7. Le fauteuil

Tout est silencieux lorsque je pénètre le dortoir plongé dans l'obscurité. Mes amis doivent encore être dans les bras de Morphée. L'heure est, de toute manière, à peine décente pour être debout un dimanche matin.

J'envisage d'aller déranger mes draps afin de donner l'impression que j'y ai dormi. Mais soyons honnêtes : je ne fais de toute façon jamais mon lit.

L'urgence est surtout de prendre une douche. Je me sens sale de la nuit. Les images de Snape inconscient sur le sol sont gravées derrière mes paupières. Si je ne l'avais pas pisté avec la Carte du Maraudeur hier… Il se serait réveillé là ce matin, seul et en sang, couvert de contusions ?

Tout à mes pensées, j'entre dans la salle de bains en m'attendant à la trouver vide. Je tressaille alors en découvrant James qui, une simple serviette autour de la taille, est en train de s'examiner les ailes du nez avec une grande concentration.

« Oh non, par pitié ! dis-je en refermant la porte derrière moi. Tout, mais pas ça ! »

Il se retourne d'un bond.

« Sirius ! Tu m'as fait peur !

– Je t'en supplie, ôte de ma vue ce corps rachitique ! »

Bien que du genre sec, il est loins d'être maigre. Mais s'il croit que je n'ai pas remarqué que depuis l'histoire avec Lily, il ne mange presque plus rien, il est temps de lui prouver le contraire.

« Rachitique ?! Il me semble que je suis plus musclé que toi, Mr Tout-Mou ! se moque-t-il en me balançant une brosse à dents à la tête.

Peter est mou ; moi, je suis souple, dis-je avec un clin d'œil. Et toi, tu es rachitique.

Remus est rachitique, réplique James en remettant ses lunettes en place. Moi, je suis svelte. Et toi, tu devrais faire plus de Quidditch, tu t'empâtes.

– Sûrement pas, je refuse en tirant la langue. Tenir un balai, ça rend les mains calleuses. »

Et je lui renvoie la brosse à dents agrémentée d'un petit charme de mon cru, afin qu'elle l'attaque pour lui frotter sauvagement le nez.

« Tiens, voilà pour tes points noirs !

– Eh ! Arrête ! C'est pas juste, je suis désarmé ! proteste James sous les assauts de l'objet vengeur. En plus, c'est TA brosse à dents…

– Ma… ?! Finite incantatem ! »

En bons crétins que nous sommes, nous nous mettons à rire comme nous ne l'avions pas fait depuis trop longtemps. N'aurions-nous pas un peu oublié que nous sommes les meilleurs amis du monde, ces derniers temps ?

« En attendant, je ne devrais même pas t'adresser la parole ! bougonne James.

– Pourquoi ?

– Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi ?! s'indigne-t-il en m'écartant sans ménagement pour attraper ses vêtements, accrochés au portemanteau de la porte. Tu ne te rappelles pas qu'on avait prévu de retourner à la Tour Nord pour compléter la Carte, hier soir ?!

– Ah, oui. Ça.

– Deux mois qu'on n'avait pas fait une sortie de ce genre ! Mais non, Mr Patmol a d'autres priorités. J'espère au moins qu'elle en valait la peine… »

Le reste de ses grognements est étouffé lorsqu'il enfile sa robe. Je mets un temps à comprendre ce qu'il sous-entend.

« Attends un peu… Qu'est-ce que tu imagines ? Je n'étais pas avec une fille ! »

La tête hirsute de James jaillit de l'encolure.

« Alors avec qui ?

– Et qu'est-ce qui te fait croire que j'étais avec quelqu'un, d'abord ?

– Mmh, peut-être le fait qu'hier soir, tu aies débarqué dans la chambre en trombe pour attraper un bouquin et repartir aussi vite en lançant : "J'ai un truc à donner à quelqu'un !"

– Oui. Bon. Effectivement. C'est assez bien vu. »

Intérieurement, je note que j'ai oublié La reproduction des méduses australes en Antarctique dans la pièce où j'ai retrouvé Snape.

« Alors, Sirius, tu vas me dire avec qui tu étais ? »

Je regarde mon ami dans les yeux. Je n'ai jamais rien caché à James.

« J'étais avec Snape.

QUOI ?! hurle-t-il.

– Eh, oh ! Qu'est-ce qui se passe, ici ? »

Peter vient d'entrer dans la pièce en se frottant une paupière, encore ensommeillé.

« Tiens, Sirius, te voilà !

– IL A PASSÉ LA NUIT AVEC SERVILUS ! crie James en levant les mains au ciel.

– Ah oui ? C'était bien ? » demande Peter machinalement.

En proie à la consternation la plus totale, James cligne des yeux, les bras toujours en l'air. Je juge bon de rectifier le tir.

« Alors, James. Jay, mon frère. Je peux te rassurer sur un point : je ne me suis pas du tout amusé avec lui.

– Mais qu'est-ce que vous avez fichu toute la nuit ensemble ?

– …En tout cas PAS ce que ta question semble sous-entendre.

– TU ES ALLÉ EXPLORER LE CHÂTEAU AVEC LUI, C'EST ÇA ?! »

Je balance la tête, indécis.

« Pas vraiment, non. Mais bonne nouvelle tout de même : j'ai une nouvelle pièce secrète à ajouter sur la Carte !

– OH ! »

James recule en titubant, une main sur son cœur.

« Hors de ma vue, Judas, gémit-il dans un élan dramatique.

– James… Je n'ai pas exploré le château avec Snape ! J'ai juste passé une soirée très pourrie et ensuite ça s'est rapidement fini dans un lit ! »

En voyant l'air sidéré de Peter et James, je réalise que ce choix de formulation n'était pas le plus adroit. Je me reprends :

« DANS DEUX LITS ! DISTINCTS ! CHACUN LE SIEN ! »

Peter passe entre James et moi d'un pas mécanique et s'avance jusqu'à un lavabo.

« Je ne suis pas du tout assez réveillé pour cette conversation.

– Sirius, je ne comprends plus rien, dit James. Qu'est-ce qui s'est passé exactement ?

– Je… ne peux pas te le dire.

– Et pourquoi tu ne peux pas me le dire, je te prie ? On se fait des cachotteries maintenant, toi et moi ?!

– Parce que… eh bien… » J'ai promis.

C'est alors que la porte s'ouvre encore une fois en grand, et que Remus apparaît. Tête pendante, son bras retenant le battant, il semble exténué, mais aussi assez énervé.

« BON. Sirius, tu nous as oubliés hier et c'était nul, excuse-toi. James, arrête de faire une scène et pardonne à ton meilleur ami parce que c'est toi qui l'as mis dans cette situation avec Snape. Peter, lâche tout de suite cette brosse à dents, c'est celle de Sirius. Je retourne me coucher ; essayez de vous engueuler un peu moins fort, s'il vous plaît, il y en a qui ont une transformation éprouvante à endurer dans moins de deux jours. »

Il fait volte-face et referme la porte sans douceur.

Je me frotte l'arrière de la nuque en regardant James.

« Pardon de vous avoir plantés hier, les gars. J'aurais vraiment aimé faire cette sortie avec vous.

– C'est pas grave, Sirius, me réconforte Peter. Et désolé pour ta brosse à dents. »

James hausse les épaules.

« OK. Je te pardonne.

– C'est vrai ? dis-je, soulagé.

– Pas vraiment le choix, hein. Quand un loup-garou te donne un ordre, tu n'as plus qu'à obéir si tu tiens à la chair tendre de ton postérieur.

J'AI ENTENDU ! nous parvient la voix étouffée de Remus derrière la porte.

– J'ESPÈRE BIEN ! » rétorque James. Puis il reprend, plus bas : « Je déteste quand son ouïe devient surdéveloppée, pas vous ? »

Je hoche la tête tandis que Peter examine une à une les brosses à dents d'un air perplexe. À mon tour, je me fais curieux :

« Mais au fait, James… Si vous êtes sortis hier, qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-ci ? Cette inspection nasale était donc si urgente ? »

James, qui se débat avec un peigne pour arranger ses cheveux mouillés, ébauche un sourire énigmatique assaisonné d'un haussement de sourcil hautain.

« Vous aimeriez bien que je vous le dise, heeeiiin ? »

Je lève les yeux au ciel.

« Ça y est, j'ai déjà perdu l'envie de savoir !

– Moi aussi, renchérit Peter.

JE NE VEUX PAS SAVOIR, JE VEUX DORMIR ! crie Remus dans la pièce voisine.

– Bien. Puisque c'est ça, je ne vous dirai rien, bande d'égoïstes.

– Attends un peu, je crois deviner : tu as un rencard, je me trompe ?

– Ha… Qui sait ? »

Je me réjouis intérieurement. Il peut toujours faire des mystères, je le connais assez pour deviner qu'il a bel et bien un rendez-vous. Lily lui aurait donc redonné une chance ?

« Vous me trouvez comment ? s'enquiert James en abandonnant le peigne sur le bord du lavabo. Le Nouveau James !

– Euh… commence Peter. Il y a quelque chose de changé par rapport à d'habitude ?

– Ça ne se voit pas ?

– Ah, si, je souris. Ton nez est beaucoup plus rouge.

– Enfoiré. »

⊹─────༺༻─────⊹

Pendant que James part prendre le petit-déjeuner avec son « mystérieux » rencard, que Remus fait la grasse matinée et que Peter va à la bibliothèque emprunter le dernier tome des Chroniques de Sorcerton, je me défais de mes vêtements en frissonnant. J'ai grandement besoin de me laver, d'autant plus que je me sens transi de froid depuis que je suis sorti de l'infirmerie. Où j'ai passé la nuit. Au chevet de Severus Snape.

Je ne comprends plus rien à ma vie.

Je me glisse dans la douche et ouvre le robinet d'eau chaude. Un soupir de bien-être m'échappe tandis que je laisse le liquide m'envelopper de sa douce tiédeur et mouiller mes cheveux.

Je n'ai pas encore eu le temps de digérer tous les événements d'hier. Je commençais à peine à accepter l'idée que peut-être nous avions un peu victimisé Snape pendant des années, et voilà que je découvre que nous sommes presque le cadet de ses soucis. Pas étonnant qu'il soit aussi dur, aussi secret. Et aussi seul. La moindre des choses, c'était quand même de rester pour m'assurer qu'il allait bien, non ?

Surtout que tu ne peux manifestement plus te passer de le voir.

Non. Que je sois légèrement obsédé par Severus Snape est une chose. Je reconnais que je me suis pris au jeu de la séduction. Gagner du terrain, petit à petit… Lui décrocher un bout de sourire, un semblant de rire… un fou rire, même ! C'est satisfaisant. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'ai pris goût à ce défi et j'ai envie de réussir. Je l'admets.

Mais là, c'était autre chose entièrement. Quand je l'ai trouvé, j'ai cru… Il ne bougeait plus. Alors forcément, après, j'étais inquiet. C'est humain. Serpentard ou pas, Snape ou pas, je ne souhaite à personne de subir ça. J'ai voulu l'aider, j'ai voulu rester, et je me suis endormi. C'est tout ce qu'i dire.

Ou presque.

Je repense au bandeau de pirate. Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Il l'avait et il ne l'a pas brûlé ? Il ne s'en est pas servi pour se payer ma tête ? Il l'a juste… gardé ? Est-ce que quelque part, Snape ne serait pas tout à fait au clair avec ce qu'il pense de moi ? Mais quand bien même ce serait le cas, est-ce que l'exaltation que je ressens à cette idée est une réaction adaptée ?

L'eau se fait si brûlante que ma peau rougit. Confusément, je me demande jusqu'où tout ça va aller. Dans quoi est-ce que j'ai mis les pieds ? C'est comme si j'avais tout fait pour éviter de me poser la question. Je repense, comme pour me rassurer, à tous ces posters d'actrices sexy que j'ai accrochés dans ma chambre, chez mes parents. Certes, en bonne partie pour faire enrager ma mère, mais aussi parce qu'elles étaient foutrement belles. Je revois les filles que j'ai embrassées lors de soirées d'été, parfois caressées… mais sans jamais aller plus loin. Par galanterie, bien sûr.

C'est bien ça que je veux, n'est-ce pas ?

Je coupe l'eau et attrape le savon. Alors que je commence à me laver dans l'atmosphère embrumée, je suis du regard le trajet de mes mains sur mon corps. Mes épaules carrées, mon torse plat. Les poils noirs et drus qui partent de mon nombril, et… tout le reste. Nulle part, on ne vous apprend à désirer ça. Ni dans les livres, ni dans les films. J'ai juste la vague notion qu'il y en a à qui ça arrive. Et que pour une raison ou pour une autre, ce serait un peu révoltant.

Est-ce que moi, je trouve ça révoltant…?

Lorsque je rouvre l'eau pour me rincer, je tourne cette fois le robinet d'eau froide.

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« Il fait beau, non ? » s'exclame James en se gorgeant du soleil du début d'après-midi.

En train de me frictionner énergiquement les bras, je lui adresse un regard peu convaincu.

« Quelque chose qui ne va pas, Sirius ?

– … Bon sang. James. Es-tu seulement humain ?

– Eh bien, aux dernières nouv…

– Je te signale qu'on gèle littéralement !

– C'est vrai qu'il fait frisquet. » Il inspire à pleins poumons. « Hhha ! L'air est vivifiant, tu ne trouves pas ?

– C'est ça. Je me sens vivant comme un sorbet glacé. »

James joint les mains et bat des cils.

« Quel poète, Monsieur Patmol.

– Un poète qui ne sera bientôt plus qu'une stalagmite géante, je grommelle. On pourrait rentrer ?

– Tu n'as qu'à jeter un sort de chaleur sur ta… Mais… Sirius, qu'est-ce que tu as fait de ta cape ? »

J'applaudis son sens de l'observation, vraiment.

« Je l'ai oubliée quelque part. »

Sur le lit de Snape.

Que ma bonté naturelle soit maudite.

« Eh bien, je ne te prêterai pas la mienne, dit James avec dédain. Tu ne m'as même pas demandé comment s'était passée ma matinée.

– Je n'ai pas osé, dis-je en grimaçant. J'ai bien vu au déjeuner que Lily t'ignorait totalement…

– Quel est le rapport avec Evans ? s'étrangle James.

– Euh… Tu n'avais pas un rencard ?

– Pas avec elle ! » grogne-t-il avec hargne.

Mince. J'ai encore réussi à mettre les pieds dans le plat.

« Je croyais qu'aucune autre fille ne t'intéressait !

– Tu parles de l'Ancien James ! Le Nouveau James a appris de ses erreurs. Le Nouveau James ne perd plus son temps avec les personnes qui ne savent pas l'apprécier pour ce qu'il est.

– Eh bien, c'est une bonne nouvelle. » J'imagine ? « Qui est l'heureuse élue ?

– Laisse tomber, boude-t-il en haussant le nez. Tu as complètement gâché mon annonce. »

Retenez-moi de le frapper.

« Alors je vais devoir deviner… Mmh… Notre chère Minerva ?

– Quelle Miner… Tu veux dire McGonagall ?! s'étrangle-t-il. Non, mais, ça va pas la tête ? »

Il me donne un grand coup de coude dans les côtes.

« Aïe ! Ouille ! Je sais pas moi ! Je me disais que comme tu avais tendance à aimer les filles qui passent leur temps à te rabrouer…

– Ha, ha. Très drôle. Eh bien non, figure-toi. J'étais avec Emeline.

– Vance ? Ta coéquipière poursuiveuse ? Cette Emeline-là ?

– Celle-là même.

– Mais elle est en Septième Année !

– Ma dernière poussée de croissance m'a permis de la dépasser de trois bons centimètres et elle a enfin arrêté de m'appeler "gamin".

– Elle reste plus baraquée que toi… dis-je pour le taquiner.

– Cesse de médire sur mon corps d'athlète ! »

James prend un air crâne.

« D'ailleurs, elle est entrée dans les vestiaires des hommes l'autre jour alors que j'avais un peu traîné dans la douche, et elle n'a pas du tout eu l'air de me trouver maigrichon.

– Rachitique. J'avais dit rachitique. »

Soudain, James me saisit par le bras.

« Eh ! Sirius, regarde qui est là-bas ! Ton rencard d'hier soir ! »

Loin de me retourner, je me fige comme un bloc de glace – ce que je suis déjà plus ou moins.

« Attends, on va l'appeler, peut-être que lui voudra bien me raconter où vous étiez !

– James, non ! »

Je ne peux pas me retrouver en présence de ces deux-là en même temps. Je ne peux pas…

Pivotant sur moi-même, je suis des yeux mon ami qui, sans m'écouter, va couper la route du Serpentard qui longe le mur du château non loin. Celui-ci ralentit progressivement à la vue de James, avant de s'arrêter à quelques mètres de lui. Qu'est-ce que je fais ?!

« Servilus Snape ! s'exclame James. Toi ici, quelle coïncidence !

– Qu'est-ce qu'il y a, Potter ? »

Je m'approche de la scène avec appréhension. Snape toise son rival d'un air farouche. Il ne m'accorde pas un regard.

« C'est marrant, tout de même, cette façon que tu as de te trouver immanquablement sur notre route ! remarque James. Si je ne te connaissais pas si bien, je pourrais croire que tu nous espionnes !

– Toujours aussi nombriliste, Potter. Cesse un peu de croire que le monde entier tourne autour de toi.

– Toujours aussi mégalo, Snape, réplique James sur le même ton. Cesse un peu de te prendre pour le monde entier. »

Le Serpentard plisse les yeux.

« Tu as donc fini de jouer les gentils pour séduire Evans, Potter ? Tu as enfin accepté l'idée que tu ne peux pas toujours avoir ce que tu veux ?

– Va te faire voir », crache James.

Je ne peux m'empêcher de trouver que le Nouveau James a l'air tout aussi vexé que l'aurait été l'Ancien James.

Les lèvres de Snape se retroussent en un rictus où se lit tout le mépris imaginable.

« C'est toujours un sujet sensible, à ce que je vois ? Comme c'est touchant. J'en pleurerais. »

Le visage du Gryffondor se durcit.

« Je peux m'occuper de te faire pleurer, Servilus. »

Alarmé par le tour que prend leur échange, je tente soudain d'intervenir :

« Euh, James ? Viens, on s'en va.

– Fuir un duel ? Et puis quoi encore ?

– Deux contre un, ce n'est pas un duel, James.

– Oh mais ne t'inquiète pas. Je m'en sors très bien tout seul. Expelliarmus ! »

Il a dégainé sa baguette à la vitesse de l'éclair. Snape a eu le même réflexe, mais une fraction de seconde trop tard. Son arme atterrit dans la main de James et il perd l'équilibre sous la puissance du sortilège. Il s'affale sur le sol dur et glissant.

« Alors, Snape, se moque James en s'approchant de lui. Tu veux voir ce qu'on peut faire avec deux baguettes ?

– James, ça suffit. Arrête. »

Pas cette fois. Pas aujourd'hui. Pas sachant ce que je sais. Je ne pourrais pas vivre avec moi-même.

Mon ami tourne la tête dans ma direction, stupéfait.

« Qu'est-ce que tu dis ?

– Laisse-le, James. S'il te plaît. »

Il me dévisage, bouche bée.

« Est-ce que tu te sens bien ?

– Pas vraiment, non. Rends-lui sa baguette et laisse-le partir.

– Mais je vais le faire ! Dès que j'aurais pu m'amuser un peu avec lui… »

Presque mécaniquement, je sors ma propre baguette et la pointe sur mon meilleur ami.

« Ne m'oblige pas à m'en servir contre toi, James, dis-je sèchement.

– Tu as perdu la raison ! rugit-il.

– Peut-être bien. »

Un instant, je crois qu'il va me frapper. Ses yeux incrédules sondent désespérément les miens à la recherche d'une réponse que je ne peux lui fournir.

Il baisse finalement les bras. Avec un écœurement manifeste, il jette la baguette de Snape sur le sol et tourne les talons pour rentrer au château d'un pas rageur. J'ai envie de pleurer, tout à coup. Je crois que j'aurais préféré qu'il me colle son poing dans la figure.

Une boule dans la gorge, je le regarde disparaître, avant de reporter mon attention sur Snape. Celui-ci s'est relevé et brosse ses vêtements. Je ramasse sa baguette pour la lui tendre. Il la récupère un peu de mauvaise grâce.

« C'est la troisième fois depuis hier que tu me sauves la mise, remarque-t-il. Je pense que tu couves quelque chose, Black. »

Je note, malgré tout, un peu d'humour dans sa voix. Ce semblant de connivence me console de la dispute que je viens de provoquer. Je connais sa fierté. Il y a encore peu de temps, il m'aurait craché au visage pour l'avoir aidé.

« C'est depuis que tu m'as frappé sur la tête, dis-je sur le même ton. Je n'ai plus trop les idées en place.

J'avais remarqué, oui. »

Je regarde mes pieds avec embarras, puis demande :

« Alors ? Tu as parlé à ton Préfet-en-Chef de ce qui s'est passé ?

– Oui. Je crois qu'il fait le nécessaire pour que ça ne se reproduise plus.

– Oh, bien. Je suis soulagé. » Puis j'ajoute, pour faire bonne mesure : « Je n'ai pas envie de passer tous mes samedis soir à l'infirmerie, moi !

– Je me doute bien que tu as des rendez-vous plus intéressants à honorer d'ordinaire. »

Aussitôt, je regrette d'avoir dit ça. Je ne veux pas qu'il pense ça.

« Disons que si tu n'étais pas endormi, tu ferais un rendez-vous plus intéressant. »

Snape reste silencieux à ces mots. Un tremblement de froid me traverse, ce qui ne semble pas lui échapper.

« Je ne savais pas comment te retourner ta cape. Je l'ai laissée au dortoir. Tu n'as qu'à prendre la mienne, en attendant.

– Non, ce n'est pas la peine, dis-je, un peu surpris par cette proposition.

– Mais si », insiste Snape.

Il détache le vêtement pour le jeter d'autorité sur mes épaules. L'étoffe est toute pleine de sa chaleur, et je me sens tout de suite beaucoup mieux.

« Tu es sûr ?

– Une cape pour une cape, répond-il en agrafant le col. Et puis, si tu es malade, ça va encore me retomber dessus. »

Il lève ses yeux noirs vers moi lorsqu'il a fini et je ressens une autre sorte de frisson. Je crois que c'est le premier acte de gentillesse qu'il a à mon égard depuis qu'on se connaît.

Je tente une blague pour cacher mon émoi :

« Suivant cette logique… si je tombe malade, tu me veilleras à l'infirmerie, non ? »

Ses sourcils se froncent légèrement. Il détourne le regard et sa bouche se tord vers le bas, comme s'il goûtait quelque chose d'amer.

« Je pense que Potter sera là pour ça. »

Un nuage de vapeur blanche sort de sa bouche au gré de sa respiration. L'instant de quiétude s'est évanoui, et j'ai de nouveau terriblement conscience du vent glacé qui souffle entre nous.

« Je ne sais pas s'il va me pardonner de sitôt…

– Bien sûr que si. Ne dis pas de bêtises. »

Ses paroles me réconfortent et me peinent tout à la fois.

Il fait mine de partir. Je lance :

« À demain, alors… en cours. »

Après une brève hésitation, il hoche la tête, puis s'éloigne.

Tremblant encore, je resserre la cape autour de mes épaules.

⊹─────༺༻─────⊹

« Bravo, Mr Black, me félicite Flitwick. Vous avez réussi le premier. Comme toujours, devrais-je dire. Dix points pour Gryffondor. »

Je me tourne vers Remus en croisant les bras derrière ma tête.

« Ah ! j'adore les cours de Charmes.

– En même temps… tout le monde sait que tu es un charmeur.

– Crétin. »

Je lui lance ma boule de croquet au visage. Elle s'écrase mollement contre sa tempe et retombe sur le bureau avec un bruit flasque. Je ris.

« Ramollir le bois… Est-ce que ça ne te donne pas des idées de farces absolument fantastiques ?

– Va jouer ailleurs, Sirius, s'agace Remus en me renvoyant la boule. Tout le monde n'a pas tes dons. J'essaie de me concentrer.

– Remus, tu deviens rabat-joie… »

Vivement que la pleine lune soit passée. Un Remus irritable, c'est franchement irritant.

« Réconcilie-toi avec James, qu'on en finisse ! soupire-t-il. Je ne peux pas satisfaire tous tes besoins de bêtises en ce moment.

– À t'entendre, on dirait que je ne suis qu'un sale gosse !

– C'est toi qui l'as dit, pas moi. »

Quand je pense que je vais sacrifier une longue nuit de sommeil réparateur à courir les bois pour cet ingrat ! Et en même temps, le chien qui est en moi a terriblement hâte de sortir pour sa promenade nocturne dans la Forêt… Mais mes personnalités multiples s'entendent bien, je vous rassure.

« C'est vrai que ta copine est Métamorphomage ? dis-je soudain.

– Sirius…

– Quoi ?

– Ce n'est pas ma "copine".

– Excuse-moi, je ne sais pas comment on appelle les filles dont on est amoureux, chez les Serpentards.

– Tu ne vas pas recommencer !

– Je trouve intéressant que tu ne nous aies pas dit qu'elle était à Serpentard et que j'aie dû le découvrir par un tiers.

– Tu peux dire "Snape" en ma présence, tu sais. »

Hum.

« Et donc, il paraît qu'elle est Métamorphomage. Vrai ou faux ?

– Ton tiers est bien renseigné. Mais je te prierais d'être discret, elle ne souhaite pas le crier sur tous les toits.

– Mais… pourquoi ? C'est un peu le pouvoir le plus cool de l'univers, non ?

– Les gens préfèrent parfois garder certains détails de leur vie privée pour eux, c'est tout…

– Ah, oui. C'est une Serpentarde, quoi. »

Il émet un genre de grondement de fauve. Ça lui arrive, de temps en temps, les jours de pleine lune. C'est assez flippant. Mais j'ai le goût du risque.

« Tu sais ce que je me suis dit à son sujet ?

– J'ai tellement hâte de le découvrir…

– Je suis sûr que Lisa…

– Lenna !

– Je suis sûr qu'elle n'est pas du tout mignonne en vrai et c'est pour ça qu'elle ne veut pas qu'on sache qu'elle est Métamorphomage. C'est typiquement ce que ferait une Serpentarde.

– Sirius.

– Oui ?

– Laisse. Moi. Travailler. »

Pfff. J'aurais dû m'asseoir à côté de Peter. Jusqu'ici, je considérais Moony comme mon deuxième meilleur ami, mais je pense qu'il est en train de passer à la dernière place. Il va pleurer quand ce sera le cas.

« En tout cas, moi, si j'étais Laura…

– Lenna !

– …je prendrais l'apparence des profs. Tu imagines ? On pourrait faire des blagues incroyables. Il n'y aurait plus aucune limite

– Eh bien si tu veux, je l'invite à rejoindre notre groupe ? »

Il plaisante, évidemment. Mais je suis si époustouflé par les perspectives que cette idée nous ouvre que je prends tout de même un temps pour la considérer sous tous les angles.

« Je suis partagé. Je ne voudrais pas que Luna…

– Len-na. Lenna.

– …qu'elle devienne notre Yoko Ono. Cela dit, son pouvoir nous serait tellement utile. Mais en même temps…

– Oh ! Regarde, j'ai réussi ! »

Remus presse sa boule dans sa main avec extase. Au bout de quelques minutes de ce jeu, il paraît se souvenir de ma présence.

« Pardon. Tu disais ?

– Je ne crois pas que je pourrais faire confiance à une Serpentarde. Surtout si elle s'appelle Lyra.

– Bon sang, Sirius ! Elle s'appelle Lenna.

– Je sais. Je l'ai fait exprès pour t'embêter. »

Il me tire la langue.

« Pour te faire pardonner ton impolitesse envers une amie à moi, je veux que tu te réconcilies avec James d'ici ce soir.

– Tu en profites, là.

– Exactement. Alors, c'est faisable ?

– Mmh… C'est faisable. »

⊹─────༺༻─────⊹

Je viens d'aller chercher le livre de Snape dans la pièce secrète du troisième étage lorsque je vois James débouler dans le dortoir désert. Il fait comme si je n'étais pas là et ouvre sa malle pour y ranger des affaires de classe. Le moment me semble idéal pour une discussion d'homme à homme, aussi je décide de ne pas m'embarrasser d'une quelconque délicatesse et je lui saute littéralement dessus par-derrière.

« JAMES ! Si tu savais ce que tu m'as manqué !

– Aaah ! Sirius ! suffoque-t-il.

– Oui, c'est moi !

– Tu… Tu m'étrangles !

– Oups. »

Je desserre mes bras autour de son cou.

« Si tu pouvais aussi descendre de mon dos, ça m'arrangerait, ajoute-t-il, l'air un peu énervé. C'est que tu pèses ton poids…

– Nan.

– Comment ça, "nan" ?

– C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour que tu cesses de m'ignorer. »

S'il arrive à me porter sur son dos et prétendre malgré tout que je n'existe pas, alors là, chapeau.

« Merlin, et il t'a fallu combien de temps pour élaborer un plan pareil ?

– Je ne crois pas vraiment aux plans. Je suis un adepte de la Spontanéité Pure. »

Au cas où vous vous demanderiez si je suis content de moi sur ce coup, sans hésitation, je vous répondrai oui.

« Descends de mon dos, sale cabot ! Tu m'écrases !

– Seulement si tu arrêtes de me faire la tête.

– Même pas en rêve ! Tu m'as trahi. Pour mon pire ennemi.

– T'ai-je trahi ? Ou t'ai-je sauvé de toi-même ?

– …Non, tu m'as trahi. Et tu n'imagines même pas à quel point ça me met en colère !

– Tu veux un bisou pour te calmer ?

– Pitié, non !

– Hé ! Ça me fait deux moyens de pression. Deux.

– Reconnais plutôt ta faute, au lieu de faire le malin !

– C'est aussi de ta faute, Jamie.

– Ne m'appelle pas Jamie !

– Trois moyens de pression. Trois.

– Il te manque une case, tu le sais ?

– Et j'en suis fier. »

Être perché sur le dos de quelqu'un donne immédiatement une impression de supériorité tout à fait réjouissante. Je me sens prêt à rester aussi longtemps qu'il le faudra.

« En quoi c'est de ma faute, d'abord ? grommelle James.

– Tu es littéralement allé l'attaquer sans aucune provocation.

– Et alors ?

– Et alors ça fait des années que ça dure.

– Et alors ?

– Et alors, tu ne t'es jamais dit que peut-être, il n'était ton ennemi que parce que tu le traites en ennemi ?

– Non mais je rêve, c'est encore pire que je le pensais. Tu as totalement pris son parti !

– Pas du tout ! Je ne suis d'aucun parti. Je suis suisse.

– UN GRYFFONDOR N'EST JAMAIS SUISSE !

– Si tu préfères, je milite pour la paix. Tu peux m'appeler Guidon.

– C'est Gandhi, banane. »

Il secoue la tête.

« Il t'a complètement retourné le cerveau, Sirius. Méfie-toi, c'est un manipulateur.

– Ne sous-estime pas ma haute intelligence, James.

– C'est difficile quand je te parle alors que tu es perché sur mon dos !

– La guéguerre avec Snape a fait son temps ! C'était encore marrant tant qu'il avait des copains, mais il n'a plus Evans, il n'a plus Avery, il n'a plus Mulciber… Je pense qu'on peut juste le laisser tranquille. L'objectif est atteint : personne ne l'aime. »

Il ronchonne. Bizarrement, ce bilan pathétique semble lui remonter un peu le moral.

« C'est bon, j'ai compris. Maintenant, descends, s'il te plaît.

– Je veux bien descendre si tu dis que tu m'aimes.

– Plutôt crever.

– Alors je veux bien descendre si tu me fais un baisemain.

– Fais-toi soigner !

– Bon, bon ! Tu es dur en négociations. Je descends si tu promets de me laisser la vie sauve.

– Marché conclu. »

Je relâche mes genoux qui enserraient sa taille et glisse à terre. Grimaçant, il se fait craquer les vertèbres.

« La vache, mon dos ! Sirius, tu es une vraie plaie ! Tu pèses combien, au juste ?

– Je suis grand ! Ce n'est pas de ma faute. »

Tout en se frottant les reins, James va s'asseoir sur son lit.

« Tu as peut-être un peu raison. Ce n'est plus si amusant d'embêter Snape…

– Si tu veux mon avis, on ferait mieux de s'en prendre à Marshall Bulstrode. En plus, il a Remus dans le collimateur !

– C'est vrai ?! L'ordure. Tout le monde aime Remus. »

Il a levé le poing devant son visage pour appuyer son propos. Pour l'accompagner, je me mets dans une position de combat tirée tout droit d'un de ces films d'arts martiaux moldus dont nous sommes friands.

« Personne ne touche à un cheveu de Moony ! »

James sourit, puis m'ouvre ses bras.

« Allez, viens là, vieux frère. »

Je bondis sur lui, le renversant sur le dos. Sans même réfléchir, je me transforme en Patmol et me retrouve les deux pattes sur ses épaules, en train de lui lécher copieusement le visage. James proteste et rit en même temps. Il finit par me repousser, s'essuyant les joues. Son expression redevient sérieuse.

« Quand même… Tu sais ce que Snape nous a fait. Tu t'en souviens, hein ? Dès que tu as la preuve, on va le dénoncer. »

Je reprends mon apparence humaine et hoche la tête en essayant d'avoir l'air convaincu.

« Oui… Bien sûr. Je fais tout ça pour ça.

– Fais attention, avec lui. N'oublie pas qu'il a embobiné Lily pendant des années avant de montrer sa vraie nature. Tu ne peux pas lui faire confiance. »

Je lui passe le bras autour du cou et lui frotte les cheveux.

« Arrête de t'en faire pour moi, c'est beaucoup trop mignon. »

Pourtant, intérieurement, je sens bien qu'une part de moi n'a déjà plus envie de l'écouter.

⊹─────༺༻─────⊹

« J'ai emprunté ces fleurs de vent au professeur Chourave », explique Slughorn en distribuant le dernier pot en terre.

D'un gabarit impressionnant, chaque pot ne contient qu'une sorte de minuscule pissenlit.

« Vous allez tester quelques gouttes de votre potion sur votre plante, j'en constaterai les résultats et en déduirai votre note. Ensuite, je vais vous enseigner comment inverser les effets de la Potion dynamisante, c'est-à-dire comment obtenir une Potion… ? de… ? »

On entendrait une mouche soûle hoqueter dans le silence léthargique.

« Mr Black ? »

Je relève vivement la tête, ayant peut-être somnolé quelques secondes.

« Euh… Vous pouvez répéter la question ?

– La duchesse de Sorcerton… baragouine Peter, profondément endormi à la table derrière moi.

– Je vois… se décourage Slughorn. Demandons à votre camarade. Mr Snape ?

– Une Potion de Dégénérescence, répond l'intéressé d'un air ennuyé.

– Bien, cinq points pour Serpentard. Vous irez chercher vos fioles respectives sur la table – les uns après les autres ! Je ne veux pas d'accident ! »

Je secoue la tête pour tenter de me réveiller.

« Tu vas tenir jusqu'à la fin du cours, Black ? s'informe Snape avec une grimace.

– Oui, oui… Un peu fatigué, c'est tout.

– C'est le moins qu'on puisse dire. Si tu t'évanouis, essaie de ne pas tomber sur le chaudron, tu veux.

– C'est gentil de t'inquiéter pour moi.

– Pas du tout, ça m'ennuierait d'avoir à refaire la préparation à cause de toi. Qu'est-ce que tu as fait de ta nuit ?

– Eh bien… J'ai… C'est-à-dire… »

Je me suis transformé en chien et j'ai accompagné mes amis, sous les formes d'un rat, d'un cerf et d'un loup-garou, dans la Forêt Interdite, où nous avons gambadé joyeusement jusqu'au petit matin. Pourquoi, ça t'étonne ?

« Ça a un rapport avec l'absence de Lupin ? »

Il est trop futé, c'est agaçant. Je réponds par une pirouette :

« Tout ce que je peux te dire, c'est que j'étais en très bonne compagnie. »

Il grimace.

« Pitié, n'en dis pas plus.

– Eh, je ne suis pas du genre à propager des ragots… moi. »

Il se lève pour aller chercher la Potion dynamisante et, le temps qu'il revienne, je me suis déjà assoupi. Je n'ai jamais été aussi exténué de ma vie. Entre mes insomnies, la nuit horrible avec Snape et la partie de Quidditch que j'ai dû jouer avec James hier pour me faire pardonner, il ne manquait vraiment plus que la pleine lune pour conclure en beauté.

« Allez, Black, remue-toi un peu.

– Mmh.

– Bois ça. »

Il me colle une flasque dans la main.

« Il te faut un biberon, ou ça va comme ça ? »

J'ouvre un œil suspicieux.

« Qu'est-ce que c'est ?

– Du punch.

– Sans rire ?! dis-je, mon intérêt soudain avivé.

– Mais non, c'est une Potion revigorante, abruti… »

Oh. Dommage.

Je considère la bouteille avec méfiance.

« Tu te balades avec ça sur toi ?

– Tu n'es pas le seul à passer des nuits compliquées.

– Pourtant, à l'infirmerie, tu avais dormi comme un bébé…

– Eh bien justement. J'essaie de limiter mon recours à la Potion de Sommeil, en ce moment.

– Ouais… Je comprends. »

Tout comme je n'arrive plus à toucher à du porridge. Je repense au fait que Snape m'a très certainement déjà empoisonné… Est-ce que je vais ingérer ce qu'il me donne sans broncher, maintenant ? En même temps, je suis tellement fatigué…

Débouchant la flasque, j'avale une lampée de sa potion.

« Ouah, tu mets combien de menthe, là-dedans ?

– Ça passe le goût… se justifie-t-il.

– Tu ne serais pas un peu accro, des fois ? »

Il a un reniflement dédaigneux.

« Oui, eh bien, ça vaut mieux que de boire du punch. Alors, requinqué ? »

Je réalise que la brume dans mon cerveau vient de se dissiper comme par miracle, et je souris.

« Eh, ouais, ça donne un sacré coup de fouet ! C'est génial. Il faudra que tu me files la recette !

– Hors de question. C'est ma recette personnelle et ultra-confidentielle.

– T'es pas sympa…

– Chacun ses secrets, Black. »

Oui, bon. Un peu bougon, je m'empare de la pipette pour prélever une faible quantité de Potion dynamisante dans le chaudron que nous avons préparé. Snape me regarde faire avec un pli soucieux au milieu du front.

« Je devrais le faire.

– C'est bon, Snape. Je ne suis peut-être pas le génie des potions que tu es, mais c'est encore à ma portée.

– Hum… Tu pourrais peut-être t'en tenir à une goutte, pour commencer…

– C'est marqué trois gouttes !

– Merci, Black, je sais lire.

– Alors, laisse-moi faire ! »

À la première goutte, rien ne se passe.

À la seconde, la plante grandit brusquement de vingt centimètres.

À la troisième, elle nous dépasse et commence à s'élever vers le plafond.

« Euh… Professeur ?

– Oh ! C'est époustouflant ! s'extasie Slughorn. Vous n'avez mis que trois gouttes ?

– Ben, oui… Bon sang, Snape, qu'est-ce que t'as fichu ?

– Pourquoi moi ?

– Parce que ce n'est pas moi ! »

Il se tasse sur sa chaise d'un air furieux.

« Cafteur. J'ai juste essayé d'améliorer un peu la recette de base…

– Qu'avez-vous fait, Mr Snape ? interroge Slughorn.

– Hum, j'ai… remplacé les écailles d'aspic par de l'eau de jacinthe et des queues de rats séchées. »

Un couinement scandalisé s'élève à la table derrière. Pauvre Peter.

« C'est très habile, Mr Snape. J'accorde dix points à Serpentard. Malheureusement, je ne puis permettre que ce cours soit le terrain de vos expériences les plus folles ou l'école ne sera bientôt plus qu'un champ de ruines. Vous allez me rédiger un devoir sur l'utilisation de la fleur de vent dans les potions médicinales pour la semaine prochaine. »

Snape me foudroie du regard.

« Passez vite à la composition de la Potion de Dégénérescence, à présent, avant que cette… chose… n'envahisse toute la salle. »

En effet, la petite fleur ressemble plus à un arbre, désormais. Le pot a éclaté et ses racines ont envahi le bureau, se tortillant en jolies bouclettes vertes et mauves.

« Tu me casses les pieds, Black, siffle Snape. Tu n'aurais pas pu ne mettre qu'une seule goutte, comme je te l'avais dit ?

– Mais… Serpentard a gagné plein de points !

– Et moi, j'écope d'un devoir supplémentaire, merci bien, grince-t-il.

– Il faut voir le chaudron à moitié plein. »

Snape n'a pas l'air très convaincu par mes leçons d'optimisme.

« Je veux bien prendre ma part de responsabilité et t'aider à écrire le devoir, dis-je pour faire la paix.

– J'en sais bien plus que toi sur les potions. Tu ne me seras d'aucune utilité.

– Tu penses vraiment que je suis stupide, ou quoi ?

– Ne pose pas des questions dont tu ne veux pas connaître la réponse, Black. »

Mais quel salaud.

Je rétorque avec un petit sourire supérieur :

« Tu ne devrais pas t'adresser de cette façon au SEUL capable d'amadouer Mrs Pince pour trouver les meilleurs ouvrages sur la question… »

Cet argument semble faire son chemin dans son esprit.

« Très bien, puisque tu insistes, finit-il par dire d'un ton détaché. Rendez-vous vendredi soir dans la salle d'étude du premier étage.

– Ooooh. Ça y est !

– Ça y est, quoi ?

– Eh bien, c'est notre premier rendez-vous ! »

Je jurerais que ses joues prennent une teinte rosée, non ? Il a l'air plus vivant que d'habitude.

« Et tu t'étonnes que je te prenne pour un imbécile… »

⊹─────༺༻─────⊹

Je referme la porte de l'infirmerie en soupirant. On ne peut pas dire que Remus aille vraiment mieux qu'hier. Notre loup-garou s'est transformé en marmotte, on dirait…

À peine suis-je sorti que je me retrouve nez à nez avec une jeune fille à la peau brune, qui me toise avec défiance derrière ses boucles serrées.

« Black, dit-elle en guise de salutation, sans volonté d'être agréable.

– Salut, Lan… Lenna. »

Je ne la sens pas du tout, la SerpentoMétamorphotruc qui sort avec une brute en puissance et qui subitement, s'intéresserait à Moony. Remus est trop gentil, c'est son défaut. Il ne sait pas détecter les personnes malveillantes. Genre, il a toujours pris la défense de Snape !

…Bon, ce n'est peut-être pas le meilleur exemple.

« Tu viens voir Remus ? dis-je d'un ton soupçonneux.

– De toute évidence, répond-elle. Et toi, tu es là pour faire le chien de garde ou tu vas me laisser passer ? »

Je lève les deux mains pour lui faire signe de se calmer et lui laisse la voie libre.

« C'est bon, pas la peine de me sauter à la gorge !

– Ne t'inquiète pas, j'ai oublié ma panoplie de vampire… »

Je hais cette fille.

Elle me contourne avec dédain et entre dans l'infirmerie. Mais j'ai à peine le temps de faire quelques pas que je la vois ressortir d'un air furieux. La voix de Pomfresh fuse de l'intérieur :

« Ce garçon a besoin de repos !

– Qu'est-ce que vous croyez que je vais faire, lui jouer du tambourin au-dessus de la tête ? » peste Lenna en refermant la porte.

Je remarque que la colère semble lui avoir fait perdre le contrôle de ses mains, qui ressemblent présentement à des pattes d'ours. En me voyant toujours là, elle les cache précipitamment dans ses poches.

« Tu es content, Black ? Je n'ai pas le droit d'aller le voir.

– Eh, je n'y suis pour rien, moi !

– C'est ça, fais l'innocent, grommelle-t-elle.

– Excuse-moi, il y a un problème ? » dis-je avec perplexité.

Qu'est-ce que Remus trouve à une fille aussi agressive ? Le syndrome de Stockholm me semble être la seule explication !

« Manifestement, oui, il y a un problème, répond-elle sèchement. C'est déjà la deuxième fois qu'il finit à l'infirmerie depuis Halloween. Mais je suppose que toi non plus, tu ne vas pas m'expliquer ce qui se passe ?!

– Hum… Il est malade, tu sais.

– Mais c'est quoi, cette maladie ? Il dit qu'il fait régulièrement des rechutes…

– C'est… C'est un peu mystérieux.

– Est-ce qu'il va en mourir ? »

Je dévisage la Serpentarde. Sous ses dehors revêches, elle a quand même l'air de s'en faire sincèrement pour mon loup-garou préféré. Je m'adoucis légèrement :

« Non, il ne va pas en mourir. Il a des soins adaptés. Tu ne devrais pas t'inquiéter… Ses amis sont là pour lui. »

Elle a un rire sans joie.

« J'ai bien compris que votre petit groupe était assez exclusif. C'est toi qui dis à Remus de te méfier de moi, n'est-ce pas ?

– Euh… »

Nom d'un lévrier en tutu, fallait-il qu'il aille lui raconter ça ? D'accord, j'ai un peu fait une scène à Remus lorsque j'ai su qu'elle était à Serpentard, mais…

« Ce n'est pas contre toi… C'est juste que Remus ne peut pas se permettre d'accorder sa confiance à n'importe qui. »

Elle plisse les yeux et j'ai l'impression de voir le renflement de ses mains dans ses poches grossir. Je tente de me rattraper :

« Je ne veux pas dire que TU es n'importe qui…

– Laisse tomber. Je me fiche de ce que tu penses. »

Ça a le mérite d'être clair.

« Tu lui diras au moins que je suis passée ? » demande-t-elle par-dessus son épaule.

Je hoche la tête, et elle disparaît dans le couloir.

⊹─────༺༻─────⊹

Lorsque j'entre dans la salle d'étude le vendredi soir, Snape est déjà installé à travailler dans un gigantesque fauteuil tapissé de velours pourpre qui lui donne la prestance d'un roi sur son trône.

« Je rêve ou tu as pris le meilleur siège ? dis-je, outré.

– Il fallait arriver le premier, Black, se gausse-t-il en se tournant vers moi.

– Et je m'assois où, moi ? Sur une vulgaire chaise ?

– Eh bien quoi ? Ton noble postérieur ne peut pas s'en satisfaire ?

– Tu sais ce qu'il te dit, mon noble postérieur ? Attends un peu… »

Je jette brusquement mes affaires sur la table et fais pivoter le fauteuil face à moi.

« Eh ! proteste Snape en lâchant sa plume.

– Allez, décale-toi.

– Comment ça ?! »

Repoussant sans ménagement le Serpentard maigrichon contre un accoudoir, je trouve la place de poser une fesse et demie environ, ce qui me force à m'installer complètement de travers, et surtout à moitié avachi contre Snape.

« Là, voilà. C'est plus juste, comme ça.

– Black, grogne-t-il entre ses dents. Je te prie de sortir de MON fauteuil immédiatement.

– C'est mon fauteuil aussi, maintenant ! »

Il fronce les sourcils, l'air de se demander si je suis sérieux.

« C'est entièrement faux, objecte-t-il. Toi, tu as une jambe sur l'accoudoir…

– L'accoudoir fait partie du fauteuil !

– Mais tu n'es véritablement assis que si tes deux fesses sont sur le coussin.

– Tu sais ce qu'elles te disent, mes fesses ?! »

Il prend un air dédaigneux.

« J'ai pour principe de ne jamais discuter avec le postérieur des gens.

– Ah, parce que tu as des principes, toi ?

– Bien évidemment.

– Par exemple ?

– Mmh… Ne jamais fraterniser avec un Gryffondor.

– Je vois. Tes principes sont vraiment nazes. »

Je gigote un peu. La deuxième fesse trouve sa place sur l'assise, mais la première se retrouve sur la cuisse de Snape.

« Là, c'est mieux comme ça ?

– C'est absolument… pas mieux. »

J'adore quand il est embarrassé. C'est super mignon.

« Il faut te rendre à l'évidence, Black ! Ce fauteuil est trop petit pour nous deux. »

Je souris.

« Attends, j'ai une idée. »

Je sors ma baguette et, avec une facilité qui fait naître l'étonnement sur le visage du Serpentard, j'élargis le fauteuil juste assez pour que mon séant puisse se loger convenablement.

« D'accord. Pas mal, reconnaît-il avec une rare humilité. Mais tu aurais quand même pu l'agrandir davantage. »

Il veut sans doute parler du fait qu'on ne peut pas laisser plus de trois millimètres et demi entre nous deux. Hé hé. Je l'ai fait exprès, bien sûr.

« Non, impossible, dis-je d'un ton expert. Le fauteuil risquerait de se briser en deux sous notre poids.

– Vraiment ?

– Absolument.

– Tu ne te ficherais pas un peu de moi, par hasard ?

– Je n'oserais pas !

– En tout cas, je doute qu'on arrive à avancer sur mon devoir de Potions dans ces conditions…

– Le devoir de Potions attendra. »

Il croise mon regard.

« Comment ai-je pu penser que j'arriverais à travailler avec toi ? Tu es…

– …une source inépuisable de réjouissances autrement plus intéressantes que le travail ?

– J'allais dire la plaie de mon existence, mais… si tu veux », concède-t-il en posant la tête sur son poing.

Il a eu une façon vachement affectueuse de dire « la plaie de mon existence », non ?

De la joie pure irradie au creux de mon ventre. Je suis grisé par l'instant, son contact, nos chamailleries, son regard sur moi. Sans trop réfléchir, j'attrape ses longs doigts blancs posés comme une drôle d'araignée sur son genou et je glisse ma paume contre la sienne. Il ne la retire pas et je la serre doucement, mimant une poignée de main.

« Bonjour. Je suis la plaie de ton existence, mais tu peux m'appeler Sirius. »

Il hausse un sourcil, mais esquisse un petit sourire amusé et murmure à son tour :

« Bonsoir. Moi… c'est Severus. »

Nos mains restent liées et en l'entendant susurrer son prénom, j'ai l'impression que toutes leurs terminaisons nerveuses sont en feu. Je sonde ses yeux si noirs pour tenter de lire ses pensées. Il ressent forcément ça, non ? Ça ne peut pas être que moi ?

Mon regard coule vers ses lèvres, et j'ai envie de…

Je veux dire que ce serait l'instant idéal pour…

L'Instant, vous savez. Celui où tout est parfait.

Maintenant. Ou jamais.

Une foule d'idées et de désirs contraires se bousculent dans mon esprit, se heurtent, se repoussent, et je ne sais absolument plus ce que je dois faire, laquelle de ces voix écouter.

Je trouve quelque part dans mon crâne un interrupteur ; et avec j'éteins tout, toutes les voix, en me disant qu'avec ce qui restera, on verra bien ce qui arrivera. Et dans ce silence soudain, les pulsations trop rapides de mon cœur résonnent dans mes tempes comme le tonnerre dans la nuit.