Commande de Aespenn : J'aimerais beaucoup un texte avec mon personnage du nom de Helouri Ael Diskaret (qui est le narrateur actuel de ma fiction interactive). Helouri est un jeune morgan (une espèce proche des sirènes et des tritons) de 21 ans qui aspire à entrer au sein de la Garde Absynthe afin de suivre les études compliquées pour devenir médecin. Malheureusement pour lui, il cumule cinq tentatives et cinq échecs à l'examen d'entrée. Alors qu'il se désespère, assis sur les marches au sein du Quartier Général, il aperçoit une légende vivante : Shakalogat Gra Ysul, une femme orc et Capitaine du corps armée d'Odrialc'h, la plus grande cité d'Eldarya. Elle est connue pour ses faits d'armes mais surtout pour avoir mis un terme à de nombreuses guerres. Lorsque Helouri la voit, il développe immédiatement un béguin pour elle, même s'il sait que c'est ridicule et qu'il n'y a aucune chance pour qu'une telle femme puisse s'intéresser à lui. Shakalogat est présente à la cité d'Eel, avec sa délégation, pour entretenir le lien d'amitié entre Eel et Odrialc'h. Pendant la courte semaine où elle est là, il se pourrait qu'elle croise Helouri et que ce dernier ait le courage (ou non) de lui adresser la parole. Et ensuite ? Eh bien je laisse carte blanche à l'écrivaine et libre à toi de nourrir ou de détruire les espoirs d'Helouri.

Note de l'auteur : J'ai triché. Shakalogat n'est qu'évoquée. Mais avant même d'avoir lu ton document, cette scène s'est imposée dans mon esprit. J'ai donc juste vérifié que je n'envoyais pas complètement au diable ton AU. Mention honorable à Eweleïn, dont les propos que tu lui fais tenir rejoignent en partie ceux de mon « étranger ». C'est un texte assez court, mais je pense avoir dit beaucoup en peu de mots, ouvrant de séduisantes voies à l'imagination, la tienne ou celle de quiconque lira ces lignes. J'espère avoir fait honneur à Helouri (à ma manière un peu cruelle, certes) et que tu auras apprécié cet O.S. Non canon dans le cadre de mon propre AU.

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« Dansent les abeilles des ruches sans sommeil. »

-Tout ceci est d'un pitoyable…

Jusqu'alors perdu dans ses pensées moroses, Helouri sursauta violemment dans un cri étranglé, trébuchant tandis qu'il faisait volte-face. Il chuta lourdement, s'attirant un ricanement de l'importun. Il y avait là devant le morgan un individu encapuchonné. Sous le rideau d'encre de sa longue cape noire, on ne voyait rien de lui. A la place de son visage, un trou d'ombres, vapeurs noires dont l'ondulation se devinait sous l'épais manteau. Souples au repos, les écailles d'Helouri se durcirent subitement. Il flottait dans l'air une puissante odeur de vanille, laquelle ne couvrait cependant pas totalement quelque chose d'ancien, comme d'un vieux tombeau fraîchement rouvert. Instinctivement, le morgan rampa à reculons mais l'étranger avança d'autant de pas et demeura à le toiser.

-Jeune étudiant énamouré, poursuivit ce qui, maintenant qu'Helouri y prêtait attention, était plutôt la voix d'une femme. Soupirant sous son cerisier. Créature de l'eau à la terre condamnée. L'océan n'en veut pas, ni l'Absynthe, ni l'orc. Que va-t-il faire, à présent ?

Le morgan avait le souffle court, son cœur battant à tout rompre. Il tenta à nouveau de s'éloigner, sans avoir la force de se relever, et à nouveau l'étrangère suivit le mouvement. Helouri jeta un regard affolé autour de lui et l'épouvante le saisit. Le ciel était blanc, non de nuages, mais d'un vide immaculé. Dans cette toile vierge, nul soleil. Alentour, les bâtiments vomissaient des fumées noires. Des choses y grouillaient, ombres dans l'ombre, silhouettes informes et furtives. Le cerisier était quant à lui saturé de maana, ses craquements et gémissements résonnant dans ce qui aurait été autrement un parfait silence. Les flux d'énergie tordaient l'arbre, secouaient ses branches. Il était comme pris de convulsions. En dehors du morgan et de l'étrangère, il n'y avait plus âme qui vive au QG.

-Dis-moi, Helouri Ael Diskaret, jouerais-tu aux échecs avec un imbécile ?

Tremblant de tous ses membres, le morgan reporta son attention sur l'entité. Les larmes montèrent à ses yeux écarquillés. Elle n'attendit toutefois pas qu'il parvienne à formuler une réponse ou trouve le courage de l'interroger en retour.

-Pas moi, cracha-t-elle avant de se radoucir. Les combats gagnés d'avance n'ont aucune espèce d'intérêt, pas vrai ?

Désormais bloqué contre le muret ceinturant les racines du cerisier, Helouri se recroquevilla. Le maana suintant de l'arbre torturé lui piquait douloureusement la peau. Pour autant, il longea les pierres jusqu'aux quelques marches menant au tronc. L'entité l'empêcha de s'y hisser, l'encre et les vapeurs qui la dissimulaient (ou la constituaient) enroulant un tentacule autour de la cheville du morgan. Commentait-elle cette nouvelle tentative de fuite ? Elle répéta d'un ton vaguement ennuyé ;

-Tout ceci est d'un pitoyable…

Quoique tétanisé, Helouri retenait ses sanglots. Le cerisier hurlait.

-Je vais te dire tout ce que ces culs-serrés de la Garde ne voudront jamais admettre car il en va de leur réputation et de leur domination. Il est des individus à qui les cours ne servent à rien. Ceux-là ont appris sur le tas, un homme à l'agonie entre leurs mains. Sans diplôme, parfois sans avoir lu un seul livre, ils sont devenus tout aussi compétents, sinon meilleurs, que ces grands étudiants vissés des années sur leurs bancs. Alors oublie l'Absynthe, oublie Eel. Tu comptes parmi ceux qui ont besoin d'agir sous le regard des charognards. Trouve-toi une guerre ou une épidémie.

Bien que n'ayant pas haussé la voix, ses propos étaient passés par-dessus les plaintes assourdissantes de l'arbre. Quand elle se fut tue, celui-ci explosa dans un dernier cri strident, une dernière vaine supplique, et l'onde de maana dissolut un instant le manteau de l'entité. L'espace d'un battement de cils, le morgan vit une jeune femme à peine plus âgée que lui, plus jeune même peut-être, à la sublime chevelure brun-argenté et aux étincelants yeux d'améthyste. Elle était pâle. Pâle et belle, et terrifiante aussi. Elle sourit, arrachant une plume à ses ailes de jais. Son manteau s'était reformé lorsqu'elle s'agenouilla pour glisser la plume dans les cheveux d'Helouri.

-Les mortels ont écrit que nous étions quatre, déclara-t-elle. Mais il n'y a que moi.

Elle soupira.

-Que moi…

Ses doigts délicats effleurèrent la gorge du morgan avant de disparaître sous l'encre et les vapeurs. Et la Cavalière s'en fut. Le ciel était bleu, le monde tranquille. Les feuilles du cerisier chuchotaient une discrète mélodie dans la brise. Portant néanmoins une main fébrile à ses cheveux, là où il sentait un léger tiraillement, Helouri y retrouva la plume noire.

« Et l'ours rit et pleure du miel la saveur. »