Chapitre 34: Perspectives (2)

J'ai souvent remarqué que si, dans les moments difficiles, le temps semble s'écouler avec une invraisemblable lenteur, il s'accélère de façon vertigineuse dans les périodes plus favorables dont on voudrait au contraire profiter. C'est ainsi qu'après des mois à me torturer les méninges à propos de la transformation de Delphini Black, je m'étais promis de savourer ma tranquillité retrouvée en cette fin d'année scolaire, mais j'avais à peine fini de songer à cela que l'année était terminée et que je me retrouvais chez moi au Manoir des Princes pour déposer mes affaires avant de me rendre au Manoir Malefoy où Narcissa et Lucius avaient organisé une petite fête pour célébrer l'adoption officielle de leur nièce.

Une semaine auparavant, c'est un tout autre cérémonial qui avait eu lieu. Nous étions retournés Albus et moi à Nurmengard, cette fois en compagnie de Lucius Malefoy et de Delphini désormais Black-Malefoy.

Hexaphorus s'était fait prier avant d'accepter de nous recevoir. Sans doute avait-il compris que je m'étais servi de lui pour piéger les nostalgiques de Voldemort. Mais la curiosité l'avait finalement emporté, il avait donc posé comme condition que je lui montre les «véritables» recettes des potions que j'avais utilisé pour sauver Delphini Black après qu'elle ait pris la potion d'adoption de sang. A notre entrée dans son cachot, il n'avait pas eu le moindre mot pour aucun de nous, à peine un regard, se contentant de tendre la main vers moi pour obtenir les parchemins qu'il avait réclamés. Je lui passai les recettes modifiées de mes potions, celles qui avait permis de maintenir en vie l'adolescente après qu'elle ait pris la potion destinée à la lier à Lucius pour brouiller son lien avec Voldemort.

Il les parcourut rapidement.

«C'est mieux que la version précédente que tu m'avais montrée, Severus, mais rien de tout ça n'aurait suffi à la ranimer après qu'elle ait pris ta potion d'adoption de sang.» asséna-t-il sans hésiter.

J'étais à la fois dégoûté par ce type immonde et fasciné par le potionniste hors pair qu'il était. A n'en pas douter, le meilleur que j'ai jamais rencontré, moi y compris.

«En effet, il manque sur ces recettes un ingrédient que j'ai rajouté ultérieurement.» admis-je d'un ton léger, comme s'il ne s'agissait là que d'une question tout à fait secondaire.

Mais, il avait alors commencé à douter.

«Ou alors, elle n'a pas pris aucune potion d'adoption de sang, ce qui expliquerait son état de forme, et tout cela n'était qu'un écran de fumée pour me berner!» supposa-t-il d'un ton acide.

C'est ce moment que choisit Lucius pour intervenir dans la discussion. Nos débats de potionnistes le laissaient froids. En revanche, il était venu avec des ordres précis de la part de Narcissa et était bien décidé à les exécuter sans tarder.

«Puisque vous posez la question, il me semble qu'il est temps de faire un petit test.» dit-il et, joignant le geste à la parole, il sortit de la poche de sa cape un flacon contenant un liquide transparent qu'il déboucha.

L'odeur presque imperceptible n'aurait pas permis à qui que ce soit d'autre qu'un potionniste de comprendre de quoi il s'agissait. Mais évidemment, Hexaphorus le sut immédiatement:

«Une potion de lignage.» dit-il nonchalamment en attrapant un flacon derrière lui. «J'ai pris la liberté d'en brasser moi aussi. Je propose de faire le test avec la mienne.»

Sentant Lucius devenir nerveux, sans doute parce que cette situation ne correspondait pas aux instructions qu'il avait reçues, je proposai une solution d'apaisement:

«L'un n'empêche pas l'autre. Faites les deux tests.»

Ne trouvant rien à objecter, Hexaphorus posa son flacon débouché sur la table. Lucius fit de même avant de tirer deux aiguilles du revers de sa cape et d'en tendre une à Delphini. J'en déduis que Narcissa leur avait bien recommandé de ne se servir de rien de ce qu'ils pourraient trouver sur place. Chacun d'eux laissa tomber une goutte de sang dans chacun des deux flacons. Le regard d'Hexaphorus se concentra sur le flacon contenant le test qu'il avait brassé lui-même. Lucius à côté de moi semblait nerveux. Inutilement nerveux, car nous connaissions d'avance le résultat du test pour l'avoir déjà fait plusieurs fois.

De fait, les deux potions de lignage prirent rapidement une teinte rougeâtre certes plus claire que si Lucius avez réellement été le père de Delphini, mais parfaitement translucide attestant qu'un lien de sang avait été créé entre eux, ce qui gommait suffisamment celui que, par sa naissance, elle avait eu avec Voldemort pour que toute tentative de la transformer en lui soit désormais vouée à l'échec.

Hexaphorus admit implicitement le résultat en se tournant vers moi pour dire :

«L'ingrédient manquant. C'est quoi ?»

A cet instant, Lucius leva une main en me demandant d'attendre un instant pour répondre, car il avait une déclaration à faire.

«A partir de maintenant, s'il arrive quoi que ce soit à ma fille, je vous en tiendrais personnellement responsable. Que ce soit vrai ou pas, que ce soit juste ou pas, ça m'est égal.» lança-t-il à Haxaphorus d'un ton menaçant. «Je vous garantis que, le cas échéant, les murs de Nurmengard ne seraient jamais assez épais pour vous protéger contre moi. Et, soyez certain que je suis capable de vous faire regretter d'avoir vécu aussi longtemps.»

Une moue méprisante tordit la bouche du vieillard, mais une lueur inquiète dans ses yeux trahissait le fait qu'il prenait l'avertissement au sérieux. Ce en quoi il n'avait pas tort, le sujet de la famille était bien le seul sur lequel on pouvait accorder une totale confiance à Lucius … et à ses menaces. Hexaphorus feignit néanmoins d'ignorer l'interruption pour revenir vers moi, car il y avait un sujet qui lui importait encore plus que de savoir quel sort funeste pourrait lui réserver Lucius, s'il arrivait quelque chose à sa fille adoptive.

«L'ingrédient ?» me demanda-t-il d'un ton pressant.

Il ajouta voyant que je ne répondais pas immédiatement:

« Je t'ai laissé revenir ici sous la promesse de me révéler la vraie recette de tes potions. Tu m'avais donné ta parole!»

En effet, et je n'allais surement pas me parjurer pour obtenir une dernière petite victoire sur ce sale type. D'autant plus que j'avais déjà gagné le match entre nous. Je profitai d'avoir toute son attention pour lui rappeler:

«En effet et je vous dois bien ça, car vous avez été essentiel à mon plan. Sans vous, je n'aurais jamais réussi à piéger tous ces tarés nostalgiques de Voldemort.L'ingrédient qu'il manque à la recette que je vous ai montrée, ce sont les larmes de licorne.»

Puis, je tournai les talons pour lui signifier combien j'étais indifférent à son éventuelle appréciation et je rejoignis Albus, Lucius et sa toute nouvelle fille qui avaient déjà gagné la porte du cachot.

Je repensai à cette scène et plus généralement aux relations nauséabondes que toute cette histoire m'avait obligé à avoir avec Hexaphorus depuis des mois, tout en triant tous les parchemins sur lesquels j'avais pris des notes au cours de l'année à propos du cas de Delphini Black. Ils étaient si nombreux que je m'étais installé sur la table du salon faute d'avoir suffisamment de place dans mon bureau. Je classai par ordres de date ceux que j'avais décidé de conserver dans mes archives, lorsqu'une voix de crécelle vint me vriller les tympans:

«Je n'avais pas réellement pensé à cette solution. Mais pour une fois que vous faites preuve d'initiative pour suivre mes recommandations, je ne vais pas m'en plaindre.»

Je levai un regard ahuri pour apercevoir en face de moi le portrait de mon grand-père qui, rempli d'autosatisfaction, se pavanait dans un paysage d'automne.

«Qu'est-ce que vous racontez comme absurdité?» m'agaçait immédiatement.

«Oh, je comprends que ça vous fasse mal d'admettre que j'avais raison.» se gobergea-t-il tellement gonflé de sa propre importance qu'il semblait sur le point d'exploser.

«Mais de quoi parlez-vous à la fin?» grondai-je alors que l'envie de lui balancer un sortilège brûlant commençait à me titiller.

«Je parlais de l'adoption de sang et de l'adoption légale par les Malefoy de l'amie de notre héritier. Bien sûr, j'aurais préféré que les Malefoy soient vraiment ses parents. Mais c'est une solution alternative que je trouve acceptable, je tenais à vous le dire.» m'annonça-t-il pompeusement.

«L'adoption de sang, une solution acceptable ! Parce que vous imaginez vraiment que j'ai fait ça pour vous faire plaisir ?» m'exclamai-je effaré.

«Eh bien, oui naturellement. Pourquoi l'auriez-vous fait autrement ?» me lança-t-il d'un ton suffisant.

J'envisageai de le détromper sèchement en lui expliquant combien j'étais désolé de lui avoir été agréable en quoi que ce soit. Finalement, je décidai de m'abstenir. Je n'allais quand même pas gaspiller ma salive à houspiller le portrait de ce vieux débile. En même temps, j'avais l'impression d'avoir résolu une question que je me posais depuis bien longtemps: «Comment ce parfait crétin avait-il réussir à survivre à la première guerre de Voldemort qui avait décimé tant de gens bien plus intelligents que lui dans les deux camps?» C'était tout simple, il était stupide à un tel point que personne n'avait jugé nécessaire de s'en débarrasser. La bêtise comme sauf-conduit …

Un an jour pour jour, une autre scène, dans cette même pièce, allait à nouveau conduire ce fichu portrait à se réjouir et moi, dans un premier temps, à un effarement certain. Harry et Ginny étaient venus avec leur fille Lilly au Manoir pour fêter les seize ans d'Albus et le féliciter pour les résultats remarquables qu'il avait obtenu aux Buses sans trop forcer son talent. Nous prenions le thé dans le salon. Lorsqu'Albus demanda sur le ton de la conversation si nous n'aurions pas quelque part dans la maison une jolie bague qu'il puisse offrir à Delphini.

«Je croyais que tu lui avais déjà fabriqué pour son anniversaire une boîte de transport de poche pour sa salamandre de feu avec piscine et sauna intégrés.» m'étonnai-je.

«En effet.» répondit-il tranquillement. «Mais là, ce n'est pas un cadeau d'anniversaire que je cherche pour elle.»

«Quoi alors?» demandai-je intrigué.

«Une bague de fiançailles.» répondit-il sur le ton neutre en se resservant une tasse de thé.

Harry, Ginny et moi n'aurions pas été plus sidérés si le plafond s'était soudain détaché pour tomber sur la table.

Le temps qu'ils me regardent pour savoir si j'étais au courant de cette annonce, qu'ils comprennent que non et qu'ils essayent de se consulter des yeux pour savoir quelle attitude adopter, tous les maudits portraits qui encombraient nos murs s'étaient engouffrés dans cet instant de silence pour prendre part à la conversation.

«Il y avait dans la cassette de ma mère une très jolie aigue-marine qui s'assortirait parfaitement aux yeux et aux cheveux de Miss Malefoy.» indiqua le portrait de mon grand-père d'un ton outrageusement réjoui.

«C'est vrai, je m'en souviens.» enchaina son frère Fraxinus. «Mais la monture en un peu démodée.»

«Eh bien, il n'y aura qu'à la faire modifier.» reprit Ferrucius Prince.

«C'est une pierre qui a été montée et remontée bien des fois.» remarqua Spiritus Prince qui s'était assis dans un tableau représentant une rivière avec les pieds dans l'eau. «Car, savez-vous qu'elle provient d'un collier que portait ma grand-mère. C'était un collier avec quatre aigues-marines. Après sa mort, ses enfants n'ont jamais pu se mettre d'accord pour savoir qui l'aurait et ils ont donc fini par se le partager. »

«Pour faire modifier la bague, je vous recommande un petit artisan gobelin sur le Chemin des Traverse, il fait un travail magnifique avec les bijoux anciens …» rajouta mon grand-père.

«Il doit être mort votre artisan.» l'interrompit Fraxinus Prince.

«Ah, vous croyez?» s'étonna le portrait de mon grand-père avant de concéder. «C'est vrai qu'il n'était déjà pas très jeune, même pour un gobelin, du temps de ma propre jeunesse. Qu'importe, il doit bien avoir un successeur.»

«A mon époque,» intervint Augustus Prince pour une fois descendu de son piédestal et du palier du deuxième étage. «il y avait un joaillier moldu qui rivalisait largement avec les meilleurs artisans gobelins, c'est à lui que j'avais confié la confection de ma chevalière. Je vous laisse apprécier la qualité du travail.»

En même temps, il tendait devant lui sa main manucurée pour nous faire admirer l'objet. Je devais rétablir le calme pour qu'Harry qui donnait d'évidents signes de panique, puisse retrouver ses esprits.

«Fermez-là tous autant que vous êtes ou je vous incendie!» grondai-je en les menaçant de ma baguette.

Une fois tous ces crétins de portrait réduit au silence, Harry se tourna vers son fils.

«Mais de quoi parles-tu?» bredouilla-t-il dans l'espoir inutile d'avoir mal compris.

«De nos fiançailles à Delphini et moi.» reprit Albus avec un calme qui contrastait avec l'état d'agitation de son père. «je pensais qu'on pourrait les organiser ici au Manoir à la fin de l'été.»

«Mais, il n'est pas question que tu te maries. C'est ridicule, tu as seize ans et tu n'as pas fini tes études! De toutes façons, tu es mineur, tu aurais besoin de notre autorisation et évidemment nous ne te la donnerons pas! » débita Harry à toute vitesse.

«Nous comptons nous marier l'an prochain, au début des vacances pour avoir le temps de partir en voyage de noce avant que je doive retourner à Poudlard.» précisa son fils imperturbable, avant d'ajouter. «A ce moment-là, je serai majeur et je n'aurai plus besoin de l'autorisation de personne.»

«C'est une idée ridicule !» cria son père dont le teint virait au rouge.

«Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de Delphini ? Qu'est-ce que tu as contre elle ?» se braqua Albus.

Sentant Harry au bord de l'explosion, Ginny lui demanda d'une pression de main de lui laisser la parole. Au lieu de s'énerver, elle tenta au contraire de raisonner.

«Albus, nous n'avons rien contre ton amie. Nous pensons simplement qu'il n'y a aucune raison de vous précipiter pour vous marier, alors que vous avez toute la vie devant vous.» expliqua-t-elle d'un ton apaisant qui contrastait avec sa mine crispée.

«Toute la vie devant nous !» s'exclama son fils à la fois choqué et incrédule. «Mais comment peux-tu dire quenous avons toute la vie devant nous, étant donné le nombre de fois oùDelphini a failli mourir depuis un an!»

«Nous y voilà» songeai-je en moi-même. Cette dernière phrase révélait un véritable traumatisme chez Albus. Un traumatisme que j'anticipais depuis un certain temps en me demandant comment il allait finir par se manifester, mais je devais avouer n'avoir jamais envisagé ce type de conséquence.

Ce jour-là, la discussion tourna court. Sorti de son énervement, Harry haussa les épaules comme s'il ne s'agissait que d'une lubie sans lendemain qui passerait d'autant mieux qu'on n'en parlerait pas. Pour ma part, j'étais désormais persuadé qu'il s'agissait de tout autre chose et que ça ne passerait pas. D'ailleurs, dès le lendemain du départ de ses parents, Albus se mit en quête de la fameuse bague.

Quand j'avais hérité du Manoir, Lily étant décédée, j'avais éprouvé si peu d'intérêt pour les bijoux transmis dans la famille, que je n'avais même pas fait l'effort de les transporter dans mon coffre à Gringotts, me contentant d'enfouir le tout dans une cachette aménagée dans l'un des murs du salon et sécurisée par quelques sorts peu sophistiqués.

J'exhumai l'ensemble à la demande de mon petit-fils. Conformément à l'avis des dizaines de générations qui polluaient nos murs, il opta immédiatement pour l'aigue-marine que semblait avoir portée mon arrière-grand-mère, me demandant le droit d'en faire rénover la monture avant de l'offrir à Delphini Black-Malefoy. Je l'incitai à temporiser quelque peu, mais je me heurtai à un refus frontal de sa part. Une posture fort peu serpentard.

Bien décidé à ne pas me mêler du face-à-face tendu qu'il avait avec ses parents, histoire de ménager mes relations avec les uns comme avec les autres – une vraie attitude de sepentard pour le coup – j'accepter de me mettre à la recherche d'un joaillier pour refaire faire la monture de la bague, mais je laissai le soin à Albus de rediscuter de la question avec ses parents. J'étais tout à fait persuadé que la discussion en question allait prendre énormément de temps et que les fiançailles seraient au minimum reportées à une date ultérieure. Mais contrairement à toutes mes prévisions et sans que je sache quels arguments Albus avaient employés, les fiançailles se déroulèrent comme il l'avait prévu la dernière semaine du mois d'août au Manoir des Prince.

L'air quelque peu crispé d'Harry et de Ginny me rassura au moins sur un point, Albus n'avait pas eu recours à la manipulation mentale pour obtenir leur consentement … A l'opposé des mines circonspectes des adultes vivants, les portraits du Manoir, pour une fois réconciliés, affichaient une joie exubérante qui ne me surprenait guère. Depuis qu'Albus était rentré ici pour la première fois, ils n'avaient eu qu'une seule idée: en faire leur héritier en espérant qu'il leur donne une nouvelle génération de Prince, un but qui leur semblait désormais à portée de main.

Quelques jours plus tard, de retour à Poudlard, Miss Black-Malefoy portait à l'annulaire de la main gauche une aigue-marine rutilante au cœur de laquelle évoluaient deux serpents, un pour elle et un pour lui. Pour la première fois, je devais admettre que je n'avais pas la moindre idée de la magie qu'Albus avait pu pratiquer pour obtenir cet effet.