potter traverse le terrain à une allure folle. Il fait mine de se diriger vers l'un des anneaux, mais bifurque au dernier moment pour tromper la défense adverse. Un instant plus tard, il marque le premier but de la partie, et le second dans la foulée lorsqu'il frappe le souafle aussitôt réexpédié par sa coéquipière avec la queue de son balai. La foule est en délire.

Oui, oui. Hourra, hourra.

« Gwendolyn, assieds-toi, par pitié.

– Il est vraiment incroyable, tu as vu ça ? » piaille-t-elle au comble de l'excitation.

Je lance un regard autour de moi, espérant très fort que personne n'est au courant que nous sommes de la même famille.

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Lorsque nous sortons du stade, Gwendolyn court voir Potter, qui signe des autographes à presque tous les Première année. La honte.

Il faut dire que pendant le match, Potter a vraiment donné dans le grand spectacle. Il s'est amusé à plusieurs reprises à créer des rebondissements inattendus, par exemple en faisant demi-tour au moment de marquer pour refaire un tour de terrain et saluer la foule, ou en lâchant délibérément le souafle pour le rattraper dans un piqué vertigineux. Sa stratégie a été efficace en cela qu'elle a peu à peu rongé le moral des Poufsouffles, qui ont fini par perdre la partie.

D'ordinaire, je serais rentré le plus vite possible pour faire mes devoirs, mais j'ai quelques scrupules à laisser ma cousine en présence de ce triste sire. Pour peu qu'il connaisse notre lien de parenté, rien ne me dit qu'il ne serait pas capable de s'en prendre à elle. Je vais lire un livre derrière un vieux chêne non loin de là, histoire de pouvoir réagir si nécessaire.

Quelque temps après, j'entends soudain Potter s'exclamer :

« Eh ! Lily ! Attends ! »

Je jette un œil dans sa direction. Il vient d'abandonner ses fans pour suivre l'objet de notre affection, qui marche droit vers mon arbre.

Petit instant de panique. Je me révèle, ou je me cache ?

Le choix est vite fait : moins Potter me voit et mieux je me porte. Discrètement, je me hisse sur les branches basses du grand chêne déplumé pour me cacher dans le feuillage restant tout en ayant une meilleure vue. Les deux Gryffondors n'ont de toute évidence pas remarqué ma présence lorsque Potter attrape Lily par le poignet, à quelques mètres de là.

« Qu'est-ce que tu veux, James ? dit-elle en se dégageant.

– Rien, je… Je voulais savoir… ce que tu as pensé du match ? demande-t-il en se passant la main dans les cheveux.

– Je ne sais pas quoi te dire, répond-elle en croisant les bras. Et ton équipe, qu'est-ce qu'elle en a pensé ? Est-ce qu'elle aime te servir de faire-valoir ? »

Bien envoyé, Lily !

« Mais… on a gagné grâce à moi ! proteste Potter.

– On croirait que tout le monde n'est là que pour te passer le souafle et te regarder faire ton show. Est-ce que c'est seulement possible d'exister autour de toi ?

– Enfin Lily, c'était un match contre Poufsouffle ! se défend Potter. Si je n'avais pas mis un peu d'ambiance, ça aurait été plié en cinq minutes !

– Toujours cette arrogance. Tu ne grandiras donc jamais ! »

Je n'ai jamais vu Potter aussi déconfit.

« J'en ai peut-être fait un peu trop… reconnaît-il. Tu sais, moi, je voulais juste… euh. T'impressionner, quoi.

– Je ne suis pas l'une de tes groupies, James. Ça ne m'intéresse pas de rester là à t'admirer. J'aimerais au moins que tu me considères comme ton égale, si ce n'est comme une amie.

– Mais, Lily… fait-il, penaud. Si je te considérais comme mon égale, je ne ferais pas des pieds et des mains pour essayer de te prouver que je vaux quelque chose. »

Cette réponse semble avoir un certain effet sur Lily, dont les traits s'adoucissent. Elle décroise les bras et se tourne plus franchement vers lui.

Noooon. Ne te laisse pas berner par son numéro d'humilité !

« C'est tellement frustrant… soupire-t-elle. Comment peux-tu être si merveilleux par moments et si insupportable le reste du temps ? »

Est-ce que j'ai bien entendu « merveilleux » ?!

Wow. OK. Wow.

J'ai un tout petit peu envie de me jeter du haut de mon arbre, à cet instant. Si possible en aterrissant sur la tête de Potter, histoire de débarrasser le monde de son abjecte existence.

En tout cas, ce mot n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd si l'on en juge par le sourire qui éclaire soudain le visage de mon ennemi juré.

« Tu as dit "merveilleux"? »

Lily semble immédiatement regretter ses paroles.

« Ce n'est pas ce qu'il fallait retenir !

– Mais on est d'accord que tu me trouves… merveilleux.

– Merlin, tu n'écoutes rien. Ce que tu peux m'énerver !

– Au contraire, j'ai bien écouté, et tu as dit "merveilleux". »

Il tente de lui prendre la main, mais elle la retire vivement.

« Comment faut-il que je te le dise ? Je ne suis PAS intéressée.

– Mais Lily …

– Pour la dernière fois, fiche-moi la paix, Potter. »

Sur ces paroles, elle file vers l'école à grands pas. Potter, comme giflé par l'emploi de son patronyme, ne fait pas un geste pour la rattraper.

Ouf. On n'est pas passé loin de la catastrophe, mais Lily a finalement su remettre Potter à sa place. Est-ce qu'il est en train de pleurer ? Dites-moi qu'il est en train de pleurer !

Alors que je me tords le cou pour mieux voir, je perds soudain l'équilibre et glisse de la branche sur laquelle je me tenais. Je parviens de justesse à me raccrocher à celle du dessous pour ne pas m'écraser par terre, mais le choc secoue l'arbre tout entier et une pluie de feuilles mortes se met à tomber. Tandis que je gigote pour remonter, j'entends Potter fulminer :

« Qui est là ? Snape ?! »

Oups. Je crois que je suis repéré.

Regardant en bas, je constate que la branche sur laquelle j'essaie désespérément de grimper se trouve à un mètre cinquante du sol, et que je peux juste poser les pieds par terre. Ahem. J'époussette ma robe pour me redonner contenance.

« Non mais, je rêve. Qu'est-ce que tu fous là ?

– Je, hum. Je lisais tranquillement, rien de plus. Ce n'est pas de ma faute si vous avez choisi de faire votre petite scène de ménage sous mon arbre.

– Mon œil. Tu es sans arrêt en train de rôder comme un vautour autour de Lily. Tu n'as toujours pas compris qu'elle ne veut plus rien avoir à faire avec toi ?! »

Je ricane.

« C'est Sainte Mangouste qui se fout de la charité.

– Mais peut-être que tu cherches autre chose ? insinue-t-il sournoisement. Peut-être qu'elle t'intéresse autrement que comme une amie, dans le fond ? »

Je sens mon cœur se serrer. Il est hors de question que Potter suspecte quoi que ce soit de mes sentiments pour Lily. Ce serait ma perte assurée.

« Ne projette pas sur moi tes fantasmes tordus, Potter. Certains d'entre nous ont encore la notion des convenances.

– Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?!

– Tu n'en as jamais marre de te faire jeter encore et encore par une vulgaire Sang-de-bourbe ? Le titre de future Mrs Potter semble compromis…

– Je t'interdis d'appeler Lily comme ça !

– Comment ? Sang-de-bourbe, ou future Mrs Potter ? Je dois dire qu'entre les deux insultes, mon cœur balance. »

Il me saisit brusquement par le col et me plaque contre le tronc d'arbre, sa baguette pointée sur ma gorge.

« James ! »

Potter et moi tournons simultanément la tête vers l'origine du cri. Sirius Black arrive en renfort. Misère, me voilà cuit.

« James, qu'est-ce que tu fiches ?! Tout le monde t'attend dans la salle commune ! Morgan a ramené des bièraubeurre… Ah, tiens, salut, Snape. »

L'espace d'un instant, Potter semble aussi décontenancé que je le suis. Puis il répond d'une voix vibrant de colère :

« Une minute, Sirius. Je règle son compte à cette ordure et j'arrive.

– Ah non, ce n'est pas le moment de se prendre des heures de colle. On a un match à célébrer ! » décrète Black d'un ton autoritaire.

Passant ses bras sous les aisselles de Potter, il l'entraîne vigoureusement en arrière.

« Lâche-moi, Sirius ! enrage Potter. Il a insulté Lily !

– Allons. Tu sais bien que ça énerve Lily quand tu livres ses batailles à sa place.

– Je ne peux pas le laisser s'en tirer comme ça !

– Mais si. L'ignorer et aller t'amuser, c'est encore la meilleure des vengeances. »

Tandis qu'il pousse son ami vers le château, Sirius lance un regard vers moi et m'adresse un clin d'œil appuyé. Tout en réarrangeant mes vêtements, je commence à m'inquiéter du nombre de remerciements que je dois à Sirius Black ces derniers temps.

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Je sens quelque chose d'anormal lorsque j'entre dans le dortoir ce soir-là. Peut-être parce que les chuchotements qui emplissaient la pièce cessent brusquement.

Mes compagnons de chambrée sont tous en train de comploter sur le lit de Brute Épaisse. Ça ne leur ressemble pas trop : habituellement ils restent assez tard dans la salle commune à jouer à la bataille explosive ou d'autres âneries.

D'un pas incertain, je m'avance vers mon lit. Trois paires d'yeux me suivent du regard. Qu'est-ce qu'ils ont, les sous-doués ?

« Ça va, Snape ? » lance Crétin 1er dans mon dos.

Je n'aime pas son ton.

J'astique négligemment ma baguette avec ma manche, pour être sûr qu'ils me savent armés. Ils ont peur de moi tant que je le suis. Et ils ont de bonnes raisons de l'être. Sans me vanter, j'ai mis au point un petit nombre de sortilèges particulièrement redoutables.

« Pas mal, Madley, et ta sœur ? Toujours fiancée à un moldu ? »

Il fulmine. Moi, je m'empresse de me rappeler tous les sorts de révélation que je connais, car il est presque certain que ces abrutis ont piégé mon lit ou mes affaires.

« Est-ce que vous voulez me dire quelle surprise vous m'avez concoctée ? Ou bien dois-je deviner tout seul ? »

Remous dans le trio.

« On ne voit pas de quoi tu parles, prétend le Sale Traître.

– À ton aise, Avery, dis-je calmement en commençant à me déshabiller. Au fait, ta braguette est ouverte. »

J'éclate d'un rire froid lorsqu'il baisse les yeux. Quel imbécile : il est en chemise de nuit.

« Si j'étais toi, je ne rirais pas tant, Snape ! gronde-t-il, visiblement vexé de s'être fait avoir.

– Ah oui, et pourquoi ça ? »

Je lui adresse un regard perçant. Le fait que je sois en caleçon ne semble en rien altérer le malaise d'Avery.

« Parce que tu as un peu trop d'ennemis pour une seule personne. »

Merci, ce n'est pas une nouveauté.

J'enfile prestement ma chemise de nuit et déploie les rideaux de mon lit à baldaquin pour être hors de vue.

Baguette à la main, j'inspecte alors consciencieusement mes draps, ma malle, même l'espace sous mon lit et les tentures. Rien. Puis, saisi d'une intuition, je me tourne vers la table de nuit. Non.

La certitude m'attrape soudain à la gorge. Ils ont réussi à trouver le tiroir secret. M'assurant qu'ils ne peuvent pas me voir, je le tire en silence et en révèle le double fond. Vide. Le sang pulse dans mes tempes.

Est-ce que je mentionne la disparition des feuillets ? Non, les chances qu'ils me les rendent sont beaucoup trop minces, même si je peux espérer qu'ils aient échoué à dissiper les sortilèges de dissimulation que j'ai placés dessus. Mieux vaut qu'ils ne sachent rien pour que je puisse inspecter leurs affaires en leur absence.

Les sourcils froncés, je range soigneusement ma baguette sous mon oreiller. Mon estomac est noué. Je sens que je l'aurai, mon ulcère juvénile.

Allez, on souffle. On ouvre les chakras.

Mais bon sang, qu'est-ce que c'est que les chakras ?!